Mon dernier déjeuner au restaurant en compagnie d’une dizaine de jeunes aspirants entrepreneurs n’avait rien de très exceptionnel. Il avait lieu dans un restaurant typique, bondé, bourdonnant – de la bonne nourriture pas chère et où il est facile de rassembler des tables pour se parler. Hommes et femmes débattaient des dernières technologies, décrivaient leurs dernières idées, alternant régulièrement entre la conversation et la vérification de leurs comptes SnapChat, Instagram, Twitter et Facebook.

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Un repas simple
Crédits : Christopher Schroeder

J’ai demandé à l’une des femmes comment elle faisait face aux exigences liées à la création d’une entreprise. « En faisant ! » m’a-t-elle simplement répondu en m’adressant un sourire satisfait. Elle a fait une pause avant d’ajouter : « Oh, et bien sûr je lis les meilleurs blogs de la Silicone Valley, et je prends des gratuits sur Coursera – à Stanford, Wharton et d’autres universités dans le monde. » Plusieurs personnes présentes au déjeuner ont alors posé leur fourchette pour me montrer leurs smartphones, tous connectés au Wifi pour suivre des cours intitulés « Introduction au Marketing », « Leadership international et comportement organisationnel », ou encore « Un meilleur leader pour une vie plus riche ». Un jeune homme m’a décrit sa startup. Le concept ressemble un peu à un Airbnb pour voyageurs aventuriers, mais en plus low-tech, un genre d’agence de voyage branchée. La nouvelle génération, m’a-t-il expliqué, ne veut pas seulement « voir » un endroit, mais aussi comprendre comment vivent les gens, comment ils pensent et comment cela imprègne leur vie de tous les jours. Il a récemment trouvé de nombreuses familles vivant dans de belles régions montagneuses, qui seraient heureuses d’accueillir des jeunes pour les nourrir, leur faire visiter des sites culturels uniques et leur faire partager leur musique et leur art. « Où vas-tu emmener le prochain groupe de voyageurs ? » lui ai-je demandé. « Dans la région kurde. C’est l’une des plus belles et des plus intéressantes régions du pays. » C’était là la seule chose que mon déjeuner avait d’exceptionnel, ou du moins de surprenant : je le partageais avec de jeunes entrepreneurs de Téhéran, la capitale iranienne.

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Dans les rues de Téhéran
Crédits : Christopher Schroeder

Deux Irans

Avant ce repas, j’avais rencontré seulement cinq Kurdes dans ma vie. Jusqu’ici pour moi, « la région kurde » évoquait les attaques terroristes de l’État islamique, bien que sa longue et riche histoire soit divisée entre trois pays : l’Irak, l’Iran et la Turquie. « N’y a-t-il pas de risques ? » ai-je demandé. « Cela ne t’inquiète pas d’être si proche de la frontière irakienne ? »

La technologie remodèle toutes nos sociétés, et ce monde inclut l’Iran.

Il a souri et a répondu : « En Iran, tout va bien. Mais quelques kilomètres après avoir traversé la frontière irakienne, nos téléphones portables ont commencé à vibrer. J’ai checké mes messages et voilà ce que j’ai vu. » J’ai imaginé qu’au mieux, ils auraient reçu un message d’avertissement et au pire des menaces directes. J’ai regardé son téléphone et j’ai lu : « Bienvenue en Irak. Faites comme chez vous pendant votre roaming sur le réseau de Korek Telecom. Pour tout renseignement, appelez le + 9647508000400. »

