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Chaos reigns
Rad est le fils d’immigrants iraniens. Il n’a pas toujours voulu travailler dans la tech. Lorsqu’il était ado et qu’il étudiait au lycée privé de Milken Community, il écrivait et chantait des morceaux jazz-pop, qu’il jouait au Roxy et au Whisky a Go Go. Il a failli être signé en label, mais ses parents ne lui ont pas donné la permission. « Ils pensaient que j’étais trop jeune et que je tomberais dans la drogue », dit Rad. Sans compter qu’ils voulaient qu’il fasse fortune. Il a fondé une société de messagerie mobile à 18 ans et s’est inscrit à l’université de Californie du Sud avant de décrocher un job chez Adly, une plateforme de gestion de réseaux sociaux pour célébrités. Elle lui a servi de tremplin pour Tinder. C’est là que le mythe fondateur de Tinder devient confus. Malgré sa courte histoire, il n’y a pas grand-chose qui mette tout le monde d’accord, même quand il s’agit simplement de savoir qui l’a fondée ou qui la dirige.
En 2010, le vice-président du département mobile d’IAC, Dinesh Moorjani, a créé un incubateur appelé Hatch Labs, financé par deux investisseurs : Xtreme Labs et IAC – ces derniers ont investi davantage et Hatch s’est installé dans leurs bureaux. Sean Rad a rejoint l’incubateur pour monter des startups de fidélisation client, et Moorjani l’a mis en binôme avec Joe Munoz, un développeur talentueux. Ils ont lancé Cardify, une app de fidélisation qui récompensait les utilisateurs swipant des cartes. L’équipe s’est agrandie : Chris Gulczynski et Jonathan Badeen les ont rejoints, et Whitney Wolfe a pris en charge le marketing. Ils ont lancé l’application lors de la conférence TechCrunch de mai 2012. L’app ne parvenant pas à être approuvée sur l’Apple Store, Rad et Munoz ont passé le temps en fabriquant une autre application. Elle s’appelait Matchbox et elle a gagné le premier prix lors d’un hackathon organisé à Hatch Labs trois mois plus tôt. Moorjani a conseillé à ses jeunes entrepreneurs, qui formaient à ce moment-là une équipe soudée, de se focaliser sur Matchbox.
Rad a fait venir son meilleur ami, Justin Mateen – fils d’un magnat de l’immobilier et roi de la teuf professionnel – pour l’aider à marketer le produit. Certains de ceux qui les connaissaient à l’époque décrivent Mateen comme le mec cool de la bande, celui qui connaissait toutes les célébrités. Il faisait forte impression sur le timide Sean Rad (en comparaison), qui s’occupait davantage du business. Pour dissocier la marque de Match, le site de rencontre possédé par IAC qui s’adresse à un public plus âgé, ils ont changé le nom en Tinderbox, puis juste Tinder. Ils ont construit la première version de l’app en 23 jours durant l’été 2012 et l’ont lancée sur les app stores en août. Mateen a spammé 300 de ses amis de l’université de la Californie du Sud en une nuit. Wolfe, qui travaillait avec Mateen et avec lequel elle a fini par sortir, est allée présenter l’app dans toutes les sororités. Elle montait sur une table et disait à l’assistance que tous les mecs canons l’utilisaient… après quoi elle filait dans les fraternités et leur disait que toutes les filles s’étaient inscrites. Les rencontres en ligne étaient déjà répandues à l’époque, mais les sites étaient généralement conçus pour des personnes plus âgées cherchant des relations sérieuses. L’âge moyen des utilisateurs d’un site comme eHarmony, qui doivent remplir un questionnaire de compatibilité de 200 questions pour s’enregistrer, tourne autour de la quarantaine. En d’autres termes, le coup de génie des fondateurs de Tinder a été de commencer par les filles les plus en vue de l’USC et de convaincre les étudiants séduisants et sexuellement actifs qu’ils avaient besoin de cette app de dating. Tinder a décollé. Ils ont totalisé plus d’un million de matchs en moins de deux mois.
