Après des décennies à caresser son idée, à polir le projet, Olivier Chiabodo a officiellement lancé un inventaire de la planète jeudi 7 novembre. Il s’est déjà rendu dans l’Arctique, au Honduras, en Afrique du Sud, en Papouasie occidentale ou encore en Nouvelle-Calédonie afin de ramener des images en 8K « d’un espace naturel dont la force principale repose sur l’émotion que génère sa beauté » ; et il va continuer à le faire pour alimenter The Explorers, la chaîne et application désormais disponible sur Samsung TV et Androïd.
Olivier Chiabodo n’est pas seul. Le fondateur de la Carte aux trésors invite ceux qui vont le suivre à « montrer les merveilles sans cacher les blessures, magnifier les espèces les plus spectaculaires sans jamais oublier l’Homme, à la fois générateur et victime des mutations qu’il fait subir à la nature ». Ceux qui envoient les meilleurs reportages pourront partir à l’aventure avec ses équipes. Ainsi, dans les 12 années à venir, il espère sensibiliser l’humanité « tant aux merveilles naturelles qu’aux fragilités des écosystèmes ». Ce travail essentiel a déjà commencé.
Qu’est-ce que The Explorers ?
Avec The Explorers, nous proposons un inventaire de la planète en vidéo. Depuis le 7 novembre, notre chaîne, à laquelle vous pouvez accéder via l’application Android ou sur une télé Samsung, propose le plus grand catalogue 8K au monde, en 17 langues et dans 170 pays. Cela fait plusieurs années que nous tournons autour du globe, ce qui nous a permis de rassembler plus de 5 000 heures de rushs.
Nous avons tiré de ces expéditions des films aux formats différents. Certains durent 1 à 3 minutes et sont adaptés aux smartphones alors que d’autres durent 26 ou 52 minutes. Pour accéder à ces derniers, il faut payer un abonnement mensuel de 2,99 euros. Sur cette somme, 10 % revient à la Explorers Foundation, qui vise à protéger le patrimoine naturel, culturel et humain en soutenant des acteurs de terrain.
Sinon, tout est gratuit est sans publicité. Nous ne voulons d’ailleurs pas héberger nos vidéos sur YouTube car elles seraient parasités pas les campagnes des marques. Le message se veut simple et clair. Rien ne doit perturber notre travail de sensibilisation aux merveilles naturelles et aux fragilités des écosystèmes. Je pense que l’image est un très bon outil pour ça, d’autant plus que tout le monde a désormais un smartphone dans la poche.
Chacun peut donc contribuer à l’inventaire en envoyant ses photos ou vidéos d’un endroit près de chez soi comme d’un voyage. La communauté votera ensuite pour les trois meilleurs reportages, dont les auteurs nous accompagneront lors de la prochaine expédition. Nous recevons déjà du contenu de très bonne qualité, qu’il soit pris à la GoPro ou au smartphone. Il faut que notre communauté se sente embarquée et complète l’équipe de caméramans. Nous lui laissons une créativité totale. Je pense que nous allons être agréablement surpris.
Sur The Explorers, il y a aussi une messagerie, qui donne la possibilité d’échanger à l’international, afin de fonder une connexion mondiale autour du thème de la sauvegarde de la planète. L’intérêt, c’est de rendre cette application très contributive, très engageante, de manière à ce que de plus en plus de gens viennent nous aider à faire l’inventaire.
Avec quels moyens partez-vous à l’aventure ?
Je reviens de Nouvelle-Calédonie où nous avons tourné avec notre équipe d’une vingtaine de personnes. L’Indonésie sera la destination pour janvier. Nous allons réaliser 12 expéditions par an dans l’espoir de terminer l’inventaire d’ici 12 ans. Vu que nous essayons de choisir des endroits très différents, les reportages sont variés et notre façon de nous déplacer sur place n’est jamais la même. En général, il y a deux équipes sous-marines, une équipe aérienne et une terrestre, qui filme pendant de 20 à 25 jours.
La majeure partie des cameramans sont des gens avec qui je travaille depuis une vingtaine d’année, auxquels sont venus se greffer quelques petits nouveaux. C’est intéressant d’avoir des plus jeunes car ça amène des façons de voir les choses différemment. En plus de l’équipe de captation, il y a une équipe de post-production et une équipe numérique et avec des ingénieurs et développeurs.