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C’est l’histoire de deux Irans. Je me propose de vous raconter l’histoire de l’autre Iran. Celle qu’on entend généralement porte sur ses ressources naturelles : le pétrole est son meilleur atout et sa puissance nucléaire représente sa principale menace. Un récit figé dans le temps depuis plusieurs décennies, alimenté par de douloureux souvenirs remâchés par les deux parties. Pour de nombreux Américains, l’Iran est encore associé à la crise des otages de l’ambassade américaine à Téhéran, il y a 35 ans. Pour d’autres, l’Iran évoque le soutien apporté aux acteurs déstabilisateurs de la région, à l’encontre des intérêts des États-Unis et au détriment de la vie de certaines personnes. Parallèlement, les Iraniens ont bien évidemment leur propre version de l’histoire : beaucoup n’oublient pas que les États-Unis ont appuyé le coup d’État contre leurs dirigeants élus, et que plus tard ils ont soutenu la dictature et encouragé l’Iran à mener une guerre contre l’Irak qui a coûté la vie de presque un demi-million d’Iraniens.

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« Nous devons construire le futur »
Crédits : Christopher Schroeder

Politique, pouvoir, méfiance : c’est sur ces points que la presse axe ses débats sur l’Iran. S’ils sont bien réels, il y a une autre histoire. Une histoire que j’ai inlassablement vue répétée tout au long de mon voyage là-bas en mai dernier. C’était ma deuxième visite en Iran cette année. Avec un groupe de cadres supérieurs, je découvrais une nation remarquable autant que controversée. Cette histoire évoque d’une part la prochaine génération iranienne – qui a atteint l’âge adulte bien après la Révolution iranienne –, et d’autre part le capital humain, qui est le meilleur atout d’un pays. La technologie est l’élément qui a fait tomber toutes les barrières, malgré les contrôles internes et les sanctions externes. Aujourd’hui, les jeunes de moins de 35 ans représentent environ deux tiers de la population en Iran : beaucoup se sont engagés dans les manifestations du Mouvement vert contre l’élection présidentielle iranienne en 2009. D’autres sont totalement connectés et voient tous les jours le monde au-delà des frontières de l’Iran – souvent sous la forme d’actualités mondiales, de programmes télés, de films, de musique, de blogs et de startups – sur leur téléphone portable. C’est une histoire qu’on entend rarement. Ces perceptions – et les détails compliqués de la construction d’une confiance entre les deux parties – sont la préoccupation numéro un en ce moment, avec la récente validation de l’accord nucléaire des Américains avec l’Iran. Les conséquences se feront sentir sur cette nouvelle génération d’Iraniens.

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Les nouveaux entrepreneurs
Crédits : Christopher Schroeder

Il est tentant de réduire ces deux histoires de l’Iran en une discussion polarisée entre « théocratie » contre « technologie », « fermé » contre « ouvert » ou même de définir les tensions par « locales » contre « mondiales ». Toutes ces simplifications constituent une grande erreur. Elles réduisent grossièrement une histoire extrêmement riche, nuancée et parfois très complexe. En Iran, Facebook est interdit. Pourtant, dans la ville sacrée et conservatrice de Qom, un grand ayatollah s’est plaint devant nous de l’utilisation excessive de Facebook par ses petits-enfants. Le pays abrite l’une des plus anciennes civilisations du monde, mais il est devenu le pôle d’attraction de l’une des économies qui croît le plus rapidement : environ 30 000 Chinois ou plus sont actuellement expatriés à Téhéran et beaucoup d’entre eux parlent le farsi. L’analogie à laquelle on pense immédiatement (et qui a été appliquée à l’histoire d’autres pays évoluant de manière similaire) est celle d’un palimpseste, où chaque couche est recouverte d’une nouvelle vérité, et où ce qui est imprimé ne disparaît jamais réellement. Mais cette analogie semble extrêmement inadéquate à l’ère du numérique. Comme le dit si bien le leader de la Silicon Valley, Marc Andreessen, « le software dévore le monde », la technologie remodèle toutes nos sociétés – et ce monde inclut l’Iran, il ne l’exclut pas.

