La chambre du roi
On raconte une histoire à propos de Napoléon et de la Grande Pyramide. Quand Bonaparte visita Gizeh durant son expédition sur le Nil de 1798, il voulut passer une nuit seul à l’intérieur de la chambre du roi, ce tombeau bordé de granite qui repose au centre de la pyramide. On la tient généralement pour être l’endroit où Khéops, le plus puissant souverain de l’Ancien Empire égyptien (env. 2690-2180 av. notre ère), fut enterré pour l’éternité. Elle contient encore le sarcophage brisé du pharaon, fait d’une pierre rouge dont on dit qu’elle sonne comme une cloche lorsqu’on la frappe.
S’étant aventuré seul dans les entrailles de la pyramide, parcourant ses étroits couloirs à la lueur vacillante d’une bougie, Napoléon ne reparut que le lendemain matin. Il était pâle et agité mais refusait obstinément de répondre à ceux qui s’enquerraient de ce qu’il s’était passé cette nuit-là. Ce n’est que 23 ans plus tard, étendu sur son lit de mort, que l’empereur consentit enfin à confier son secret. Se redressant au prix d’efforts douloureux, il se mit à parler… mais s’interrompit presque immédiatement. « Oh, à quoi bon », murmura-t-il en se rallongeant. « Vous ne me croiriez pas. » Cette histoire est fausse. Le secrétaire intime de Napoléon, Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne, qui était à ses côtés en Égypte, certifie que l’empereur n’a jamais pénétré dans la crypte. (On raconte également que Bonaparte, pendant qu’on s’affairait à prendre les dimensions de l’extérieur de la pyramide, calcula que la structure contenait suffisamment de pierre pour ériger un mur de quatre mètres de haut et de 30 centimètres d’épaisseur tout autour de la France.) Le fait qu’on raconte cette histoire, cependant, témoigne de la fascination exercée par le plus mystérieux de tous les monuments. Cela nous rappelle l’intérieur de la pyramide est au moins aussi captivant que ses dehors colossaux. On peine à imaginer que le monument en hommage à Khéops fut bâti à partir de 2,3 millions de blocs de pierre, dont chacun pèse en moyenne plus de deux tonnes, et qu’ils furent taillés avec de simples outils de cuivre. Il n’est pas moins impressionnant de réaliser que ses côtés sont précisément alignés avec les points cardinaux et qu’aucun ne dépasse les autres de plus de cinq centimètres. Sans compter qu’avec ses 146,58 mètres d’origine, la Grande Pyramide est restée la construction humaine la plus haute du monde pendant près de 4 000 ans – jusqu’à ce que la flèche centrale de la Cathédrale de la Vierge Marie de Lincoln soit achevée en 1310. Mais ces superlatifs ne nous sont d’aucune aide pour élucider les mystères qu’elle recèle.
Encore aujourd’hui, peu de gens se risqueraient à affirmer qu’on connaît la raison pour laquelle Khéops ordonna la construction du système de couloirs et de chambres le plus complexe de toutes les pyramides. La sienne est la seule des 35 tombeaux similaires construits entre 2630 et 1750 av. J.-C. à contenir des tunnels et des cryptes loin au-dessus du niveau du sol. (Ses prédécesseurs, la pyramide rhomboïdale et la pyramide nord de Dahchour, ont leurs chambres au niveau du sol ; et toutes les autres sont des structures solides dont les chambres funéraires.) Pendant longtemps, l’hypothèse la plus communément admise était que les caractéristiques uniques de la Grande Pyramide étaient dues à une succession de changements dans ses plans. Elle suggère qu’ils devaient s’accorder à la stature de plus en plus divine que le pharaon acquit au cours de son règne. Mais l’égyptologue américain Mark Lehner a rassemblé nombre d’éléments qui suggèrent que les plans étaient arrêtés bien avant que le début de la construction. Si tel est le cas, sa disposition intérieure n’en est que plus mystérieuse. En 1818, la Quarterly Review écrivit après de minutieux calculs que les couloirs et les chambres connues de la pyramide n’occupaient qu’un 7 400e de son volume. « En comptant le fait que chaque espace attenant a été laissé plein pour servir de séparation, elle pourrait cacher 3 700 chambres de la taille de celle du sarcophage. » Si les réflexions qui donnèrent lieu aux plans de la pyramide restent inconnues, il subsiste une seconde énigme qui devrait être plus facile à résoudre : qui furent les premiers hommes à pénétrer dans la Grande Pyramide après qu’elle fut scellée, aux environs de 2566 avant J.-C. ? Et que trouvèrent-ils à l’intérieur ?
Le passage secret
C’est une question à laquelle les études traditionnelles accordent exceptionnellement peu d’attention, peut-être parce qu’il est généralement admis que toutes les tombes égyptiennes – à l’exception notable de celle de Toutânkhamon – furent pillées dans les années qui suivirent leur achèvement. Il n’y a aucune raison de supposer que la Grande Pyramide de Gizeh aurait échappé à ce sort : les pilleurs de tombes n’avaient aucun respect pour les morts et nous avons la preuve qu’ils étaient actifs dans la région de Gizeh. Quand la plus petite des trois pyramides, qui fut bâtie par Mykérinos, le petit-fils de Khéops, fut ouverte en 1837, on y trouva une momie qui avait été enterrée là environ un siècle avant notre ère. En d’autres termes, le tombeau avait été pillé et réutilisé. La preuve que la Grande Pyramide subit elle aussi des pillages est moins évidente : les récits sur lesquels s’appuient les égyptologues disent deux choses relativement contradictoires.
