Plus sombre encore
Durant l’été 1971, Hollywood s’est invité dans le nord de la Géorgie pour porter à l’écran le roman de James Dickey, Délivrance. Pendant trois mois, les acteurs et l’équipe technique auront lutté contre des insectes agressifs, une chaleur étouffante, une rivière déchaînée, les coups de colère d’un auteur sous l’emprise de l’alcool et la méfiance des habitants du cru, pour tourner un des films les plus puissants et dérangeants de la décennie. Dans le récit qui va suivre – qui inclue une correspondance inédite avec Dickey, Burt Reynolds et son réalisateur John Boorman, ainsi qu’une dizaine d’autres participants (dont l’inquiétant joueur de banjo) –, ils se remémorent la conception d’un film qui a changé pour toujours la façon dont le monde perçoit la Géorgie. Il est presque impossible de voguer sur les rivières de l’État sans que quelqu’un ne fasse une référence à Délivrance, en s’exclamant généralement d’une voix exagérément traînante : « Fais le cochon ! » Que ces canoéistes – presque tous des citadins n’ayant jamais vu le film ou lu le livre de 1970 – ne connaissent pas l’horrible signification de cette réplique atteste que les répliques de films ont une vie autonome. Passez donc quelques minutes un dimanche d’été à regarder les rafts descendre Bull Sluice, le spot majeur de la rivière Chattooga, et écoutez les blagues couvrir le vacarme des cascades. Est-ce la rivière qui a fait le film ou bien l’inverse ?
Le roman écrit par Dickey était sombre et dérangeant. Le film s’est révélé encore plus sombre et encore plus dérangeant. Il raconte une virée en canoë qui tourne mal sur une rivière difficile d’accès du nord de la Géorgie, mais également des « mesures que des hommes décents peuvent, et doivent prendre contre les monstres humains amoraux qui nous entourent, qu’ils soient tapis dans les bois de Géorgie du Nord ou dans les rues de New York », comme Dickey l’a écrit à William F. Buckley en septembre 1972. Quand j’ai lu ce livre pour la première fois, à 17 ans, ce fut comme une entrée dans l’âge adulte. Délivrance est le produit de différents égos : celui d’un poète alcoolique devenu romancier (alors que le film était en cours de réalisation, Dickey écrivait dans son journal intime : « Il me semble que je suis devenu porteur d’une sorte de message immortel pour l’humanité »), celui d’un intrépide réalisateur anglais – et pas des moindres –, et celui d’un acteur de séries B ayant grandi à Waycross, en Géorgie, répondant au nom de Burton Leon Reynolds Jr. Et de ceux, également, de quatre personnages fictifs à bord de deux canoës, menés par un Lewis possédé, descendant la rivière imaginaire de Cahulawassee simplement « parce qu’elle est là ». Ou encore là pour un court moment. Car la rivière est amenée à disparaître à cause de l’édification d’un barrage destiné à apporter une source d’énergie aux habitants d’Atlanta. Roman Polanski ou Sam Peckinpah ont été considérés un temps par la Warner Bros., mais c’est un réalisateur à la notoriété moindre, John Boorman, qui a été choisi. Il était déjà sur la pente ascendante après avoir réalisé Le Point de non-retour et Duel dans le Pacifique, tous deux avec Lee Marvin à l’affiche, durant les quatre années qui ont précédé. Warren Beatty, Robert Redford, Charlton Heston, Paul Newman, Jack Nicholson, Marlon Brando, Gene Hackman et George C. Scott ont tous été envisagés pour les rôles qui sont finalement allés aux nouveaux-venus Jon Voight et Burt Reynolds. Près de la moitié du casting était composé de gens du coin habitant la montagne. C’est une sorte de miracle, quand on y pense, que cette équipe ait réalisé un film hollywoodien sur une rivière déchaînée qui avait été très peu pratiquée en canoë, dans un État où d’ordinaire on ne tournait pas de films, pour devenir une des représentations les plus marquantes du Sud rural – et de la Géorgie du Nord en particulier.
Le film a également lancé quatre décennies de productions cinématographiques en Géorgie. Reynolds est apparu dans huit longs-métrages tournés dans l’État. Pour l’année fiscale 2011 par exemple, l’impact de l’industrie du film en Géorgie a été de 2,4 milliards de dollars. Comment tout cela a-t-il commencé ? Pour mettre sur pied cette histoire orale du big bang cinématographique en Géorgie, j’ai interviewé plus de vingt personnes ayant joué un rôle dans la création de Délivrance, et inséré des extraits de mémoires et de lettres associés à la production du film.