Startups Rising

Le livre sur les startups et l’innovation dans le Moyen-Orient que j’ai écrit l’année dernière, Start-Up Rising : The Entrepreneurial Revolution Remaking the Middle East, est l’un des seuls ouvrages récents optimistes sur la région. Il n’a donc pas été facilement accepté par certains. Et cela peut être difficile si on ne s’arrête pas pour prendre en compte l’une des principales différences entre le monde d’aujourd’hui et celui d’il y a à peine cinq ans : l’essor du mobile.

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La croissance est en hausse
Crédits : Christopher Schroeder

Un tel accès universel à la technologie est un phénomène totalement nouveau et peu compris par les dirigeants. Je ne peux pas prédire quelle sera la situation politique ou économique dans un an en Iran, en Syrie ou en Égypte, mais je peux sans souci affirmer qu’au cours de la présente décennie, près des deux tiers de la population de ces pays aura un smartphone. Dans le Golfe, ils ont déjà dépassé ce chiffre. Mais attention, cela ne signifie pas qu’ils auront simplement de meilleurs téléphones : chaque smartphone a des capacités informatiques équivalentes à celles de la NASA en 1969 lorsqu’elle a envoyé un homme sur la lune. Deux tiers de la population au Moyen-Orient – en fait, deux tiers de la population mondiale – aura cette même puissance super-informatique entre les mains. C’est déjà le cas en Iran. L’utilisation du portable là-bas dépasse les 120 % puisque de nombreuses personnes possèdent plus d’un téléphone ou plus d’une carte SIM. Les Iraniens utilisent aujourd’hui 40 millions de smartphones de marques, incluant HTC et Samsung. En vérité, il est presque impossible de faire 1 km sur l’un des périphériques les plus larges et les plus embouteillés du pays, ou marcher quelques mètres dans l’élégant aéroport sans voir des publicités pour un nouveau téléphone portable et des données plus rapides. Dans ce pays de 80 millions d’habitants, on compte près de six millions d’iPhone – qui comme Facebook ont été interdits, aussi bien par les sanctions mondiales que par le gouvernement iranien. Pourtant, des millions d’Iraniens – et pas seulement quelques entrepreneurs doués pour la technologie comme ceux que je décrivais plus haut – ont accès à des sites comme Facebook, Twitter, Snapchat ainsi que des cours en lignes (« MOOC ») offerts quotidiennement par de nombreuses universités du monde entier. Tout le monde, quel que soit son âge, a accès à cet Internet sans filtre à travers des Réseaux privés virtuels (VPN). Ainsi, et grâce à la musique qu’ils adorent et aux vidéos qu’ils regardent, les ados branchés partagent plus de choses avec leurs compatriotes autour du monde que les révolutionnaires austères d’il y a 40 ans.

Les Iraniens rassemblent de nouvelles vérités. Non pas des vérités occidentales, mais les leurs.

Mettons en perspective le niveau de connectivité de l’Iran : près de 65 % des foyers iraniens ont accès à une connexion haut débit – taux presque équivalent à celui des États-Unis, où les dernières données collectées par le sondage Pew montrent que 70 % des Américains ont une connexion haut débit chez eux. Or l’année dernière, au cours d’un séjour là-bas, j’avais été frappé par l’accès très limité à la 3G sur les téléphones portables. À l’époque, il y avait au mieux un million d’abonnés. Cette année, ils seraient plus de 20 millions. Cela signifie que les Iraniens ont un accès sans précédent au monde qui les entoure. Cela signifie qu’ils ont au bout de leurs doigts autant de connaissances que les Occidentaux, de manière presque gratuite. Cela signifie que toute une nouvelle génération partage des idées et collabore numériquement. Ils sont au courant de tout ce qu’il se passe aux États-Unis et dans le reste du monde, et voient les opportunités économiques et le pouvoir surgir dans une partie du monde qui était autrefois largement rejetée car considérée comme faisant partie du tiers monde. Ils craignent moins le pouvoir centralisé, ou les personnes qui leur diraient « d’attendre une génération » pour résoudre les problèmes que d’autres comme eux sont actuellement en train de résoudre. Ils rassemblent donc de nouvelles vérités. Non pas des vérités occidentales, mais les leurs, dans le contexte qui leur appartient.