En interne, les aventures étaient communes au bureau, tout comme les sorties en boîte. Il n’est pas surprenant que les choses soient devenues rapidement chaotiques. D’après Wolfe, Rad a dit à l’équipe des débuts qu’ils étaient tous cofondateurs, promettant aux gens qu’ils recevraient des parts équitables et laissant entendre qu’il ferait de l’entreprise une entité indépendante. Beaucoup de ceux qui ont travaillé avec Rad à l’époque sont fâchés avec lui. Un tel désordre est quasiment inévitable quand une startup rencontre autant de succès, aussi rapidement, surtout lorsqu’elle se constitue d’une équipe jeune et soudée. Mark Zuckerberg a eu les jumeaux Winklevoss, et Evan Spiegel de Snapchat a eu Reggie Brown, qui disait aussi être cofondateur. Les deux affaires se sont réglées devant les tribunaux.
La relation de Wolfe et Mateen a commencé à se désagréger à l’automne 2013.
Certains des premiers membres de l’équipe de Tinder disent qu’ils se sentent privés de stock options. D’autres disent que les problèmes au bureau – particulièrement autour des femmes – étaient systématiques. Le cofondateur de Tinder Gulczynski, qui est aujourd’hui à la tête d’un concurrent, raconte que sa petite amie, qui était à l’époque vice-présidente du département design de Tinder, était traitée avec mépris. « Elle voulait assister aux réunions produit et Sean lui disait : “Nan, tu peux pas venir. Pas de filles.” Je me rappelle aussi que lorsqu’elle a été engagée, il a dit : “Oh, on a une nouvelle maman au bureau. Tu vas pouvoir nous faire des gâteaux.” » La tension grimpait sérieusement. « Tous les jours il y avait des pleurs, des cris et des engueulades », dit Gulczynski. D’autres employés de Tinder nient avoir entendu Rad faire des commentaires déplacés de ce genre. Alexandra Dworsky, qui travaillait à l’époque au recrutement, affirme que « lorsqu’il manquait des femmes dans les réunions, Sean nous appelait, moi et d’autres employées, pour que nous les rejoignions et que nous leur donnions notre avis ». La relation de Wolfe et Mateen a commencé à se désagréger à l’automne 2013. Ils se disputaient constamment au bureau.
Leur histoire est restée tumultueuse jusqu’en avril 2014, où les choses ont dégénéré lors d’une fête organisée par Tinder à Malibu. Mateen a envoyé par la suite un message à Wolfe, visiblement inquiet qu’elle ne voie quelqu’un d’autre : « Tu préfères un connard musulman sans avenir à la réussite sociale », lui a-t-il écrit. Puis : « Si on ne peut plus se supporter et que ça commence à trop affecter mon travail, la conséquence c’est que tu seras virée et c’est pas de ma faute. » « C’est un fait. » « Tu l’as toujours su. » Wolfe a transmis les messages à Rad en lui demandant de servir de médiateur. (Tous ces messages ont été révélés lors du procès qui a suivi, dans lequel Rad était accusé d’avoir contraint Wolfe à démissionner.) « Envoie-moi un email tout de suite pour me dire que tu démissionnes », a écrit Rad après que Wolfe a évoqué la possibilité de démissionner. « Continuer à t’employer n’est plus une option à ce stade. » Dans une autre série d’emails, Wolfe exprimait son inquiétude quant à ses parts dans l’entreprise. Rad lui a écrit : « Tu restes l’une des cofondatrices, idiote » Suivi de : « Et je t’ai dit que tu le resterais même si tu bossais chez FB. » Wolfe a intenté un procès à l’entreprise pour harcèlement sexuel, et Tinder a dû s’acquitter d’une somme d’environ deux millions de dollars dans le cadre d’une conciliation. Mateen a été viré, et des captures d’écran de ses messages bileux à l’adresse de Wolfe ont largement circulé sur la Toile. Peu de temps après, Rad a été relevé de ses fonctions de CEO mais il est resté président. Parfois, il dit qu’il a été viré ; d’autres fois il dit que c’était simplement une pause. « Ça a presque été un rite de passage », explique-t-il. « C’était un peu comme lorsque après avoir rompu avec quelqu’un, on réalise combien on l’aimait. »
