Les Inconnus
Jean McConville venait de prendre son bain lorsque les intrus ont frappé à la porte. C’était une femme de petite taille, au sourire timide. À 37 ans, elle élevait seule ses dix enfants. Elle était veuve : Arthur, son époux, était décédé onze mois plus tôt d’un cancer. La famille McConville n’a pas quitté pour autant le complexe des Divis Flats situé à l’extrémité de Falls Road, au cœur d’un quartier catholique de Belfast-Ouest. Ils ont simplement emménagé dans un appartement plus spacieux. La gazinière n’étant pas encore raccordée, Helen, la fille aînée alors âgée de 15 ans, est sortie acheter des fish and chips pour le dîner. « Ne traîne pas pour fumer en cachette », lui a recommandé Jean. C’était en décembre 1972. À 18 h 30, il faisait nuit noire. Quand les enfants ont entendu frapper, ils pensaient qu’Helen était de retour.
Quatre hommes et quatre femmes sont entrés en trombe ; certains portaient des cagoules, d’autres avaient couvert leur visage de bas en nylon qui défiguraient leurs traits de façon sinistre. L’un des intrus a brandi une arme. « Mets ton manteau », a-t-il ordonné à Jean. Elle tremblait violemment tandis qu’ils l’entraînaient à l’extérieur de l’appartement. « À l’aide ! » hurlait-elle. « Je me souviens avoir tenté de m’agripper à ma mère », m’a raconté récemment Michael, l’un de ses fils. Il avait 11 ans à l’époque. « On pleurait tous. Ma mère était en larmes. » Billy et Jim, les jumeaux âgés de six ans, s’accrochaient aux jambes de Jean en hurlant. Les intrus tentaient de calmer les enfants, promettant de leur ramener leur mère : ils voulaient seulement lui parler. Elle ne serait partie que « quelques heures ». Archie, l’aîné de la fratrie âgé de 16 ans, a demandé s’il pouvait l’accompagner ; le gang a accepté. Jean McConville a enfilé un long manteau en tweed et s’est couverte d’une écharpe tandis que les plus jeunes des enfants ont été conduits dans l’une des chambres. Les intrus appelaient les enfants par leur prénom. Certains des hommes ne portaient pas de masque et Michael, terrorisé, s’est rendu compte que ces gens qui emmenaient sa mère n’étaient pas des inconnus, mais des voisins. Le complexe des Divis Flats a été construit à la fin des années 1960, dans un élan d’utopisme architectural dont les fruits relèvent plus de la dystopie. Un programme de « démolition des taudis » avait permis de raser un quartier d’habitations étroites et surpeuplées datant du XIXe siècle pour faire place à cet imposant complexe de 850 logements. De l’avis de Michael McConville, le terrier des Divis aux innombrables balcons et paliers ressemblait à un « labyrinthe pour rats ».
En 1972, il était devenu l’un des bastions de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise, qui menait alors une guérilla contre l’armée britannique, le Royal Ulster Constabulary (la police d’Irlande du Nord jusqu’en 2001) et les groupes paramilitaires loyalistes. Une tour de dix-neuf étages s’élevait à l’extrémité de Divis, l’un des immeubles les plus hauts de Belfast. Aux deux derniers étages, l’armée britannique avait installé un poste militaire. Ce repère se trouvant en plein territoire ennemi, les Britanniques n’avaient parfois d’autre choix que d’y accéder par hélicoptère. Depuis le toit, leurs tireurs d’élite échangeaient des tirs avec les combattants de l’IRA en contrebas. Michael, tout comme le reste de sa famille, s’était habitué à la réverbération des explosions et à la clameur des combats. Certaines nuits, les enfants étendaient leur matelas au sol, loin des fenêtres. L’IRA ayant bloqué les ascenseurs du complexe pour freiner les patrouilles britanniques, Jean et Archie McConville ont été pressés dans les escaliers. Lorsqu’ils sont arrivés au rez-de-chaussée, l’un des hommes a pointé son arme si près du visage d’Archie qu’il pouvait sentir le contact froid du canon contre sa peau. « Fous le camp ! » Archie n’était qu’en gamin, seul et désarmé. Il a remonté les escaliers à contre-cœur. Au deuxième étage, une des parois était striée de lames verticales. Le regard fixé sur l’extérieur, Archie a vu sa mère poussée à l’arrière d’un van Volkswagen avant que le véhicule ne s’éloigne. La disparition de Jean McConville est aujourd’hui considérée comme l’une des pires atrocités commises durant les Troubles, ce long conflit qui a marqué l’Irlande du Nord. Mais à l’époque, personne en dehors de ses enfants n’a semblé se soucier de sa disparition. À son retour, Helen est partie avec Archie à la recherche de Jean, mais nul ne pouvait (ou ne voulait) leur dire où elle avait été conduite, ni quand elle allait revenir.
