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LSD → Coke
Clinton et moi nous asseyons dehors, sous un petit kiosque, à deux pas du potager de Carlon. Il porte un autre costume chic avec un long manteau qui lui donne des airs d’acteur de film de la blaxploitation. Carlon nous apporte des choses à grignoter et demande tendrement à George s’il a bu assez d’eau aujourd’hui. Il hoche la tête. Il tient entre ses doigts une cigarette électronique au cannabis, reliée à une grosse batterie en forme de flasque. Clinton s’accroche à ce truc comme d’autres s’accrochent à leurs smartphones. Pendant les trois jours que nous passons ensemble, il ne s’en sépare pas. « Je n’essaye pas de me défoncer », dit-il en tirant une grosse latte. « C’est juste l’habitude d’avoir un truc à la bouche. » Clinton parle d’une voix profonde et rocailleuse.
Toutes ces années passées à fumer du crack lui ont laissé une voix enrouée en permanence. Il n’a plus la même voix que sur le premier album de Funkadelic, qui débute par un morceau de neuf minutes sur lequel il déclame une note d’intention. La chanson s’appelle « Mommy, What’s a Funkadelic ? » et Clinton parle d’une voix sensuelle sur un blues saturé de reverb. Il ponctue le morceau de gémissements étranges et de rires, avec un chœur de voix féminines. « Si tu suces mon âme », entonne Clinton, « je lécherai ton funk. » Au bout de 7 minutes, il chante :
« Je me souviens lorsque j’ai quitté cette petite ville de Caroline du Nord, j’essayais de fuir cette musique Je disais que c’était un truc pour les ploucs de la campagne Je suis allé à New York, je l’ai jouée rusée et je me suis fait lisser les cheveux [rires] J’étais cool [plus de rires] J’étais cool Mais je n’avais pas de groove » Raconter comment Clinton a finalement trouvé son groove et comment il a renoué avec le blues country qu’il avait fui revient à raconter l’histoire de P-Funk. Clinton a bien quitté la petite ville de Kannapolis, en Caroline du Nord, mais ce n’était pas par choix : ses parents (George et Julious) ont déménagé dans le New Jersey peu après sa naissance. Son père était docker et il aimait le gospel, sa mère nettoyait des bureaux et préférait le blues. « Quand j’étais jeune, le blues ne me paraissait pas très profond », raconte Clinton, « c’était la musique de ma mère ». À 14 ans, Clinton a formé son premier groupe de doo-wop avec d’autres jeunes de son quartier, qu’il a baptisé Parliaments à cause des cigarettes du même nom. Clinton ne fumait pas, mais il trouvait que ça sonnait badass. Les Parliaments ont participé à des battles face à des groupes comme les Four Seasons, pendant lesquels les gangs du quartier faisaient une trêve. « Après le concert, on avait deux heures pour déguerpir », se souvient Clinton. Les Four Seasons venaient de l’autre côté de Broad Street, où les Italiens avaient un gang appelé les Barbarians et portaient des pantalons larges, comme la génération hip-hop le ferait des décennies plus tard. Les instituteurs engueulaient ces jeunes blancs-becs pour qu’ils remontent leurs pantalons. « On se demandait comment ils tenaient debout », s’amuse Clinton. « Ils avaient de grosses ceintures avec une boucle argentée, qu’ils enlevaient pour casser des gueules. » Les gamins blacks portaient leurs pantalons hauts pour paraître musclés. Clinton a quitté l’école en terminale. Il a vite épousé sa copine de l’époque (Carlon est sa troisième femme).