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James Dickey est né à l’hôpital de Crawford Long le 2 février 1923. Bien qu’il ait voulu devenir (et prétendra plus tard avoir été) pilote de chasse, Dickey était opérateur radio et officier des systèmes d’armes pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est devenu cadre publicitaire puis poète acclamé avant la publication de son premier roman, Délivrance, en 1970. Dans Summer of Deliverance: A Memoir of Father and Son (« L’été de Délivrance : Mémoires d’un père et d’un fils »), le fils aîné de Dickey, Christopher, décrit son père comme un « publicitaire le jour, poète la nuit, archer, canoéiste et joueur de tennis les weekends. Il était le père assis dans son fauteuil du quartier chic de Westminster Circle, mais aussi le fils rebelle des dinners du dimanche de West Wesley. Il soulevait de la fonte dans le garage et roulait le long des rues pavées de boutiques de Buckhead dans la voiture de sport MGA que sa mère lui avait offerte… Il voulait tout essayer. »
Hollywood X Dirty South
Lewis King, 83 ans, était un ami de James Dickey, et conseiller technique sur le film. Il vit à Sautee-Nacoochee. Dickey m’a dédié son livre parce que je l’ai emmené faire du canoë. Ça lui a plu, mais il n’avait rien d’un rameur. Doug Woodward, 74 ans, est le co-fondateur des Southeastern Expeditions, un service de guide local, et conseiller technique sur le film. Il vit à Franklin, en Caroline du Nord. Extrait de son mémoire, Wherever Water Flows (« Partout où l’eau s’écoule ») : Dickey était un homme à la carrure imposante et sa présence se faisait sentir dans une pièce. Mais ce n’était pas qu’une question de physique. Il émanait de lui une véritable aura mystique, celle d’un indicible danger, d’une menace sourde, qu’il se plaisait à perpétuer. Il y avait dans son livre des références au trajet en canoë qu’il avait fait avec King des années auparavant, mais Dickey n’en livrait pas les détails. Avec un sourire entendu, il disait simplement : « Il y a bien plus de vérité dans Délivrance que vous ne pouvez l’imaginer. »
King : Je devais les attendre en aval de la rivière. J’y rencontre un jeune type et son père. Le père s’exclame : « Reste avec lui, gamin. » Je pense qu’il devait sûrement avoir une distillerie dans les parages. On a attendu. Cet homme trouvait que je n’avais rien à faire là, à fureter partout avec un tas de cartes. Je pense que Jim a utilisé cet épisode. Burt Reynolds, 79 ans, interprète Lewis Medlock dans le film. Il vit désormais à Jupiter, en Floride. Dickey et moi étions en désaccord sur beaucoup de points, mais j’aimais vraiment son livre. Il m’a confié : « Tu sais, c’est vraiment arrivé. On n’a juste pas eu le temps de tuer ce type. » Je ne lui ai pas demandé la suite. Si je pense qu’il disait la vérité ? Je ne sais pas. Dickey était un des plus grands conteurs qui soient. Par-là, je n’entends pas forcément mythomane. Chris Dickey, 60 ans, était figurant sur le tournage. Il vit à Paris, où il est chef du bureau et rédacteur pour la section Moyen-Orient de Newsweek. Extrait de Summer of Deliverance : Délivrance n’était qu’un de ses projets, un sujet de conversation durant nos longs trajets entre deux continents. Quand une nuit, après m’être marié, j’ai commencé à le lire dans un motel le long de l’autoroute du New Jersey, j’ai trouvé le livre vraiment bon. Je voulais le reposer, mais je n’y arrivais pas. Le scénario de Dickey sera largement réécrit par le réalisateur John Boorman. Les révisions lui ont causé beaucoup d’aigreur. James Dickey, lettre à Eric Wallace, 27 avril 1971 : J’ai d’abord rédigé une première ébauche, fortement influencée par James Agee, et je pense qu’elle était très bonne, mais elle durait environ sept heures. Woodward, extrait de Wherever Water Flows : Dans le salon de King, Dickey tenait une copie dans sa main. Il s’est tourné vers moi, faisant des gestes avec le script, et m’a interpellé : « C’est un bon livre, tu ne crois pas ? Tu l’aimes vraiment ? » Au fur et à mesure de la soirée et de sa consommation d’alcool, la question a été répétée, jusqu’au point où cela en devenait embarrassant. James Dickey, lettre à Edwin Peeples, 1er janvier 1971 :
« J’étais jeune et fou, et me croyais totalement invincible. » — Burt Reynolds
J’ai un bon réalisateur, bien qu’il soit anglais, John Boorman. Je l’ai emmené dans le nord de la Géorgie il y a six semaines pour faire des repérages et il a manqué de se faire mordre par un gros mocassin à tête cuivrée. Voilà qui aurait apporté une touche d’authenticité. Imagine donc un anglais filmant un roman sur le nord de la Géorgie, en Géorgie, ses veines pleines de venin d’un mocassin géorgien. On a un bon scénario, que j’ai écrit d’abord, puis que John a retravaillé. J’ai réécrit par-dessus. Quoi qu’il en soit, on peut légitimement en revendiquer chacun part égale. Et on a quelque chose qui nous satisfait tous les deux, ce qui est le but de toute manière. John Boorman, 82 ans, vit près de Dublin, en Irlande. Il a un grand sens du récit. Quand j’ai commencé à parler du film avec lui, il m’a confié : « Je vais vous raconter quelque chose que je n’ai jamais dit à qui que ce soit : tout ce qui se passe dans ce livre, je l’ai vécu. » Il a bien évidemment raconté la même chose à tout le monde ! Et bien entendu, rien de ce qui se passe dans le livre ne lui est jamais arrivé. Sarah Rickman, 89 ans, était mariée à Frank Rickman, aujourd’hui décédé. Il était en charge de la construction des plateaux et des repérages en Géorgie. Elle vit à Clayton. Les lunettes de John Boorman étaient maintenues à son cou par un cordon tressé rose. Il était anglais et sa femme était allemande. Boorman : J’avais du succès à cette époque. J’ai lu le script et j’ai tout de suite su comment l’adapter. Burt et Jon n’étaient pas très connus, eux. Burt avait tourné dans trois séries télévisées, toutes des échecs. Vivant en Irlande, je n’en savais rien. Voight avait joué dans Macadam Cowboy, mais dans pas grand chose d’autre. Reynolds avait joué dans des films qui, ce sont ses propres mots, « vous auraient fait fuir de la salle en hurlant si vous aviez dû les revoir ». Il parlait entre autres de Shark! et de Skullduggery. Voight et Reynolds ont été accompagnés de deux acteurs de théâtre classique qui n’avaient jamais tourné pour le cinéma : Ned Beatty et Ronny Cox. Le budget du film était de 1,8 million de dollars.
