Depuis novembre 2008, l’Académie nationale des sciences américaines aide Hollywood à rendre ses films plus réalistes. À travers le Science & Entertainment Exchange (SEE), les réalisateurs peuvent consulter des scientifiques afin d’améliorer leurs scénarios et leurs images. Professeur de physique et d’astronomie à l’université de Californie du Sud, Clifford Johnson est l’un d’eux, et il aide notamment Marvel à rendre son univers plus crédible.
Les propos ayant servi à réaliser cette story ont été recueillis par Servan Le Janne et mis en forme par Malaurie Chokoualé Datou. Les mots qui suivent sont ceux de Clifford Johnson.
Voyage dans le temps
Cela fait près de sept ans que je collabore avec le Science & Entertainment Exchange. C’est son directeur actuel, Rick Loverd, qui m’a contacté. À l’époque, j’écrivais beaucoup d’articles de blog sur la science-fiction. Je me suis donc fait une petite réputation et j’ai commencé à donner des conseils à des étudiants de l’université de Californie du Sud. Certains se sont souvenus de moi quand ils sont devenus réalisateurs.
Mes journées ressemblent à celles de n’importe quel chercheur ou professeur, entre les salles de cours et mon bureau. Mais à l’occasion, je mets mes connaissances sur la théorie des supercordes et la physique des particules au service d’Hollywood. Je donne des conseils aux équipes de cinéma ou de séries, afin que leurs productions soient crédibles scientifiquement. Ça n’occupe finalement qu’une petite partie de mon temps mais c’est passionnant.
En général, je donne mon avis par téléphone. Je peux aussi bien participer à des projets historiques ou documentaires, qu’à des blockbusters de science-fiction. Il m’arrive aussi de lire un scénario pour l’annoter. La plupart du temps, je fais cela bénévolement car c’est avant tout une passion, qui participe à la diffusion de la science. Mais pour certains projets particuliers qui demandent un engagement plus long, nous signons un accord financier. Je rencontre alors l’équipe régulièrement.
J’ai par exemple aidé les scénaristes d’Avengers: Infinity War et Avengers: Endgame. Il m’ont expliqué qu’ils voulaient intégrer un voyage dans le temps dans la deuxième partie de l’histoire. Il va sans dire que les voyages dans le temps sont toujours de l’ordre de la fiction, mais mon rôle était de les aider à rendre l’histoire plausible. J’ai donc utilisé mes connaissances sur le fonctionnement de l’univers pour qu’ils puissent élaborer un monde avec ses propres règles, où les sauts d’une période à l’autre seraient possibles. Pour des sujets différents, je sais qu’ils ont fait appel à d’autres scientifiques du Science & Entertainment Exchange. L’organisation a maintenant recours à plus de 2 000 experts.
La science des rêves
Le Science & Entertainment Exchange (SEE) est un programme de l’Académie nationale des sciences américaine né en 2008. Il a pour mission d’inspirer une science plus exacte à Hollywood, en présentant des scientifiques aux professionnels du cinéma. À l’époque de son lancement, j’étais déjà connu pour mes activités de vulgarisation dans différents médias. Je me suis rendu à la cérémonie d’ouverture, mais je n’ai commencé à travailler avec eux que plus tard, quand le scénariste Rick Loverd en est devenu le directeur, en 2012.
Rick a vraiment transformé l’organisation, il en a fait une structure incroyable. Il a organisé plus de 250 événements à travers les États-Unis, où il a fait venir quatre scientifiques pour parler de leurs recherches devant un parterre de cinéastes. En réunissant scientifiques et professionnels du monde du divertissement, il a permis à ces derniers de poser leurs questions. En apprenant des choses, certains pouvaient même avoir des idées de scénarios. Comme quoi, la science est importante pour raconter des histoires.
Ces réalisateurs suivent finalement une logique répandue : ils sont d’abord fascinés par les histoires extraordinaires avant de creuser ce qu’il y a derrière. Je sais que beaucoup de gens s’intéressent à la science grâce à la science-fiction, mais pour moi ça a été l’inverse.
