Pourquoi avez-vous choisi de proposer un unique reportage par mois ? Le Quatre Heures est né quand nous étions étudiants en école de journalisme. On nous a demandé d’imaginer le média de nos rêves, nous avions carte blanche pour le réaliser. Nous avons tous réfléchi de notre côté et finalement convergé vers la même idée : faire du grand reportage sur le web en créant une nouvelle temporalité. On voulait s’extraire de la frénésie du web, proposer des articles longs qu’on prend le temps de lire, de regarder et d’écouter, de déguster. Faire ce qu’on appelle de la slow info. Sur le web, cela prend la forme d’articles long format, où se mêlent textes, photos, vidéos et sons. Nous étions tous à l’époque portés sur les nouvelles narrations sur le web, comme les webdocs ou les longs-formats dans la veine de « Snowfall » du New York Times. On baigne dans cet univers depuis le début de notre scolarité, parfois même avant d’entrer à l’école. À la fois en tant que lecteur et journaliste, on ne trouvait pas de support média qui proposait de façon récurrente ce type d’articles, notamment parce qu’ils demandent beaucoup de travail et d’investissement. Alors on s’est dit, pourquoi ne pas créer un média qui proposerait un article tous les mercredis à 16 heures, un rendez-vous à l’heure du goûter pour faire une pause ? On aimait l’idée de fixer un rendez-vous hebdomadaire sur le site pour créer une attente chez le lecteur, attiser son appétit. La première version site, parue en mai 2013, a plutôt bien marché. De ce projet étudiant, nous avons décidé d’en faire un vrai média. Pour cela, nous avons dû retravailler notre concept et l’adapter à certaines contraintes, notamment de budget et de logistique car produire un article si long et fouillé toutes les semaines était trop difficile. En gardant l’esprit du long format et notre ambition de réconcilier web et grand reportage, nous avons donc décidé de proposer à la lecture un article tous les premiers mercredis du mois, à 16 heures, pour tablette et ordinateur. Quel avantage y a-t-il à concilier reportages et support numérique ? Plus qu’un avantage, ça fait partie de l’ADN de notre média. Nous voulions proposer l’équivalent d’un mook sur le web, des reportages longs servis par ce que le web offre de mieux : photos, vidéos, sons, effets pendant la lecture comme la parallaxe, ergonomie agréable sur ordinateurs et tablettes… bref, faire que la lecture d’un article sur le web soit fluide et immersive, agréable. Nous avons choisi d’être uniquement financés par l’abonnement, et non par la publicité. Par conviction mais aussi parce que nous ne voulions pas que nos articles soient pollués par des pop-ups et des bannières. Cette identité, c’est ce que nous tentons d’expliquer aux journalistes qui proposent des articles en pige au Quatre Heures. Il faut penser le reportage et l’article comme un tout multimédia. Le plus important pour nous, c’est l’histoire et le confort de narration. Nous souhaitons que les photos et les vidéos n’accompagnent pas simplement le texte, comme de simples accessoires. Les contenus multimédias font tout autant partie de la narration que le texte. Si on enlève un bloc vidéo ou une photo, on perd un bout du fil de l’histoire. Ce qui nous intéresse, c’est de développer de nouvelles façons de raconter des histoires sur le web. On aimerait pouvoir à l’avenir faire évoluer notre plateforme pour expérimenter de nouveaux formats. Comment définissez-vous votre ligne éditoriale ? Le Quatre Heures donne à lire des histoires multimédias. Nous tenons beaucoup à cette idée de reportage, de terrain, de rencontres, de personnages, comme des fils rouges rattachés à un lieu, un événement, un thème d’actualités. Nous voulons raconter des histoires originales mais pas anecdotiques. Des petites histoires qui témoignent de quelque chose de plus grand, avec des enjeux. Dans « Ennemis et frères », publié en juin 2013, nous avons raconté le destin de deux anciens soldats, un Allemand, un Français qui se sont affrontés lors du Débarquement en Normandie. Derrière cette histoire personnelle, intime, en filigrane, l’article aborde les thèmes de la réconciliation, du devoir de mémoire mais aussi la question de l’exil et de l’identité pour cet Allemand qui a choisi de rester vivre en France. Nous n’excluons aucun sujet – politique, social, culturel, sportif, de société… -, tant qu’il soulève un point saillant, des problèmatiques pas forcément d’actualité mais qui peuvent résonner, en prenant du recul, avec des thèmes bien actuels. Nous fonctionnons par saison de trois mois. À chaque saison, correspond un grand thème, comme un fil conducteur commun entre les histoires. Cela permet de déployer une palette de sujets et d’enjeux sur une même thématique mais sans – on l’espère – lasser le lecteur. — Estelle Faure, co-créatrice du Quatre Heures.