Au total, il a eu sept enfants, avec sa première femme et d’autres partenaires, et une bonne partie de sa progéniture et de ses petits-enfants l’accompagnent en tournée et en studio. Peu après son premier mariage, il a commencé à travailler comme barbier. Mais il n’avait pas laissé tomber son rêve de jouer un jour à l’Apollo. Quand la Motown est apparue au début des années 1960, Parliaments a fait la route jusqu’à Detroit pour y passer une audition. Martha Reeves leur a annoncé que le label n’était pas intéressé : leur musique ressemblait trop à celle des Temptations. Clinton a commencé à travailler pour Berry Gordy comme auteur freelance tout en coupant des cheveux dans le New Jersey, ce qui lui a permis de rencontrer un entrepreneur de Detroit du nom d’Ed Wingate. « Un grand mec, très sympa », selon Clinton. « Il venait de la campagne mais les chiffres, ça le connaissait. » Wingate était bookmaker. Il possédait aussi des hôtels et des taxis, et quand il a vu le succès de Gordy avec la Motown, il a décidé de lancer ses propres labels qui ne se sont jamais transformés en usines à tubes mais qui ont permis à Clinton d’obtenir son premier véritable contrat d’auteur. À l’époque, Detroit était en plein boom et la Motown faisait autant de fric que certains constructeurs automobiles. Clinton, qui travaillait pour un petit label concurrent, s’était entêté à jouer la même musique que les Temptations et les Four Tops. Mais il s’est défini en s’opposant au style propret de la Motown. Les rejetons de Gordy allaient à l’école et mettaient des costumes assortis. Clinton, lui, avait commencé à traîner dans le quartier interlope de Plum Street. « Les mecs de la Motown étaient très sophistiqués », raconte Clinton. « Nous, on mettait des perruques et des visons. On savait comment faire vu qu’on était barbiers. On appelait ça “simuler”. Notre concept à l’époque de Funkadelic, c’était d’être le plus vulgaire possible. On voulait foncer dans la direction opposée. »
En 1967, les Parliaments n’avaient sorti qu’un tube, une chanson d’amour intitulée « (I Wanna) Testify », dont les premières lignes allaient se révéler prophétiques : « Des amis, des amis curieux me demandent ce qui m’est arrivé Un changement, il y a eu un changement, c’est évident… » La chanson aurait pu sortir de la Motown avec ses arrangements impeccables et ses jeux de mots intelligents. Mais Clinton a réalisé que le groupe dont il voulait se rapprocher n’était pas les Temptations mais The Mothers of Invention, ou plutôt qu’il voulait réaliser une combinaison des deux. Grâce à des artistes comme Cream et Jimi Hendrix, Clinton a commencé à reconsidérer son rejet des vieux albums de blues de sa mère. Il a jeté le style qu’il avait passé des années à concevoir pour repartir de zéro. « Quand j’ai entendu Hendrix, je me suis dit que je devais tourner le dos à la Motown et me diriger vers ça », se souvient Clinton. « J’adorais ce que faisait Curtis Mayfield, mais je ne pouvais plus faire ce genre de trucs. » À la Motown, les musiciens restaient dans l’ombre. Clinton s’est alors demandé ce qu’il se passerait si on faisait l’inverse. Dans le monde du rock, des guitaristes comme Jimmy Page ou Eric Clapton devenaient des stars. Alors pourquoi ne pas insister sur les musiciens et plus seulement sur les chanteurs ? « George a mis le groupe sur le devant de la scène », raconte P-Nut. « Il leur a filé des amplis et il a fait des trous dans leurs pantalons. Tout avait changé. »
« George est l’un des plus grands leaders de groupes, comme Miles ou Coltrane. » — Wayne Kramer, de MC5
Ils ont aussi commencé à prendre de copieuses doses de LSD. Parliaments a bientôt pris le nom de Funkadelic, pour coller au virage qu’ils avaient pris vers la scène psyché. Ils avaient les mêmes managers que d’autres groupes de Detroit comme les Stooges et les Amboy Dukes de Ted Nugent. Creem, un magazine de Detroit, a alors fait courir la rumeur que Clinton et Iggy Pop allaient se marier. Funkadelic a enregistré son second album, Free Your Mind… And Your Ass Will Follow, en quelques jours et en étant défoncés tout du long. Clinton s’est même taillé une bite sur un côté de sa coiffure afro et il arrivait qu’il joue nu sur scène. Leur musique était inclassable. « Music for My Mother », un de leurs premiers singles, transformait les chants de travail afro-américains en un bourdonnement abstrait et funky, tandis que « Maggot Brain » était presque intégralement instrumental. Le morceau comporte un des plus émouvants solos de guitare de l’histoire, joué par Eddie Hazel, un gamin du New Jersey que Clinton a auditionné dans son salon de coiffure.
