Devant le point de penalty, au Stade de France, Tomas Koubeck lève son gant jaune dans le vide. Hors d’atteinte, le ballon piqué par Neymar décrit une trajectoire solaire et termine au fond des filets. À la 22e minute de la finale de la Coupe de France, samedi 27 avril 2019, le Paris Saint-Germain mène déjà 2 à 0 contre Rennes. Avec le retour de l’ailier brésilien, on peut s’attendre à ce que le club de la capitale remporte une sixième fois d’affilée la compétition. Le but contre son camp de Presnel Kimpembe à la 40e n’est qu’un véniel coup du sort, se rassurent ses supporters. Du moins, c’est ce que doivent se dire ceux qui ne voient pas les visages inquiets des joueurs. Car encore une fois, le PSG flanche confusément. Ultime preuve se son impuissance, Kilian Mbappé prend un carton rouge à la fin des prolongations. Et le Stade rennais, actuellement 11e de Ligue 1, remporte le trophée à l’issu des tirs aux buts. Paris perd encore dans l’incompréhension la plus totale, comme en Ligue des champions.
Parc des Princes, mercredi 6 mars 2019. Les secondes filent dans l’ultime minute de la rencontre. Aux abords de la surface de réparation, six joueurs parisiens préservent l’avantage de leur équipe lorsque Diogo Dalot lance son pied droit vers l’avant, le corps légèrement penché en sens inverse. La frappe du milieu de terrain de Manchester United est une tentative désespérée de remporter ce huitième de finale de Ligue des champions. Certes, malgré ses millions, le club de la capitale n’est jamais parvenu à passer la barre des quarts de finale. En 2017, fait improbable, il est même sorti après avoir gagné 4 à 0 le match aller face au FC Barcelone. Mais cette fois, contre une piètre équipe anglaise, le Paris Saint-Germain ne peut pas perdre. Revenu victorieux du nord de l’Angleterre (2-0), il possède du « caractère » assurait le club pour promouvoir la confrontation.
Il n’empêche, ce mercredi 6 mars 2019, Diogo Dalot envoie le ballon sur la main de Presnel Kimpembe. Après avoir consulté l’assistance vidéo, l’arbitre désigne le point de penalty. Le ciel s’effondre sur une équipe, un stade et une ville. Marcus Rashford bat Gianluigi Buffon. Le PSG a encore perdu.
Aubaine à Anfield
Cette année devait enfin être celle du PSG. Doté d’un nouvel entraîneur, mis on orbite par Kylian Mbappé et Neymar, le club de la capitale avait tout ce qu’il fallait pour aller au bout de la Ligue des champions. Mais de mauvais signes ont apparu dès la phase de poules. Contre Liverpool, le mardi 18 septembre 2018, Paris fait preuve d’une grande fragilité.
Après une demi-douzaine de pas sur l’aile droite, au stade d’Anfield, Mohammed Salah oblique vers l’axe. Jaillissant de son adroit pied gauche, le ballon glisse devant l’arbitre. Roberto Firmino l’attend. Mais il est intercepté à l’orée du rond central par un adversaire. L’attaquant égyptien de Liverpool manque pour une fois son geste. Le Paris Saint-Germain en profite. Avec l’aide de Neymar, Kylian Mbappé convertit cette erreur en but, portant le score à égalité. Jusqu’ici mené 2 à 1, le club français s’en sortait déjà bien, selon le journaliste de France Football Nabil Djellit, pour qui « il n’y a pas un but d’écart entre les deux équipes ». L’égalisation est donc une véritable aubaine.
Dans ce premier match de la phase de poule de Ligue des champions, « le PSG s’est vu offrir un point », résume le journaliste sportif britannique Jonathan Wilson, auteur du savant livre Inverting the Pyramid. « Il s’en sortait avec l’une des performances les plus honteusement indolentes qu’un club avec de tels moyens eût jamais présenté. Il pouvait retourner à Paris en étant fier d’avoir obtenu un point à l’extérieur. Tout ce qu’il restait à faire aux joueurs, c’était tenir les sept dernières minutes et le temps additionnel. Mais ils n’ont pas pu. » Durant les arrêts de jeu, la balle finit par arriver sur Roberto Firmino, heureux d’offrir un avantage définitif à Liverpool par une frappe du pied droit.
Si le club de la capitale conserve ses chances de remporter la compétition, ce revers cinglant rappelle le traumatisme du 8 mars 2017. Ce soir-là, en huitième de finale, son avance de quatre buts acquise au match aller avait petit à petit fondue jusqu’à se résorber complètement. Étrillée 6 à 1 par Barcelone, l’équipe hexagonale apparaissait bien impuissante. « Dans le vestiaire, il y avait une ambiance d’enterrement », confiait alors le latéral droit Thomas Meunier. « On leur a donné le match avec des buts incroyables, limite insolites. C’est là qu’on voit qu’il manque encore un petit truc à Paris pour faire partie du groupe des Bayern ou Barça. » Capable d’empiler les buts en championnat, Paris impressionne autant sur la scène nationale qu’il déçoit à l’échelle du continent.
