À 111 années-lumière de la Terre, une planète baptisée K2-18 b orbite autour d’une naine rouge, dans la zone habitable de son système. Seulement deux fois plus grosse que notre planète bleue, elle concentre l’attention des astronomes terriens car son atmosphère contient l’élément le plus précieux de l’univers : de l’eau. Ce monde hors de portée de l’humanité, trop lointain pour y envoyer une sonde, pourrait abriter des organismes vivants. C’est cette incroyable perspective qui fait trembler d’enthousiasme la voix de Giovanna Tinetti, la professeure de l’University College London (UCL) qui a révélé sa découverte le 11 septembre 2019 dans la revue scientifique Nature Astronomy.

« C’est la première fois que nous détectons de l’eau sur une planète située dans la zone habitable d’une étoile, où la température est potentiellement compatible avec la présence de la vie », dit l’astrophysicienne italienne. À sa surface, la température pourrait être comprise entre 0 et 40°C, autorisant la présence d’eau liquide et d’une vie extraterrestre en son sein. Il faudra attendre la prochaine décennie et le lancement de télescopes spatiaux plus perfectionnés que ceux d’aujourd’hui pour scruter la composition de son atmosphère et déterminer si, oui ou non, K2-18 b est susceptible d’abriter la vie, et par extension d’être une future terre d’accueil pour l’humanité.

Une quête commencée en 1992, quand la première exoplanète a été découverte.

Vers l’infini

Un soleil orangé se lève sur LHS 1140b, baignant ses rayons dans l’océan. Le monde animal sort peu à peu de sa tanière pour reprendre ses droits sur la nuit. Depuis le 19 avril 2017, il est permis d’imaginer à quoi pourrait ressembler la vie sur cette exoplanète située à 39 années-lumière de la Terre. Tout, de sa disposition à sa composition, en font un berceau potentiel pour une vie sauvage extraterrestre, et la promesse d’un monde accueillant où nous réfugier un jour.

« Nous aurions difficilement pu espérer une meilleure cible afin de mener la plus grande quête de la science : trouver une preuve de vie dans l’espace », s’est d’emblée réjouit un astrophysicien de Harvard, Jason Dittmann. Les preuves affleurent mais la confirmation se fait attendre. Comme souvent, la communauté scientifique a promis d’autres observations. Alors, quand pourrons-nous être sûrs ?

Vue d’artiste de LHS 1140b
Crédits : NASA

Les astronomes à la recherche d’une nouvelle Terre sont comme Boucle d’or. Dans ce conte des frères Grimm édité pour la première fois en 1909, une jeune fille aux cheveux blonds pénètre la maison de trois ours, perdue au fonds des bois. Inconsciente du danger, elle prend ses aises, goûte la nourriture, se délasse sur les fauteuils puis sur les lits. Toujours, elle procède par élimination avant de trouver le bol ni trop chaud ni trop froid, le siège ou la couche ni trop grand ni trop petit.

Quels que soient leurs moyens, les chercheurs de planètes habitables procèdent de la même manière. Ils s’échinent à repérer un spécimen ni trop chaud ni trop froid, ni trop grand ni trop petit, de sorte que la vie telle qu’on la connaît puisse avoir une chance de s’y épanouir. Sauf que jeter un œil vers le voisinage de la Grande Ourse est loin d’être suffisant.

Jusqu’en 1995, les planètes situées en dehors de notre système solaire – ou exoplanètes – étaient autant des attractions que des abstractions, perdues dans le scintillement de leur étoile. Les télescopes humains demeuraient incapables de voir au-delà de Mercure, Venus, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, la Terre et Pluton. Encore que cette dernière a dû se soumettre à un jugement à la Boucle d’or des astrophysiciens en 2006 : trop petite, elle a été reléguée au rang de « naine ».

Mais avant cela, en 1995 donc, nous sommes devenus capables de voir un peu plus loin vers l’infini. Deux Suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, ont mis à jour la première exoplanète encore en vie, 51 Pegasi b. Située à près de 50,9 années-lumière de la Terre, elle est massive, gazeuse et ardente. Il n’y a donc aucune chance d’y trouver la vie, mais ce n’était qu’un début.