Chris Dickey : Burt voulait être respecté. Il ne venait pas du théâtre, n’avait pas non plus tourné de film primé aux Oscars. C’était un ancien cascadeur et il voulait devenir une vedette de cinéma. Reynolds : J’étais jeune et fou, et me croyais totalement invincible. Délivrance m’a sauvé la mise. C’est grâce à ce film qu’on m’a considéré comme un véritable acteur. Ed Spivia, 70 ans, était le premier responsable des aides à la cinématographie et est désormais président de la Commission d’aide à la création artistique en Géorgie. Il vit à Lake Lanier. Dickey tapait constamment Burt sur les épaules, en l’appelant Lewis. Je crois que Burt lui a mis une droite. Reynolds : Il mesurait deux mètres. Il n’avait pas envie d’en venir aux mains. Il était costaud, mais j’étais dingue. Après avoir lutté contre cette rivière, Dickey, ça aurait été du gâteau. La rivière Chattooga était dangereuse, presque inconnue il y a quarante ans. Et les hommes choisis pour la descendre étaient tous bleus, rame à la main. Boorman : C’était un film tourné en décors réels. Et c’est moi qui ai choisi la rivière. C’était l’endroit le plus adapté, c’est donc là que nous avons tourné. Mais j’ai tourné dans des endroits bien plus reculés, comme en Amazonie. Reynolds : Je n’avais jamais pagayé sur une rivière avant de faire le film. Aucun d’entre nous d’ailleurs. Et à cette époque, personne n’avait descendu la Chattooga en canoë. Seulement avec des rafts, qui partaient tous en vrille.
Buzz Williams, 64 ans, était un rameur de la première heure sur la Chattooga. Désormais directeur exécutif du Conservatoire de la rivière Chattooga, il vit à Long Creek, en Caroline du Sud. En 1968, j’étais en terminale à Pendleton, en Caroline du Sud. Quelques types ont été transférés dans une usine locale et avaient des kayaks. Personne ne savait ce qu’était un kayak. Ils ont trouvé cette superbe rivière et m’ont demandé de les accompagner. La rivière, c’était la Chattooga. Reynolds : Le premier jour où nous quatre sommes montés en canoë, j’avais Ned Beatty à la proue du mien, ce qui n’était pas une bonne idée. Jon avait Ronny à la proue du sien. Nous étions dans ce petit étang et les canoës se sont retournés. Je me souviens avoir entendu deux vieux rameurs, assis sur la berge, s’écrier : « L’été va être long ! » Claude Terry, 78 ans, était conseiller technique et doublure de Jon Voight. Il a co-fondé le service de guide American Rivers and Southeastern Expeditions. Il vit à Atlanta. On m’a fait venir une journée pour leur apprendre le kayak, mais Burt n’a pas voulu venir. Ils ont fait venir Fred Bear pour leur apprendre à tirer à l’arc, mais Burt n’a pas voulu y aller non plus. Williams : On pouvait facilement se perdre ou se tuer. C’était un des derniers endroits encore sauvages au sud des Appalaches.
James Dickey, lettre à Larry Dubois, 8 avril 1971 : Ce film va vraiment être quelque chose. Si toutefois ils ne se fracassent pas la tête contre les rochers ! Ils sont dingues, je peux te le dire. Woodward, extrait de Wherever Water Flows : On nous appelait par exemple pour donner des détails techniques, comme « comment trouver une paroi rocheuse, au pied de laquelle il y aurait des courants rapides, et sur laquelle Jon Voight pourrait trouver prise, sans qu’il se fasse emporter par la rivière ! » D’où l’appellation « rocher de Délivrance ». Kyle Weisbrod, 32 ans, a guidé des expéditions de canoës en 2000 et 2001. Il vit à Seattle. La plupart des plans de la rivière Chattooga ont été tournés au « rocher de Délivrance » et à Screaming Left Hand Turn. Ils ont utilisé Screaming Left Hand Turn trois ou quatre fois. Ils n’ont pas tourné à Bull Sluice.
