Le Nautilus de Fulton
Ce sous-marin aurait inspiré à Jonhson ses appareils
Exil à Sainte-Hélène
Cette histoire débute par l’empereur Napoléon lui-même. En tant qu’héritier de la Révolution française, l’événement qui marqua cette époque à jamais et plus que n’importe quelle autre, Napoléon remit en cause le pouvoir des riches et des classes privilégiées. Ce Corse devint rapidement le plus grand danger dans près de la moitié du territoire européen. Ce stratège militaire inégalé, qui envahit également la Russie, conquit l’Italie puis l’Allemagne et l’Espagne, fut l’instigateur du Blocus continental, une stratégie militaire visant à affaiblir l’ennemi… par l’économie. Du moins aux yeux des Britanniques, il était l’homme à abattre. Dans les garderies anglaises, il était surnommé « Boney », et incarnait un personnage semblable au père fouettard, qui chassait les vilains enfants avant de les engloutir. En France, il était l’emblème du chauvinisme. En 1814, sa réputation fut remise en cause lors d’une défaite écrasante face à une armée composée de tous ses ennemis, réunis dans une coalition. Ce retournement de situation le conduit à être emprisonné sur la petite île italienne d’Elbe, dont il parvient à s’évader pour revenir en France. Il fut le meneur de ce qu’on appellera plus tard les Cent Jours, qui permirent à la France de retrouver confiance en elle et en son leader. Après Waterloo, son ultime défaite, les Anglais n’étaient pas prêts à lui accorder une seconde chance. Son exil sur Sainte-Hélène, une petite île au cœur de l’Atlantique Sud, à près de 1 200 km de la parcelle de terre la plus proche, visait à rendre toute évasion impossible. Ainsi, pendant que Napoléon était contraint à résider sur cette île (où il a dû endurer six années de solitude, chacune pire l’une que l’autre, avant finalement de succomber au cancer, ou d’ingurgiter du poison, les théories divergent), il y eut bon nombre de tentatives de libération. Emilio Ocampo, spécialiste des évasions ayant mal tourné, dit : « L’ambition politique de Napoléon ne fut en aucun cas refrénée par sa captivité. Et ses successeurs continuaient de penser qu’il fallait lui venir en aide. » Pourtant les Bonapartistes ne manquaient pas de ressources. Le frère de Napoléon, Joseph, qui était également roi d’Espagne, s’était échappé des États-Unis avec une fortune avoisinant les 20 millions de francs. D’après Ocampo, sa popularité outre-Atlantique était telle que l’escadron britannique l’emmenant en exil fut contraint d’effectuer un détour de plusieurs centaines de kilomètres dans le sens inverse, simplement pour échapper à un navire corsaire américain, le True Blood Yankee, qui naviguait aux ordres du gouvernement révolutionnaire de Buenos Aires, bien déterminé à repartir avec le prisonnier.
Les Anglais étaient si soucieux d’empêcher ne serait-ce que la possibilité d’une évasion que des petites garnisons étaient installées sur l’île d’Ascension et à Tristan da Cunha, à 2 000 km au loin dans l’Atlantique.
