Eastleigh ne dort jamais. On est vendredi, il est deux heures du matin. J’ai passé la nuit à me tourner et me retourner dans mon lit, maintenue éveillée par la musique de la rue et par les conversations tenues autour du khat, dans des dialectes que je ne comprends pas.
Je compte lentement les heures qui me séparent du départ. Je suis au Blue Sky Lodge, sur la 10e rue, et je dois prendre un bus à trois heures du matin. Eastleigh – un monde à part entière que je ne connaissais pas jusqu’alors – est une banlieue à l’est de Nairobi, essentiellement peuplée d’immigrants venus de la Corne de l’Afrique, qui lui valent son surnom de « petite Mogadiscio ». Une banlieue qui a laissé dans l’inconscient collectif l’image d’une zone dangereuse, interdite, fourmillant de milliers de sans-papiers somaliens vêtus en hommes d’affaires avisés le jour, en impitoyables terroristes d’Al-Shabbaab la nuit. Malgré toutes les années vécues dans cette ville, je ne me suis jamais aventurée jusqu’ici. L’abîme de mes peurs et de mon ignorance est tel que la veille, dans l’après-midi, j’ai dû demander mon chemin à un chauffeur de matatu – un mini van faisant office de taxi collectif avec quatorze places assises – du centre-ville. Ce dernier m’a indiqué de prendre le matatu n°8, de descendre à l’arrêt Garage et de chercher ensuite la 10e rue.
Départ vers l’inconnu
Arrivée à Garage, je suis submergée par le chaos qui règne. De nouveaux centres commerciaux clinquants, des restaurants et des hôtels aux noms rappelant la Corne de l’Afrique tels que Banadir et Ayaan côtoient des vendeurs de rue et leur large éventail de produits : nourriture, vêtements, chaussures, téléphones portables, espaces publicitaires, électroménager, bijoux… Des porteurs de mkokoteni (des charrettes à bras en bois) et des boda boda (des taxi-mobylettes) transportent passagers et marchandises en se frayant un chemin parmi les femmes en boubou plongées dans des conversations animées. C’est un endroit insalubre : je dois sans cesse éviter les montagnes de détritus et les profonds nids-de-poule à moitié remplis d’eau croupie. La foule dense et l’hygiène publique déplorable commencent à me mettre les nerfs à vif, aussi je tente de voir la situation dans son ensemble. Pour beaucoup, cet endroit est un refuge loin de terres meurtries et tourmentées, l’avant-poste de l’espoir et de la prospérité. Je demande la direction de la 10e rue, celle où je suis censée trouver des bus pour Moyale, la ville-frontière entre le Kenya et l’Éthiopie. Ce n’est pas une belle rue à l’occidentale, comme me le laissait présager son nom à la mode américaine, mais une artère boueuse parsemée d’une enfilade de petits commerces de toutes sortes, dont un casino. L’odeur de berbère (un mélange de piment rouge en poudre et d’autres épices, incontournable de la cuisine éthiopienne), de café torréfié, des jebena (cafetières traditionnelles), les inscriptions en amharique, la complainte mélodieuse des Habeshas (un peuple de la Corne de l’Afrique) qui flotte doucement dans l’air… tout indique une importante présence éthiopienne. Un magasin de cuir éthio-kényan et un restaurant Best Ethiopian servant de l’injera (de larges galettes au levain faite à partir de teff fermenté, une graine typique de l’Éthiopie) avec du wot (ou ragoût) enfoncent le clou. J’ai l’impression d’avoir été téléportée comme par magie à Addis-Abeba. Si Eastleigh est la petite Mogadiscio, alors la 10e rue est la petite Addis. J’apprendrai plus tard que la 10e rue est effectivement le quartier d’Eastleigh à dominante éthiopienne, celui où les gens « se contentent d’attendre ». Pour passer le temps, ils apprennent le swahili et l’anglais, obtiennent des papiers et se forgent une nouvelle identité. Certains continuent leur route jusqu’au Kenya, d’autres s’en vont là où l’herbe semble plus verte, en Afrique du Sud ou aux États-Unis.
