Campé sur ses talons dans le salon d’angle de l’Élysée, Emmanuel Macron adresse ses vœux à la nation ce 31 décembre 2018. Bien qu’il ne prononce pas leur nom durant les 17 minutes de son allocution, l’ombre des Gilets Jaunes plane sur chacune de ses paroles. À 600 mètres de là, sur l’avenue des Champs-Élysées, plusieurs centaines d’entre eux manifestent pendant son discours, durant lequel il dit comprendre la colère qui les anime tout en ne donnant pas le signe d’un changement de cap politique.

Aujourd’hui crédité de 18 % d’opinions favorables, est-il à l’aube de 2019 et à deux ans et demi de la fin de son mandat le président le plus détesté de la Ve République ? Pas sûr.

Une violence sans pareil

« S’il est élu, Emmanuel Macron sera d’emblée le président le plus haï de la Ve République », disait l’animateur Éric Brunet sur RMC en mai 2017. Cette prophétie ne s’est pas réalisée mais, 18 mois après son énonciation, Emmanuel Macron semble bel et bien devenu un objet de haine pour une part de plus en plus large de ses concitoyens. Chaque étape de son itinérance sur les traces de la Première Guerre mondiale dans le Nord et l’Est de la France a été marquée par des altercations et des polémiques qui se sont violemment poursuivies sur les réseaux sociaux.

« Sous chaque article lié à son itinérance mémorielle dans la région, nous avons supprimé des dizaines de commentaires et d’insultes sur ce président que vous estimez loin des Français”, “ne favorisant que les riches” », rapportait ainsi le 12 novembre dernier le journal local La Voix du Nord. « Mais le niveau de violence atteint ces derniers jours concernant le président est sans pareil. Chacun de ses actes engendre sur nos réseaux sociaux des centaines de commentaires, d’appels à la haine et à la violence. »

Ironiquement, le déplacement d’Emmanuel Macron dans une région autrefois ravagée par la guerre et aujourd’hui ravagée par la crise économique devait lui permettre de renouer le dialogue avec ses concitoyens. Son parcours avait donc été jalonné de visites de maisons de retraite et d’entreprises pour « aborder les préoccupations actuelles », selon les termes employés par l’Élysée. Il a commencé par une ode à la paix à la cathédrale de Strasbourg le 4 novembre ; il a vite été rattrapé par la colère suscitée par le coût des carburants et la baisse des retraites.

Et comme si « les préoccupations actuelles » ne suffisaient pas, le président a provoqué l’indignation en estimant « légitime » d’inclure le maréchal Pétain, chef du gouvernement de Vichy et symbole de la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale, dans une cérémonie d’hommage aux chefs militaires de la Première Guerre mondiale. « Le maréchal Pétain a été, pendant la Première Guerre mondiale, aussi un grand soldat », a-t-il dit le 7 novembre. « Je ne fais aucun raccourci mais je n’occulte aucune page de l’Histoire. »

« Vous n’êtes pas le bienvenu ici monsieur Macron », lui lance, le lendemain à l’usine MCA de Maubeuge, Samuel Beauvois. « Il y a des salariés ici qui sont à 40 kilomètres du site et il va falloir qu’ils payent une augmentation de l’essence, vous n’êtes pas le bienvenu. » Faute de véritable dialogue, s’ensuit un vif échange lors duquel le président accuse le syndicaliste de « caricaturer » sa politique, d’être « ridicule » et de vouloir faire son « show ». Ce qui ne risque pas de faire changer d’avis les 71 % de Français qui le jugent « arrogant » selon un sondage Elabe réalisé en octobre.

Pas de destin sans haine

Mais Emmanuel Macron n’est pas le premier président de la Ve République à susciter de la détestation parmi les Français, et à tenter de la conjurer. Estimé comme lui « loin des Français », Valéry Giscard d’Estaing a par exemple décidé d’ouvrir le palais de l’Élysée au public et de s’inviter chez ses concitoyens. Avant de comprendre qu’il ne suffit pas de mimer la simplicité pour paraître simple. Sa fascination pour Louis XV, son élocution chuintante et son attitude jugée hautaine ont fait le bonheur des satiristes durant son mandat, de 1974 à 1981.