Des semaines plus tard, une assistante sociale a rendu visite aux enfants ; elle a noté dans son rapport que les enfants McConville avaient su « se débrouiller seuls ». À Divis Flats, leurs voisins étaient au courant de l’enlèvement, tout comme le curé de la paroisse, mais d’après le rapport, ils n’ont montré aucune sympathie à leur encontre. Des rumeurs ont commencé à circuler : Jean n’aurait pas été enlevée. Elle aurait abandonné ses enfants pour s’enfuir avec un soldat britannique. Une allégation propre à mettre le feu aux poudres : à Belfast, les femmes catholiques qui fréquentaient l’ennemi subissaient parfois un châtiment sévère. Attachées à un réverbère, la tête rasée, elles étaient enduites de goudron, puis couvertes de plumes. Les McConville étaient une famille de « sang-mêlé ». Née dans un milieu protestant, Jean s’était convertie au catholicisme après avoir épousé Arthur. La famille s’est installée chez la mère de Jean, dans un quartier à majorité protestante de Belfast-Est, jusqu’en 1969. Les tensions croissantes entre les deux communautés les ont alors persuadé de déménager. Ils ont trouvé refuge dans Belfast-Ouest, où ils ont réalisé bien vite qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Plusieurs semaines après le rapt, le 17 janvier 1973, une équipe de la BBC s’est rendue chez les McConville pour enregistrer une émission. Tandis que les plus jeunes, des enfants pâles, timides, effrayés et le regard fuyant, s’entassaient sur le sofa, les journalistes ont demandé à Helen si elle savait pourquoi sa mère était partie. « Non », a-t-elle répondu en hochant la tête. Agnes McConville, qui avait 13 ans à l’époque, a fait remarquer avec espoir que sa mère portait des souliers rouges lorsqu’ils l’avaient emmenée. Avant d’ajouter : « Nous croisons les doigts et nous prierons pour qu’elle revienne. »
Mais tout porte à croire qu’une chose affreuse est arrivée à Jean McConville. Une semaine après son enlèvement, un jeune homme a rendu visite aux enfants. Il leur a remis le portefeuille de leur mère et trois bagues qu’elle portait au moment de son départ : une bague de fiançailles, son alliance ainsi qu’un anneau offert par Arthur. Les enfants lui ont demandé où se trouvait Jean. « Je ne sais rien à propos de votre mère », leur a-t-il répondu. « On m’a juste dit de vous remettre ceci. » Lorsque j’ai parlé à Michael récemment, il m’a confié : « Je savais alors, même si je n’avais que 11 ans, que maman était morte. » Cela a pris plus de temps à ses frères et sœurs pour s’en convaincre. La « disparition forcée de personnes », classée parmi les crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, est un acte des plus pernicieux, qui condamne l’entourage de la victime à un purgatoire d’incertitudes. « Vous ne pouvez pas faire le deuil d’une personne qui n’est pas morte », a un jour déclaré l’écrivain argentino-chilien Ariel Dorfman. Helen et Archie sont allés signaler à la police l’enlèvement de Jean ; toutefois les fichiers du Royal Ulster Constabulary ne font état d’aucune enquête menée à l’époque. Le corps de Jean McConville n’a pas été retrouvé. Aussi, plusieurs de ses enfants se sont raccrochés pendant des années à l’espoir qu’ils n’étaient pas orphelins, que bientôt leur mère reviendrait. Peut-être souffrait-elle d’amnésie, et peut-être vivait-elle dans un autre pays, sans même savoir qu’elle avait laissé toute sa famille derrière elle à Belfast.
