Craignez la nuit où les morts se relèveront et sortiront de leurs tombes, le regard vide et la peau putréfiée. Craignez, car il ne s’agit probablement pas d’un pur fantasme de science-fiction : le département de la Défense américain considère que l’avènement des morts-vivants sur Terre pourrait arriver. Enseveli sous un amas de documents déclassifiés, enfoui dans les réseaux informatiques obscurs du Pentagone, le plan « CONOP 8888 » a pour but « de permettre au centre de commandement stratégique des États-Unis de mettre au point un (plan) exhaustif de lancement d’opérations militaires visant à préserver les humains “non-zombies” des menaces posées par une horde de zombies ». Une blague, un mauvais remake de The Walking Dead ? Certainement pas. Le plan CONOP, pour « Counter Zombie Dominance », est un manuel d’instructions à destination des militaires, chargés de contenir au mieux la menace d’une propagation d’un virus menant à la fin de l’humanité et à l’ère des zombies. « Parce que les zombies représentent une menace pour toute vie humaine non-zombie, (le centre de commandement stratégique) sera préparé à préserver le caractère sacré de la vie humaine et à conduire des opérations d’aide à toute population humaine — y compris à des adversaires traditionnels », écrit le très sérieux département de la Défense des États-Unis.

Dévoilé par le site Foreign Policy, CONOP 8888 a été conçu en 2011 et a pour objectif d’ « établir et de maintenir une situation de vigilance et de défense visant à protéger l’humanité des zombies » ainsi que, « si nécessaire, de conduire des opérations qui, si elles sont exécutées, éradiqueront la menace que posent les zombies à la sécurité humaine ». Le plan fournit également des conseils pour « aider les autorités civiles à maintenir la loi et l’ordre et à restaurer les services de base pendant et après une attaque de zombies », estimant que la « pire possibilité pour l’humanité » serait une attaque de zombies avec une intense « contagion » d’un virus encore inconnu. Les zombies seraient-ils une menace imminente pour l’humanité ? Après les révélations de Foreign Policy, le département de la Défense s’est défendu en affirmant qu’il s’agissait d’un entraînement à destination des jeunes militaires. Pourtant, les cas de « zombification » parcourent l’histoire récente du monde. Partout, certains comportements étranges laissent penser que les zombies ne sont pas qu’un fantasme : cas de cannibalisme, personnes mortes et enterrées retrouvées des années plus tard, résurrection lors de funérailles, virus insoignables… Les histoires vraies relatant la possible existence des zombies sont nombreuses : les morts qui marchent n’existent peut-être pas que dans vos cauchemars.

Passagers de l’obscurité

En 1982, Wade Davis, étudiant de Harvard en ethnobotanique – l’étude de l’usage des plantes dans une culture locale – se rend pour la première fois en Haïti. Grand blond aux yeux bleus, le Canadien a plus l’allure d’un jeune acteur que d’un scientifique. Pourtant, c’est un étudiant prometteur et son voyage dans l’île caribéenne est entièrement sponsorisé par une importante entreprise pharmaceutique américaine. L’objectif : découvrir les secrets de la « zombification » qui sévit dans le pays.

Clairvius Narcisse après sa résurrection
Crédits : DR

Wade Davis et son sponsor sont persuadés qu’il y a quelque chose de profondément rationnel derrière les légendes locales. Les morts qui marchent n’existent pas, on ne se relève pas de son propre tombeau. Selon Davis, les nombreux cas de zombies répertoriés dans toute l’île depuis le XVIIe siècle sont un leurre, une illusion causée par une plante, un poison ou un agent chimique précis entraînant une sorte de semi-coma. Davis est en Haïti pour découvrir lequel, espérant en faire un nouvel anesthésique, et ainsi lancer sa carrière.