J’aperçois le bureau des réservations de Moyale Liner et je presse le pas. Certains hommes chargent dans le bus des gunias, de gros sacs en toile de jute aux coutures déchirées, d’autres mâchonnent de la miraa (l’autre nom du khat), quand d’autres achètent leur billet. Ils me regardent avec curiosité. Qui donc est cette voyageuse improbable, cette Bantou qui fait route vers le nord alors que les gens comme elles y sont précisément la cible de menaces en ce moment ? Cette curiosité non dissimulée, je l’apprendrai plus tard, est caractéristique de la waria, un mot somalien utilisé pour désigner l’instinct de survie des Somaliens, et considéré comme péjoratif par certains. Un trait de caractère aiguisé par des années passées à faire preuve d’adaptation et de courage dans des environnements hostiles, où il est nécessaire d’identifier et de catégoriser les gens rapidement : policiers ou civils, amis ou ennemis. Connaître l’identité de quelqu’un et ce qu’il fait est essentiel. Je réserve une place pour Marsabit à 1 500 shillings. En me tendant le ticket, le vendeur me conseille de trouver un endroit où dormir à Eastleigh histoire de ne pas rater le départ qui a lieu « plus tard cette nuit », c’est-à-dire à trois heures du matin. Pourquoi ne pas dire « tôt demain matin » ? Je retraverse la ville pour rentrer chez moi et jeter quelques affaires dans un sac. À vingt heures, je suis de retour à Eastleigh, plus sûre de moi cette fois-ci. Je me rends dans trois hôtels différents de la 10e rue, mais ne trouve aucune chambre. Ma quatrième tentative se révèle plus fructueuse. J’observe d’un œil critique la décoration amateur du Blue Sky Lodge qui déroule sur ses murs bleus une scène de la vie sauvage, quand une femme habillée pauvrement passe devant moi avec nonchalance et me confirme que j’ai atterri dans l’antre de la décadence. Mais à 300 shillings la chambre simple, je reste. Le bruit à l’extérieur exclut toute possibilité de dormir et quand le réveil de mon portable retentit à deux heures du matin, mes yeux sont toujours grands ouverts. Après mes ablutions, j’attrape mon sac, salue le veilleur de nuit et me dirige vers le bureau de la Moyale Liner qui se trouve tout près. Un forcené se perd en élucubrations tout en buvant un étrange liquide blanchâtre dans une bouteille en plastique recyclé. Une Somalienne d’un certain âge en hijab vert s’approche avec un grand thermos de thé et des chapatis pour aider les voyageurs à lutter contre le sommeil et le froid matinal qui règne sur Nairobi. Plus loin, un homme entreprend de balayer les détritus qui jonchent le sol devant le bureau des réservations et les fait brûler sur la route boueuse. D’après leurs vêtements, la plupart des voyageurs ont l’air d’origine couchitique, mais je n’arrive pas à déterminer s’ils sont kényans du nord ou du nord-est, éthiopiens ou érythréens, somaliens ou de Djibouti.
Les hommes soudanais sont faciles à reconnaître. Particulièrement grands, élancés et à la peau sombre, ils parlent fort, en nuer ou en dinka. J’entends dans le lot un Akamba, un Bantou de l’Est, prévenir quelqu’un au téléphone de son arrivée imminente. Je suis la seule Bantoue de l’Ouest, et ma présence attise la curiosité de certains. Il y a au Kenya trois ethnies principales : Les Bantous, le peuple d’origine nilotique, et celui d’origine couchitique. Ces groupes sont eux-mêmes divisés en de multiples ethnies. Les tensions interethniques minent le pays depuis des décennies, principalement à cause de l’inégalité de la représentation politique et de la répartition des ressources. Aux environs de trois heures moins le quart, nous montons dans le bus. Une fois installés dans un confort relatif, un prédicateur islamique monte et parcourt l’allée centrale du bus à grand renfort de prêches et de prières, en sollicitant des offrandes. Si vous tendez le bras pour faire un geste généreux, il vous dit qu’Allah se souviendra de vous. Il récolte des pièces, prononce quelques mots de remerciements et nous souhaite bon voyage. Juste après son départ, un vendeur d’herbes médicinales le remplace en vantant les mérites d’herbes miracles qui pourraient guérir de nombreuses maladies.
À trois heures pile, le bus concurrent Moyale Raha (« bonheur » dans la langue locale) passe devant nous pour prendre la route. Mon voisin, plutôt bavard, me dit que le slogan de Moyale Liner – « Nous menons les meneurs » – est un mensonge éhonté. Pendant ce temps, le guérisseur nous prévient quant aux nombreux risques qui menacent notre santé dans le nord. Les vers à Moyale et Sololo sont aussi gros que des serpents, mais pas de panique, nous dit-il, pour 100 shillings, il peut nous fournir un vermifuge efficace. En plus de s’occuper de notre santé intestinale, il nous conseille de prendre des bains réguliers malgré la pénurie d’eau dans cette zone. Il possède un savon longue durée qui convient pour les eaux dures du nord, dont il nous assure qu’il mousse avec volupté, tout comme le purificateur de sang qui n’a pas son pareil pour lutter contre la malaria, la typhoïde et les amibes. À trois heures et demie, nous démarrons enfin. Je regarde la pleine Lune par la fenêtre. Je me souviens que les Boranas ont développé un calendrier lunaire aux environs de l’an 300 av. J.-C… Les Boranas couchitiques représentent l’ethnie dominante du comté de Marsabit, ma destination, à l’extrême est de la province. Quelque 292 000 personnes de quatorze ethnies différentes y résident, dont les Rendille et les Gabbra, qui parlent des langues couchitiques, ainsi que les Turkana et les Samburu, de langue nilotique. Une heure et demie plus tard, le bus s’arrête et je me réveille brutalement. Le guérisseur annonce qu’il est l’heure de la prière et de la toilette. La plupart des voyageurs descendent pour satisfaire les besoins physiques et religieux, et un quart d’heure après nous reprenons le voyage.