Pour ce solo, Clinton lui a dit de jouer comme s’il venait d’apprendre que sa mère était morte. « On essayait de faire avancer la musique, de rompre avec ces morceaux pop de trois minutes et de l’étirer autant que possible », raconte Wayne Kramer, le guitariste de MC5. « Je me rappelle que j’avais l’impression que ces mecs faisaient la même chose que nous, sauf qu’on venait du rock et eux du funk. George est l’un des plus grands leaders de groupes, comme Miles ou Coltrane. Des chansons comme “I’ll Bet You” étaient révolutionnaires : leur approche de la musique, leur sensibilité dans les paroles, tout, jusqu’au son de la caisse claire du percussionniste Tiki Fulwood. Il a fallu dix ans au reste du monde pour les rattraper. » Finalement, comme l’écrit Clinton dans son autobiographie, Funkadelic était « trop blanc pour les Noirs et trop noir pour les Blancs : une source de confusion ». Quand le groupe a fini par jouer à l’Apollo, les gens se demandaient : « Qu’est ce que ces mecs ont pris ? » Alors que Funkadelic devenait de plus en plus bizarre, un ami lui a suggéré de relancer Parliaments, dans un genre plus black-pop. « En gros », résume Clinton, « dans Funkadelic il n’y a pas de cuivres, et dans Parliaments il n’y a pas de disto sur les guitares ». En vérité, les deux groupes se chevauchent souvent. Le premier tube R&B de Parliaments à entrer dans le Top 10, « Up for the Down Stroke », est bourré de cuivres, mais sur le même album, on trouve une chanson psyché qui reprend Bob Dylan et une autre avec des chœurs entièrement sifflés. « Ils l’appellent encore la Maison-Blanche, mais ça ne va pas durer », annonce Clinton sur une piste de l’album suivant, Chocolate City, pour introduire un refrain.
Depuis le début, P-Funk comprend Hazel et Bernie Worrelle, un pianiste de formation classique dont les mélodies sauvages et contrapuntiques sonnaient comme du Bach. Quelques années plus tard, ils ont été rejoints par un trio d’anciens du groupe de James Brown : le bassiste Bootsy Collins, qui a démissionné ou bien s’est fait virer (selon la version) après avoir pris trop d’acides, le saxophoniste Maceo Parker et le tromboniste Fred Wesley. Contrairement à Brown, tyran notoire qui mettait des amendes aux membres de son groupe qui commettaient des erreurs, Clinton s’épanouissait dans le chaos. « J’ai dit à Bootsy de ne pas essayer de masquer les erreurs », explique-t-il. « On s’en fout. C’est pas du jazz. C’est pour les jeunes. Ils veulent du bruit. Si tu te corriges, tu deviens adulte ». « Un chaos contrôlé, voilà ce que c’était », se souvient Wesley, qui s’est pointé à un concert en costard. « Avec James Brown, on avait des uniformes », raconte-t-il, « avec George, il fallait des trucs fous. C’est un sacré mec ! Il m’a seulement dit qu’il voulait que j’harmonise les cuivres, que ça coule entre Maceo et moi. Quoi que je fasse, c’était OK pour lui. Après, il prenait ce qu’on avait fait pour en utiliser un bout ou ne pas l’utiliser du tout. » Des tubes incroyables ont suivi : « Flashlight », « One Nation Under a Groove », « Give Up the Funk (Teat the Roof Off the Sucker) ». Clinton voulait que ses concerts soient à la hauteur de ceux des Pink Floyd et a donc engagé un designer de Broadway. Il a aussi créé de nouveaux personnages – Dr Funkenstein, Sir Nose D’Voidoffunk et Star Child – et produit une douzaine d’autres albums dérivés de P-Funk. Mais tandis qu’il étendait son empire du funk, les problèmes se sont accumulés. L’acide a peu à peu cédé la place à la cocaïne et aux chansons discos paresseuses comme « Party People », sur l’album Gloryhallastoopid. À la fin des années 1970, Clinton « a commencé à s’envoyer en l’air et passer du bon temps », racontait Collins au Guardian en 2011. « Et ça a tué la magie. Si le LSD nous a réunis, la cocaïne nous a indéniablement séparés ».
On tour
Le lendemain de ma visite chez lui, je retrouve à nouveau Clinton au studio. Il a été engagé pour faire un medley de trois chansons pendant la mi-temps d’un match des Dallas Mavericks. Fatty nous conduira là-bas cette nuit. Il nous faut douze heures pour traverser la Floride, la Louisiane et le Texas. On s’entasse dans le van avec Thurteen et un autre jeune membre du groupe surnommé Bouvier. C’est un rappeur de Gary, dans l’Indiana. Clinton demande à Fatty de brancher son smartphone pour passer un remix club de « In Da Kar », une collaboration entre Funkadelic et Soul Clap. Clinton retournera bientôt à Ibiza. Il raconte avoir essayé l’ecstasy une fois, en 1999, alors qu’il cherchait du LSD, mais ça ne lui a pas fait beaucoup d’effet. « Si t’es encore jeune et que tu cherches à baiser, ça doit être sympa », raconte Clinton, « mais je suis trop vieux pour ça et je suis heureux avec ma femme ». En regardant par la fenêtre, Clinton aperçoit un hôtel Marriott. « C’est là que je descendais à l’époque », ricane-t-il. Avant d’avoir la maison ? « Non, je l’avais déjà », continue-t-il, « j’allais à cet hôtel quand j’étais bon à rien. Genre si j’avais envie de fixer une fenêtre pendant 48 heures à côté d’une fille morte d’ennui qui se demandait ce qu’elle foutait là ».
