Pour vaincre un vampire, on utilise généralement une croix, un pieu, de l’ail ou une combinaison des trois. Mais une seule arme, que peu utilisent, est vraiment efficace contre les vampires : les maths. Un nombre surprenant d’études – c’est-à-dire plus d’une – ont appliqué les mathématiques au concept de coexistence entre vampires et humains. En utilisant la représentation de ces suceurs de sang par différents médias, du Dracula de Bram Stoker’s à la série True Blood, ces études cherchent à savoir si une population de vampires annihilerait inévitablement l’humanité et, si oui, combien de temps cela prendrait. Tout est parti d’une bourse étudiante en mathématiques sur les relations humains-vampires au début des années 1980, octroyée à Richard Hartl et Alexander Mehlmann, deux mathématiciens autrichiens ayant un sérieux penchant pour les morts-vivants. En 1982, leur étude, intitulée « Le problème transylvanien des ressources renouvelables » a été publiée dans le journal de recherche RAIRO. Dans cette étude, Hartl et Mehlmann ont exploré les « stratégies de suçage de sang pour une dynamique pérenne des vampires ». Ils ont divisé les vampires en trois catégories : les « vampires asymptotiquement rassasiés », « les vampires qui ont un besoin élevé de sang », et les « vampires insatiables ». Sans tenir compte du type de vampire, ils ont trouvé que les suceurs de sang feraient forcément face à une diminution de leurs ressources : « Nous sommes face à un problème typique de consommation des ressources. La société des vampires a pour essence la consommation de sang, mais sucer le sang d’un humain le transforme en vampire, donc les ressources en humains diminuent tandis que le nombre de vampires augmente. Ces deux effets compromettent les possibilités futures de consommation. » Hartl et Mehlmann ont ensuite analysé cet épineux casse-tête dans un article publié dans Applied Mathematical Modeling l’année suivante. « Les auteurs sont conscients que l’existence des vampires est irrationnelle pour un scientifique », écrivent-ils dans leur papier intitulé « Rôle utilitaire convexe-concave : consommation optimale de sang pour les vampires », avant de se lancer dans un modèle d’autosuffisance pour les vampires basé sur le système proie-prédateur de Lotka-Volterra. Depuis les années 1990, les études mathématiques sur les vampires se sont faites plus rares mais en 2007, un autre article a analysé la coexistence vampires-humains. Dans « Cinéma de fiction vs. Réalité physique : fantômes, vampires et zombies », publié dans Skeptical Inquirer, les auteurs Costas Efthimiou et Sohang Gandhi ont présenté une vision pessimiste du futur de l’humanité faisant face à des vampires affamés. « Le fait est que si les vampires se nourrissent, même avec une fraction de la fréquence avec laquelle ils sont dépeints dans les films et le folklore, alors la race humaine disparaîtrait assez rapidement après l’apparition du premier vampire. » En travaillant avec les estimations des puristes selon laquelle les vampires n’ont besoin de se nourrir qu’une fois par mois, Efthimiou et Gandhi ont observé les statistiques de population et ont conclu que les vampires élimineraient les humains en seulement trois ans. Pour simplifier, ils ont expliqué que « les vampires ne peuvent exister puisque leur existence contredit celle des humains ». Ils se sont même permis d’ajouter, avec une once d’impertinence : « apparemment, celui qui a inventé les vampires a séché ses cours d’algèbre et de philosophie ». Cette analyse simple et sombre d’une mortalité humaine précipitée par les vampires a irrité le professeur en statistiques d’Oxford Dino Sejdinovic, qui a réfuté Efthimiou et Gandhi dans son propre papier, « Mathématiques du conflit Humains-Vampires », publié dans Maths Horizons en 2008. Les relations entre vampires et non-vampires, a-t-il écrit, « sont bien plus sophistiquées que celles présentées par Efthimiou et Gandhi ». Les réticences de Sejdinovic quant à leur étude s’expliquaient par l’idée que « les vampires sont uniquement présentés comme des consommateurs frénétiques : une stratégie rationnelle de gestion de leurs ressources humaines n’est pas considérée ». Il a également noté que le modèle d’Efthimiou et Gandhi ne prenait pas en compte le taux de mortalité des vampires ou, comme il l’a écrit, « le taux de mortalité mortel puisqu’ils sont déjà morts ». L’une des plus récentes et plus intelligibles analyse mathématique sur les interactions vampire-humains est sortie dans « Modèles mathématiques des interactions entre espèces : coexistence paisible des vampires et des humains basée sur des modèles dérivés de la littérature et des films », publiée dans Applied Mathematical Sciences en 2013. En se basant sur un schéma tiré de représentations issues de la pop-culture, les auteurs Wadim Strielkowski, Evgeny Lisin et Emily Welkins ont défini et analysé trois modèles de coexistence vampires-humains. Selon le premier scénario, le modèle Stoker-King – qui s’inspire des vampires Dracula de Bram Stoker et Salem de Stephen King – 80 % de la population humaine serait exterminée au cours des 165 premiers jours d’activité vampirique. « Le modèle analysé dans ce scénario est très semblable à une épidémie virale causée par un virus mortel » ont expliqué les auteurs. Ils ont aussi remarqué que, selon les besoins quotidiens apparemment requis par les vampires de King et Stoker, en seulement deux mois le nombre total de vampires passerait d’un à 4 000. Le second scénario, le modèle Rice, est basé sur les Vampire Chronicles d’Anne Rice, dans laquelle l’alimentation d’un vampire n’implique pas forcément la mort d’une personne puisqu’il « peut attaquer un humain, s’en nourrir et le laisser en vie ». Malgré cette approche non-létale, le modèle prédit quand même une extinction totale de l’humanité 50 ans après la première attaque de vampire. Ces deux scénarios décrivent une vision apocalyptique mais l’espoir renaît dans le troisième modèle : le Harris-Meyer-Kostova. Ce dernier repose sur une combinaison de la série de nouvelles de Sookie Stackhouse de Charlaine Harris, de la saga Twilight de Stephenie Meyer et du livre sur les vampires d’Elisabeth Kostova, L’Historienne et Drakula. Dans toutes ces fictions, les vampires coexistent pacifiquement avec les humains. Les conditions initiales du modèle Harris-Meyer-Kostova ? Cinq millions de vampires, 6,16 milliards d’humains et un groupe organisé de « draineurs » – des humains qui attaquent des vampires pour drainer leur sang et les laisser pour morts. Dans cette configuration, « certains paramètres du système stabiliseraient la population des humains et des vampires », ce qui donnerait une chance de survie aux humains. L’écosystème humains-vampires serait en revanche précaire : « Sous certaines conditions, le modèle Harris-Meyer-Kostova semble plausible et permet l’existence de vampires dans notre monde. La coexistence pacifique entre deux espèces est une réalité. Cependant, cette symbiose est très fragile : si la population humaine ralentit sa croissance, soit la soif de sang des vampires accélère, soit les draineurs de vampires deviennent trop virulents. Dans ce cas, tout le système tombe en ruine et seul un peuple peut survivre. » Sources: Publications de C.J. Efthimiou, S. Gandhi, R.F. Hartl et A. Mehlmann. Contrairement aux vampires, cette histoire sanglante est bien réelle. ↓