Le jour se lève à six heures tandis que nous traversons le district glacial de Nyeri, noyé dans la brume. Mon voisin est fasciné par la densité opaque de la canopée. Il ne pourrait pas vivre là, me confie-t-il, il mourrait de froid. Je lui demande d’où il vient, il me répond de Moyale. Il est trop habitué à la chaleur étouffante du nord aride pour s’adapter aux températures basses des régions montagneuses du centre du pays. Une heure plus tard, nous traversons l’Équateur à Nanyuki. Je m’assoupis à nouveau et me réveille deux heures plus tard à Isiolo, où nous nous arrêtons pour le petit-déjeuner. Je prends un thé sucré et un kaimati (un petit pain en forme de beignet) dans un restaurant tenu par un Somalien jovial. Lorsque nous reprenons la route, j’aperçois un hôtel Madiba, arborant un drapeau sud-africain peint sur un mur. Nous passons un contrôle de police. Un panneau indique que nous nous trouvons à 277 km de Marsabit. 09 h 15 – Un panneau nous indique que nous sommes à présent à Ngaremara. Les vertes forêts de la Province Centrale ont laissé place à de vastes étendues arides parsemées d’acacias et de quelques huttes traditionnelles. De robustes troupeaux de moutons, de chèvres et de vaches s’enfuient de la route goudronnée lorsque nous approchons. Mon voisin m’informe que nous sommes en territoire Turkana et Rendille, des terres ravagées par d’incessants conflits sanglants entre communautés qui se disputent des ressources de plus en plus rares. 09 h 24 – Nous traversons la rivière Ewaso Ng’iro. L’illustration d’un manuel de géographie datant de mon école primaire s’anime soudain sous mes yeux. Quelque part près d’Archers Post, base d’entraînement militaire anglaise et porte d’entrée vers le nord du pays, un panneau indique : « Postbank Mashinani (siège principal) ». Nous passons devant un grand nombre d’organismes financiers : Jadi Investissements, Daniel Leipiris Investissements, et bien d’autres encore. 09 h 40 – Je vois des chameaux pour la première fois, un troupeau entier. Mon excitation est à son comble. Même l’absence de réseau sur mon portable n’entame pas ma bonne humeur. Ça y est, nous y sommes vraiment. Au nord. Nous sommes arrivés. 10 h 15 – Nous traversons la rivière Sero Levi, asséchée.
10 h 56 – Nous passons l’Ololokwe, l’étonnante montagne au sommet tout aplati rendue célèbre par les publicités pour Safaricom, l’opérateur national de téléphonie mobile. C’est une des nombreuses et magnifiques montagnes sorties de terre au beau milieu de ce paysage aride. 11 h 05 – Sept heures après avoir quitté Nairobi, nous voilà dans le district de Marsabit. À Laisamis, la première de ses circonscriptions, il fait très chaud. Nos regards ébahis se posent sur des hommes et des femmes torses nus dont les shukas (des sarongs) volent au vent, laissant entrevoir par inadvertance leurs parties génitales alors qu’ils vaquent à leurs occupations quotidiennes, traînant la chaleur accablante dans leur sillage. La route se fait chaotique. Nous voyons des camions et des grues en train de soulever puis de transporter de la terre, ce qui fait dire à mon voisin, avec toute l’autorité dont il est capable : « Les Chinois, ils s’y connaissent pour construire des routes. » Le chauffeur accélère sur les mauvaises portions de route et nous brinquebalons violemment. Quelqu’un à l’arrière lui crie qu’il transporte des êtres humains, pas des chameaux.