Amazon Iran

Nazanin Daneshvar appartient à la nouvelle histoire. Elle est entrepreneure et elle a mis sur pied Takhfifan, un site de vente au détail en Iran. Il n’y a pas trois ans, encore dans sa vingtaine, elle et sa sœur (la cofondatrice) auraient peut-être été surprises d’apprendre que leur rêve représenterait aujourd’hui 60 personnes entassées dans leurs bureaux, situés au quatrième étage d’un immeuble. Cependant, rien ne la surprend. Elle est habituée à faire ce qu’il faut pour réussir. Elle savait à quelle vitesse Groupon avait grandi aux États-Unis, et à quel point les Iraniens devaient saisir les opportunités de ce genre. À l’époque, peu de commerçants connaissaient Internet, sans parler du marketing web. Elle a donc rendu visite à de petits magasins et restaurants, généralement tenus par des amis, pour leur poser une seule question : combien paieraient-ils pour avoir un nouveau client ? Elle a mis en place la technologie et, à leur grande surprise, a commencé à livrer davantage que prévu.

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Nazanin Daneshvar et l’équipe de Takhfifan
Crédits : takhfifan.com

Forte de ce succès, il ne lui restait plus qu’à convaincre les plus grands centres commerciaux de Téhéran de conclure des accords similaires. Il y a dans le pays de nombreux centres commerciaux ultramodernes où l’on peut trouver des marques mondialement connues. Elle se présentait avec le hidjab exigé par le gouvernement et demandait respectueusement à voir les directeurs généraux pour leur présenter ses résultats. Mais invariablement, ils demandaient à voir son directeur qui, à leurs yeux, devait être un homme. Agacée, elle est allée trouver son père (directeur d’une usine énergétique qui n’avait aucune idée de ce qu’était le commerce sur Internet) et lui a demandé de l’accompagner à chaque rendez-vous pendant un an. Son père débutait chacun d’entre eux avec cette phrase : « Je suis le directeur de cette nouvelle compagnie, mais je vais laisser ma collègue vous expliquer le concept. » Puis il s’asseyait en silence, alors même que c’était lui qui signait tous les contrats et qui était initialement propriétaire de la société. Comme cela avait été le cas avec ses petits clients, la performance a été concluante en l’espace 18 mois, et Daneshvar a bénéficié d’une telle attention de la part des médias qu’au cours de ma dernière visite, elle m’a souri et m’a dit que son père était à la « retraite ». Aujourd’hui, Takhfifan comptabilise près de deux millions d’utilisateurs dans sept villes iraniennes, et représente un réseau de 10 000 commerçants.

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Mohsen Malayeri n’appartient pas non plus à l’histoire traditionnelle. Ce diplômé universitaire en ingénierie a récemment organisé de nombreux « Startup Weekends » en Iran, réunissant des centaines de jeunes et d’investisseurs locaux pour présenter et proposer leurs innovations dans des rassemblements dynamiques, organisés sur les campus universitaires. Mohsen est le cofondateur d’Avatech, un des plus grands « accélérateurs » d’entreprises qui proposent des ressources, du conseil et de l’argent à de nouveaux entrepreneurs.

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L’incubateur de startups iranien
Crédits : Avatech