Chattooga
Le tournage était un lieu de mixité culturelle, beaucoup de petits rôles ayant été confiés à des habitants du nord de la Géorgie. Betsy Fowler, 77 ans, était mariée à John Fowler, aujourd’hui décédé. Dans le film, il interprétait le médecin qui s’occupe des rescapés. Elle vit dans le comté de Rabun depuis quarante-huit ans. Boorman a donné pour mission à Frank Rickman de lui trouver tous les gens du comté de Rabun qui avaient des problèmes d’ordre physique ou mental. Boorman : Frank était un vrai bulldozer. Spivia : Frank connaissait ces montagnes et ces cours d’eau comme personne. Son père était le shérif du comté de Rabun et faisait appel à lui comme traqueur pour repérer les contrebandiers. Frank a trouvé le danseur de la station service. Et c’est lui qui a introduit l’idée des cris de cochon. Le gouverneur Carter a fini par le nommer à la commission pour le cinéma.
Rickman : Ils voulaient qu’un serpent nage dans la rivière la tête hors de l’eau. Frank savait quelle race de serpent utiliser. Frank n’allait pas au cinéma, mais il aimait en faire. Spivia : C’était le Michel-Ange de l’argile rouge. Billy Redden, 15 ans à l’époque, interprétait Lonnie, le garçon inquiétant dans la scène du duel de banjos. Billy Redden, 60 ans, vit à Dillard, en Géorgie, et travaille chez Walmart. Des directeurs de casting sont venus à notre école et m’ont sélectionné. On m’a juste dit : « Assieds-toi là et sois naturel. » Il y avait un autre garçon du coin derrière moi, Mike Atlas, jouant du banjo. Je n’avais que deux scènes : celle où je suis assis sur le porche, et celle du pont. Je ne sais rien du reste du film. J’étais déjà parti. Boorman : Redden n’a pas joué de banjo, vous savez… Il y avait un autre garçon qui passait sa main sous sa manche. Mais on ne l’a pas crédité au générique. Le plateau a attiré l’attention de beaucoup de monde. En grande partie du fait du harem entourant Reynolds. Mais il y avait aussi des spécialistes en tourisme occupés à promouvoir la région.
« Le film d’action allait commencer et se finir sur la rivière. Simple. Épuré. » — Chris Dickey
Spivia : J’étais rédacteur d’une petite revue du coin qui s’appelait Georgia Progress. Je suis monté jusqu’à Clayton pour voir ce qui se passait sur Délivrance. J’ai fourré mon nez un peu partout et j’ai découvert qu’ils louaient des maisons le long de la rivière. Ils réservaient des hôtels, achetaient de la nourriture locale… ils aidaient la communauté. Ce fut une expérience révélatrice. La Géorgie connaissait un passage à vide et je pensais que favoriser la venue des tournages de films serait une bonne façon d’injecter de l’argent ici. Woodward, extrait de Wherever Water Flows : La vie nocturne dans le comté de Rabun se limitait au fast-food de Clayton et au cinéma en plein air Le Tigre. Ce cinéma passait des séries B qui étaient si nulles qu’elles en devenaient divertissantes. Reynolds : J’allais souvent à Atlanta. Je sortais avec une charmante jeune femme et revenais en voiture à quatre heures du matin pour travailler durant le weekend. Jon, lui, devait sans doute jouer à l’horticulteur. Je crois qu’il faisait des prélèvements de plantes. Il essaye toujours d’étendre ses capacités intellectuelles. Rickman : J’entassais du bois dans l’abri à voitures et Burt est venu se garer. « Attends, Burt, ne viens pas me faire la bise, je suis en nage », l’ai-je prévenu. Il a rétorqué : « Je m’en fiche. » Terry : Nous sommes allés chez lui. J’ai fureté et trouvé une pile de photos de Burt en combinaison de plongée. Il m’a expliqué : « Elles sont pour les autographes. » Le réalisateur et les acteurs principaux logeaient au Kingwood Country Club & Resort durant le tournage. Le reste de l’équipe était logé au motel Heart of Rabun. Dickey et Boorman ont commencé à s’engueuler.
Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : On avait donné le plan de tournage à mon père, basé sur le script qu’il pensait avoir approuvé. Mais celui-là débutait avec une note laconique : « Omettre scènes 1 à 19. » Le film d’action allait commencer et se finir sur la rivière. Simple. Épuré. Boorman : Un film n’est pas un roman. Terry : Nous étions à Kingwood, à boire un verre. Je discutais avec Boorman quand Jim Dickey arrive, bourré. Il s’écroule et hurle : « Bon dieu, ils sont en train de ruiner mon putain de film, hein ? Ils ne font pas le livre ! » Je lui ai répondu : « Je n’en sais rien, Jim. » Puis j’ai regardé Boorman, et Jim a répété : « Ils ruinent mon livre, hein ? » Jim m’a alors attrapé par les épaules et m’a dit : « Tu me regardes quand je te parle. » Boorman : Il était souvent bourré et il était devenu dominateur avec les acteurs. J’ai finalement dû lui demander de partir. On a continué sur notre lancée. Reynolds, extrait de son autobiographie : Je ne pouvais plus supporter son petit numéro, son couteau de chasse Jim Bowie à la ceinture, son chapeau de cow-boy, sa veste à franges…
Rickman : Boorman et sa femme, Christel, ont loué une maison vers Kingwood, et je peux vous dire qu’ils savaient mettre de l’ambiance. Elle allait à Atlanta et ramenait des paniers entiers de fromages. Elle achetait aussi autant de citrons que possible sur place et faisait des saladiers de limonade maison qu’elle apportait sur le plateau. Elle roulait dans la région de Clayton dans sa décapotable jaune. Des conflits avec des gens du coin ont commencé à éclater. Il leur devenait évident que le film n’allait pas représenter le Nord de la Géorgie comme une jolie carte postale. Fowler : Chaque personnage, à l’exception de mon mari [qui interprétait le médecin] et des quatre hommes descendant la rivière, était représenté comme fruste. Et cela nous mettait mal à l’aise. Williams : Il existait déjà des conflits entre les habitants qui utilisaient la rivière et ceux qui venaient d’ailleurs. Délivrance a fait l’effet d’une bombe dans tout ça. Boorman : Alors que je faisais du repérage là-bas, avant que le tournage ne commence, je suis tombé sur ce type étrange qui me tenait en joug avec son fusil. Mais dans l’ensemble, ils ont été très aimables. Chris Dickey : Le magazine Life a demandé à mon père de rédiger quelque chose à propos du tournage. Il leur a répondu : « C’est mon fils qui va s’en charger. » J’avais 19 ans et j’y voyais une belle opportunité. J’ai alors pris des tonnes de notes et rédigé quelques milliers de mots. Ils n’ont rien publié, mais j’ai gardé ces notes. Boorman : Chris devait avoir 14 ans, quelque chose comme ça. J’ai le souvenir d’un tournage très heureux. Tout le monde partageait les responsabilités. Et les gens du cru ont été très serviables. Woodward, extrait de Wherever Water Flows : La Warner avait trouvé sa « parfaite » bicoque paumée, avec la station service, pour tourner la scène du : « Cette rivière ne va pas à Aintree. » Quand ils sont revenus la semaine suivante, ils ont été accueillis par le propriétaire qui les a vite envoyés paître, en leur lançant : « Je viens de lire ce bouquin et vous ne tournerez pas cette histoire dégueulasse chez moi ! » King : Il y a deux choses qui ont assuré à Délivrance sa longévité : le concept de l’homme moderne muni d’une arme primitive contre l’homme primitif muni d’une arme moderne ; et il s’agissait également d’une agression inqualifiable de l’élément rural contre l’élément urbain. Chris Dickey : Le livre et le film jouent avec cette tension entre le vieux Sud et le Sud moderne. La modernité, c’était Atlanta. Le vieux Sud, là-bas dans les montagnes, était un monde à part. Mais vous n’aviez pas à aller bien loin pour tomber dessus.
Williams : Toute l’histoire du sud des Appalaches, c’est celle d’une population démunie vivant sur une terre maltraitée, débordée et éreintée. Voilà pourquoi ils sont si méfiants. Et puis, en plus de cette souffrance, voir quelqu’un arriver pour se moquer de vous ? Ils leur en ont beaucoup voulu. Boorman : La plupart des gens qui vivaient là étaient ainsi. Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : Hollywood a rémunéré ces gens et les a traités aussi bien qu’il sait le faire. Mais quand les lumières s’allumaient et que les caméras étaient prêtes à tourner, il était difficile de passer outre le fait que des âmes étaient blessées. Tandis que le tournage continue, les prises de risque et les conflits hors-cadre s’intensifient. Voight a grimpé à des dizaines de mètres au dessus de la Gorge Tallulah, et Reynolds a volontairement dévalé une cascade.
Les furieux
Boorman : Jon était dans un état de grande dépression quand je l’ai rencontré. Il voulait arrêter la comédie. Il disais que je lui avais sauvé la vie pour ensuite passer le reste du film a essayer de le tuer ! James Dickey, lettre à Jacques de Spoelberch, éditeur du roman Délivrance, 26 juin 1971 : Hier, nous avons filmé la scène où Ed escalade le pic rocheux, et s’il y avait bien une scène épineuse à tourner, c’était celle-là. Jon Voight a lui-même escaladé autant que possible et voulait en faire encore plus. Mais Boorman avait aussi peur pour sa vie que moi. Je crève d’angoisse à l’idée que quelqu’un se blesse sur ce film car il est évident qu’il s’agit du plus dangereux jamais réalisé. Il faut vite qu’on en finisse à la Gorge.