Mais des décennies de silence sont venues à bout d’espoirs difficiles à entretenir. Malgré l’incertitude lancinante, il existait une explication évidente. Susan, l’une des sœurs de Michael, qui avait 8 ans le jour de l’enlèvement de Jean, m’a confié qu’elle avait compris que sa mère était morte, parce que sinon « elle aurait trouvé le moyen de leur revenir ». Après des mois passés livrés à eux-mêmes, les enfants McConville ont été séparés par les services sociaux. Les plus jeunes ont été répartis dans différents orphelinats. Les aînés ont trouvé un emploi et un endroit où loger. La fratrie n’est plus réunie qu’en de rares occasions et jamais ils n’évoquent ce qui est arrivé à leur mère. Les Troubles ont engendré en Irlande du Nord une culture du silence. Avec des factions armées s’affrontant en pleine rue, il pouvait s’avérer dangereux de poser des questions. Une troupe de jeunes membres de l’IRA est allée jusqu’à passer Michael McConville à tabac, avant de le poignarder d’un couteau de poche à la jambe. Ils l’ont libéré sur cet avertissement : « Ne parle pas de ce qui est arrivé à ta mère. » Les enfants ont grandi ; de temps en temps, ils rencontrent d’anciens voisins dans les rues de Belfast et ils reconnaissent des individus qui étaient présents ce soir-là. Mais, comme me l’a dit Archie d’une voix désespérée, « on ne peut rien faire. Ils font comme si rien ne se s’était passé. » Est arrivée l’année 1994 : l’IRA a proclamé un cessez-le-feu. Gerry Adams, révolutionnaire barbu qui présidait le parti Sinn Féin, rallié à la cause républicaine, a ouvert des négociations de paix avec le gouvernement britannique. L’objectif du processus était de convaincre l’IRA d’abandonner la résistance armée et de tolérer désormais la présence des Britanniques en Irlande du Nord. Dans l’édition de son livre The IRA parue en 2002, Tim Pat Coogan fait remarquer qu’un traité de paix aurait été visionnaire, mais il aurait également constitué un pari risqué pour Gerry, car « sa vie n’aurait plus tenue qu’à un fil s’il renonçait à la “lutte armée”. » Grâce à sa persévérance et à son sens de la politique, Gerry Adams est parvenu à ses fins. En 1998, il a permis la signature des accords du Vendredi saint, qui ont mis fin aux Troubles. Alors que le processus de paix suivait son cours, l’IRA accepte d’aider aux recherches des tombes anonymes des victimes assassinées dans les années 1970.
Si Gerry Adams est l’un des visages les plus connus du mouvement républicain, il a toujours nié son appartenance à l’IRA. Il maintient qu’il n’a jamais joué le moindre rôle dans les violences perpétrées au moment des Troubles. Il se contentait de diriger le Sinn Féin. Mais en tant que représentant du mouvement républicain lors des négociations de paix, il a toutefois été obligé de répondre des disparitions forcées. À plusieurs reprises, il a rencontré les enfants McConville. Gerry lui-même est né dans une fratrie de dix enfants, aussi éprouve-t-il une certaine empathie à leur égard. « Cela ne fait aucun doute : l’IRA a assassiné votre mère », leur a-t-il avoué. Il leur a également expliqué qu’il ne savait pas qui avait ordonné et perpétré cet assassinat, ni à quel endroit Jean McConville avait été ensevelie. Mais il s’est personnellement engagé à mener l’enquête. Michael a exigé des excuses, aussi Gerry a-t-il réfléchi attentivement à ses paroles. « Même si ça ne change rien je vous présente mes excuses», a-t-il dit. « L’IRA n’aurait jamais dû infliger cela à votre mère. » La première personne qui s’est dite impliquée dans la disparition de Jean McConville est Dolours Price, une ancienne activiste membre de l’IRA.