Vue d’artiste de 51 Pegasi b, ou Dimidium
Crédits : NASA

En passant ce cap, Mayor et Queloz ont ouvert la voie à un tas d’astronomes. « La période était difficile », se souvient Franck Selsis, chargé de recherches sur les atmosphères d’exoplanètes au CNRS. « On imaginait des techniques en prenant nos planètes comme exemples. Mais si tous les systèmes étaient comme le système solaire, aujourd’hui on n’en aurait trouvé aucun. »

De leur côté, les astrophysiciens suisses se sont concentrés sur ce qu’ils étaient en mesure de faire : localiser de gros astres proches de leurs étoiles. « C’était quelque chose d’inattendu, nous ne pensions pas que cela existait », se souvient Selsis.

Pour les mettre en évidence, ils ont eu recours à la méthode dite des « vitesses radiales », qui consiste à mesurer le mouvement périodique de l’étoile. C’est possible en auscultant les raies d’absorption zébrant la lumière qu’elle dégage. Les radars de contrôle routier utilisent cet effet Doppler afin de savoir si les véhicules roulent trop vite. Dans le cas d’un lointain système solaire, le déplacement de l’étoile permet de déterminer la présence de planètes d’autant plus facilement qu’elles en sont proches et qu’elles sont massives. Car ces deux facteurs leurs donnent un impact sur la course de l’étoile.

Les vitesses radiales

Bien évidemment, Mayor et Queloz ont fait école. Plusieurs dizaines d’exoplanètes ont été flashées à la faveur de leurs travaux. Au regard de leurs tailles et de leur compositions, les scientifiques les ont appelées « Jupiter chauds ». « Ce ne sont pas du tout les exoplanètes les plus courantes, mais ce sont les plus faciles à repérer », précise Franck Selsis. Le progrès technologique aidant, les scientifiques ont enrichi le catalogue des exoplanètes avec des spécimens variés, aux masses moins importantes et moins proches de leur étoile.

Les Jupiter découverts étaient moins chauds, aussi légers que Saturne ou Neptune, au point que les plus petits d’entre eux ont été appelés « super-Terre ». « Leur masse est comprise entre celle de la Terre, qui est la plus grosse des planètes telluriques, et celle de Saturne, quinze fois plus lourde », détaille Selsis.

En 2009, le lancement du télescope Kepler est venu affiner la recherche. Quatre ans plus tard, il révélait l’existence de Kepler-186 f, un astre de la constellation du Cygne suspecté de receler les conditions propices à la vie. Une découverte renouvelée coup sur coup en 2016 avec Proxima Centauri B, et le système Trappist-1. Enfin, début 2017, tous les regards se sont tournés vers LHS 1140b, une super-Terre qui pourrait bien abriter de l’eau.

Une bénédiction pour l’astrophysicienne américaine Sara Seager, qui dédie sa vie aux exoplanètes. « Honnêtement, il y a 20 ans, si vous disiez que vous vouliez trouver une exoplanète, les gens rigolaient », se rappelle-t-elle. Dire que les choses ont changé est un euphémisme.

Starshade

Sara Seager a eu une enfance relativement solitaire. Jeune, cette planétologue canadienne du Massachusetts Institute of Technology (MIT) avait peu d’amis. Elle ne regardait pas non plus la télévision. « Les choses bougent trop lentement », peste-t-elle. Son regard s’est porté sur l’immense écran céleste et le mouvement incessant des astres. « Adolescente, j’ai rejoint un cours d’astronomie. J’étais la seule de mon âge, tout le monde était très vieux », rigole-t-elle. « Je ne comprenais pas tout, mais ça ne m’empêchait pas d’aller à l’observatoire. »

À la vingtaine, la jeune femme y a trouvé un job d’été tout en poursuivant des études de mathématiques et de physique à l’université de Toronto. Les planètes lointaines l’intéressaient mais ses professeurs rétorquaient systématiquement que c’était inutile car nous ne les étudierions jamais.

Le professeur Sara Seager
Crédits : MacArthur Foundation

Lorsqu’il lui a fallu trouver un sujet de thèse, en 1995, elle n’a eu qu’à lever les yeux vers la constellation boréale de Pégase : on venait d’y découvrir 51 Pegasi b. Cette brune élancée au débit rapide s’est lancée avec non moins de célérité et d’abnégation dans la recherche de ses sœurs exoplanètes.

Devenue enseignante et chercheuse, elle a contribué au projet Cubesat, lancé en 1999. « L’idée était de regarder une étoile à l’aide d’une centaine de petits télescopes différents », dont les coûts de fabrications sont moindres. Mais Seager n’a pas tardé à entrer dans la cours des grands. Si nous doutons encore que l’univers soit en expansion, il ne fait aucun doute que le champ de recherche des planètes l’est. Toutefois, la Canadienne a un avantage sur ses concurrents. « Je travaillais sur les exoplanètes presque avant tout le monde », s’enorgueillit-elle.