King : La forêt était une sorte de mystère pour Jim. Il n’était pas à son aise. Reynolds : J’étais du Sud, pas comme le reste de l’équipe. J’avais un vrai rapport avec ces gens. Et pas parce que j’essayais de parler comme un Erskine Caldwell. Il nous aurait été impossible de faire ce film sans leur concours. Ils ont bien voulu nous laisser tourner, ils n’étaient pas du genre à saboter les bateaux. James Dickey, lettre à Jacques de Spoelberch, 26 juin 1971 : Burt Reynolds, qui interprète Lewis, a dévalé une cascade de près de trente mètres. Un vrai torrent d’eau. Burt a accompli lui-même cette cascade et les plans qui la montrent donnent effectivement le frisson. Reynolds : Ils ont lancé un pantin dans la cascade, mais cela ne ressemblait à rien – ou bien si : à une marionnette. Alors j’y suis allé moi-même et j’ai heurté un rocher à un quart de la descente. Je me suis fêlé l’os iliaque et le coccyx. Ils m’avaient dit que si j’étais emporté par le courant, je devais plonger vers le fond et la rivière me recracherait. Mais ils ont omis de me préciser que j’allais être projeté comme un missile ! Ils n’ont pas pu me retrouver pendant cinq minutes. Un kilomètre en aval, ils ont trouvé cet homme nu trébuchant, rampant vers eux… Je portais de grandes bottes, mais elles avaient foutu le camp. Ainsi que le pantalon, les sous-vêtements, la veste de plongée. J’ai posé à Boorman cette question : « Ça rend comment, John ? » Il m’a répondu : « Comme une marionnette dévalant une cascade. » Rickman : Frank avait construit un passage avec un garde-corps et de gros cordages de chaque côté de la gorge, pour qu’on puisse s’y raccrocher. Il y avait des mesures de précaution. Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : Pour filmer cette scène, on a fait venir un petit daim d’un parc animalier, mis sous tranquillisants afin de pouvoir le contrôler. Il n’a jamais été question de lui faire le moindre mal. Mais il est mort. Il a fait une overdose. Boorman et ses assistants cachaient leur panique. Je me souviens que l’un deux s’est écrié : « Il ne manquait plus que ça ! »
« C’était une époque malheureuse de ma vie. Mon père ne le comprenait pas. » — Christopher Dickey
Reynolds : On pourrait croire qu’alors que vous êtes en train de vous noyer, quelqu’un va crier : « Coupez ! » et que tout ira bien. Je ne sais pas si l’on pourrait trouver quatre acteurs aussi fous pour faire tout cela aujourd’hui. Et Boorman était là avec nous la plupart du temps. Terry : On a passé des heures suspendus à d’énormes branches au-dessus des rapides, à « attendre les nuages ». Le directeur de la photo voulait que le ciel soit couvert, et il a par la suite appliqué un traitement à la pellicule lui donnant une patine terreuse, donc encore plus sombre. C’était pourtant déjà bien sombre. Tourner la scène où le personnage interprété par Ned Beatty se fait violer aura demandé plus d’une journée. L’équipe était alors réduite. Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : C’était une forêt tropicale, en plein milieu de la Géorgie. Le sol était si ombragé que les petites plantes ne pouvaient pas pousser à travers l’épais terreau de feuilles mortes. Il n’y avait pas de massifs de lauriers de montagne, mais un ensemble d’arbres noueux tels des doigts tordus essayant d’atteindre la lumière. L’effet était beau, mais menaçant. C’est à cet endroit que la scène de viol allait être tournée. Dans le script, il y était fait référence comme le « lieu de repos ». Woodward, extrait de Wherever Water Flows : Chris devait « doubler » Beatty sur toutes les positions importantes, grimper le monticule de feuilles, se pencher sur le rondin… Chris Dickey : Personne ne savait jusqu’où cela irait, ni si la scène serait convaincante. Je n’étais pas en sous-vêtements. J’étais complètement habillé. Mais rester penché sur un rondin le cul en l’air pour une scène qui montrera un viol, la sensation restait désagréable.
