À la fin du XIXème siècle, pendant l’ère Victorienne, aussi appelée « l’ère électrique » dans beaucoup de publicités de l’époque, de nouvelles inventions comme le télégraphe et les lampes électriques ont rapidement fait évoluer le quotidien des gens. Mais au-delà de ces appareils pratiques, d’autres plus douteux ont vu le jour, comme les inventions électro-thérapeutiques, qui ont voulu surfer sur la vague électrique pour développer des objets pour la santé et la beauté. Les publicités vantaient alors les mérites de produits électriques médicaux, comme des brosses à cheveux, des chaussettes, des corsets, ou des bracelets. L’une des plus populaires – et tout aussi scandaleuses – inventions fut la ceinture électro-thérapeutique, un engin fait de zinc plaqué argent, de bobines de cuivre et de câbles qui envoyait de petites décharges électriques dans le corps. Les traitements et thérapies électriques étaient vus comme des remèdes contre pratiquement toutes les affections et maladies. Les docteurs et spécialistes pratiquaient et enseignaient l’électrothérapie depuis le milieu du XVIIIème siècle, dans les hôpitaux de Paris et Londres. Au XIXème, les appareils sont devenus plus compacts, plus faciles à manier, ce qui a donné naissance à une vague d’entreprises qui produisaient des objets électriques « bons pour la santé ». Ces produits médicaux, comme la ceinture électrique, représentaient facilement un quart des publicités en 1880, comme l’a estimé Lori Loeb, professeur d’Histoire à l’université de Toronto dans un article paru dans le Journal of Victorian Culture. « Il y avait des usages pertinents de l’électricité, comme pour la cautérisation, la réanimation, et le traitement des douleurs et paralysies », a écrit Robert Kravetz dans une analyse dans The American Journal of Gastroenterology. « Mais 99 % des instruments d’alors étaient des charlataneries. » La ceinture électrique était l’un des plus populaires, d’après Kravetz. En dépit de la critique d’un des leaders de l’industrie de la ceinture électrique par le British Medical Journal (qui a employé l’expression « énorme charlatanerie »), des dizaines de milliers de ceintures électriques ont été vendues rien qu’aux Etats-Unis entre les années 1890 et 1920. Une publicité pour une ceinture électrique à Montréal dans le journal La Presse en 1900 – Crédit : medias19.org Les entreprises se sont battues pour gagner la « bataille des ceintures », comme le décrit Loeb. Elles étaient célèbres pour leurs publicités élaborées montrant des hommes musclés, de belles femmes, et des enfants radieux. Les photos étaient flanquées de témoignages d’actrices, et d’éminents médecins qui disaient que la ceinture générait « un courant de vitalité exaltant pour tout le système ». L’appareil devait traiter toutes les maladies connues et affections comme la fatigue, la dyspepsie (indigestion), les maladies du foie et du cœur, les troubles nerveux, les hernies et même… les performances sexuelles insatisfaisantes. Une entreprise, la Pulvermacher Galvanic Company, a même sorti un modèle sous forme de poche chargée en électricité appelée une poche de suspension : « Dans notre traitement, la poche de suspension donne le soutien nécessaire au scrotum ; en même temps les courants électro-curatifs, qui enveloppent les parties en souffrance, équilibrent graduellement la circulation du sang dans des veines élargies, pour une guérison permanente. » Les ceintures étaient accessibles à toutes sortes de consommateurs. Il y avait plusieurs tailles, pour hommes et femmes, et elles coûtaient entre 4 et 18 dollars. Certaines ceintures comprenaient une éponge humide ou des batteries pour soutenir le flux électrique, mais la plupart étaient conçues pour générer de l’électricité avec la sueur de leur porteur et des disques en zinc. Une publicité française de 1911 pour la ceinture électrique « Herculex » – Crédit : delcampe.net Les fabricants de ceintures électriques ont continué à amasser l’argent des consommateurs jusqu’à ce que la Medical Battery Company, l’une des entreprises leader de Londres, ne commence à crouler sous une série d’affaires judiciaires, largement couvertes par les journalistes. Cornelius Bennet Harness, ancien bijoutier, se présentait comme un « électricien médical ». Il a fondé la Medical Battery Company en 1885 après avoir développé le business des brosses à cheveux électriques à New York. En 1892, un caissier de l’Union Bank a poursuivi Harness pour fraude après qu’il a utilisé la ceinture pour guérir son hernie, laquelle avait empiré à cause de la ceinture. Le caissier a gagné son procès et, peu après, la Medical Battery Company fut bombardée par des enquêtes journalistiques et des procès de clients de toutes classes sociales. L’un de ces procès a même rassemblé près de 400 témoins. Les enquêtes ont révélé que le courant des ceintures était si faible qu’il était à peine détectable sur les galvanomètres, un instrument de mesure couramment utilisé par les électriciens au début du XIXème. Les ceintures avaient aussi des effets néfastes sur la peau, le zinc et les disques en cuivre produisaient des sels corrosifs qui causaient des ulcères. Harness a dans un premier temps ignoré les plaintes sur les irritations de la peau. Il disait aux clients de porter la ceinture sur un vêtement pendant quelques jours pour que l’irritation cesse. Mais il fut accusé de n’avoir aucune compétence en électricité. Il s’avéra qu’il avait falsifié un de ses certificats dans le domaine. Il se revendiquait président de l’Association britannique de l’électricité médicale, ce qui était vrai, mais seulement parce que c’était une organisation qu’il avait lui-même créée. Une publicité pour les ceintures Harness à Londres (crédit: wellcomeimages.org) La Medical Battery Company fit banqueroute en 1895, mais Harness essaya de lancer une autre entreprise, la Medical Electrical Institute Ltd. Neuf mois plus tard, c’était déjà un échec. « A la fin de l’année 1895, les ceintures de Harness étaient tellement inutiles que deux des plus grandes pharmacies les vendaient en appliquant une réduction de 75 % », écrit Loeb dans le Journal of Victorian Culture. Il y dénonce également un succès initial basé sur la manipulation, reposant sur la naïveté des consommateurs. Les publicités pour les ceintures électriques ont commencé à chuter vers 1910, et des organisations comme l’Association médicale américaine ont commencé à poursuivre plus vigoureusement les vendeurs de produits médicaux sans licence. Un certain nombre de journaux et magazines – comme le Science Siftings, qui deviendra Science – ont commencé à publier régulièrement des études qui analysaient les brevets en médecine et produits alimentaires. « Le rôle des consommateurs dans les fortunes amassées par les entreprises moins connues d’électrothérapie est plus difficile à documenter », explique Loeb. « Mais on peut dire que les électrothérapistes qui ont survécu sur le marché opéraient dans un milieu commercial transformé ». Source : Le commerce des maladies, par Denis Goulet Les évolutions technologiques sont incroyables et font peur à la fois, comme la nouvelle invention des créateurs de Siri, Viv.