Le pitch ? Un milliardaire rancunier dirige dans l’ombre un arsenal juridique pour ruiner un média dit « de caniveau » qui lui a fait du tort. Peter Thiel (à gauche) et Mike Denton, au cœur d’une affaire judiciaire qui fait couler beaucoup d’encre aux USA. Les protagonistes ? Peter Thiel : milliardaire libertarien, fondateur de PayPal, siège au conseil d’administration de Facebook en tant qu’un des premiers investisseurs de la firme. Gawker : média en ligne spécialisé dans la révélation de scandales et de rumeurs (baseline : « Les rumeurs d’aujourd’hui sont l’info de demain »). Nick Denton : son fondateur. Hulk Hogan : star du catch et de télé-réalité. En 2012, Gawker diffuse une sextape montrant le catcheur Terry Bollea, alias Hulk Hogan, au lit avec la femme d’un de ses amis. Outre le scandale conjugal, la célébrité attaque le site pour atteinte à la vie privée. Hogan gagne la procédure, et Gawker est condamné à lui verser 140 millions de dollars de dommages et intérêts. Outch. Le média est aujourd’hui en appel, face à un verdict qui pourrait lui faire mettre la clé sous la porte. Mais comment Hulk Hogan, star de seconde main ruinée par son récent divorce, a-t-il pu se payer Charles Harder, l’avocat des plus grandes stars hollywoodiennes ? L’article de Gawker à la base de ce qui est devenu un débat d’idées aux États-Unis Le magazine Fusion a récemment rapporté que c’est Peter Thiel qui avait secrètement financé de nombreux procès en cours contre Gawker. Le site a révélé son homosexualité en 2006, contre sa volonté. Le milliardaire, adepte des échecs et fin stratège implacable, organise alors secrètement sa vengeance face à ce qu’il considère comme « l’équivalent d’Al-Qaïda dans la Silicon Valley ». Il crée un groupe d’avocats chargés de repérer des personnes en conflits avec Gawker, et finance notamment le procès de Hogan à hauteur de dix millions de dollars. Après les révélations, le milliardaire assume publiquement avoir préparé sa vengeance dans l’ombre pendant dix ans, arguant d’une mission de bienfaisance face à ce média qu’il juge représentatif des pires dérives journalistiques. Problème ? L’avocat Charles Harder n’attaque pas que le site, mais aussi directement ses journalistes. Et dans l’affaire Hogan, le juriste a soigneusement refusé que son client soit remboursé par la compagnie d’assurance de Gawker. Les 140 millions reviennent donc directement à la charge du média, une volonté flagrante de la part du milliardaire de le couler financièrement. Hulk Hogan (à droite) lors d’une conférence de presse donnée par son avocat Charles Harder (au centre). Cette affaire provoque depuis peu un véritable débat national aux USA. Les partisans du droit à la vie privée pour les célébrités face à ceux qui considèrent la volonté d’un businessman de couler un média comme une atteinte à la liberté d’expression. Vie privée ou liberté d’expression, donc ? Entre un média de bas-étage et un milliardaire machiavélique, c’est toute la Silicon Valley qui prend désormais position dans ce qui ressemble au scénario d’un grand film à suspense, dont on est bien en peine de distinguer les gentils des méchants. [MàJ du 17/08/2016] Mardi 16 août 2016, le groupe Univision a racheté Gawker grâce à une enchère de 135 millions de dollars. Le fondateur de Gawker Nick Denton est plus que déçu du résultat. Selon le journaliste de Recode Peter Kafka, Denton estimait l’année dernière que son média valait au bas mot 250 millions de dollars. Mais la tourmente qu’il connaît l’a considérablement dévalué. Gawker rejoint ainsi The Onion et Fusion au sein d’Univision, dont les millenials sont la cible principale. C’est aussi le jour qu’a choisi le milliardaire Peter Thiel pour publier une tribune dans le New York Times, dans laquelle il se pose en leader du combat pour la confidentialité en ligne et réaffirme qu’il ne regrette rien. « Gawker a violé ma vie privée et s’est enrichi dessus », écrit-il. « Je suis fier d’avoir contribué financièrement à l’affaire Hogan. Je le soutiendrai jusqu’à sa victoire finale – Gawker a fait part de son intention de faire appel – et je soutiendrai avec plaisir quiconque se retrouvera dans la même position. » Pour Peter Thiel, « la défense de la vie privée à l’ère numérique est une source de préoccupation permanente ». Un article qui franchit cette limite « et n’est d’aucune utilité publique » ne devrait jamais être publié. Maintenant que Gawker a trouvé repreneur, il y a fort à parier que l’affaire trouvera une conclusion rapide et qu’on observera quelques réajustements de la ligne du magazine maintenant qu’il a rejoint l’écurie Univision. Sources : Fusion/Recode/The New York Times Peter Thiel a mis des billes dans leur affaire. ↓