Ce sont ses répétitions pour le festival Lollapalooza de 1994 qui l’ont amené pour la première fois à Tallahassee. Quand il est en tournée, Clinton dit ne pas trop discuter avec les groupes plus jeunes. Il avoue : « fumer n’est pas un truc très social ». Fatty demande s’il parle de l’année où Jane’s Addiction était à l’affiche. « Non, c’était quelques années après », répond Clinton. « T’as rencontré Kurt Cobain ? » demande Fatty. « Non, il était mort », réplique Clinton. « Sa femme était dans le coin, mais elle était un peu trop hardcore pour moi. Ils faisaient des drôles de mélanges. J’aurais bien aimé traîner avec eux mais je me suis dit qu’il valait mieux que j’évite. J’aimais bien le grunge, un son très grave et spirituel. Cobain me rappelait Eddie Hazel. Et Soundgarden ? Mon Dieu, j’adorais ce truc. » Dans les années 1980, après avoir sorti un de ses plus gros tubes (« Atomic Dog », plus tard repris par Snoop Dogg dans son morceau emblématique), Clinton a succombé à toutes les tentations de l’époque : fumer du crack, s’essayer au rap et enregistrer un album avec Thomas Dolby. Ses problèmes de drogue et de label ont mis un terme à l’aventure de P-Funk après un dernier concert à Detroit en 1981.
Par la suite, Clinton a sorti une série d’albums solos (dont deux sur le label Paisley Park de Prince, qu’il a beaucoup influencé) et, en 1985, Clinton a produit le second album des Red Hot Chili Peppers, Freaky Styley. Il se souvient : « j’ai dû leur trouver un appartement à Detroit vu que je ne pouvais pas les amener au ranch où j’avais des problèmes ». « C’était une petite ville et je ne m’en sortais déjà pas tout seul. Je me rappelle m’être dit : “Pas d’overdose, les mecs, s’il vous plaît !” Quand mes potes les ramenaient des quartiers chauds, ils me disaient : “Je sais qu’ils sont avec toi, mec, mais la prochaine fois, je les dépouille moi-même.” » Dans ses mémoires, le chanteur des Red Hot, Anthony Keidis, a écrit à propos de Clinton : « impossible de savoir s’il avait pris une tonne de coke ou pas ; il encaissait comme un chef ». D’après Keidis, le dealer de coke de Clinton fait une apparition sur « Yertle the Turtle », une chanson des Red Hot, car Clinton lui devait de l’argent. Aussi affûtée que soit la mémoire de Clinton – Jane’s Addiction a bien joué à Lollapalooza en 1991 et pas en 1994 ! –, son livre est aussi remarquable pour ses oublis. Même si Clinton parle en toute sincérité des drogues qu’il a prises, il est incapable d’aborder le coût personnel de ses années d’addiction. Globalement, il n’aborde aucun thème important ou sérieux. En le lisant, on se dit qu’arrêter le crack est un jeu d’enfant et que c’est juste une question de volonté. Il passe rapidement sur ses migraines et l’échec de ses précédents mariages, et ne mentionne pas son fils, George III, qu’on a retrouvé mort de causes naturelles dans son appartement en 2010. Il avait 50 ans. Il n’est pas non plus question du racisme dont il a fait les frais. Quand je lui parle de George III, il me confie que c’est le chagrin et la colère qu’il a ressentis après son décès qui lui ont donné envie d’écrire ce livre. « C’est la seule chose que j’avais en tête quand je l’ai écrit mais j’étais sûrement trop touché pour en parler. » Quand je lui demande s’il est allé en cure de désintox, il répond du tac au tac : « Certainement pas ! On a juste besoin d’une bonne raison pour arrêter, et la mienne, c’était de ne pas me faire niquer mes droits d’auteur ». Clinton fumait du crack quotidiennement, toute la journée et une partie de la nuit, ne dormant que deux ou trois heures. Lorsqu’il a atterri à l’hôpital après sa dernière fête avec Sly, il a profité de l’occasion pour arrêter les conneries. C’était tout ce dont il avait besoin : du sommeil et du temps pour reprendre ses esprits. « J’aimerais continuer à me défoncer », avoue Clinton, « mais je ne peux pas ».