Rickman : Frank nous a assuré que c’était la chose à faire. Et ils l’ont faite. Bon sang. Il en était fier. Il pensait que hurler « Fais le cochon ! » était désopilant. Chris Dickey : Herbert « Cowboy » Coward [qui joue « l’homme édenté » dans la scène de viol] n’était pas du tout un acteur. Il essayait de se mettre dans le rôle et disait des trucs totalement ridicules. Il a fini par dire : « Il a une jolie bouche, hein ? » Mais quand ils bloquaient les positions, c’était plutôt : « Je vais te fourrer ma grosse b*** dans la bouche. » Voight s’est marré. Il a regardé autour de lui en s’écriant : « Dieu ? Burt ? Quelqu’un ? » Reynolds : Il doit y avoir un symbole phallique dans tout cela. L’acteur jouant le violeur était élagueur dans la vie. Rickman : Cette scène n’avait pas grande d’importance pour moi. Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : Cela devenait le sujet du film, ce pour quoi tout le monde s’en souviendrait. Non pas les théories de Lewis sur la survie, ni l’escalade de la falaise, ni Ed maitrisant ses propres peurs. Terry : Chris a tellement souffert qu’au moment de partir pour la France, il a juré qu’il ne reviendrait plus jamais, sauf pour voir sa belle-sœur. Chris Dickey : C’était une époque malheureuse de ma vie. Mon père ne le comprenait pas. James Dickey, dans un entretien avec Playboy, en 1973 : John s’est tourné vers moi et m’a confié : « Jim, on voudrait que tu joues le shérif. » Je lui ai assuré que je n’avais jamais joué la comédie de ma vie. « Tu seras très bien », m’a-t-il répondu. Je suis donc resté moi-même. J’ai simplement revêtu l’uniforme du shérif. Après avoir tourné la scène, j’ai gardé l’uniforme sur moi jusqu’à notre hôtel pour dîner. Quelqu’un m’a demandé : « Est-ce que votre costume de shérif vous va bien ? » J’ai répondu : « Ouais, je ne l’ai pas quitté de la journée. D’ailleurs, depuis que je l’ai, j’ai fait la collecte des pots-de-vin dans toutes les maisons closes du comté de Rabun. Et ce n’est pas tout ce que j’ai collecté. » Boorman : Quand je lui ai demandé de partir, je lui ai soufflé qu’il pourrait revenir jouer le shérif. Il a rétorqué : « Trouvez un autre larbin. » Mais il est évidemment revenu. Et tout s’est bien passé. Reynolds : Non, on ne prenait aucune précaution. C’était dingue. Complètement dingue. Mais on y est parvenu et j’en suis heureux. Quant à savoir si je le referais… Pas pour trois millions de dollars.
Délivrés
Délivrance a ouvert le Festival International du Film d’Atlanta, le 11 août 1972, remportant le prix majeur, le Phoenix d’or. Il sera nominé pour plusieurs autres récompenses, notamment les Oscars du meilleur film, du meilleur montage et du meilleur réalisateur. Williams : Le livre avait énormément de succès. Mais personne ne savait si le film allait marcher. Il est tombé du ciel, comme une bombe. Rickman : Nous sommes allés à Atlanta pour la première. Frank était si impliqué qu’il en avait du mal à regarder le film. J’ai apprécié le cadre, mais l’histoire… Fowler : Je ne peux toujours pas le regarder en entier. Williams : La première chose à m’avoir frappé, ce sont les bruits nocturnes. La bande-son du film était vraiment similaire à ce qu’on pouvait entendre en sortant sur notre perron le soir. Rickman : Les gens ont trouvé que le film véhiculait une mauvaise image du comté de Rabun. Avec ce viol dans les bois. Je ne crois pas que les habitants de la région sont comme ça. Chris Dickey : La sympathie que mon père éprouvait pour ces gens était bien plus importante que ce qu’il en paraît dans le film. Stan Darnell, 66 ans, est à la tête du comité des Représentants du comté de Rabun, où il vit. Tout le monde ici était scandalisé. Ils ne s’attendaient pas à voir cette scène où elle se trouve. Mais cela a lancé une industrie du rafting, ainsi que le tournage de plusieurs autres films, et soutenu l’immobilier local, ainsi que plusieurs autres commerces. Spivia : À la première, j’étais assis derrière M. et Mme Carter, ainsi que Mlle Lillian. Quand un des acteurs s’est écrié : « Yahoo, c’est la rivière la plus sauvage du monde ! » je me suis caché sous mon siège. Jimmy pensait que ça allait. Il me répétait toujours de ne pas transférer nos sentiments dans le film de quelqu’un d’autre. Nous étions là pour les aider.
John Dillard, 66 ans, a travaillé pour l’auberge Dillard Motor à Clayton, qui préparait les repas sur le tournage. Sa famille gère désormais le restaurant Dillard House à Dillard, en Géorgie. Certaines personnes, qui n’ont pas tenté de comprendre ce que Dickey essayait de raconter, ont pu être offensées. Il montrait comment la nature d’un homme, sa vraie nature, se révélait quand on est placé dans une situation incontrôlable et dangereuse. C’était la base d’une grande histoire. James Dickey, lettre à John Boorman, 22 septembre 1972 : Quand tu verras Burt à Londres, je te prie de lui suggérer de se calmer concernant les remarques publiques à mon égard. Il se peut que je sois légendaire aux yeux de Burt, cela doit avoir un rapport avec son propre état psychologique… Je ne crois pas que Burt fasse de bien à quiconque avec cette création d’un être mythique auquel il accole le nom très incertain de James Dickey. Mais dis aussi à ce gamin que j’ai de l’estime pour lui, pour son courage et son talent. Reynolds : Le film a complètement changé ma carrière. Ma vie. Tout a changé. James Dickey, lettre à John Foster West, 20 octobre 1972 : On peut dire que les quatre personnages principaux sont plus ou moins basés sur des gens que j’ai connus et que je connais encore. Mais il serait encore plus juste de dire qu’ils sont basés sur des aspects de ma propre personnalité.
