Embouteillages

Le long de la D612, dans le sud d’Agde, une file de voitures s’étire sur une allée bordée de palmiers. Ce lundi 11 mai 2020, le drive du McDonald’s situé aux portes de la ville héraultaise déborde de clients prêts à faire des heures d’attente pour récupérer un Big Mac. Au mois d’avril, des centaines de personnes s’étaient déjà ruées sur les restaurants de la chaîne qui rouvraient en Île-de-France, comme si le confinement avait pour eux été synonyme de sevrage.

Vendredi 15 mai, la franchise américaine fêtait ses 80 ans dans un contexte certes particulier, mais en affichant tout de même une santé étincelante. Avec ses 37 000 restaurants répartis dans 120 pays à travers le monde, la marque imaginée par Richard et Maurice McDonald, deux frères américains d’origine irlandaise, a gravi de nombreux échelons depuis ses premières ventes de hamburgers à 15 cents en drive dans les années 1940. En 2011, la chaîne réalisait un chiffre d’affaires de plus de 23 milliards d’euros au niveau mondial, dont quatre milliards en France. Chaque jour, ses restaurants reçoivent plus de 69 millions de clients. C’est comme si toute la France allait manger au McDo quotidiennement.

Crédits : Benoït Prieur

En 2019, l’entreprise a annoncé un revenu net de plus de 5,5 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 75 millions d’euros par rapport à 2018. Depuis 2016, les actions de McDonald’s ont augmenté de 40 %, des chiffres qui témoignent de l’immense succès de l’enseigne jaune et rouge. Les clients les plus ciblés sont les enfants, avec le menu Happy Meal qui représente 20 % des repas vendus par le fast food. Mais McDonald’s vise aussi les jeunes avec des prix abordables, un temps d’attente réduit et la commande en ligne, sur une borne, en drive ou à la caisse.

Mais si les gens sont prêts à faire la queue pendant plusieurs heures, c’est bien que la multinationale fait la différence par sa nourriture. Elle plaît à la Maison-Blanche et même à certains grands chefs. Malgré sa réputation intransigeante, Philippe Etchebest avouait au Parisien, en 2018, qu’il emmène régulièrement son fils au McDo « pour y manger un Big Mac, plutôt deux dans mon cas ! » La cheffe indienne Chaitali Waychal a également admis que ses moments dans les restaurants de Ronald comptent parmi les plus heureux de ses études en école de cuisine à Paris.

La bouche mécanique

À la fin des années 1930, les deux frères McDonald quittent la Nouvelle-Angleterre pour la Californie, à l’autre bout du pays, avec pour objectif de se faire une place dans le milieu du cinéma. Mais ils se rendent très vite compte qu’ils sont meilleurs à faire cuire des steaks. En 1937, leur père ouvre un stand de nourriture au bord de la fameuse Route 66. Le reste appartient à l’histoire. Le succès est si grand que McDonald’s s’exporte et finit par ouvrir sa première enseigne française à Strasbourg en 1979.

Pour garantir la pérennité de leur succès, Maurice et Richard font attention à chaque détail. Leur société a ainsi élaboré un arôme qui donne aux frites la même odeur que des pommes de terre cuites dans de la graisse de bœuf, alors qu’elles dorent en réalité dans de l’huile végétale. Du sirop de glucose est également ajouté lors de la cuisson des frites, afin de leur donner un équilibre entre le sel, le gras et le sucre. Même si les frites n’ont pas un goût sucré, notre cerveau détecte la présence de glucose, ce qui nous pousse à en manger davantage.

Richard McDonald’s

Plus légères que les frites d’autres fast food comme Burger King, donc plus croustillante, elle ont aussi un niveau de sodium inférieur, tout comme le Big Mac contient moins de sel (880 mg de sodium) que le Whopper (1260 mg). Pour trouver cet équilibre, la franchise utilise une armée de groupes témoins chargés de tester les nouvelles recettes. En plus de ça, McDonald’s utilise des technologies ultra-sophistiquées comme par exemple une bouche mécanique qui contient pas moins de 250 capteurs sensoriels pour s’assurer que les frites ont la texture parfaite en bouche. Un procédé détaillé au milligramme mais qui requiert beaucoup de temps et de tests. Il faut six mois à McDonald’s pour changer ne serait-ce qu’un seul ingrédient d’un seul produit.

À chaque fois, cette organisation minutieuse permet de mettre au point des aliments capables de « créer une sensa­tion en bouche mémo­rable pour votre cerveau et géné­rer une envie de reviens-y », résume la diété­ti­cienne nutri­tion­niste Magali Walko­wicz. Pour être en phase avec une jeunesse de plus en plus soucieuse de son empreinte écologique, McDonald’s s’est aussi adapté en inventant une direction de l’Environnement et du Développement durable en 2005. Et en novembre 2019, elle a dit adieu à ses couvercles et pailles en plastique.

Mais cet effort est relatif. Selon Marine Laclautre, auteure de la pétition Zéro déchet au McDo « ils sont encore en retard. Ce n’est pas assez par rapport à tous les déchets qu’ils produisent, un kilo de déchets par seconde en France. » Les efforts déployés en cuisine pour élaborer des plats addictifs ne vont du reste pas sans problème : ils engendrent obésité et embouteillages. Mais pour les conducteurs qui patientaient le 11 mai devant le McDonald’s d’Agde, le plus important restait le réconfort apporté par les burgers et les frites de la chaîne. Car avec son organisation industrielle millimétrée, cette dernière a surtout réussi à mettre au point un goût d’autant plus séduisant qu’il apporte toujours le même plaisir gras.


Couverture : Xuno