« Après avoir décroché, j’ai réalisé que j’avais plus d’énergie, plus d’argent… plus de tout. » — George Clinton
La conversation dérive vers Sly, qui a lui aussi perdu la plupart de ses droits d’auteur au cours des dernières années. Après que Clinton a arrêté de se droguer, il a aidé son ami à porter plainte et, quelques jours avant que je n’arrive en Floride, Stone a gagné cinq millions de dollars de royalties et de dommages et intérêts. C’est un heureux dénouement, même si l’affaire est en appel – il n’a donc pas encore touché l’argent. Quant aux rumeurs affirmant que Sly est SDF et qu’il vit dans un van en Californie, Clinton les confirme. Tout est vrai. Selon lui, il vit d’une maigre allocation de la sécurité sociale et d’une petite retraite. Le fait qu’il ait arrêté la drogue a-t-il inspiré Sly ? « En ce qui concerne la musique, oui », répond Clinton. Ils ont enregistré un curieux duo pour le prochain album de Funkadelic, intitulé « If I Didn’t Love You ». Il parle du temps où ils se droguaient ensemble. « Si je ne t’aimais pas », dit Sly à Clinton, « je ne pourrais pas te blairer. » « Il sait qu’il doit arrêter », raconte Clinton, « mais c’est dur de trouver assez d’énergie pour ça quand on fume. Je ne vais pas le forcer. Les gens pensent qu’il est facile d’arrêter, mais il ne suffit pas de… ça ne se fait pas en claquant des doigts. J’ai eu la chance d’être bien entouré. Après avoir décroché, j’ai réalisé que j’avais plus d’énergie, plus d’argent… plus de tout. »
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Il fait déjà nuit lorsque nous arrivons à Dallas. Vers minuit, nous nous arrêtons devant un fast-food. Clinton revient les bras chargés de sacs, qu’il nous refile aussitôt. « C’est quoi, ça ? » demande-t-il en tenant devant lui un des paquets. « Des beignets de maïs, je pense », répond Fatty. Clinton pose d’autres boîtes sur le tableau de bord avant de secouer la tête en soupirant. « Tu devrais pas m’envoyer acheter de la bouffe quand je fume de l’herbe. »
Le temps passe et tout le monde s’endort mais pas Clinton. Il est occupé à trafiquer la radio satellite. Il zappe et s’arrête sur différentes stations de soul. Il peut reconnaître n’importe quel morceau en quelques notes et, la plupart du temps, il en connaît les paroles. Il chante tout doucement, claque parfois des doigts ou fait les cuivres à la bouche. Il ne joue pour personne puisque, pour lui, les autres dorment. Vers deux heures du matin, « Didn’t I (Blow Your Mind This Time) » des Delfonics passe à la radio. Il se met à chanter puis allume la lumière et se tourne vers moi. « T’es réveillé ? On a fait notre première tournée avec eux, à l’époque de Parliament. On s’est super bien entendu. » Le morceau suivant est « Money (That’s What I Want) », de Barrett Strong, le premier hit de Berry Gordy. Clinton connaît Strong de Detroit. Il a fait une crise cardiaque en 2009 et a lui aussi perdu la majeure partie de ses droits d’auteur – des millions qui sont allés tout droit dans les poches de Gordy. « Il est dans la même merde que Sly et il est en maison de retraite », raconte Clinton. « Cette chanson, c’est le fondement de son empire ! C’est trop bizarre… dire qu’elle s’appelle “Money”. »
Une station de hip-hop passe « Drinks On Us », de Mike WiLL Made-It. Au départ, je me suis dit qu’il ne la connaissait pas mais, quelques instants plus tard, il a rit et chanté le refrain. Puis il zappe sur « 50’s on 5 ». Burl Ives. Clinton connaît les paroles par cœur. Je suis bluffé. La scène dure toute la nuit : Joe Tex, Bobby Lewis, the 5th Dimension et une chanson émouvante des Temptations, « Firefly ». Après quelques heures, je finis par m’assoupir. Quand je rouvre les yeux, Clinton est en train de fredonner « I Know (You Don’t Love Me No More) », de Barbara George, à voix basse. Par la fenêtre, une raffinerie de pétrole brille au loin, elle s’illumine comme une ville miniature. Les flammes et la fumée donnent un air apocalyptique à l’ensemble. Je me rendors. À mon réveil, nous sommes à une demi-heure de Dallas. Clinton a fini par s’endormir. À l’approche de l’hôtel, Fatty tape sur l’épaule du Boss. Clinton ouvre les yeux et s’étire. Nous nous garons sur le parking et, même si les balances sont dans cinq heures, il a l’air déjà paré pour le show.
Traduit de l’anglais par Clément Kolopp d’après l’article « George Clinton: Doctor Atomic », paru dans Rolling Stone. Couverture : George Clinton sur scène. (Création graphique par Ulyces)
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