Marsabit démystifié
En traversant Laisamis, nous remarquons des hommes en tenue traditionnelle portant des AK-47 qu’ils portent nonchalamment en bandoulière sur leur poitrine ou dans le dos. Ils me donnent l’impression que tuer, pour eux, est une broutille. Mais ils n’essaient pas de faire dévier le bus. Ils se contentent de poursuivre leurs bavardages, un œil sur leur troupeau. J’apprendrai plus tard que ce sont des RPK, des Réservistes de la police kényane, et que les fusils sont fournis par le gouvernement, afin que les hommes se protègent eux-mêmes des voleurs de bétail – une menace courante dans ces zones. Des moutons et des chèvres gardés par des petits garçons et de rares chameaux en train de grignoter les branches d’un acacia ponctuent ça et là le parcours accidenté. J’ai compté jusque-là trois lits de rivières asséchés. Mon voisin est lui aussi perplexe quant à la faible densité de population sur ces terres arides : « Y aurait-il un problème de sécheresse ici ? »
Le goudron a disparu depuis un moment et la route défoncée rend la conduite plus sportive, voire douloureuse, sans parler des nombreuses sorties de route impromptues qui n’ont rien de rassurant. Les passagers ont tous été réveillés violemment par le soleil brûlant et la conduite musclée qui nous envoient valser dans les airs pour retomber brutalement sur nos sièges, sans nous ménager. Les insultes fusent dans plusieurs langues à l’encontre du chauffeur. Aux environs de treize heures, nous passons le barrage de police qui délimite l’entrée dans les faubourgs de la ville de Marsabit. Le paysage a changé. Contrairement au désert et à la rare verdure auxquels je m’attendais, je contemple une végétation luxuriante, le sol est d’un rouge éclatant et la chaleur plutôt agréable. Ceux qui s’arrêtent à Marsabit descendent du bus et le voyage se poursuit en direction de Moyale. Mon ami est là pour m’accueillir à la descente. Tandis que nous nous promenons, il désigne les quelques panneaux qui se battent en duel : des succursales bancaires – à savoir Equity et Cooperative. Des panneaux routiers et des 4×4 estampillés au nom de leur ONG sont présents aussi : Action contre la Faim – plus de 70 % des foyers dans le district de Marsabit dépendent de l’aide alimentaire d’après le gouverneur –, ainsi que l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et le Département du Royaume-Uni pour le développement international (UKAID). On trouve également une poignée de commerces typiques des petites villes du Kenya : opérateurs M-Pesa, services de photocopies, cafés, salons de coiffure, tailleurs, produits agricoles, mama mbogas (des vendeuses des légumes), bouchers, pensions, vendeurs de maillots de football – ceux des équipes éthiopiennes sont populaires ici, surtout ceux de Seladhin, le numéro 7 –, ou encore des petits commerces de mobylettes. La plupart des femmes sont vêtues de manière classique, avec des robes ou des jupes qui descendent aux chevilles, et beaucoup portent un voile. On aperçoit également beaucoup de femmes Rendille vêtues d’habits traditionnels avec de lourdes parures de perles élaborées aux couleurs vives sur la tête, aux oreilles, aux poignets, aux chevilles et autour du cou. Les rares femmes habillées en jeans ou en jupes courtes viennent de la ville de Meru ou sont des travailleuses humanitaires blanches (des mzungu). Les hommes arborent des tenues plus occidentalisées, même si j’en aperçois un certain nombre arborant des shukas, des kanzus (des tuniques) et des treillis militaires, ainsi que des chapeaux traditionnels ou musulmans. Des rungus (de petits bâtons avec un pommeau) ou des cannes viennent souvent compléter la panoplie, tout comme les AK–47 ou parfois une panga (une machette). Tout le monde dans cette ville semble se connaître. Les gens s’arrêtent pour échanger de longues salutations en borana ou swahili, s’enquérant de la santé et du bien-être des pères, mères, enfants, épouses et maris ; et les réponses sont très détaillées. Mon ami s’arrête en chemin pour saluer une bonne vingtaine de personnes. Il n’est pas rare non plus de trouver dans les rues de Marsabit des moutons ou des chèvres qui croient avoir le droit de partager la route avec les êtres humains.
La conversation est enrichissante pour lui comme pour moi
Mon ami et moi passons devant un Sakumatt (un jeu de mots tiré de Nakumatt, la plus grande chaîne de supermarchés de l’est africain, sachant que nous sommes à Saku, la 2e circonscription de Marsabit) et nous nous dirigeons vers le Psalms Café, où nous prenons un repas copieux à base de chèvre rôtie, d’ugali (un solide porridge à base de maïs) et de kachumbaris (des oignons coupés en dés avec de la sauce tomate). D’ordinaire, j’évite la viande, mais puisque nous sommes en terres agricoles, où le bétail représente la source principale de nourriture et de revenus, je me dis qu’il serait impoli et ridicule d’y aller de mon petit discours sur les bienfaits du végétarisme. Entre autres informations sur le nord, mon ami m’informe que les chèvres turkanas sont les plus savoureuses, malgré le manque de végétation ici. Il regrette que deux de ses amis qui lui avaient promis de l’emmener en territoire turkana pour lui faire goûter des chèvres dignes de ce nom n’aient finalement pas tenu parole. Plus tard, il se montrera surpris quant à mes habitudes alimentaires : je ne sais pas pourquoi, mais il s’imaginait que les femmes luyia mangeaient beaucoup, ce qui contraste avec mon appétit d’oiseau. À l’hôtel Al Subra, où les serveurs ont tous un air de famille, comme s’ils avaient été envoyés par ferry d’Éthiopie, et où le thé a un goût sucré et un parfum de cardamome, il est cependant heureux de constater que je bois bel et bien des litres de thé – comme toute bonne Luyia qui se respecte. La conversation est enrichissante pour lui comme pour moi, et nous discutons des préjugés et des idées préconçues que les Kényans se font de leurs compatriotes des quatre coins du pays, et de comment les surmonter. J’ai honte, par exemple, d’avouer ma stupéfiante ignorance : j’ai beau souvent crier haut et fort que les Kényans ont besoin de faire un effort pour apprendre plus les uns des autres afin de combattre ce fléau qu’est le tribalisme, moi-même, je ne connaissais rien ou presque de Marsabit et de ses habitants, les Borana, Burji, Rendille et Gabbra, que j’ai croisés pour la dernière fois dans un manuel scolaire de l’école primaire… Je ne savais pas non plus que le vaste district de Marsabit, d’environ 67 000 km2, occupe 13 % de la superficie totale du Kenya, ni que les éléphants peuplent ses forêts et qu’on peut même parfois les apercevoir de la terrasse du Psalms Café, bien que leur nombre ne cesse de diminuer.