Diller et les autres gardiens de l’entreprise ont brièvement tenté de mettre le navire entre les mains d’un adulte. Ils ont engagé un CEO plus traditionnel, Chris Payne, qui avait été cadre supérieur chez eBay, Amazon et Microsoft. Malgré sa rétrogradation, Rad traînait toujours au bureau. Payne, qui ne s’est jamais installé dans les bureaux de la société à L.A., n’a pas tardé à partir. « Il a été CEO pendant cinq mois, mais les trois premiers ne comptent pas car on apprend les ficelles. Donc seulement deux mois, en vrai », dit Rad. « Il ne s’intégrait pas à notre culture. » La raison exacte pour laquelle Payne a été viré reste quelque peu mystérieuse – même pour Payne, d’après une source proche de lui (il n’a pas souhaité commenter lui-même l’affaire). Payne voulait se focaliser sur l’analyse de données et la monétisation. Mais Rad galvanisait ses employés et faisait pression contre les efforts de Payne. Il a fini par l’emporter. D’après ceux qui ont travaillé avec lui, Sean Rad a un regard aiguisé pour tout ce qui concerne le produit et le design, il se peut donc que malgré tous ses écarts, il soit le CEO dont Tinder a besoin. L’entreprise a construit son image de marque autour du sexe, de la jeunesse et de l’énergie, ainsi qu’une dimension de transgression qui fait défaut aux sites de rencontres habituels. Il y a encore de l’amertume au bureau à propos de Wolfe, qui a débauché Gulczynski pour fonder Bumble, une app de dating similaire à Tinder dans laquelle seules les femmes peuvent démarrer les conversations. Gulczynski dit sur le ton de l’ironie que Rad a « créé son propre concurrent ». « Au bureau, quand on parle du b-word, on ne parle pas de “bitch” mais de Bumble », m’a confié un employé de Tinder. Rad en rajoute sur Wolfe. « Si vous prononcez son nom au bureau – celui de celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom –, tout le monde grince des dents, genre : “Grr, j’ai envie de la tuer.” »
Smart matching
Toutes les générations paniquent quand il est question du sexe chez les jeunes. Leur façon de le pratiquer. La raison pour laquelle ils le pratiquent. La fréquence à laquelle ils le pratiquent. Et Tinder est la dernière raison en date de s’alarmer. Il y a quelque chose de dérangeant dans le fait de savoir que des millions de jeunes gens trouvent des partenaires en se basant sur quelques portraits d’eux. Mais pourquoi s’alarmer ? Est-ce que parce qu’un site demande de remplir un questionnaire interminable qu’il assure de trouver un meilleur petit ami ? Pour l’équipe de Tinder, la popularité des rencontres basées sur des portraits signifie juste que nous sommes plus doués pour parler de nous en images qu’avec des mots. « L’éducation, les valeurs, le milieu d’où l’on vient, l’ethnicité, la personnalité… nous sommes très doués pour comprendre tout cela à partir de photos », dit le vice-président du département technologique de Tinder, Dan Gould. « Bien plus qu’avec des listes de questions. »