Avatech est l’un des 100 incubateurs et accélérateurs d’Iran – dont 31 sont soutenus par le gouvernement pour aider à relever le défi des infrastructures dans l’agriculture, l’éducation et la santé. Un ministre m’a confié que l’Iran avait injecté quatre milliards de dollars dans des infrastructures technologiques l’année dernière seulement, et prévoyait d’en dépenser 25 millions de plus au cours des trois prochaines années. Ils sont convaincus que d’ici la fin de la décennie, la télésanté révolutionnera la santé pour les citoyens iraniens. Dans le même temps, la carte de débit sera également probablement remplacée par les paiements par téléphones mobiles – une ambition bien plus grande qu’aux États-Unis. Ceci n’est pas que conjectures ou rêves lointains. Laissez-moi vous donner l’exemple de Digikala, un site d’e-commerce dont la valeur a doublé en moins d’un an (évaluée à près de 300 millions de dollars, selon certains investisseurs), qui emploie 700 personnes et expédie des centaines de commandes tous les jours – les livraisons arrivent le jour même ou le lendemain dans plusieurs villes iraniennes. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? C’est normal, le site est connu sous le nom d’Amazon d’Iran, et a été créé par deux frères frustrés de ne pouvoir trouver le bon appareil photo, car il n’y avait aucune critique en ligne publiée dans leur langue.

Nouvelle dynamique

C’est l’histoire d’un nouvel Iran, d’une génération qui utilise la technologie pour résoudre des problèmes et saisir des opportunités économiques. Tandis que ces étudiants et ces entrepreneurs créent des entreprises reposant sur la technologie, qui peuvent nous sembler banales en Occident, ils ne se contentent pas de répliquer le succès de startups technologiques vues ailleurs dans le monde. Ils les personnalisent. Ce qui semblait être des solutions à court terme en attendant la levée des sanctions internationales jette en réalité les bases – infrastructures technologiques, tolérance à l’échec, startups considérées comme un « véritable » travail – pour la prochaine génération de compagnies et d’entrepreneurs. Assiste-t-on à la naissance d’une Silicone Valley en Iran ? Malayeri ne me répond pas comme beaucoup d’autres entrepreneurs en Iran et au Moyen-Orient, ainsi que sur les autres marchés en croissance dans le monde. La Silicon Valley et l’innovation aux États-Unis sont évidemment extraordinaires, mais l’accès universel à la technologie a permis de résoudre des problèmes qui n’auraient pas pu être réglés auparavant. Des sociétés qui n’avaient pas de téléphones fixes ont dépassé cette technologie démodée en innovant avec les paiements mobiles.

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Une tradeuse de Téhéran
Crédits : Christopher Schroeder

Des pays qui luttent pour bénéficier de l’eau et d’autres ressources naturelles deviennent les leaders des technologies vertes et de la dessalinisation. Mohsen cite volontiers le légendaire chef d’entreprise et investisseur Brad Feld : « La Silicon Valley n’est pas une religion. » Il semble que personne n’essaye de troquer une théologie pour une autre. Ils espèrent et veulent uniquement ce qui marche et ce qui a un impact réel sur leurs vies. Bien que Washington éprouve de grandes difficultés à l’accepter, ces changements technologiques et culturels, qu’importe le nom qu’on leur donne, sont en train de s’opérer en Iran et risquent bien d’exclure l’Occident de l’équation. Pendant mon voyage, j’ai été frappé par l’augmentation significative d’hommes d’affaires et de touristes venant du monde entier, et particulièrement d’Allemagne, de Scandinavie et de Russie. Évidemment, la Chine l’emporte haut la main. Parallèlement à sa population expatriée croissante, le commerce chinois est en hausse là-bas. L’entreprise électronique chinoise Xiaomi va probablement pénétrer agressivement le marché en Iran cette année. Surnommée la « Apple chinoise », elle est actuellement le troisième plus grand distributeur de smartphones dans le monde et elle défie constamment ce que nous pensions que d’autres entreprises technologiques pouvaient accomplir. Tout cela ne devrait pas nous surprendre car nous assistons régulièrement à des changements économiques et des croissances. Pourtant, nous refusons de les accepter car nous sommes prisonniers de notre propre vision du monde. Qui aurait pensé, il y a même quelques années, que le plus grand premier appel public à l’épargne (IPO) dans l’histoire récente des États-Unis serait réalisé par une compagnie de software chinoise (Alibaba), virtuellement construite en dehors du marché occidental ? Ou que parmi les plus grandes acquisitions de startups technologiques américaines, on trouverait celle d’une entreprise de messagerie (WhatsApp par Facebook) dont les principaux utilisateurs se trouvent à l’étranger ? Il y a quelques décennies, combien de personnes auraient deviné que les principaux fournisseurs de matériel informatique et électronique grand public seraient le Japon et la Corée ? Devrions-nous nous attendre à autre chose de la part de la nouvelle génération iranienne, hautement éduquée et connectée, d’où sont issus les meilleurs ingénieurs au monde, parfaitement situés géographiquement comme point de passage numérique et physique entre l’est, l’ouest, le nord et le sud ? Le plus grand défi pour l’Occident n’est pas de savoir quelle version de l’histoire est la bonne, puisque les deux existent.