Après trois années d’enquête, Wade Davis publie son premier ouvrage sur les zombies haïtiens, Le Serpent et l’arc-en-ciel. Puis un second, Passagers de l’obscurité. Autant le premier livre est une œuvre littéraire à la prose un peu lourde et ampoulée, autant le second est un rapport scientifique précis et concis. Mais dans les deux ouvrages, Davis montre qu’à l’épreuve du réel, ses préjugés sont tombés : les zombies sont bien réels. Pour lui, ils n’ont plus rien d’une obscure légende. Il s’agit, exactement et totalement, de personnes mortes et enterrées ayant été ramenées à la vie. Les critiques pleuvent sur le scientifique. Pour faire face à ses détracteurs, il exhume une image : celle d’un homme noir assis sur une tombe. Il s’agit de Clairvius Narcisse, constaté mort officiellement en 1962. L’image a été prise dans les années 1980 et on y voit l’homme, le regard vitreux et pourtant fixé sur l’objectif, assis sur sa propre tombe. Bien vivant, néanmoins mort.

Le premier des morts-vivants

Clairvius Narcisse, fils de paysans originaires du centre du pays, décède de causes inconnues à l’hôpital Schweitzer, le 2 mai 1962. Il est enterré près du village d’Esther, à peine âgé de 40 ans. Or, 18 ans plus tard, dans un marché du nord-ouest de Port-au-Princes, Angelina Narcisse aperçoit un homme errant entre les allées, l’air hagard, les bras ballants. Choquée et totalement happée par ce visage qui lui semble si familier, elle s’approche de l’homme et lui parle. Si ses yeux n’ont plus la même couleur, si la maigreur a profondément impacté son visage, il n’y a pourtant pas de doute. C’est son propre frère. Clairvius Narcisse, dans un état second, explique à sa sœur qu’il a été ensorcelé par un bokor. Il s’agit de sorciers vaudou, toujours présents sur l’île et particulièrement redoutés, parfois adeptes de la magie blanche, souvent portés sur la magie noire. Celui-ci l’aurait tué avant de le ramener à la vie pour l’utiliser en comme esclave dans des plantations. Il affirme à sa sœur que le bokor a volé son âme. Selon Narcisse, beaucoup d’autres zombies travaillent pour ce mage noir et ses employeurs – ceux qui possèdent les plantations. Il affirme qu’on lui infligeait la prise d’un poison, chaque jour, à la même heure.

Vue aérienne des maisons de Port-au-Prince
Crédits : US Navy

Après deux années de travail où il n’était que l’ombre de lui-même, à peine la moitié d’un homme avec un cœur qui bat, une pensée et une volonté propre, un des surveillants aurait négligé de lui faire prendre son poison. Ainsi, revenant un minimum à un état de conscience, il réussit à s’échapper, sans s’expliquer comment. Peu à peu, errant dans la campagne haïtienne, ses souvenirs lui sont revenus. Il aurait alors marché vers la capitale, sans but et avec une conscience mollement réanimée. En 2014, Philippe Charlier s’est rendu en Haïti. Docteur en médecine, chercheur au laboratoire d’éthique médicale de l’université Paris 5, anthropologue, légiste, il est un peu l’Indiana Jones de la médecine française. À son actif, il a notamment l’authentification de la tête d’Henri IV ou l’étude des restes de Jeanne d’Arc. Lorsqu’il se rend en Haïti, c’est pour continuer l’enquête de Wade Davis et découvrir les réalités scientifiques derrière les fantasmes liés aux zombies. Il publie Zombis – Enquête sur les morts-vivants en 2015. Philippe Charlier explique la réalité des bokors : « Ceux avec lesquels j’ai pu interagir expliquent que ce qui est important, c’est de créer des esclaves avec leurs zombies. De détruire leur identité pour les soumettre à la tâche. C’est pour ça que les zombies dominés par des bokors se nourrissent par terre, sur une feuille de bananier, comme au XVIe siècle. Pour les zombies, ça crée une intervention complète d’identité. C’est un esclavagisme magico-religieux. »

Clairvius Narcisse, le véritable zombie ?

