Comment est née l’idée de The Northern Correspondent ? J’ai travaillé pour des journaux et magazines nationaux et internationaux pendant vingt ans, mais je me suis toujours senti frustré de voir que la qualité littéraire et journalistique n’était pas la même au niveau local ou régional. Deux millions et demi de personnes vivent dans notre coin de l’Angleterre, et ce sont deux millions et demi de personnes qui ont des histoires à raconter. Parmi elles, nous parions qu’il y en a qui meurent d’envie de raconter les histoires de leur région avec plus de substance, d’intérêt et d’enthousiasme que ce qu’on trouve actuellement sur le marché. Le nord-est de l’Angleterre, comme toute autre région, mérite et nécessite qu’on raconte et écoute en profondeur ses histoires, mais les opportunités de les raconter et de les écouter se font de plus en plus rares. Au cours des dix dernières années, plus de 20 % des journaux britanniques locaux ont fermé. La réduction du nombre de journalistes ainsi qu’une production de journaux locaux ou de programmes régionaux qui s’éloignent des communautés qu’ils servent engendrent l’apparition de « nouveaux fossés ». Le travail d’un « northern correspondent » est menacé dans la mesure où les nouvelles organisations recherchent des audiences mondiales plutôt que locales. En 1976, le Guardian avait 94 journalistes basés à Manchester. Aujourd’hui, le nombre de ses employés en Angleterre qui ne sont pas basés à Londres s’élève à deux. Les médias britanniques s’obstinent à rester centrés sur Londres. Et en tant que consommateurs d’informations, les automatismes que nous avons développés ces dernières années concernant les réseaux sociaux font qu’il est plus probable que nous soyons au courant de ce qui se passe à New York ou en Nouvelle-Zélande plutôt qu’à Newcastle. Pourtant, je suis convaincu que nous sommes de plus en plus disposés à acheter localement d’autres produits et services, à supporter notre boucher local ou notre épicier. Dans le même temps, on observe un goût plus prononcé pour les formats plus long, un journalisme plus narratif désireux et capable d’engager les intérêts des lecteurs en trois, quatre ou cinq milles mots sur des sujets et des thèmes plus importants. The Northern Correspondent est donc un petit groupe de journalistes et de conteurs d’histoires, d’écrivains, de photographes, d’illustrateurs, de réalisateurs et d’animateurs radio ou télé qui sont passionnés par les histoires des gens et des lieux du nord-est de l’Angleterre. Notre aventure a commencé avec un magazine imprimé, car nous adorons la langue écrite, mais nous avons également pour projet de réaliser des films documentaires et des programmes radios. Votre première édition a vu le jour grâce à une campagne Kickstarter. Pourquoi avoir choisi cette méthode de financement ? Nous avons opté pour le crowdfunding parce qu’il permet plusieurs choses : a) Tester les idées/concepts sur le marché avant de dépenser de l’argent. Dix ans plus tôt, nous aurions pris davantage de risques, nous aurions probablement financé la première édition à partir de nos propres emprunts, etc., puis nous l’aurions publiée sans véritablement savoir si les lecteurs en voulaient. Avec Kickstarter, ce risque a pratiquement disparu. Si l’argent nécessaire n’est pas récolté, il suffit de retourner au point de départ. Si l’argent est récolté, on peut poursuivre sans crainte en commandant du contenu, en réservant des créneaux d’impression, etc. b) Créer une relation immédiate avec les lecteurs/partenaires financiers. Une fois que quelqu’un s’engage sur Kickstarter, vous pouvez (ou il peut) initier une conversation sur le magazine : ce qu’il aime à propos de l’idée, ce qu’il n’aime pas, etc. c) Créer un réseau de partenaires enthousiastes. Une fois que quelqu’un s’engage, il aimerait que le projet porte ses fruits, il commence alors à le recommander à ses amis pour qu’ils deviennent eux aussi partenaires. d) De façon plus prosaïque, au terme du projet Kickstarter, vous avez constitué une base de données clients toute faite à laquelle vous pouvez vous référer pour la prochaine édition. Auparavant, seules les personnes ou les maisons d’édition ayant de gros moyens pouvaient prendre le risque de lancer un nouveau magazine. Kickstarster écarte une bonne partie de ce risque. Bien sûr, le site prend un pourcentage de l’argent récolté, mais c’est le prix à payer pour pouvoir planifier et publier avec plus de tranquillité. Ce qui est étrange, c’est que nous faisons des magazines imprimés traditionnels mais que nous dépendons beaucoup du crowdfunding et des réseaux sociaux pour leur financement et leur promotion. Je trouve cette connexion entre la tradition et la modernité très intéressante. Les réseaux sociaux sont un moyen efficace et pourtant gratuit pour partager et promouvoir ses idées. Un seul clic sépare les lecteurs potentiels sur Twitter, Facebook et compagnie de la page Kickstarter et d’un possible engagement. Enfin, nous découvrons que beaucoup de passionnés du web et des réseaux sociaux aiment également se déconnecter pour profiter d’un magazine imprimé traditionnel. — Ian Wylie, fondateur du Northern Correspondent. Entrevue réalisée par Arthur Scheuer.