Cet après-midi là dans les bureaux de Tinder, l’équipe est en train de parler de tests qu’ils ont effectués sur la probabilité pour que les gens swipent à droite en fonction de différentes variables (par exemple, si quelqu’un se décrit comme « féministe », quelles sont les probabilités pour qu’une personne swipe vers la droite ?). Badeen, qui est aujourd’hui vice-président du département produit, porte une Apple watch, un polo et un blazer en tissu seersucker. Il sirote une Redbull sans sucre. C’est un petit homme à la voix étonnamment grave, qui a quitté son Kansas natal pour Los Angeles afin de devenir acteur. « J’étais à l’arrière-plan dans La Rupture. » Badeen a commencé à faire du web design pour L.A. Casting avant d’atterrir chez Hatch, où il a inventé la fonction swipe de Tinder. « Je me suis réveillé un matin avec l’idée du swipe », dit-il. « Ça s’est précisé sous la douche. C’est là que je l’ai mimé pour la première fois. » D’après Badeen, l’objectif est que les utilisateurs oublient la personne sur laquelle ils ont swipé en trois secondes. Mais pas Tinder. L’application étudie qui les membres swipent et avec qui ils matchent. Ils parlent ensuite de la « réactivation ». Les utilisateurs les plus jeunes disparaissent pendant quelques semaines avant de réactiver leur compte et de recommencer à swiper. Les utilisateurs plus vieux passent plus de temps à regarder les profils et ont tendance à disparaître plusieurs mois avant de réactiver leur compte. L’utilisateur moyen passe une heure par jour sur Tinder, dit Gould. Rad avoue pour sa part qu’il est accro et qu’il passe un nombre d’heures incalculables à swiper. D’un endroit à l’autre, les comportements diffèrent. D’un quartier à l’autre d’une ville, les gens se comportent différemment et matchent moins naturellement entre eux. « Les gens ont tendance à être assortis selon leur position géographique », poursuit Gould. Mais lorsqu’ils voyagent, leur comportement change du tout au tout. « On sait tout du comportement d’une personne », dit Gould, « et puis elle change d’endroit et elle se met à agir totalement différemment. » Gould, dont les cheveux sont légèrement plus décoiffés et les vêtements légèrement plus larges que ceux de Rad et Badeen, est chargé d’ajuster l’algorithme. Ce qui veut dire que les matches n’arrivent pas uniquement par chance. Tinder décide de la personne que vous allez voir après. Et avec les milliards de matchs, ils disposent d’une mine d’or de données. « Nous sommes probablement l’un des plus grands moteurs de recommandation du monde », dit Rad.
Au début, me dit Gould, l’app avait une élite des « 1 % qui matchent », des utilisateurs avec des tonnes de matchs de qui personne n’arrivait à la cheville. Tinder a décidé de renverser la tendance en montrant ces profils moins fréquemment, surtout aux utilisateurs qui ne font pas partie du 1 %. À présent, les utilisateurs qui provoquent beaucoup de swipes à droite (oui) sont progressivement montrés à moins de gens, et ceux qui provoquent beaucoup de swipes à gauche (non) sont progressivement montrés à plus de gens. « C’est ce que j’appelle la taxation progressive : la redistribution des matchs. Ce n’est pas vraiment à nous de le faire, mais on met notre grain de sel », explique Gould. « Ça me semble être la bonne chose à faire. » C’est ce que l’entreprise appelle le « smart matching » : ils apportent un peu de justice au monde du dating en équilibrant le terrain de jeu et en s’assurant que les membres les moins susceptibles d’avoir des matchs en auront quand même. « La lutte fait partie intégrante de la condition humaine. Si vous ne voyez rien d’autre que des mannequins Victoria’s Secret, aucune ne sortira du lot », dit Badeen. « Mais en introduisant des gens qui ne collent pas avec vos goûts, ceux qui y correspondent ressortent davantage. »