Haïti est le lieux de naissance des mythes liés aux zombies. Loin de l’imaginaire des zombies mangeurs de cerveaux, les Haïtiens considèrent que les zombies existent depuis l’esclavage. Là-bas, le terme de zombie sert à qualifier les personnes victimes d’un sortilège vaudou consistant à ramener les morts à la vie ou à détruire la conscience d’un individu afin de le rendre corvéable à merci. C’est précisément ce qui est arrivé à Clairvius Narcisse. Imaginez la réaction d’Angelina Narcisse, avant de conduire son propre frère revenu d’entre les morts à l’hôpital. Pour les médecins, cet homme, qui avait été officiellement et sans contestation possible déclaré mort, est un cas unique et incompréhensible, devenu mondialement connu depuis. Pour Wade Davis, en revanche, il y a une explication au phénomène. Une explication à la fois magique et scientifique. Il pense que Narcisse et les autres zombies ont été empoisonnés avec une concoction contenant notamment de la tétrodotoxine (TTX), qu’on trouve dans les poissons fugu  au large de l’île. Ce liquide, mélangé par les sorciers haïtiens à d’autres ingrédients, dont du venin de crapaud, du sang et des restes issus de véritables morts, permettrait de créer une « poudre à zombie ». Philippe Charlier explique le processus : « On ajoute de la bave de crapaud ou des sucs de vipère par exemple. Des choses qui irritent la peau. Avec la tétrodotoxine, ça fait une mixture globale qu’on applique sur la peau. La personne va se gratter et ainsi laisser pénétrer une drogue, comme un psychotrope, à l’intérieur de la peau. Il y a d’autres ingrédients mais de l’ordre du symbolique. Comme des os de morts, récupérés dans les tombes, qui sont pillés et ajoutés à la mixture. Mais ça n’a aucun impact pharmacologique : c’est pour dire aux personnes qu’il y a la mort en eux. Ça fait partie des règles magico-religieuses qui participent au processus de soumission. »

Au terme de son investigation, Davis écrit pour sa part que le poison doit être « directement inséré dans le corps des victimes, sous la peau », causant un coma profond, un état d’inertie cardiaque temporaire qui trompe les personnels médicaux. La victime étant « morte », elle est donc enterrée. La nuit venue, le sorcier revient donc à la tombe. Il la profane et l’ouvre. Et la victime, dans un état second, les yeux caves, injectés de sang, dénuée de toute volonté, est désormais au service de son nouveau maître. Un zombie.

Le poisson fugu, ou poisson-globe

Le cas WD

Les zombies haïtiens, à l’image de Clairvius Narcisse, sont le produit d’un processus terrifiant, qui débute avec l’injection d’un poison et s’achève par le fait d’être enterré vivant et réduit en esclavage. Résultat : les zombies perdent toute volonté. Les haïtiens ont un terme pour cela : la perte du ti bon ange, le « bon petit ange », qui est l’incarnation individuelle de l’âme de l’individu. La victime, devenue zombie, perd son âme et tombe dans un guet-apens intérieur dont on n’échappe pas avant la mort du bokor. Le cas de Clairvius Narcisse est plus le fameux, mais il est loin d’être unique en son genre. Sur l’île du Pacifique, les histoires de zombies sont légions. Il y a celui d’un homme, connu uniquement sous ses initiales : WD. À l’âge de 18 ans, ce fils de policier a contracté une maladie mystérieuse qui lui donnait de la fièvre, rendant ses yeux jaunes, caves, son corps transpirant la sueur et le pu. Selon son père, il « puait la mort », au sens littéral du terme. Personne, sur l’île, ne semblait en mesure de déterminer de quoi il souffrait. Son père l’a alors emmené voir une sorcière, suspectant qu’un sortilège avait été lancé par un bokor. Mais le garçon est mort peu après. Pourtant, presque deux années plus tard, son père l’a retrouvé, debout sur ses jambes et loin de la tombe qui lui avait été creusée : il observait, présent physiquement et en même temps totalement absent, un combat de coqs.

La zombification n’est pas l’apanage de la culture haïtienne.