En 2010, elle a déclaré dans une série d’interviews qu’elle était membre d’une unité secrète de l’IRA appelée les « Inconnus ». Ils étaient chargés d’opérations paramilitaires clandestines et notamment des disparitions forcées. Dolours n’a pas fait irruption chez les McConville ce soir-là, mais elle a conduit Jean jusqu’en Irlande où cette dernière a été exécutée. D’après Dolours, Jean était une espionne au service de l’armée britannique, qui fournissait des renseignements sur les activités de l’IRA à Divis Flats. L’ordre de la faire disparaître est venu du commandant de la Brigade de Belfast au sein de l’IRA, qui avait toute autorité sur les Inconnus. Dolours affirme qu’à l’époque, il s’agissait de Gerry Adams.
Les tourbières
Dolours Price aime à dire qu’elle porte le républicanisme irlandais dans ses gènes. Durant son enfance passée à Belfast, elle s’asseyait sur les genoux de son père, Albert. Il lui racontait comment il avait pris part dans sa jeunesse à un attentat à la bombe commandité par l’IRA en Angleterre. Sa tante, Bridie Dolan, qui habitait chez eux, avait été défigurée à l’âge de 27 ans, après avoir déposé une cache d’explosifs dans un dépôt de l’IRA. L’explosion l’a amputée de ses deux mains et rendue aveugle. « Jamais il n’a été question de la “pauvre Bridie” », a confié Marian, la plus jeune des sœurs de Dolours, à la journaliste Suzanne Breen en 2004. « Nous étions très fiers de son sacrifice. Elle est sortie de l’hôpital pour retrouver une petite maison avec des toilettes extérieures, sans avoir droit à une assistance sociale, une pension d’invalidité ou un suivi psychologique. Elle s’est débrouillée seule. » Bridie était une fumeuse invétérée ; Dolours et Marian allumaient des cigarettes qu’elles coinçaient entre ses lèvres.
L’IRA provisoire, une branche plus agressive de l’organisation, se préparait à mener une véritable guérilla.
À la fin des années 1960, Dolours était une adolescente ravissante et impétueuse, le visage rond, le yeux bleu-vert et les cheveux roux foncé. Elle suivait avec Marian une formation pour devenir enseignante, mais elle fréquentait des politiciens radicaux qui prenaient part à des manifestations pour le respect des droits civiques et donnaient des conférences à Milan sur « la répression britannique » au siège d’un parti politique maoïste. Des tensions déchiraient l’Irlande du Nord depuis 1920, date à laquelle la Guerre d’indépendance irlandaise a conduit à la partition de l’île. Depuis, les 26 comtés du Sud formaient une république indépendante, tandis que la couronne britannique exerçait sa domination sur les six comtés du Nord. L’IRA trouve son origine dans ce conflit ; depuis la partition de l’île, l’organisation s’efforçait d’obliger les britanniques à quitter le pays. En Irlande du Nord, les catholiques ont longtemps fait l’objet de discriminations dans l’accès au logement et à l’emploi. Au début des Troubles en 1969, ces tensions se sont muées en actes de violence. De nouveaux groupes paramilitaires fidèles à la couronne d’Angleterre ont émergé, notamment l’Ulster Volunteer Force et l’Ulster Defence Association. En janvier, des groupes de loyalistes s’en sont pris à des manifestants pour les droits civiques lors d’une marche ralliant Belfast à Derry. En août, les policiers du Royal Ulster Constabulary ont fait feu sur Divis Flats, causant la mort du jeune catholique Patrick Rooney, âgé de 9 ans. C’était le premier enfant victime du conflit. Durant cette période, la police organisait régulièrement des descentes chez les Price, Albert étant suspecté d’être en rapport avec l’IRA.
