Il y a trois ans, Fabrizio Calvi a reçu un appel d’un ami. Ce membre du FBI infiltré dans la mafia avait en sa possession près de 10 000 pages de rapports sur Donald Trump et il était prêt à en partager une partie. Alors le journaliste français de 66 ans a longuement échangé avec lui, avant de se tourner vers d’autres sources au sein du FBI, rencontrées précédemment.
« J’avais fait cinq films sur le FBI, ce qui m’avait permis de connaitre beaucoup d’agents, et j’avais fait une série sur le 11 septembre 2001, pour laquelle j’avais rencontré d’autres agents de la CIA », confie-t-il. À partir de tous ces documents et témoignages récoltés, et recoupés pendant trois ans, Calvi a écrit un livre. Sorti au mois de juin, Un parrain à la Maison-Blanche est une somme d’informations « incroyables » selon son éditeur, Albin Michel. Nous avons rencontré Fabrizio Calvi pour les évoquer et retracer les liens entre Trump et la mafia.
Pourquoi parlez-vous de Donald Trump comme d’un parrain ?
En fait, ce n’est pas moi qui ai choisi ce titre, c’est James Comey. Quand cet ancien directeur du FBI a été viré par Donald Trump, en mai 2017, il a expliqué dans ses mémoires que le président américain se comportait comme un parrain. C’était un ancien du ministère de la Justice donc il connaissait bien les parrains. Il savait que, comme eux, Trump vous demande allégeance, c’est tout juste s’il ne faut pas baiser l’anneau papal. Autour de lui, il n’a que des gens de sa famille, il ne fait confiance qu’à elle. Il n’appartient certes pas à la mafia mais il se comporte comme un de ses membres.
Trump a-t-il fréquenté la mafia ?
Dans les années 1970 et 1980, les constructeurs immobiliers de New York étaient obligés de travailler avec la mafia, on ne pouvait pas faire autrement. Elle contrôlait toutes les sociétés du bâtiment, le béton, les cloisons sèches, le verre, mais surtout les syndicats. Or dans ce domaine, vous ne pouviez rien faire sans eux de ce côté-ci de l’Atlantique. Ce sont eux qui imposaient le nombre d’ouvriers sur un chantier et certains postes fixes. Jamais un constructeur immobilier n’a été aussi loin que Trump avec la mafia italo-américaine.
Comment est-il entré en contact avec elle ?
C’est une saga qui remonte presque à trois générations. Le grand-père dirigeait des bordels à New York durant la ruée vers l’or, et il était donc obligé de travailler avec le crime organisé. À sa mort assez jeune, le père de Donald Trump a inventé le concept de supérette. Mais il a eu une trouvaille encore plus grande : pendant la Seconde Guerre mondiale, il a eu l’idée de faire des bâtiments où les marines pouvaient loger. Afin d’entamer des projets massifs, il s’est associé avec des mafieux qui étaient liés à une figure légendaire de l’époque, Lucky Luciano.
Donald Trump a-t-il personnellement rencontré des mafieux ?
Il y a une réunion avérée entre Trump et le chef de la famille Genovese. À New York, il y avait cinq familles mafieuses. Avec les Gambino, les Genovese étaient les plus puissants. Ils contrôlaient l’immobilier et le béton pré-assemblé. Comme il était impossible de stocker du matériel dans la ville, tout devait être ramené sur le chantier en temps voulu. C’était une espèce de ballet qui était réglé par les syndicats. Pour construire sa tour, Trump a eu l’idée d’avoir recours à du béton pré-assemblé : les bétonnières arrivaient et coulaient le béton tout de suite, ce qui faisait gagner beaucoup de temps.
À l’époque, en 1983, le roi du béton préfabriqué, S & A, était contrôlé par Anthony « Fat Tony » Salerno. Trump l’a rencontré au moins une fois chez son avocat et il y a au moins trois témoins qui les ont vus en grande discussion. Selon un de ses amis, Trump n’était pas intéressé par l’idée de faire de l’argent pour faire de l’argent. Ce qu’il voulait, c’était un petit frisson d’illégalité comme s’il volait quelque chose, comme s’il franchissait la ligne continue. Et en l’occurrence, le fait de rencontrer Tony était cet espèce de frisson.
La mafia était-elle incontournable dans le bâtiment ?
Elle était difficile à éviter vu le poids des syndicats. Mais il y a des patrons qui se sont opposés à ça. Ils ont fait un syndicat de patrons dans la construction, auquel appartenait Trump, pour monter un front contre les anciens syndicats. Trump a brisé l’unité de ce front en allant négocier directement une paix sociale sur ses chantiers avec les syndicats et la mafia. Il a accepté toutes les conditions des mafieux et leur a graissé la patte. Certains contrôlaient l’entrée des chantiers, ils étaient payés à la journée et leur chef a reçu trois appartements dans la tour Trump.
Ses relations avec la mafia lui ont-elles attiré des problèmes ?
Traiter avec la mafia était toléré en 1983, mais ce n’était plus le cas en 1986. Entre-temps, un procureur anti-mafia a été nommé. Ce Rudy Giuliani a fait arrêter l’interlocuteur privilégié de Trump, Fat Tony Salerno. Trump a été poursuivi pour racket syndical mais il s’en est sorti. Par la suite, on a compris que Rudy Giuliani aurait pu faire tomber Trump. Mais ça n’a pas été le cas. Deux mois plus tard, Trump annonçait que si Rudy Giuliani voulait se présenter aux élections municipales à New York, il financerait sa campagne. Giuliani s’est présenté trois mois plus tard. Il a échoué deux fois avant d’être élu en 1997. Aujourd’hui, Giuliani est l’avocat personnel de Trump. C’est l’un de ses plus farouches défenseurs et c’est aussi l’homme qui est intervenu en Ukraine en sa faveur.
Quelle était sa relation avec le FBI ?
Dans les années 1980, Donald Trump a décidé de construire un casino à Atlantic City, le Las Vegas de la côte Est. Puisque cette zone était contrôlée par la mafia new-yorkaise et la mafia de Philadelphie, il a utilisé un syndicaliste mafieux, Daniel Sullivan, qui était informateur du FBI, pour rencontrer deux agents des services et leur dire en substance : « Je veux construire des casinos à Atlantic City. Si vous voulez, vous allez pouvoir monter des opérations d’infiltration à partir de mes casinos, comme ça vous pourrez voir en direct comment la mafia opère dans les casinos. » Et le FBI a été partant.
Ensuite, l’entrepreneur est allé voir les autorités du jeu pour leur dire qu’il travaillait avec le FBI. Ça n’a pas plu à l’agence, mais ça lui a permis d’avoir une licence. Rudy Giuliani a pris sa défense et l’a introduit à un membre influent du FBI à New York. D’après mes informations, Trump est ainsi devenu un informateur à protéger à tout prix, dont le nom ne figurait pas sur les listes du FBI. Il s’en est sorti en jouant sur les deux tableaux.
Comment Trump a-t-il réussi en politique ?
Sur le programme politique, on a souvent l’impression qu’il fait n’importe quoi, mais ce n’est pas vrai, il suit une règle qui lui a été soufflée par le président Wilson : c’est la théorie de l’homme fou. Si vous êtes convaincu qu’en face de vous vous avez un fou qui est capable à tout moment d’appuyer sur le bouton nucléaire, vous hésiterez à l’affronter. Trump aime la guerre, le combat, la baston. Il a toujours été comme ça.
Couverture : White House