Plus tard dans la soirée, nous allons prendre un verre dans un des troquets du coin. Nous y bavardons avec des travailleurs humanitaires qui ont tendance à mettre tous les habitants du nord du Kenya dans le même panier : « Des ruraux pour qui on ne peut rien faire. » Évidemment, mon ami monte au créneau pour défendre le nord et s’enflamme en leur expliquant le danger qu’il y a à regarder les faits par le petit bout de la lorgnette. Il a sa façon à lui de lutter contre les préjugés sur ce nord insaisissable et nous passons la journée suivante à œuvrer dans ce sens. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais c’est une initiative tout à fait louable qu’est l’impression et la distribution du premier journal local, pour donner la parole aux gens d’ici.
Après une journée de dur labeur, nous rencontrons un autre ami qui nous enchante avec les récits de son enfance, lorsqu’il s’occupait des vaches et des chameaux à Ngurunit. Il partagent avec nous des proverbes qui sont de vrais trésors d’histoire et de culture. Sur le rôle par exemple du moran (jeune homme) dans la société rendille ou sur la fête religieuse du sorio, qui comporte des points communs étonnants avec la Pâque juive. J’apprends aussi beaucoup sur la perception et le rôle des jeunes filles et des femmes dans les sociétés rurales, souvent marginalisées – ce qui explique les nombreuses initiatives pour à l’émancipation des petites filles que j’ai pu constater. Nous voulons aller au festival culturel de Kalacha pour en apprendre davantage sur le mode de vie des habitants du nord du pays, mais en raison de problèmes logistiques, cela n’est pas possible. Je passe les deux jours suivants à explorer la campagne luxuriante, à admirer au loin les montagnes bleues et à profiter de l’air frais de Marsabit. L’une des choses les plus étonnantes ici, c’est l’épaisse brume matinale. Il pleut également beaucoup en début de journée, ce qui explique la vigueur des sukuma wiki (le choux kale) que j’ai pu voir dans les shambas (les jardins) des particuliers. Les conversations avec les habitants les jours suivants sont une véritable révélation : je croise la route d’un journaliste qui enquête sur deux homicides dans le coin ; les cartouches retrouvées sur le lieu du crime proviennent d’armes appartenant aux Réserviste de la police kényane (RPK). Il me parle également de membres du gouvernement corrompus qui vendent à des magasins de la nourriture provenant de l’aide humanitaire, alors qu’ils sont censés la distribuer gratuitement. Je rencontre également une militante féministe qui se bat contre les violences conjugales et les mutilations génitales faites aux femmes, et fait tourner un petit kiosque dans lequel elle vend en-cas et boissons sans lésiner sur la quantité. Un taxi-mobylette m’offre une course gratuite après s’être rendu compte que j’étais perdue, il refuse formellement de me laisser le payer. Trois petites filles m’indiquent le nom de l’endroit où je séjourne, pour ne pas que je me perde à nouveau. Un vieux monsieur me tire par le bras pour m’éviter de me retrouver face à face avec un troupeau de vaches qui rentre au bercail, alors que je suis perdue dans l’admiration du coucher de soleil à l’horizon. Un autre vieux monsieur qui se tient devant l’école primaire Sakuu, près de l’église luthérienne, insiste pour me serrer la main en guise de bienvenue et me raconte l’histoire de l’école. Un ami se met en quatre pour m’offrir un endroit où dormir pendant mon séjour. Le responsable de l’école musulmane reconduit gentiment son groupe de garçons qui préféreraient poursuivre leur partie de football plutôt que d’aller en classe. De nombreuses personnes offrent leur gratitude et leur soutien au projet de mon ami. C’est tout cela, la chaleur et la générosité des gens de Marsabit.