Ils ont également changé le système pour les mauvais joueurs en limitant le nombre de swipes par jour. « Il y avait des types qui swipaient à droite sur tout le monde et n’engageaient pas la conversation ensuite, donc nous avons ajouté une limite pour détecter les gens qui ne jouent pas le jeu », dit Gould. « Cela m’a surpris, mais les gens sont très malins. Ils jouent avec ce qu’on leur donne. Pendant les premiers jours, ils continuaient à se comporter comme ça jusqu’à atteindre la limite. Et après ça ils ont commencé à s’adapter. Lorsque ça a été le cas, les conversations ont commencé à être plus longues. » Gould et Badeen voient ces interventions comme des obligations morales. « Ça fait peur de savoir à quel point ça affecte la vie des gens », dit Badeen. « J’essaie de ne pas y penser sinon je deviendrais fou. On en est au point où nous avons une responsabilité sociale envers le monde car nous avons le pouvoir de l’influencer. » Gould fait écho à ce sentiment : « C’est simple, les architectes conçoivent des bâtiments qui organisent la façon dont les gens vivent. Les urbanistes organisent les routes et les villes. En tant que concepteurs d’un système qui aide les gens à se rencontrer, nous avons la responsabilité de façonner ce contexte. Nous sommes responsables d’un pourcentage important des mariages qui ont lieu sur cette planète chaque année. C’est un honneur et une grande responsabilité. » Rad dit qu’il parle à une dizaine d’utilisateurs de Tinder tous les jours pour comprendre leurs expériences. « J’entends à chaque fois les histoires de gens dont Tinder a changé la vie, et je ne m’en lasse pas », dit-il. « Instagram divertit les gens. Tinder c’est autre chose, c’est beaucoup plus gros. Vous imaginez la vie sans votre partenaire ? C’est fondamentalement différent. » Rad peut avoir l’air gnangnan quand il parle de l’app. « Nous sommes ce qu’était le rock ‘n’ roll à l’époque », dit-il. « Le rock incarnait la liberté, aujourd’hui c’est Tinder. Cela permet d’échapper à la façon conventionnelle dont se forment les relations et de suivre vos désirs. » Il reconnaît que pour le moment, Tinder provoque la méfiance de beaucoup. « Mais dans 20 ans », dit-il, « ce sera simplement la façon dont les gens se rencontrent. »
Happy
Sean Rad est de retour à la tête de Tinder et il s’est assagi – ce serait officieusement aussi le cas de Justin Mateen. Sean Rad dit que Mateen est son roc, et il porte des bracelets sur lesquels ont peut lire FORCE et CONCENTRATION que ce dernier lui a offert. Ils se parlent tous les jours au téléphone. Je suis allée dîner avec le duo. Tous les deux commandent d’énormes makis au thon épicé avec des assiettes de tempura à côté. Mateen porte un sweat-shirt gris trop grand et une barbe de trois jours encadre son visage encore juvénile. Il dit être follement épris de sa nouvelle petite amie, qu’il a rencontrée sur Tinder. Il me montre une photo d’elle – elle est blonde et très jolie. Sur une photo, le couple pose aux côtés de Mick Jagger. Depuis qu’il a quitté Tinder, il a investi dans l’immobilier et dans des startups. Assis face à moi, il semble pudique et mal à l’aise. Je lui fais remarquer qu’il est devenu le méchant de toute l’histoire. « J’y pense tous les jours », répond-t-il. « Vous ne pouvez pas savoir ce que ça fait. » Le lendemain matin, nous nous rendons en voiture chez les parents de Rad à Bel Air. Leur maison est somptueusement décorée. Un homme discret nous attend sur le pas de la porte : le père de Rad. Sa mère descend nous saluer. Elle porte un haut de soie et des pantalons rouges, bien que Rad lui ait dit de ne pas trop s’habiller et de porter des jeans. « Il faut que je sois moi-même », lui dit-elle. Ils sont très proches et cela se voit. « Je n’oublierai jamais le jour de sa naissance », dit-elle. « C’était supposé être une fille. » « Tout le monde nous disait : “C’est une fille” », acquiesce son père. « Je suis une femme très ambitieuse et quand je vois ce que Sean a réussi à accomplir, il est un million de fois meilleur que moi », dit-elle.