Ce mardi 18 septembre 2018, le jugement des observateurs à son égard est de nouveau sévère. « Regardez le but victorieux de Firmino et comptez le nombre de joueurs du PSG qui fuient plutôt que d’essayer de le bloquer », invite Jonathan Wilson. « Ce sont les bases de la défense, du respect professionnel de soi et ils ne les ont même pas. » Non seulement les 750 millions d’euros dépensés en huit ans n’ont pas permis de glaner un sacre européen, mais tout se passe comme si les leçons du passé n’étaient pas retenues, en sorte que les mêmes causes produisent les mêmes effets désastreux. « Tous les défauts qui ont entraîné la défaite du PSG contre le Real Madrid la saison dernière étaient encore là à Anfield mardi », juge Wilson.
Avant de s’incliner contre les deux cadors espagnols, Paris avait été éliminé par Manchester City en avril 2016. Pour l’émir Tamim Al-Thani, propriétaire de la formation française via le fonds d’investissement Qatar Sports Investments, ce fut « un coup de massue » donné par la danseuse de son rival, le cheikh Mansour d’Abou Dhabi. L’entraîneur Laurent Blanc avait alors été remplacé par Unai Emery, lui-même remercié l’été dernier. Pour sa première rencontre européenne aux manettes, Thomas Tuchel a donc perdu contre Liverpool, quatrième de Premier League l’an passé. Le lendemain, l’Olympique lyonnais a réussi à vaincre le champion d’Angleterre en titre, Manchester City, sur son terrain. C’est bien que quelque chose ne fonctionne pas dans la capitale.
Le flou
Devant le bouquet de micros qui s’agite en conférence de presse, la lippe de Thiago Silva pend entre les phrases du joueur en signe d’impuissance. La capitaine du Paris Saint-Germain peine à expliquer ce revers. « Je crois que c’était un match équilibré non ? » ose-t-il, engoncé dans un hoodie noir. « Il faut être attentif à chaque moment », reconnaît-il ensuite. « Aujourd’hui, on n’était pas 100 % concentrés car on n’est pas habitué à prendre des buts comme ça. » L’homme qui a récupéré la mauvaise passe de Mohammed Salah, Julian Draxler, reconnaît avec lui avoir « manqué agressivité ». Certes. Mais n’y a-t-il pas aussi un problème tactique ? « Au milieu, les trois n’étaient pas à leur place ? Il faut demander à Antero, ça », répond, sibyllin, Thiago Silva.
« Je conseille au PSG de se séparer de son directeur sportif. » — Uli Hoeness
Le défenseur se réfère au directeur sportif du club, Antero Henrique. Débauché du FC Porto en juin 2017, le Lusitanien est censé faire parler son sens du recrutement au PSG. Il n’a en revanche pas à intervenir dans la composition d’équipe, qui reste en général du ressort de l’entraîneur. Mais les rôles sont-ils si bien définis à Paris ? À la veille du match contre Liverpool, Thomas Tuchel a avoué qu’il était déçu de son effectif. « L’absence d’un milieu de terrain, est-ce le détail qui peut faire la différence ? Bien sûr. L’impact physique d’un numéro six, c’est ce qui me préoccupe », glissait-il au quotidien L’Équipe. Des pistes considérées dans ce secteurs de jeu tels N’Golo Kanté, Sergej Milinkovic-Savic ou Renato Sanches, aucune n’a signé.
Les négociations avortées concernant ce dernier ont même fait dire au président du Bayern Munich, où il est finalement resté, qu’Antero Henrique n’était pas compétent. « Je conseille au PSG de se séparer de son directeur sportif », a déclaré Uli Hoeness début septembre. « Cet homme ne donne pas une bonne image du club. Si le PSG veut devenir un club de niveau mondial, ils ne peuvent pas se permettre d’avoir un tel directeur sportif. » Le Bavarois lui reproche d’avoir accepté un marché, puis d’être revenu marchander avant de se cloîtrer dans le silence. Le PSG aurait aussi court-circuité les dirigeants afin d’obtenir l’accord du défenseur Jérôme Boateng.
Ses prédécesseurs n’ont pas toujours brillé. Acheté 42 millions d’euros en 2011, juste après l’arrivée des Qataris, le milieu argentin de 29 ans Javier Pastore vient d’être revendu moins de 25 millions d’euros à l’AS Rome. La saison suivante, les dirigeants avaient porté leur dévolu sur Lucas Moura, sortant de nouveau autour de 40 millions de leur porte-feuille ; le Brésilien vient d’être cédé à Tottenham pour 28. L’année de sa venue, l’entraîneur Carlo Ancelotti aurait reçu un coup de téléphone de l’émir du Qatar en personne après une défaite contre Nice. D’après ses proches, le technicien italien a été menacé de ne plus être payé. Cela explique en partie son envie de partir, en 2013, malgré de bons résultats.