Bien évidemment, la plus grande menace venait d’Amérique du Sud. La France napoléonienne était la seule à avoir fourni de l’aide lorsque ce continent était en quête d’indépendance face à l’Espagne. Et certains patriotes étaient préparés a l’idée de passer à l’action et ainsi de contribuer à son évasion, ou bien même aller jusqu’à envahir l’île Sainte-Hélène. Cette idée séduit également Napoléon, même si les chances de retour en Europe étaient relativement maigres. Bien sûr, il pouvait toujours rêver d’aller établir un nouvel empire au Mexique ou au Venezuela. Une fois arrivé à Sainte-Hélène, l’Empereur déchu se trouvait dans ce qui semblait être la prison la plus sécurisée jamais conçue en 1815, à même de garantir sa détention. L’île est extrêmement isolée, presque intégralement entourée de falaises et dépourvue de quai d’amarrages improvisés ; il n’y a également qu’une très faible possibilité d’atterrissages. Ces dernières étaient gardées par une large garnison de soldats, 2 800 au total, armés de 500 canons. Naturellement, Napoléon était gardé à Longwood, une demeure rénovée et agrandie, sur une parcelle de terre très reculée vers l’intérieur. Bien qu’il fut autorisé à l’empereur de recevoir des amis, et qu’une certaine liberté lui était consentie aux confins du territoire de Longwood, tout le reste de l’île demeurait sous l’autorité intraitable du gouverneur, Sir Hudson Lowe, dont les plans de carrière se résumaient à assurer la sécurité du célèbre détenu. Longwood était bien gardée ; les visiteurs étaient questionnés et fouillés, la résidence était interdite aux visiteurs durant la nuit. Un escadron tout entier de la Royal Navy, constitué de 11 navires, patrouillait sans cesse le long des côtes. Les Anglais étaient si soucieux d’empêcher ne serait-ce que la possibilité d’une évasion que des petites garnisons étaient installées sur l’île d’Ascension et à Tristan da Cunha, à 2 000 km au loin dans l’Atlantique, pour parer à l’éventualité quasi impossible d’une utilisation des crevasses volcaniques à des fins stratégiques. Jamais un prisonnier ne fut, sans doute, aussi bien surveillé. « Dans un endroit pareil, aussi isolé », se félicitait le premier ministre Lord Liverpool, « toute manigance demeure impossible. »
L’Etna et l’Aigle
Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, les Britanniques avaient raison d’être très méfiants. Les soldats postés sur les navires envoyés afin d’y occuper Ascension ont découvert un message laissé sur la plage. Il disait : « Longue vie à l’empereur Napoleon ! » Ocampo résume la situation en énumérant une liste incroyablement longue de tentatives de libération de Napoléon ayant déjà eu lieu ; cette liste mentionne des libérations à bord d’un voilier très rapide, d’un bateau ultramoderne ou encore au moyen d’une montgolfière. Situer Tom Johnson dans cette fresque est chose difficile. Bien qu’à peine intéressé a l’idée de faire parler de lui, l’imaginaire autour de Johnson reposait toujours à la limite de la réalité et de la fiction, fruit de la démarche de Johnson. La plupart des documents nécessaires pour retracer son parcours sont manquants (même son nom comportait souvent des fautes lorsque l’on confrontait les documents, écrit « Johnston » ou « Johnstone ») ; l’unique biographie le concernant est une concrétion d’erreurs en tout genre. L’écrivain réputé qu’était Sir Walter Scott, a lui-même été trompé au sujet de la position d’écrivain de Johnson, à qui il avait attribué la direction du vaisseau de l’Amiral Nelson pendant la bataille de Copenhague, chose complètement fausse.
Le bateau torpille
Claude Goubet avait conçu un appareil maladroit et instable
L’évasion serait achevée avant la tombée de la nuit, décrivait Johnson, l’empereur serait a bord de l’Etna, puis transféré sur l’Aigle.
L’évasion serait achevée avant la tombée de la nuit, décrivait Johnson, l’empereur serait a bord de l’Etna, puis transféré sur l’Aigle. Toujours selon les écrits de Johnson, les deux sous-marins se fraieraient un chemin, et useraient de leur armement s’il le fallait, avec des détériorations partielles ou complètes. « D’après mes calculs », ajoute-t-il, « aucun ennemi ne sera capable de nous empêcher d’avancer… En cas d’attaque ennemie, je mettrai les bouchées doubles et percuterai tous ceux qui se trouveraient sur notre route (cela ne prendrait que 40 minutes) pour ensuite immerger le bateau sous l’eau. Une fois sous l’eau, nous pourrions anticiper tout attaque adverse, à l’aide de l’Etna et de ses torpilles. En l’espace de 15 minutes, nous aurions détruit le navire ennemi. »
Le mythe Johnson