Le chemin du retour
Nous quittons Marsabit peu après six heures du matin. Le taxi-mobylette qui a bravé la brume et le froid matinal nous conduit de Shauri Yako à la station essence Shell, où un Land Cruiser nous attend pour nous amener à Isiolo. Des « courtiers » dont le travail consiste à trouver des voyageurs en partance pour Isiolo négocient les tarifs en rajoutant un petit supplément pour le khat. Les passagers s’emmitouflent dans leurs vestes et leurs couvertures pour se protéger du froid. Le chauffeur appelle les retardataires et menace de partir sans eux. Arrive enfin l’heure du départ. Je prends place à l’avant avec le chauffeur, un courtier et un petit garçon. À l’arrière du Cruiser, treize places, toutes occupées. Nous fonçons vers Loglogo dans la circonscription de Laisamis, et puisque la radio ne marche pas, je me distrais en écoutant la conversation entre le chauffeur kikuyu (l’ethnie la plus importante au Kenya, connue pour ses talents mercantiles) et le courtier borana.
La brume disparaît tandis que nous roulons vers le sud. Des étendues de prairies asséchées se déploient sous nos yeux, les teintes bleutées des montagnes se mélangent à celles du ciel dans l’horizon lointain et je me demande quel processus géologique complexe a bien pu façonner ce paysage aussi beau que désolé. Le chauffeur négocie habilement les portions de route non goudronnées tout en bavardant avec le courtier sur des sujets aussi variés que les passagers retardataires ou la menace que représente Al-Shabbaab. Ce dernier sujet vient sur le tapis tandis que nous rencontrons notre premier contrôle de police dans les faubourgs de Marsabit. L’officier qui reçoit du chauffeur une « poignée de main » à 100 shillings ne s’embête même pas à vérifier nos cartes d’identité, ce qui amène le chauffeur à se demander tout haut, tandis qu’il remet la gomme, ce qui se serait passé s’il avait transporté des membres de l’organisation terroriste. Le courtier en rajoute une couche en déplorant les négligences de la sécurité au Kenya et les frontières-gruyère. Il assure que cela n’arriverait jamais en Éthiopie ou en Ouganda, des pays dont il chante les louanges. Il se lance ensuite dans des commentaires à n’en plus finir sur l’insécurité nationale. Il cite un incident récent, un coup de filet à Moyale, où du matériel de communication sophistiqué a été saisi à des membres présumés d’Al-Shabbaab qui essayaient de pénétrer au Kenya. Il prétend que c’est le même genre de matériel qui a été utilisé pour brouiller les communications pendant l’attaque à Mpeketoni. Le terrorisme est devenu numérique.
Pendant ce temps-là, le gouvernement kényan utilise encore des technologies datant de Mathusalem. Il se fend tout de même de quelques compliments. Il nous explique qu’ils ont réussi à infiltrer les mosquées, positionnant des espions chargés d’identifier les meneurs religieux responsables de la radicalisation des jeunes. Il dit aussi que l’Islam était au départ une religion pacifique et que ce qu’on a découvert dans les mosquées de Mombasa a été amené là par les ennemis de l’Islam – à savoir les politiciens et les agents de la sécurité. Le chauffeur n’a visiblement pas l’air à l’aise avec ce discours, et il change de sujet en nous racontant ses aventures prenant place au Soudan du Sud. Il tient rancœur aux Soudanais pour plusieurs raisons. Cette mésaventure pour commencer : lors de sa première incursion à Juba, il a été arrêté et lourdement verbalisé pour avoir conduit du mauvais côté de la route. Deuxième anecdote : les Soudanais n’autorisent pas la fornication avec leurs femmes à moins d’avoir l’intention de les demander en mariage – il a donc dû revoir ses ambitions dans ce domaine. Comme si cela ne suffisait pas, le climat y est chaud et inhospitalier. Ses habitants sont foncièrement violents d’après lui et, pour une raison qui lui échappe, parlent arabe.