Chris Dickey, extrait de Summer of Deliverance : Il transpirait l’odeur de l’alcool par tous les pores de sa peau. Et il restait dans les files d’attente, parfois en les remontant de long en large, alors que les gens essayaient d’avoir des places. « Vous savez », leur disait-il, « c’est mon film ». Boorman : J’étais très fier d’avoir fait ce film. Fowler : Mon mari a travaillé un jour sur le film et je reçois encore des chèques de 6,14 dollars deux ou trois fois par an… Selon une statistique du service des forêts des États-Unis, dix-sept personnes sont mortes sur la rivière Chattooga durant les quatre années qui suivirent la sortie du film. Les sociétés de rafting commencèrent également à exploiter la rivière. Williams : On en parlait comme du « syndrome Délivrance ». Tout le monde avait vu le film et tout le monde voulait faire comme Lewis. Les gens sont venus sans préparation sur une rivière très dangereuse dans un coin reculé, et sont morts en nombre. Ils ne portaient pas de gilet de sauvetage et n’avaient aucune compétence. Certains sont morts d’hypothermie. J’aime cette rivière et j’aime le fait que les gens puissent en profiter. Mais sur les brochures, elle est appelée « la rivière de Délivrance ». Chaque fois que je lis ces torchons, j’en ai la nausée. Dillard : Billy Redden est devenu une sorte de célébrité permanente. Redden : Les gens me reconnaissent au magasin. De partout, des gens m’ont envoyé des lettres. Après avoir divorcé de ma femme, j’ai changé d’adresse et n’ai plus reçu un seul chèque de la Warner depuis. C’était il y a six ans. Ils me versaient environ 20 dollars par mois. Je voudrais juste joindre leur bureau et procéder à mon changement d’adresse. 20 dollars, c’est beaucoup, mais cela ne vaut pas que je me batte avec mon ex-femme. Reynolds : Un jour, je voulais vraiment qu’on se dépêche et qu’on mette le plan en boîte avant que mes bras ne lâchent. Je soulevais de la fonte comme un forcené et Billy est venu me trouver. Il m’a dit : « Tombeur, ma voisine est morte. » Je lui ai répondu : « Billy, je suis désolé. » Et lui a ajouté : « Elle n’est pas morte, non, parce que je l’aime. » Pour moi, on ne pouvait pas faire mieux. J’espère qu’il nous a apprécié. Nous, on l’adorait. Redden : Il n’était pas aussi sympa que ça. J’ai essayé de bien m’entendre avec lui, mais il jouait au petit malin.
Chris Dickey : Je ne pouvais plus communiquer avec mon père et je n’ai pas pu avant encore une vingtaine d’années. En tant qu’écrivain, votre ego est une part importante de votre personnalité. Et si tout d’un coup tout le monde vous encourage à être dingue, à boire, à être excentrique… c’est ce que vous faites. C’est précisément ce qu’il a fait. Boorman : Il reconnaissait mon apport. Et il a exprimé publiquement être content du film. Il avait pour habitude de dire aux gens que le film était meilleur que le roman. Plus tard, il s’est mis à penser que, d’une certaine manière, j’avais trahi son œuvre. Vers la fin des années 1980, il a tenté d’en lancer un remake à Hollywood basé sur son propre scénario. Williams : Il racontait souvent qu’il regrettait l’impact que le livre avait eu sur cette rivière que nous aimions tous. La dernière chose qu’il m’a confié, c’est : « Dis au revoir à la rivière pour moi. » Je lui ai demandé : « Pourquoi ? » Il n’a jamais répondu. James Dickey, dans un entretien avec Playboy, en 1973 : Je voudrais être enterré sur la rive ouest de la rivière Chattooga. Si l’État le permet. Balancé dans un trou, sans cercueil. Sur une pierre tombale quelconque, on lirait : JAMES DICKEY, 1923–19**, POÈTE AMÉRICAIN ET ROMANCIER, ICI DEMANDE SA DÉLIVRANCE. James Dickey est décédé le 19 janvier 1997 des complications d’une maladie pulmonaire. Il avait 73 ans. Il est enterré à Pawleys Island, en Caroline du Sud. On peut lire sur sa pierre tombale le dernier vers de son poème « In the Tree House at Night » (« De nuit dans la maison arboricole ») : « Je me déplace vers le cœur du monde. »
Traduit de l’anglais par Gwendal Padovan d’après l’article « Mountain Men: an oral history of Deliverance », paru dans Atlanta Magazine. Couverture : Des accessoires sur le tournage du film, par Christopher Dickey.