Mes parents n’étaient pas des scientifiques. J’ai grandi entre l’Angleterre et l’île de Montserrat, dans les Caraïbes, d’où venait la famille de mon père. Il travaillait pour une compagnie de téléphone et, un jour, je suis tombé sur un des livres qu’il avait dû étudier quand il apprenait l’électronique. Ça a été déterminant. Je n’avais pas 10 ans, mais je savais que je voulais être physicien. Finalement, j’ai fait de mon intérêt scientifique une carrière. J’ai étudié à Londres et après avoir terminé mon doctorat en 1992, je me suis envolé pour les États-Unis, qui disposaient de davantage de grands centres de recherche dans le domaine.
Le premier projet pour lequel on m’a consulté devait être Les Agents du SHIELD. J’ai travaillé à diverses reprises sur cette série au début des années 2010. Il n’est pas rare que des consultations éveillent de nouvelles interrogations chez moi et attisent ma curiosité. Ce n’est pas seulement mon cas. Les scientifiques qui ont travaillé sur Interstellar, par exemple, ont fini par faire une véritable recherche à partir de leurs discussions avec l’équipe du film. En tant que scientifique, les choses de la vie courante – qu’elles aient à voir ou non avec notre travail – doivent nous inspirer. Et inversement, expliquer un concept scientifique en des termes simples contribue positivement à notre propre compréhension ; essayer d’expliquer les choses est sain quand on est scientifique.
Idées reçues
Outre les suggestions purement techniques, je suis également amené à conseiller les cinéastes sur les personnages. Pour rester à l’écart des stéréotypes, j’essaye de rendre les scientifiques des films réalistes et de montrer plus de diversité. Tous les chercheurs ne ressemblent pas à un savant fou ou à Einstein ! Il y a aussi des femmes ou des gens avec des origines diverses. C’est ainsi qu’on pourra faire la promotion des sciences et potentiellement faire naître des vocations.
Il existe encore de nombreuses idées préconçues sur le fonctionnement de la recherche scientifique dans le divertissement. Comme le cinéma, la science est un processus créatif. On tire souvent l’inspiration de notre environnement, puis on réalise une batterie de tests qui vont échouer, jusqu’à obtenir un résultat. Dans certains films, ces étapes disparaissent, si bien que tout semble presque relever de la magie. Le travail des consultants consiste justement à obtenir à l’écran une meilleure représentation du processus scientifique.
Mais on avance. Il y a moins d’erreurs dans les films depuis quelques décennies. À forces de chercher de nouveaux moyens et de nouveaux contextes pour raconter des histoires, les scénaristes s’intéressent à la science. Elle est moins en marge de la culture populaire qu’auparavant. Parallèlement, la représentation du chercheur a aussi progressé. Il n’est plus uniquement question du nerd aux cheveux ébouriffés ou du scientifique maléfique qui veut s’emparer du monde. Il existe à présent une palette beaucoup plus large de personnages. L’âge, le genre ou la couleur de peau importent moins. C’est très positif !
Enfin, je pense que les gens reconnaissent de plus en plus que la science fait partie de leur vie. Les cinéastes se sont rendus compte qu’elle pouvait aider la narration à être plus divertissante et engageante. Avec la science, une histoire devient plus riche et suscite des discussions passionnantes. Une étude récente du Pew Research Center est d’ailleurs encourageante à ce sujet. Elle établit que les divertissements à contenu scientifique sont regardés par des gens de « tous les groupes démographiques, éducatifs et politiques », et que leurs impressions sont globalement positives vis-à-vis des idées et des scénarios scientifiques qu’ils contiennent.
Désormais, les grosses productions se tournent vers les chercheurs. Je travaille actuellement sur l’adaptation du roman graphique Paper Girls de Brian K. Vaughan, dont Amazon Studios a déjà commandé une saison. Marvel m’a aussi contacté pour un autre projet… Je ne suis pas près d’arrêter de sensibiliser les spectateurs à la physique.
Couverture : Marvel Studios