À ce moment de la discussion, nous arrivons au deuxième point de contrôle, où il se fend d’une nouvelle poignée de main sonnante et trébuchante. Le courtier se demande alors combien les officiers de police corrompus doivent gagner à serrer ainsi des mains à chaque passage de véhicule. Il suggère de remplacer les officiers de police par des militaires. Ces derniers, nous dit-il, sont trop fiers pour accepter les pots-de-vin et s’assureraient plus rigoureusement qu’aucun membre d’Al-Shabaab n’entre en douce au Kenya par Moyale, seul passage aujourd’hui depuis que les choses se sont envenimées à Mandera, à la frontière somalienne, avec les meurtres récents de civils perpétrés par les terroristes. Je ne dis mot pendant la conversation, et m’occupe surtout du petit garçon silencieux à la vilaine toux, et dont la mère se trouve à l’arrière. Le reste du temps, je contemple le paysage qui s’offre à nous. Il n’y a sur la route aucun véhicule en dehors du nôtre, excepté de temps à autre les grues de ces entreprises chinoises qui soulèvent d’épais nuages de poussière lorsqu’elles creusent de nouvelles routes ; des chauffeurs de camion longue distance occupés à mâchonner furieusement du khat pour rester éveillé dans cette dernière ligne droite avant l’Éthiopie ; ou encore un vieux Rendille vêtu d’un sarong qui traverse la route tel une gazelle, s’attirant les foudres des conducteurs. Le courtier pense qu’on devrait conseiller aux Chinois de mettre des ralentisseurs sur la route pour limiter les victimes. Et des victimes, il y en a eu. À l’un des points de contrôle, un officier nous raconte qu’un Land Cruiser comme le nôtre a eu un accident à Ngaremara. Lorsque nous arrivons là-bas, nous nous arrêtons pour voir ce qu’il s’est passé. Un berger nous raconte que cinq Éthiopiens ont péri dans l’accident la nuit précédente.
Plus tard, près de Nanyuki, nous tombons sur un chauffeur de mobylette, soigneusement allongé sur le bord de la route, le casque placé sur son visage, sa mobylette à ses côtés. Nous partageons tous la même pensée qui nous tord le ventre : cela aurait très bien pu être l’un d’entre nous. Nous arrivons à Merille, dont mon ami me raconte qu’elle est plus connue sous le nom de « mwisho wa lami », autrement dit « fin de la route goudronnée ». Mais selon l’endroit d’où l’on arrive, la ville peut aussi s’appeler « mwanzo wa lami », soit « début de la route goudronnée ». Nous dégustons une délicieuse chèvre rendille en guise de petit déjeuner. Mon ami, grand amateur et connaisseur de chèvres, loue les qualités gustatives des spécimens de cette région. Les chèvres élevées par les gardiens de troupeau traditionnels sur des terres arides sont bien meilleures que celles élevées et nourries avec du chou par les fermiers des zones agricoles, m’assure-t-il d’un air docte. Les chèvres nourries avec du chou mangent la même chose que l’homme, ce qui les rend moins savoureuses ; c’est une théorie comme une autre, qui permet de distinguer les gardiens de troupeau traditionalistes qui, en visitant la ville de Marsabit, ont refusé de manger de la viande de chèvres citadines qui avait été passée sous l’eau. Le chauffeur nous apprend que c’est le seul arrêt sur la route dont il connaît le nom, car c’est un « mtu wa tombo » (un homme d’estomac). Après cette longue pause, nous faisons nos adieux à cet avant-poste et continuons notre avancée sur du goudron flambant neuf. À ce moment-là, le courtier change de place avec une jeune fille portant un hijab qui ne cesse de bavarder en gloussant au téléphone. Il s’assied à l’arrière tandis qu’elle s’installe devant. Voyant que nous ne sommes pas aussi volubiles que son copain le courtier, le chauffeur décide de se distraire avec un peu de khat, qu’il mâche accompagné de noix de cajou. N’ayant pas envie, moi non plus, de m’endormir, j’engage la conversation.
Un des passagers, un musulman, dit au chauffeur de ne pas nous emmener à Nyeri parce qu’il n’a pas envie de se faire découper en rondelles.
Il s’avère que c’est son premier mois sur la ligne Marsabit-Isiolo. Auparavant, il était fermier, il cultivait du miraa (du khat) à Maua, mais avec l’interdiction du Royaume-Uni d’importer cette plante, ses revenus ont diminué et il a intégré le marché du transport pour pouvoir payer les frais de scolarité de ses enfants. Avant cela, il transportait du miraa de Meru à Wajir et Mandera, mais l’insécurité croissante dans ces régions l’a poussé à transporter plutôt des voyageurs. C’est une activité moins lucrative : la veille, il a transporté trois passagers seulement de Marsabit à Isiolo, mais il mise sur le fait que lorsque la route sera entièrement goudronnée, le nord s’ouvrira et il achètera plusieurs matatus pour investir la route. Quatre ou cinq brefs contrôles de police plus tard, assortis des poignées de mains d’usage, Isiolo nous accueille sous une pluie fine. Le petit garçon prononce ses premiers mots de la journée, « Baba yangu ! » (mon père) et se fraie un chemin jusqu’à lui tandis que sa mère se débat avec leurs valises. Je me demande pourquoi elle a confié son fils à des gens qu’elle ne connaît pas. J’ai déjà constaté la même confiance en de parfaits inconnus à Marsabit, dans deux magasins