Le travail de son successeur n’a pas été moins parasité. Lorsque le latéral ivoirien l’a insulté dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, Laurent Blanc a décidé de l’écarter du groupe. Sauf que l’émir lui aurait intimé de revenir sur sa décision. Après son départ, en 2016, le président Nasser Al-Khelaïfi a annoncé l’enclenchement d’un « nouveau cycle », dans lequel ont été incorporés et empilés des joueurs aux fonctions mal définies : ainsi des milieux Hatem Ben Arfa et Grzegorz Krychowiak qui n’ont pratiquement jamais joué. Mais le flou s’est fait plus grand encore dans l’encadrement.
Un étrange cycle
À la fin du printemps 2016, le nouveau cycle est espéré par tous. L’émir est vexé d’avoir perdu face à son rival et beaucoup de supporters réclament de nouveaux joueurs. Le photographe Marc Roussel remarque alors sur le site La Règle du jeu qu’ « aucune équipe ne s’est imposée à l’échelle internationale sans au moins un joueur d’exception. Pelé, Cruyff, Platini, Zidane, Messi, Ronaldo… ont été ou sont des joueurs capables de gestes à d’autres impossibles. On ne peut plus espérer gagner la Champions League ou le Mondial sans un joueur de ce niveau. Le grand Zlatan a montré ses limites en Europe. Il est temps pour le PSG et pour Nasser Al-Khelaïfi, s’ils veulent atteindre le dernier carré, de recruter une des stars actuelles ou de trouver celle de demain. » Au lieu de cela arrivent Hatem Ben Arfa, Grzegorz Krychowiak, Thomas Meunier et Giovani Lo Celso.
Le 14 juillet 2016, le club officialise aussi l’arrivée d’une ancienne star. Buteur prolifique du FC Barcelone à la fin des années 1990 et au début de la dernière décennie, Patrick Kluivert devient directeur du football. Nasser Al-Khelaïfi l’a semble-t-il recruté au doigt mouillé après l’avoir rencontré sur un plateau de télévision. Hélas, on a tôt fait de découvrir que « sa force de travail et son réseau apparaissent assez limités », peut-on lire dans le livre PSG, La remontada n’aura plus lieu. À en croire les auteurs, Damien Degorre et Arnaud Hermant, le Néerlandais a organisé un match amical contre l’AS Rome au lieu du Milan AC, en janvier 2017, ne sachant pas que l’homme qu’il avait au bout du fil avait changé de club. Et il agace Unai Emery en pianotant sur son smartphone pendant les causeries.
Kluivert ne tient qu’un an. Il est renvoyé quelques mois après la piteuse défaite contre le FC Barcelone. Cette fois, Al-Khelaïfi tient ses vedettes de dimension internationale en offrant de mirobolants contrats à Neymar et Kylian Mbappé. Mais les tensions demeurent en coulisse et le jeu s’en ressent. Le 6 mars 2018, au soir de la défaite contre le Real Madrid, le quotidien La Croix estime que « la pâle prestation des Parisiens révèle la faillite d’un groupe de stars incapables de se transcender, et l’impuissance d’un encadrement qui ne parvient pas à trouver la bonne formule en dépit des centaines de millions d’euros investis ».
Dans l’encadrement justement, les dents grincent. Avant de quitter son poste d’entraîneur de la réserve, François Rodrigues dit toute son amertume au Parisien en mai 2018. Le technicien ignore qui dirige le centre de formation. « Le seul poste clair est celui de Jean-François Pien, qui gère la partie administrative », cingle-t-il. « Les responsabilités sont un peu éparpillées. Que veut dire le titre de directeur sportif, par rapport à celui de directeur technique de la formation ou de directeur du centre ? On est dans le flou assez complet. »
Aussi, la situation est-elle « compliquée ». « Lorsque le groupe pro a besoin d’un joueur de la formation », poursuit-il, « il y a cinq intermédiaires : le coach, le team manager Dorian Godard, Maxwell, Luis Fernandez, puis moi, en tant qu’entraîneur de la réserve. Je n’ai jamais vu ça. » François Rodrigues parle même de « scission entre l’Académie et les pros ». Début août, le directeur technique du club Carles Romagosa a annoncé son départ, causé par le retour de Bertrand Reaureau, qui était lui parti pour Monaco après un passage par le conseil des prud’hommes. Contacté par email, il refuse d’en dire plus étant « toujours sous contrat avec le PSG ».
Finalement, assène Jonathan Wilson, « chaque saison une question devient plus fondamentale : qu’est-ce que le PSG ? Un coup marketing bizarrement raté ? La lessiveuse de la réputation du Qatar à l’international ? Ce n’est en tout cas pas un club de football au sens traditionnel du terme. Et s’il s’agit d’un agent du soft power qatari, il va falloir mettre l’accent sur le power plus que le soft. »
Couverture : Liverpool – PSG. (PSG.fr)