Lui succède François Mitterrand, qui fut très impopulaire en dehors des périodes de cohabitation. « Il est certain qu’il y a une majorité de Français qui n’approuve pas la politique que nous menons et que je mène donc », reconnaît-il en janvier 1985. Avant d’ajouter : « De là à parler de popularité ou d’impopularité, attendez la suite… J’ai été élu pour sept ans, je remplirai mon devoir pendant le temps qui m’est donné. Pour le reste et au-delà, cela ne figure même pas dans mon subconscient. »

Quant à Jacques Chirac, avant de devenir, dans les années 2010, une figure de mode qui s’affiche sur des t-shirts portés par des électeurs n’ayant jamais eu l’âge de voter pour lui, il a été l’homme des emplois fictifs de la mairie de Paris et des années « Françafrique », le « Super Menteur » des Guignols de l’info. En visite à Mantes-la-Jolie en 2002, il a reçu des crachats sur la tête. Même au sein de son véritable fief, le Salon de l’agriculture, qu’il n’a manqué qu’une seule fois en quarante ans, Jacques Chirac a dû un jour essuyer un « connard ».

Et même le général de Gaulle, qui comme Georges Pompidou n’est jamais descendu en dessous de la barre des 50 % d’opinions favorables, n’a pas complètement échappé à la détestation : celle des manifestants de Mai-1968, qui scandaient alors « Dix ans ça suffit ! ». Au printemps suivant, les électeurs l’ont renvoyé dans sa célèbre résidence de Colombey-les-Deux-Églises en votant « non » au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Il s’y est alors enfermé pour écrire ses Mémoires d’espoir et mener une vie de reclus.

Ainsi « ceux qui ne peuvent supporter d’être haïs ne doivent pas faire de la politique », affirme Nicolas Sarkozy en 2012. Encore moins devenir président, surtout dans le cadre de la Ve, qui personnalise le pouvoir comme aucune autre institution républicaine. « Il n’y a pas de destin sans haine. » Mais l’expression de la haine suscitée par les chefs d’État semble néanmoins avoir été facilitée par l’apparition des réseaux sociaux. Et ce n’est pas Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron qui diraient le contraire. Ni François Hollande.

Le « Hollande-bashing »

Le 23 février 2008, Nicolas Sarkozy met pour la première fois les pieds au Salon de l’agriculture en tant que président de la République lorsqu’un visiteur refuse les poignées de main et les tapes amicales qu’il distribue à tout-va. « Casse-toi alors, pauv’ con, va », rétorque Nicolas Sarkozy dans une vidéo qui va être vue des millions de fois sur YouTube. Réduite à « Casse toi, pauv’ con », la phrase devient un slogan de manifestations, elle est imprimée sur des autocollants et des vêtements.

Deux ans plus tard, des photographies du président en chemise noire et chaîne en or alimentent des blogs, leurs auteurs lui trouvant des airs du héros mafieux de Scarface, Tony Montana. La chanteuse Lio lui souhaite de « crever » au cours d’un concert. Un prêtre lillois déclare prier pour qu’il « ait une crise cardiaque ». Un journal satirique est condamné par le tribunal de grande instance de Paris à retirer un photomontage « le représentant nu en train de subir un acte sexuel derrière les barreaux d’une cellule de prison, agenouillé en slip dans un cachot ».

Des tombereaux d’insultes sont quotidiennement déversés sur lui, puis sur François Hollande. À tel point que des artistes, des intellectuels et des sportifs lancent une pétition dans le JDD pour mettre fin au « Hollande-bashing » en novembre 2016. « C’est comme si, en quatre ans, on n’avait jamais entendu parler ni retenu tout ce qui a été accompli, systématiquement effacé par ce Hollande-bashing », écrivent-ils avant de conclure : « François Hollande a droit au respect comme tout citoyen, et comme président de notre République. »

Cette pétition reste lettre morte, et en mai 2017 la presse dit au revoir au président le plus impopulaire de la Ve République. « François Hollande abandonne l’Élysée avec le titre peu honorifique de président le moins apprécié de l’histoire de la Ve République », attaque par exemple le quotidien espagnol El Mundo. S’achèvent « cinq années marquées par une impasse économique et le terrorisme islamique, à travers lesquelles on se souviendra tout de même de son rôle d’homme d’État, mis en pièces par son image publique ».

Aujourd’hui encore, Emmanuel Macron n’a pas détrôné François Hollande (16 % d’opinions favorables) à en croire un sondage YouGov réalisé en septembre dernier. Il arrive cependant en deuxième position des présidents les moins appréciés de la Ve République avec seulement 18 % d’opinions favorables, devant Nicolas Sarkozy, qui en obtient 29 %, et Valéry Giscard d’Estaing, quant à lui crédité de 33 % d’opinions favorables. Or, son mandat à lui est loin d’être terminé et le mouvement des Gilets Jaunes pourrait encore le tirer vers le bas.


Couverture : F*ck yeah la Ve. (Ulyces)