Les Iraniens ont placé de grands espoirs dans la connectivité et la connexité.

L’Iran se joint à un mouvement qui s’amorce dans tous les marchés émergents et que l’Occident a résolument ignoré jusqu’à présent. En un court laps de temps, la majorité de l’humanité s’est connectée, et cette dynamique permet la création de nouvelles classes moyennes à travers le monde. Les efforts sont encore récents, mais nous avons vu en Asie, en Europe de l’Est, en Amérique du Sud et bien au-delà, à quelle vitesse peuvent avoir lieu l’adoption, la croissance économique et l’amélioration réelle de la vie quotidienne. Par conséquent, comprendre et séduire la nouvelle génération iranienne en respectant leurs conditions aura non seulement des conséquences sur les négociations actuelles, mais aussi sur la création d’un marché et de nouveaux débouchés économiques considérables qui amélioreront des milliards de vies. Les meilleurs résultats bénéficient toujours à ceux qui comprennent le contexte général, et cela inclut l’évolution des choses à long terme.

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Le fait qu’il y ait deux (voire bien plus) histoires de l’Iran ne devrait pas porter à confusion : la nouvelle génération connectée ne raconte pas le triomphe de la technologie sur la théocratie, et il ne faudrait pas croire que la technologie est l’incarnation de notre vision de la démocratie. Il s’agit plutôt du mélange de technologies, de culture et d’histoire. C’est un paradigme complexe qui  n’appartient qu’à l’Iran. Même le concept de l’ « Iran » en soi est en réalité une homogénéisation grossière d’un pays tout entier : il existe d’énormes différences au niveau régional, entre les différentes générations ou entre les zones urbaines et rurales. Ce que je sais avec certitude, c’est qu’à une époque où une bonne partie de cette génération a peu d’espoir en (nos) son gouvernement(s), la nouvelle génération admire l’Amérique et son potentiel d’innovation. Elle dévore ses expériences, ce qu’elle écrit et s’inspire des leçons qu’elle tire de ses erreurs. Elle adore les réseaux sociaux américains et les utilise comme bon leur semble. On m’a plusieurs fois demandé à quelle vitesse les investisseurs et les entreprises technologiques occidentales envisageraient de faire des affaires lorsque les sanctions seront levées.

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Vue de la capitale iranienne
Crédits : Christopher Schroeder

Il était difficile de trouver un seul homme ou une seule femme de cette génération en Iran – en réalité de n’importe quel âge – qui s’intéressait aux discussions sur le nucléaire, autre que pour s’assurer qu’ils pourraient coopérer avec le monde et construire ainsi un meilleur futur pour eux et pour leur famille. Les Iraniens ont placé de grands espoirs dans la connectivité et la connexité. Sur cette toile de fond, une coopération mondiale accrue est un espoir énorme pour le succès de leur économie future dans la région (et pour les économies émergentes en général).


Traduit de l’anglais par Maya Majzoub d’après l’article « The Iran I Saw », paru dans Politico Magazine. Couverture : Téhéran au crépuscule, par Blondinrikard Fröberg.


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