La famille revient tout juste d’un voyage à Rome. « Je me suis sentie comme un bébé durant ce voyage, il s’occupait de tout ! » dit la mère de Rad. « J’espérais presque qu’on loupe le vol retour pour pouvoir rester plus longtemps ! » Une employée de maison apporte de la feta, de l’avocat, des œufs au plat et du pain iranien. Dash, le goldendoodle de la maison, trottine autour de nous pour attirer l’attention. Dans la bouche de la mère de Rad, ils sont tous ses « bébés ». Rad vit chez eux depuis quelques mois mais il ne veut pas me dire combien. « C’est agréable mais ennuyeux d’être ici », dit-il. « Ma mère dit que je ne peux pas quitter la maison sans lui faire un bisou. Quand je lui demande si je serais obligé de faire ça à l’hôtel, elle me répond : “Est-ce qu’ils cuisinent pour toi à l’hôtel ?” » Rad a 49 cousins à Los Angeles. Son frère, qui est marié à une femme iranienne qu’il a rencontré à un mariage et qui travaille à présent pour l’entreprise d’électronique familiale, vit à 30 secondes d’ici. De la terrasse, ils peuvent apercevoir le toit de la maison de leur grand-mère. « Sean, nous avons trouvé une maison dans le quartier que tu devrais regarder », dit son père en riant. « Et on t’a aussi trouvé une fille charmante. » Rad a d’autres plans. Il fait retaper un grand appartement moderne que nous visitons plus tard ce jour-là. Il me demande si je peux dire dans l’article qu’il appartient à ses parents. Je ne saurais dire s’il a peur que les gens pensent de lui qu’il est matérialiste ou s’il a peur d’offenser ses anciens cofondateurs, qui n’ont pas réussi aussi bien que lui. « C’est comme si je n’avais pas le droit d’avoir du succès », dit-il en regardant l’immeuble. Il y a deux salles de bain dans la chambre principale. « Une pour ma femme un jour, espérons », dit-il. Il parle souvent de sa future épouse. « Je veux faire mon mariage aux jardins Huntington », me dit-il plus tard. « Je suis un romantique. »
Juste avant mon dernier jour avec Rad, il a donné une autre interview à l’Evening Standard et, au cours de ce qui était d’après lui une conversation d’une heure, il s’est débrouillé pour expliquer à quel point il était adorable car il n’envoyait pas de photos de sa bite. Il dit qu’il est en train de devenir « la risée d’Internet ». L’interview ne tarde pas à ricocher, remontant jusqu’à Match Group et forçant l’entreprise à se distancier de ses propos. Lorsque je retrouve Rad, il se sent poursuivi et Pambakian est d’humeur parano. « Les gens veulent à tout prix me faire entrer dans un stéréotype », commence-t-il à dire Rad dans la voiture. « J’éviterais de m’engager sur ce terrain-là si j’étais toi », avertit Pambakian. « Écoute, je suis humain, je suis une vraie personne », dit Rad. « Je ne suis pas fier de tout ça. » « C’est humiliant », ajoute-t-il. « Mais j’apprends. » Dans des moments comme ça, Rad paraît sincère, et même gentil. Il veut me prouver qu’il est « un type bien » et qu’il n’a rien à voir avec « ce que vous pouvez lire ». Mais durant le temps que nous passons ensemble, il dit fréquemment des choses déplacées, me laissant l’impression de le faire délibérément. L’un des exécutifs d’IAC m’a confié que Rad était un excellent CEO, mais qu’il était encore trop naïf et que les investisseurs devaient le garder sous contrôle. Si Rad n’est pas entré au panthéon des entrepreneurs de la tech modernes comme Mark Zuckerberg ou Travis Kalanick, le papa d’Uber, il en a très envie. Il a récemment commencé à faire du yoga et à méditer grâce à l’app Headspace. Il se lève à 6 heures du matin et passe une heure au lit à répondre à ses mails avant de faire de l’exercice. Il lit des biographies pour trouver l’inspiration. Il vient de finir celle de Howard Hughes et lit à présent celle de Theodore Roosevelt. « Travis a fait des erreurs. Mark aussi a fait des erreurs », dit-il. « Les gens font des erreurs tous les jours. »
« Il faut que tu aies l’air triste. Ne souris pas. Tu regrettes tes erreurs », dit Pambakian.