Après son entrée au MIT en 2007, elle mène des travaux visant à déterminer l’atmosphère et la composition interne des astres extrasolaires pour lesquelles elle est récompensée. Mais Seager veut aller beaucoup plus loin. « Être scientifique est un travail de luxe », déplore-t-elle. « Nous n’avons pas besoin de trouver de nouvelles planètes pour survivre. C’est pourquoi je passe le plus clair de mon temps à enseigner et non à chercher. »

Cela ne l’empêche pas, en 2013, de formuler une équation à même d’estimer le nombre de planètes habitables dans la galaxie en se basant sur la présence de certains gaz. Des éléments lui échappent encore pour la faire fonctionner et donner un résultat. Mais voilà une réponse théorique au mystère de sa vie. Car rien ne l’intéresse plus que de déloger les autres Terre des replis de l’univers.

Depuis la découverte de Kepler 186 f, en 2014, nous n’en avons jamais été aussi proches. À la méthode des vitesses radiales est venue s’ajouter celle des « transits », dont le principe est de détecter le passage d’une planète devant son étoile. En les couplant, les astronomes sont devenus capables d’obtenir la masse mais aussi le rayon d’une planète.

Ainsi ont-ils pu déterminer, début 2017, que LHS 1140b était rocheuse et postulait donc au poste de planète la plus susceptible d’accueillir la vie. « On peut avoir espoir de détecter une atmosphère », s’enthousiasme Franck Selsis, qui compte sur le télescope James-Webb. Cet appareil de six mètres de diamètres sera lancé en 2018 en remplacement de Hubble. Il sera doté d’un dispositif d’imagerie appelé coronographie, dont l’objectif est de rendre une image expurgée de l’étoile centrale afin de mieux percevoir les planètes.

Une autre technologie en germe, l’interférométrie, fonctionne en plaçant deux télescopes à distance l’un de l’autre pour qu’ils recombinent la lumière. Cependant, « le domaine optique est assez peu porteur d’informations sur la composition de l’atmosphère », tempère Franck Selsis. Sara Seager parie sur un appareil encore plus grand : le Starshade. Ce concept sur lequel la Nasa travaille depuis un demi-siècle est encore au stade de développement. Il est financé à hauteur de trois milliards de dollars par l’agence gouvernementale américaine, mais aussi le MIT et des fonds privés. Il s’agit d’un occulteur gigantesque en forme de fleur.

« Nous voulons l’envoyer dans l’espace afin qu’il bloque la lumière d’un soleil pour que les télescopes voient directement les planètes », explique Sara Seager. « L’idée est de bloquer la lumière de l’étoile avec précision pour observer les planètes directement. » Un dispositif redoutable mais tellement imposant qu’il « faudrait des années avant de changer son orientation pour une nouvelle observation », considère Franck Selsis. « On ne saura pas non plus grand-chose sur la composition de l’atmosphère, si atmosphère il y a. »

Or, il faut au moins ça pour que la vie telle que nous la connaissons soit possible. Mais ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qui rend une planète habitable  ? « À l’heure actuelle, nous n’avons pas de définition », admet Sara Seager. Ce qui ne facilite pas la tâche à l’homme qui voudrait vivre au-delà du système solaire.

Visualisations du Starshade
Crédits : NASA

Fausse route

Nous en sommes donc réduit à tâtonner, comme Boucles d’or dans la maison des trois ours. Mais cela permet déjà un grand écrémage. « Si la température est trop froide, alors tout est gelé et il n’y a pas de réaction chimique », précise Sara Seager. « Si c’est trop chaud, la fonte empêche toute pérennité des moléculesCertains pensent que l’eau liquide est un facteur déterminant. »

En fait, à défaut d’avoir trouvé une autre forme de vie, l’homme est contraint de chercher les mêmes conditions que celles de la Terre ailleurs. « Nous sommes très ignorants sur l’habitabilité d’une planète », abonde Franck Selsis. « Dans le système solaire, on trouve des caractéristiques rarissimes. Si on commence à toutes les lister, on ne trouvera jamais d’équivalent. Certaines sont-elles essentielles à la vie ? Peut-être mais nous n’en sommes pas sûrs. Des configurations différentes pourraient très bien favoriser l’émergence du vivant. »