différents où les patrons nous ont confié, à mon ami et à moi-même, leur magasin pour s’absenter brièvement. Je n’imagine pas la même chose se produire à Nairobi. Nous sommes huit à poursuivre la route vers la capitale. Nous trouvons une navette et, après un marchandage laborieux avec des courtiers et le chauffeur, nous nous mettons d’accord sur le prix du voyage (800 shillings). Le chauffeur tente de nous embarquer sur une route qui ne convient pas du tout aux passagers qui ont l’habitude de ce trajet, et ils le lui crient haut et fort, l’obligeant à emprunter la route qu’ils connaissent. Le voyage se déroule normalement, si ce n’est que le chauffeur n’arrête pas de trifouiller la radio et que nous nous retrouvons perdus à Naro Moru, au pied du Mont Kenya (le point culminant du pays) où le chauffeur, mentionnant un énorme trou dans la route habituelle, change de chemin pour nous emmener dans un endroit périurbain au milieu de nulle part. Nous demandons à des passants où rejoindre la route pour Nairobi. Un des passagers, un musulman, dit au chauffeur de ne pas nous emmener à Nyeri, car il n’a pas envie de se faire découper en rondelles. Cela me rappelle un homme rencontré à l’hôtel Ababuro de Marsabit. Il m’a raconté avoir évité de justesse de se faire massacrer à Nyeri par des chrétiens qui usaient de leurs machettes pour venger les victimes tuées dans l’attaque de Mandera. Ce qui l’avait sauvé, m’a-t-il raconté, c’est qu’il avait toujours sur lui deux cartes d’identité, l’une avec un nom chrétien et l’autre avec un nom musulman. Lorsqu’il s’était retrouvé avec la machette sous la gorge, il avait montré la « bonne » carte. Il pouvait porter un toast à sa survie.
Nous retrouvons finalement la bonne route et nous voilà coincés dans la circulation sur la grande rocade Thika, peu après seize heures.
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Pour comprendre le Kenya, j’ai toujours cru qu’il fallait le comparer à ses voisins. Cette fois, j’ai décidé de regarder le pays de l’intérieur, espérant trouver les réponses que je cherchais en interrogeant ma propre nature kényane, en me confrontant à mes peurs et à mes préjugés. Ce voyage avait un objectif sincère. Pendant plusieurs jours, ma préoccupation première était de partir à la découverte du nord, pour essayer de comprendre pourquoi on le néglige tant. Voyager au nord du pays est un défi : le manque d’investissements dans les infrastructures reflète la marginalisation économique, sociale et politique infligée par les gouvernements coloniaux et post-coloniaux qui ont opté pour la canalisation des ressources vers le développement des régions agricoles du centre et de l’ouest du pays. Ses habitants ont conservé un mode de vie traditionnel qu’on ne trouve plus dans le sud, à cause de leur mode de vie nomade et de terres inhospitalières. Ils n’ont toujours eu que très peu de contacts avec les étrangers et même si, pour la Nairobie blasée que je suis, cette simplicité de vie est une façon rafraîchissante de s’évader du monde de requins de la capitale, je ne peux pas m’empêcher de m’interroger sur l’exclusion de ce vaste morceau de notre pays dans le processus de développement. C’est précisément cet isolement qui a alimenté la pauvreté et l’insécurité de la région. Mais la nouvelle constitution de 2010, qui a changé la gestion du pouvoir et des ressources dans le pays, semble ouvrir la voie au développement et à plus d’égalité. Avec la décentralisation, les gouvernements des districts des zones autrefois marginalisées se voient attribuer des fonds du gouvernement central, mais ont leur mot à dire sur la façon dont le distribuer et quels projets de développement favoriser. Pour l’année fiscale 2013-2014, le district a alloué 280 millions de shillings pour booster la production agricole et combattre l’insécurité alimentaire.
Le bétail est la pierre angulaire économique du pays, et il y a des projets parmi lesquels la construction d’un abattoir à 300 millions de shillings, ainsi que la création d’une usine qui fabriquerait de la viande de meilleure qualité. L’ambitieux projet Lapsset (Lamu Port – Sud Soudan – Éthiopie – Transport) est en cours, avec pour but de s’ouvrir au nord, d’exploiter ses ressources pour en faire un moteur de l’économie, encourageant le commerce transfrontalier avec l’Éthiopie, dont les 80 millions d’habitants représentent un marché potentiel énorme pour les produits et services kényans. Le vaste potentiel touristique du nord (sites archéologiques, plages de sable blanc des rives du lac Turkana, le désert Chalbi, les lacs cratères, les éléphants de Marsabit et bien d’autres curiosités encore…) demeure inexploité à cause de l’insécurité et d’infrastructures inadéquates. Tandis que les conséquences des attaques de Mandera se répercutent à travers tout le pays, des forces meurtrières menacent de déchirer le Kenya et de mettre à mal une paix déjà bien fragile. Mais nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer le nord.
Traduit de l’anglais par Céline Laurent-Santran d’après l’article « Northward bound; A trip to Marsabit », paru dans le Marsabit Times. Couverture : La route de Marsabit, par Filiberto Strazzari. Création graphique par Ulyces.