« Sean est très motivé », reconnaît l’un des cofondateurs. « Il est très confiant et c’est un vendeur né. Je n’ai jamais dit que c’était un leader compétent, mais je pense qu’il s’améliore. » Cette année Tinder s’est agrandi, doublant sa taille en passant à près de 150 employés et en intégrant de nouvelles fonctions. Rad parle aussi de lancer un Tinder pour le réseautage, qui ressemblerait à LinkedIn ou Facebook. Au cours de ma visite, il m’a montré une démo de ce qui deviendrait la fonction Sorties, qui va au-delà du dating en tête-à-tête. L’entreprise se focalise aussi sur son expansion à l’étranger. Rad dit qu’il a remarqué que les Américains « sont un peu prudes comparé au reste du monde » et que la sexualité est davantage « une priorité » ailleurs.
Leur prochain gros recrutement sera un anthropologue qui les aidera à comprendre les nuances culturelles. « En Inde, un cœur peut signifier quelque chose de différent », dit Rad. « C’est très complexe. » Mais la question la plus intéressante au sujet de Tinder est de savoir comment ils utiliseront leurs données. Rad est celui qui prendra ce genre de décisions. Nous retournons au bureau en voiture pour prendre des photos, et Rad sort sur le toit pour fumer une cigarette. Il fume beaucoup ces derniers temps. Il tape du pied sur le sol de la terrasse. Rien ne va, semble-t-il. Ses cheveux sont trop collants. Il avait rendez-vous chez le dentiste plus tôt cette semaine, et ses joues sont encore un peu enflées. Il se trouve trop bronzé. Ses cendres tombent sur le sol. Le shooting commence. Rad est d’humeur sombre au début, mais il finit par retrouver le sourire, alors qu’il pose pour les photos. Pambakian observe la scène de près. « Il faut que tu aies l’air triste. Ne souris pas. Tu regrettes tes erreurs », dit Pambakian. « Non, pas sur la hanche. Mets ta main sur la poitrine. Tu es triste. Pleure ! » « Mais je suis content ! » dit Rad en riant, bondissant sur place. « Je suis un garçon heureux. »
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Mr. (Swipe) Right? », paru dans California Sunday. Couverture : Sean Rad sur le toit des bureaux de Tinder. (Gillian Haub/California Sunday)
QUI SONT LES HACKERS INDIENS QUI PROTÈGENT VOS DONNÉES FACEBOOK ?
Grâce à des hackers Indiens, les plateformes comme Facebook et Google se prémunissent chaque jour d’attaques qui menaceraient de laisser fuiter nos données personnelles.
I. White hat
Personne n’aurait pu prédire qu’Anand Prakash deviendrait un jour multimillionnaire. Originaire de Bhadra, une petite ville de l’ouest de l’Inde, Prakash préférait passer son temps libre à jouer aux jeux vidéo dans les cybercafés lorsqu’il était enfant, plutôt que de disputer des parties de cricket avec les autres garçons de son âge. Mais alors qu’il avait du mal à trouver du travail durant ses études à l’université, Prakash a découvert le Bug Bounty Programme de Facebook, qui récompense les white hats, des hackers bien intentionnés. Leur mission : déceler les failles et les bugs du réseau social tout en protégeant les données des utilisateurs. Aujourd’hui, Prakash a gagné plus de dix millions de roupies indiennes (environ 130 000 €) en sécurisant des sites comme Facebook et Google. Déceler les bugs et les failles des sites participe à la protection des données personnelles de millions d’utilisateurs. Ce génie autodidacte de l’informatique est devenu hacker en lisant des blogs et en regardant des vidéos sur YouTube. Prakash a trouvé son premier bug facilement : les utilisateurs de Facebook Messenger apparaissaient toujours en ligne alors qu’ils avaient fermé l’application. Pour cette découverte, Prakash a touché 33 000 roupies. Depuis, il a découvert plus de 90 bugs sur Facebook à lui tout seul. D’autres entreprises comme Twitter, Google, Dropbox, Adobe, eBay ou Paypal ont fait appel à ses services. L’un des bugs que Prakash a réussi à déceler permettait aux pirates d’avoir accès aux données de n’importe lequel des utilisateurs de Facebook (ils sont près d’1,6 milliard aujourd’hui), dont les messages, les données bancaires et les photos. Pour cela, Facebook lui a signé un chèque d’un million de roupies.