Ils suggèrent tout d’abord que les étages supérieurs de la structure restèrent scellés jusqu’à ce que les Arabes n’en découvrent l’entrée au IXe siècle de notre ère. Mais ils disent également que lorsqu’ils entrèrent pour la première fois dans la chambre du roi, le sarcophage royal était déjà béant et qu’il n’y avait aucune trace de la momie de Khéops. Cette question épineuse dépasse de loin le champ académique. De nombreuses histoires dans la culture populaire prennent comme point de départ l’idée que Khéops ne fut jamais enterré là, et suggèrent que la pyramide n’était pas un tombeau mais le réceptacle d’un savoir ancien, un accumulateur d’énergie, voire même une carte du futur de l’humanité. Sachant cela, il importe de savoir ce que les divers antiquaires, explorateurs et scientifiques qui visitèrent Gizeh avant l’avènement de l’égyptologie moderne au XIXe siècle écrivirent sur le sujet.
La pyramide abrite deux réseaux de tunnels distincts, le plus bas des deux étant similaire à ceux qui furent retrouvés dans les autres pyramides, tandis que le plus haut (qui fut soigneusement dissimulé et demeura peut-être caché plus longtemps) est n’existe que dans la Grande Pyramide. L’entrée de ce dernier est dissimulée à 17 mètres au-dessus du sol sur la face nord du monument. Ce long couloir descend en pente et s’enfonce dans les profondeurs de la roche qui forme le socle de la pyramide, sur une chambre inachevée. Cette caverne rudimentaire et inaccessible aujourd’hui est dotée d’un puits énigmatique, creusé dans son sol. Elle marque l’entrée d’un petit tunnel exigu dont l’usage reste inconnu, qui s’achève en impasse. Loin au-dessus, au cœur du volume de la pyramide, le second système de tunnel mène à une série de chambres funéraires. Pour se prémunir contre les pilleurs de tombes, le couloir ascendant était obstrué par trois blocs bouchons de granite rouge, et l’entrée du couloir descendant était dissimulé par une dalle de calcaire en apparence identique aux pierres environnantes. En-dessous s’étendent la grande galerie au plafond de 8,60 m de hauteur, la chambre de la reine et la chambre du roi. D’excitantes découvertes furent faites dans les conduits de ventilation retrouvés dans les deux chambres, qui conduisaient à l’extérieur de la pyramide. Ceux de la chambre de la reine restèrent occultés par des pièces de maçonnerie jusqu’à ce qu’on les redécouvrît au XIXe siècle.
Dans les années 1990, ils furent explorés par des mini-robots télécommandées qui révélèrent qu’ils se terminaient par de mystérieuses « portes » miniatures. Des révélations qui ne firent que raviver l’espoir que la pyramide dissimulait encore bien des secrets… Il est généralement admis que le couloir descendant fut découvert dans l’Antiquité. Hérodote, en 445 av. J.-C., et le géographe Strabon d’Amasée, autour de l’an 20, y firent tous deux référence. En revanche, rien ne permet de savoir si ce secret avait été percé par les Grecs ou les Romains. Ce n’est qu’au IXe siècle, sous le règne d’un souverain musulman particulièrement curieux, le calife abbasside Abū Jaʿfar Abdullāh al-Ma’mūn ibn Hārūn al-Rashīd, que les archives redeviennent dignes d’intérêt. C’est là qu’il convient de mieux étudier les preuves à notre disposition. La plupart des textes académiques affirment qu’Al-Ma’mūn fut le premier à découvrir les étages supérieurs de la pyramide, en l’an 820. À cette époque, disent-ils, l’emplacement de l’entrée originelle était depuis longtemps oublié, et le calife choisit ce qui semblait être un endroit idéal pour que ses hommes creusent une nouvelle entrée. Leur tâche fut couronnée de succès au-delà de leurs espérances.
Le magazine Popular Science décrivait la chose en ces termes en 1954 : « Commençant par la face nord, à quelques mètres de l’entrée secrète qu’ils n’avaient pas découverte, les hommes d’Al-Ma’mūn creusèrent un tunnel à l’aveuglette dans la roche de la pyramide… Le tunnel avait progressé d’une trentaine de mètres vers le sud de l’édifice quand le fracas étouffé d’un bloc de pierre, quelque part autour d’eux, attira l’attention des mineurs. Creusant vers l’est d’où provenait le son, ils débouchèrent dans le couloir ascendant. Leurs martèlements avait fait chuter la plaque de calcaire qui dissimulait l’entrée du passage. » Pour bien des égyptologues, c’est de cette façon que les hommes d’Al-Ma’mūn réalisèrent qu’ils avaient découvert un passage secret. En creusant leur tunnel dans le granite impénétrable, ils avaient émergé dans le couloir ascendant, au-dessus de la grande galerie. Arrivés là, ils avaient déjoué la plupart des défenses de Khéops et les étages supérieurs de la pyramide s’ouvrirent à eux.
LISEZ ICI LA SUITE DE L’HISTOIRE
QUI A DÉROBÉ LE TRÉSOR DU PHARAON ET SA MOMIE ?
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Inside the Great Pyramid », paru dans le Smithsonian Magazine. Couverture : Une vieille photo de la Grande Pyramide.