En 1971, les Britanniques ont eu recours à des camps d’internement très controversés : tout individu soupçonné d’être impliqué dans le mouvement républicain y était incarcéré sans jugement, pour une durée indéfinie. Les policiers en ont fait les frais car cette décision a poussé une nouvelle génération de partisans de la cause républicaine à se radicaliser. L’IRA provisoire, une branche plus agressive de l’organisation, se préparait à mener une véritable guérilla. C’est à ce moment-là que Dolours Price a décidé de rejoindre cette faction. Historiquement, les femmes s’enrôlaient dans la branche féminine de l’organisation, appelée Cumann na mBan (« le conseil des Irlandaises »). La mère et la grand-mère de Dolours en étaient toutes deux membres. Mais Dolours n’avait aucune envie de soigner des hommes blessés ; elle voulait « combattre en soldat ». Les dirigeants de l’IRA provisoire se sont donc réunis afin d’examiner son cas et c’est ainsi qu’en août 1971, elle est devenue la première femme membre à part entière. À seulement 20 ans.
Très vite, Marian l’a rejointe au sein de l’IRA. Dolours l’avouera plus tard, « je devrais avoir honte de dire que nous nous amusions à cette époque ». Souvent, les hommes attirés par le radicalisme sont animés par un sentiment de communauté ou le partage d’objectifs communs. Dans le cas de Dolours, la gloire a également joué un rôle. Les membres de l’IRA se considéraient non pas comme des soldats ou des terroristes, mais comme des « volontaires », prêts à sacrifier leur vie pour une cause. À Belfast, on n’avait encore jamais vu de belles jeunes femmes instruites portant les armes au milieu des rues jonchées de décombres. Les sœurs Price sont vite devenues des icônes de charme. « C’étaient des filles insolentes », m’a raconté Eamonn McCann, un ami de longue date. « Elles n’avaient rien d’impassibles dialecticiennes ou de fanatiques. Elles prêtaient à sourire. » Dans un article de presse de l’époque, elles sont décrites comme « des jolies filles qui, après avoir fini leurs devoirs, arpentent les rues, une carabine Armalite sous leur imperméable pour prendre part aux combats contre l’armée britannique ». Des histoires scabreuses couraient à propos des deux sœurs : on racontait que Marian, vêtue d’une mini-jupe, passait en toute facilité les points de contrôle de l’armée britannique alors qu’elle avait le coffre chargé d’explosifs. Pendant un temps, un centre commercial de Belfast a été baptisé Crazy Prices et bien entendu, Marian et Dolours ont adopté ce surnom. Un autre de leurs amis m’a confié que Douleurs avait rejoint l’IRA par « coquetterie rebelle ».
À cette époque, la jeune femme a rencontré Gerry Adams. Ancien barman à Ballymurphy, c’était un jeune homme svelte, aux pommettes saillantes que surmontaient des lunettes à monture noire. À l’instar de Dolours, il avait grandi dans une famille de Belfast entretenant des liens étroits avec l’IRA. Gerry aurait rejoint l’organisation au milieu des années 1960, dès son adolescence. Plusieurs anciens volontaires de l’IRA m’ont affirmé qu’il faisait partie de l’IRA. Sur une photographie prise en 1970 lors de funérailles à Belfast, il apparaît coiffé d’un béret noir, attribut de l’uniforme civil de l’organisation. En mars 1972, le gouvernement britannique a enfermé Gerry sur le Maidstone, un navire de la marine nationale transformé en prison, mais en juin, il a été libéré afin de représenter l’IRA lors des négociations de paix avec les Britanniques. Dolours et Marian Price sont venues le chercher pour le conduire jusqu’aux leaders du mouvement républicain à Belfast. (Le dialogue n’a abouti nulle part.)