Au moins est-on capable d’en éliminer un certain nombre, supposant que rien ne peut y prendre vie. Les astronomes excluent ainsi les corps gazeux et les étoiles pour ne retenir, souvent, que les planètes telluriques, c’est-à-dire composées essentiellement de roche et de métal. « Il y a des milliers d’astres », pointe Seager. « Nous savons déjà que les planètes rocheuses sont communes. L’eau elle-même est en abondance. Donc nous savons qu’il y a des planètes rocheuses avec de l’eau, situées à différentes distances de leur étoile. Il suffirait que l’eau sur une de ces planètes soit liquide pour que tout fonctionne. »

La rencontre avec une autre forme de vie n’apparaît donc pas si lointaine dans le temps. Mais dans l’espace, c’est une autre affaire. L’exoplanète la plus proche du système solaire, Proxima Centauri b, est située à quatre années-lumière de la Terre. Eu égard à la forte quantité de rayonnements ultra-violets auxquels elle est exposée, il est peu probable qu’elle dispose d’une atmosphère digne de ce nom.

Une fois que l’homme aura ciblé des exoplanètes réunissant les conditions idoines, il ne pourra s’y rendre qu’au prix d’un voyage interminable. « J’aimerais qu’elles soient plus proches, car je ne sais pas vraiment comment nous pourrions aller jusque là », concède la chercheuse du MIT.

Vue d’artiste de Proxima Centauri b
Crédits : NASA

Seule possibilité, en théorie : la création d’un vaisseau générationnel, sorte d’arche de Noé de l’espace, dont la mission consisterait à acheminer les descendants des descendants des descendants d’astronautes… Afin qu’ils arrivent à bon port, ses créateurs devraient le doter d’un environnement auto-suffisant, une équation difficile à résoudre. Mais la quadrature du cercle demeure les rayonnements de l’espace profond auxquels le corps humain, même au sein d’un vaisseau, ne résisterait guère.

Dès lors, pour Sara Seager, la solution est ailleurs : « Je pense qu’un jour nous trouverons un moyen, non d’envoyer un humain, mais d’envoyer notre ADN ou notre code biologique », prédit-elle. « La biologie nous permettra peut-être de créer des personnes et d’aller sur une autre planète. » La distance étant le problème cardinal, une autre hypothèse de travail serait de la réduire, en cherchant autour de nous plutôt qu’à des milliers d’années-lumière.

« Dans quelques centaines d’années », imagine Seager, « j’aime à penser que nous aurons fait de Mars une planète habitable. Quant aux exoplanètes, nous ne les atteindrons probablement pas mais nous pourrons d’envoyer des vaisseaux là-bas. » Pour habiter la planète rouge, il nous faudra nous faire à son environnement, diablement hostile. La pesanteur et la pression atmosphérique y sont très faibles, les températures basses et l’oxygène est rare. Il faudrait donc revêtir des combinaisons et résister aux tempêtes de poussière géantes.

Autant dire que cela reste pour l’heure de la science fiction, tandis que les progrès de la recherches d’exoplanètes sont réels. Mais là encore, la distance fait obstacle. « Certains scientifiques regrettent que les recherches se concentrent sur des planètes situées près de petites étoiles rouges qui ont peu à voir avec le Soleil, simplement car elles sont plus faciles à observer », indique Franck Selsis.

« Ils préféreraient qu’on aille vers des systèmes analogues au nôtreOn est dans le cas de quelqu’un qui ne chercherait pas ses clés là où il pense les avoir perdues, mais sous le lampadaire car c’est là qu’il y a de la lumière. » Un vice non dénué de bénéfices. « Le fait qu’on soit obligé d’aller vers des planètes différentes est intéressant, car cela nous force à embrasser la diversité des mondes extrasolaires et à ne pas nous concentrer sur la configuration qui est la nôtre », ajoute-t-il.

Le télescope James-Webb nous permettra peut-être d’enfin regarder dans la bonne direction
Crédits : NASA

Ainsi, nous aurions besoin, à la manière de Christophe Colomb, de chercher la route des Indes pour tomber sur l’Amérique. « Il est possible que notre monde ne soit pas cette vaste étendue que nous imaginons parfois, mais plutôt, en un sens, un monde proche de celui du Moyen-Âge, composé de petits royaumes, de petites cités-États entourées de remparts et remplies de gens vivant dans une relative sécurité à l’intérieur des murs », avance le documentariste Michael Madsen, auteur du film The Visit

« Mais au-delà, l’incertitude règne. » Un inconnu vers lequel on est impatients de se ruer.


L’interview de Sara Seager a été réalisée par Mathilde Obert. Couverture : Vue d’artiste de LHS 1140b. (NASA)