L’histoire de Johnson s’appuie sur diverses sources, comme le marquis de Montholon, un général français qui a été envoyé en exil avec Napoléon. Plusieurs années après, le général a publié un livre relatant son séjour sur Sainte-Hélène et fait mention d’un groupe d’officiers français qui planifiaient de sauver Napoléon à l’aide « d’un sous-marin ». Selon son récit, une somme de cinq ou six louis d’or auraient été dépensée afin de construire le navire, ce qui représentait 9 000 livres à l’époque et un million de dollars aujourd’hui. Le roman Naval Chronicle, écrit en 1833, bien avant la publication de Scenes and Stories, fait référence à Johnson et à son sous-marin, sauf que cette fois-ci les chiffres s’élèvent à 40 000 livres, payables « le jour où le navire sera prêt à prendre la mer ». Une source encore plus ancienne, The Historical Gallery of Criminal Portraitures (1823) explique pourquoi Johnson s’est senti capable de construire un sous-marin : 15 ans plus tôt, lorsque les guerres napoléoniennes ont éclaté, il avait collaboré avec le renommé Robert Fulton, un ingénieur américain qui s’était rendu en Angleterre dans le but de vendre ses plans pour un bateau qui va sous l’eau. C’est la description de Fulton tel qu’il est décrit dans le récit qui lui donne une certaine vraisemblance. Un inventeur compétent dont on se souvient surtout pour avoir conçu le premier bateau à vapeur navigable. Fulton a ensuite passé des années en France, à travailler sur ses plans pour le sous-marin. Il avait réussi à persuader Napoléon de le laisser faire une tentative à petite échelle, le Nautilus, en 1800, un prototype testé avec succès sur les rives de la Seine. Quelques années plus tard, Fulton a dessiné un vaisseau plus avancé qui ressemblait beaucoup à celui de Johnson sur les croquis. Selon les rapports de l’époque, les Français n’ont manifesté aucun intérêt pour ce nouveau navire, chose qui a poussé Fulton à se rendre en Angleterre avec ses plans. En juin 1804, il a signé un contrat avec le Premier ministre, William Pitt, dans l’optique de développer son projet de sous-marin offensif, un contrat qui stipulait que si le projet réussissait, Fulton toucherait une prime de 100 000 livres.
Sous-marin à rame
Denis Papin a imaginé cet appareil à la fin du XVIIe siècle
Coulé
Sans aucun doute, les plans de Johnson étaient primitifs : le submersible dépendait de marins pour être remonté à la surface et une fois sur l’eau, il fallait des rames pour le faire avancer. Les plans de l’époque n’avaient pas non plus résolu les problèmes majeurs liés aux sous-marins, des problèmes qui sont restés insolubles jusqu’aux années 1890, comme la difficulté de préserver la flottabilité du navire, et de l’empêcher de sombrer au fin fond de l’océan sans pouvoir bouger. L’arme existait, c’était déjà cela. Il existe des preuves de son existence grâce à la correspondance de Johnson, confirmant ainsi que le bateau était prêt et qu’il en demandait 100 000 livres. Les lettres révélaient également que, tôt dans les années 1820, une commission d’officiers confirmés menée par Sir George Cockburn, a été envoyée afin d’établir un rapport sur le sous-marin. Pas pour rendre compte de cette nouvelle technologie, mais pour estimer son coût. Cockburn était haut placé dans la hiérarchie à l’époque, et il reste encore aujourd’hui connu comme étant l’homme qui a réduit en cendres la Maison Blanche lors des assauts de l’armée anglaise contre Washington en 1814. Son rapport original a disparu, mais son contenu a fait baisser le prix à six chiffres de Johnson à 4 735 livres.
Le catamaran submersible
Une invention du Français de Son
Les sources françaises qui subsistent suggèrent que l’empereur aurait refusé d’embarquer à bord du sous-marin s’il avait émergé au large de Longwood.
Les sources françaises qui subsistent suggèrent que l’empereur aurait refusé d’embarquer à bord du sous-marin s’il avait émergé au large de Longwood. Un sauvetage sous la forme d’une invasion planifiée était une chose selon Bonaparte, le désespoir et le déguisement en était une autre. « Dès le début », affirme Ocampo, « Napoléon était très clair : il ne voulait pas s’engager dans une action qui lui aurait demandé de se déguiser ou dans laquelle il lui aurait fallu faire un effort physique. Il était très conscient que sa dignité était en jeu, et pensait que s’il se faisait capturer comme un vulgaire criminel en train de s’échapper de l’île, ce serait dégradant… S’il devait quitter Sainte-Hélène, il le ferait avec son chapeau sur la tête et son épée en main, comme son statut l’exigeait. » L’image n’en reste pas moins parlante : Napoléon, serré dans des habits de valet, sanglé dans une chaise de maître d’équipage pour le faire descendre le long d’une falaise vertigineuse. Derrière lui se tient Tom Johnson et son mètre quatre-vingts qui le descend le long de la paroi rocheuse, pendant que l’Etna et l’Eagle rôdent, voiles enroulées et lourdement armés, prêts à plonger.
Traduit de l’anglais par Samuel Berron et Delphine Sicot, d’après l’article « The Secret Plot to Rescue Napoleon by Submarine ». Couverture : William Quiller Orchardson, Napoleon on board the Bellerophon