Les professeurs Roland Littlewood, du département d’anthropologie de l’University College de Londres, et Chavannes Douyon, docteur de la Polyclinique de Port-aux-Princes, rapportent dans leur ouvrage, The Lancet (1997), que le garçon, après être devenu un zombie, a radicalement changé : « WD est un homme plutôt bâti, constamment hargneux… Il passe le plus clair de son temps assis ou allongé, dans une position caractéristique. Les bras ballants, étendu de chaque côté de son corps. Il parlait très rarement de manière spontanée et seuls quelques mots sortaient de sa bouche correctement énoncés. Il ne pouvait décrire sa période d’enterrement ou d’esclavage mais il comprenait le fait que “lui, malade” et qu’il était un zombi. Il pouvait être persuadé de parler dans une attitude normale, droite, mais il fallait que l’échange soit très lent… Ses yeux, regardant aux alentours, tentaient d’afficher de la volonté, tandis qu’il se tripotait les mains ou essayait de toucher le sol. Il évitait toujours de vous regarder en face. »

Solanum

On pourrait croire que le cas haïtien est isolé. L’île est devenue la mère patrie des zombies, le seul endroit sur Terre où l’on peut en croiser. Mais la zombification n’est pas l’apanage de la culture haïtienne et des arts vaudous. « Il y a un cas en Afrique du Sud, un autre au Cameroun. Il y a eu des cas en Angleterre, mais uniquement des cas médicaux. Puis en Louisiane ou aux États-Unis, causés par des sorciers venant des caraïbes », raconte le docteur Charlier. Selon lui, l’usage de la tétrodotoxine n’est pas répandue en Europe, mais il « faut simplement quelques minutes pour en importer sur Internet ». Impossible, un développement à l’échelle planétaire des zombies ? Une autre théorie met en avant un moyen plus drastique : l’usage de virus. C’est même le scénario le plus plausible, selon la prestigieuse revue British Medical Journal dans un article de « médecine-fiction » ou les travaux réalisés par le docteur et virologue Samita Andreasky, de l’université de médecine de Miami. Dans le documentaire The Truth About Zombies, produit par National Geographic, celle-ci explique que la combinaison des virus de la rage et de la grippe mutée pourrait jeter les bases de la propagation d’un virus « zombies » totalement plausible. « Si la rage peut muter assez vite, cela pourrait causer une infection dans l’espace de quelques heures. C’est entièrement plausible », explique-t-elle. « Bien sûr, je pourrais imaginer un scénario où vous mixez la rage avec la grippe, pour obtenir une transmission par l’air, avec la rougeole, pour le changement physique, et l’encéphalite, pour cuire le cerveau par la fièvre – et ainsi augmenter énormément l’agressivité. Combinez toutes ces choses en laboratoire et vous obtiendrez quelque chose comme un virus zombies », affirme-t-elle avec sérénité.

Max Brooks
Crédits : Dan Winters

Une maladie fabriquée en laboratoire pourrait-elle nous transformer tous en zombies, en l’espace de quelques jours, quelques heures ? Les passionnés de zombies, à l’image des geeks de la Zombies Research Society, sont persuadés qu’il s’agit de l’hypothèse la plus probable. Ils entretiennent notamment le mythe du solanum, inventée par le spécialiste des zombies Max Brooks, notamment auteur du Guide de survie en territoire zombie et de World War Z. Dans ce dernier livre, le solanum est l’infection par laquelle se transmet la zombification, grâce à une contagion sanguine prodigieusement rapide. Le solanum est bel et bien un virus fictionnel, malgré les nombreuses théories existant sur Internet. Mais il concentre tous les aspects de virus réels entraînant une forme de « zombification » : en 2012, un virus similaire a violemment frappé l’Ouganda et le Soudan du Sud. Surnommée « maladie du hochement de tête » ou « maladie du zombie », ce virus déjà connu dans les années 1970 s’attaque aux enfants entre 5 et 15 ans, causant des crises d’épilepsies, l’incapacité de manger ou boire, une folie latente – entraînant parfois ces jeunes personnes à se tuer ou agresser leurs proches. Pour les scientifiques, il est encore impossible aujourd’hui de déterminer les causes de ce mal mystérieux. Si certains aspects de cette maladie rappellent les cas de zombification, il paraît hautement improbable qu’un « virus zombie » puisse jamais voir le jour, selon Philippe Charlier. « Le zombie originel, c’est celui venu d’Afrique ou d’Haïti. Maintenant, il y a le fantasme du zombie : une peur de la mort contagieuse. La théorie du viral est une autre vision, contemporaine, hollywoodienne qui n’a pas de prisme réel », insiste-t-il.

Le Dr. Philippe Charlier
Crédits : David Abiker


Couverture : Le Grand Cimetière de Port-au-Prince.