Nous avons levé 12 millions d’euros auprès de Jean-Pierre Morel, qui a été directeur de TF1 et a fait sa carrière chez Bouygues. En ce moment, nous levons la suite. Lundi 2 décembre, The Explorers a été désigné application de l’année sur Apple TV. C’est génial car les gens nous trouvent maintenant beaucoup plus intéressants, ils nous invitent partout dans le monde. Je repars par exemple bientôt en Chine pour un congrès mondial. À ma grande surprise, le gouvernement ne nous a pas encore contactés, mais ça devrait venir – il est assez occupé avec les grèves en ce moment…
Il faut dire que The Explorers est un peu un ovni. On nous a comparé à National Geographic mais ça reste une chaîne classique, avec la licence d’une fondation de Washington. Nous avons une marque forte, fruit d’une longue réflexion. Cela fait des années que je pense à cette chaîne. J’avais imaginé une plateforme de vidéos à la demande un peu à la Netflix mais avec un réseau social à la Facebook et des images à la Instagram. On m’a longtemps ri au nez.
À quand remonte l’idée ?
Elle ne date pas de la prise de conscience qui se développe depuis quelques années. J’ai eu la chance de grandir à Provins, un village de campagne situé à 100 km de Paris. Ça éveille un peu les sens à la nature. Je suis né et j’ai grandi là-bas. Mon père était expert comptable et ma mère a eu la chance d’élever ses deux enfants. Ils avaient une maison à Saint-Brévin-les-Pins, sur la côte de Loire-Atlantique, d’où je naviguais vers La Baule. J’y faisais beaucoup de catamaran avec des amis qui sont devenus de grands navigateurs comme Loïc Perron et Laurent Brugnon.
J’ai déménagé à Paris à mon entrée au lycée Louis-le-Grand, mais j’aimais toujours l’aventure. En 1988, alors que j’étais en cinquième année de médecine, à la faculté de Saint-Antoine, je suis parti dans le détroit de Béring pour passer en catamaran des États-Unis à l’Union soviétique. Je trouvait intéressant de retracer l’histoire de l’Alaska, qui appartenait autrefois aux Russes. Quand un sénateur américain l’a acheté pour sept millions de dollars, en 1867, tout le monde le prenait pour un fou. Aujourd’hui, c’est un des États les plus riches du pays.
Sur place, les Inuits me parlaient déjà de l’évolution des glaces. Je me suis dit qu’il fallait utiliser les médias pour en parler. À mon retour, j’ai vendu les images à Nicolas Hulot, qui produisait le magazine Ushuaïa. J’ai été nommé pour les victoires de l’aventure et TF1, qui cherchait quelqu’un pour présenter l’émission Le Trésor de Pago Pago a pensé à moi. Comme je voulais être chirurgien, j’ai pris six mois de disposition. Et au fur et à mesure, j’ai continué à la télévision.
J’ai inventé le programme La Carte au trésor et j’ai dit à mes employeurs que je voulais faire l’inventaire de la Terre. Ils m’ont dit de remettre à plus tard et je me suis retrouvé à présenter des émissions plus classiques, dont Interville. Finalement, je ne suis jamais devenu médecin mais je ne regrette pas. Je pense que je finirai mes études en écrivant une thèse en lien avec la planète et ses êtres vivants.
Quand le projet a-t-il été lancé ?
Je m’y suis réellement mis en 2014. J’ai mis du temps à convaincre les gens pour obtenir des fonds. En tant qu’ancien étudiant en médecine, j’expliquais aux gens que la planète a la même compulsion que l’homme, à savoir 70 % d’eau et 30 % de solide, d’où la nécessité de faire un inventaire. Finalement, tout le monde est aujourd’hui d’accord pour dire qu’il faut être propriétaire de son catalogue comme le fait The Explorers.
À chaque expédition, je me rends personnellement sur place, en plus de mes tâches de direction. Ça me permet d’apprendre des tas de choses et de rencontrer des gens extraordinaires, des scientifiques comme des membres de tribus. C’est pour ça que je veux amener des gens avec nous. L’humilité face à la nature et aux gens qui en sont proches tous les jours est exceptionnelle.
Mes fils viennent parfois sur quelques expéditions. L’aîné a 22 ans, le cadet 18 et le benjamin 12. C’est important car ce sont eux qui vont faire bouger les choses. J’essaye de mettre en place des outils pour leur faciliter les tâche, car il est important de mieux connaître pour mieux protéger. C’est formidable d’être sur le terrain avec des scientifiques, que ce soit dans une chambre d’hôtel ou sous une toile de tente. J’espère qu’on va créer un mouvement fort en faveur de la planète à l’aube de 2020, qui sera l’année mondiale de la biodiversité.
Couverture : Ben Thouard/The Explorers