Un télégramme de la diplomatie américaine datant de janvier 1973 désigne Gerry comme « un chef militaire de Belfast ». Toutefois, Gerry Adams n’a jamais mené à bien d’opération militaire. Dans un documentaire de 2010, Voices from the Grave (« les voix d’outre-tombe »), Dolours Price témoigne : « Gerry ne tolérait pas d’être en présence d’armes, ni dans une situation qui aurait signé son arrestation. » Il préférait déléguer les actions sur le terrain à son ami le plus proche, Brendan Hughes, un homme trapu aux sourcils broussailleux, doté d’une crinière de cheveux sombres. Brendan, surnommé le Ténébreux, contribuait à leur mission par son ingéniosité militaire, tout en suscitant un certain enthousiasme. Sa vie s’organisait « d’opération en opération », raconterait-il plus tard. « Nous dévalisions des banques, des postes, des trains ; nous posions des bombes ; nous tirions sur des Britanniques, le tout en essayant de rester en vie. » Pour Dolours, Brendan était un « géant sacré ». Il inspirait une loyauté sans faille à ses compagnons parce qu’il se battait à leurs côtés et « ne demandait rien aux volontaires qu’il n’aurait fait lui-même ». Avant de rejoindre l’IRA, Brendan était matelot sur un navire marchant. Un jour, un marin lui a montré la brochure d’une nouvelle carabine venue tout droit d’Amérique : l’Armalite. « Nous avons eu le coup de foudre pour cette arme », se souvient Brendan. L’Armalite était parfaitement adaptée aux combats en milieu urbain : légère, puissante et munie d’une crosse rétractable, donc plus facile à dissimuler. Gerry l’a donc envoyé à New York pour se procurer des Armalite, par le biais d’un réseau de trafiquants complices. Brendan a imaginé un plan ingénieux afin de ramener les armes jusqu’en Irlande.
En 1969, le Queen Elizabeth 2 effectuait des voyages transatlantiques entre Southampton et New York. Le navire comptait près de mille membres d’équipage parmi lesquels de nombreux Irlandais, dont certains travaillaient officieusement au service de Brendan. C’est ainsi que le navire portant le nom de la reine d’Angleterre a permis à l’IRA d’organiser son trafic d’armes. Dans les rues de Belfast, des graffitis annonçaient l’arrivée des carabines : « Dieu a créé les catholiques, mais l’Armalite les rendra égaux. » Dans les années 1960, l’IRA ne regroupait que quelques dizaines de membres, qui étaient d’autant plus faciles à identifier. Mais à ce stade, des centaines de recrues avaient rejoint l’organisation. Avec la formation de l’IRA provisoire et l’arrivée de nouveaux leaders comme Gerry Adams, des tactiques plus performantes ont été mises en œuvre. Les autorités britanniques n’y étaient pas préparées. Lorsque Brendan Hughes a commencé à jouer un rôle actif au sein de l’IRA, son père a détruit toutes les photos de famille sur lesquelles il apparaissait pour que ses opposants ne puissent pas le reconnaître. À vrai dire, les photos de Gerry Adams étaient si rares que les autorités britanniques n’avaient aucune idée de ce à quoi il ressemblait. Dans son autobiographie intitulée Before the Dawn (« avant l’aube »), il raconte comment les Britanniques ont capturé son chien Shane et le promenaient en laisse dans l’espoir qu’il les mène à son maître. Gerry et Brendan sont devenus la cible de plusieurs tentatives d’assassinat. Ils déménageaient en permanence de résidence protégée en résidence protégée, grâce au soutien de la population de Belfast-Ouest. Des véhicules blindés parcouraient le quartier de Falls Road, des hélicoptères stationnaient dans le ciel de la ville. Les habitants retiraient les pancartes des rues afin de désorienter les patrouilles britanniques et frappaient les couvercles des poubelles en ferraille pour sonner l’alarme. Lorsque Brendan et ses hommes fuyaient la police dans les rues, des portes s’entrouvraient soudain pour leur permettre de se cacher.
À cette époque, quand Gerry arpentait la cité, il évitait « les rues qui comportent de longs passages sans porte d’entrée », ainsi qu’il l’écrirait plus tard. En 1972, l’armée britannique a instauré un système ingénieux. Un service de blanchisserie appelé Four Square Laundry a été mis en place : des coupons de réduction étaient distribués puis un véhicule parcouraient les quartiers catholiques pour déposer ou récupérer des vêtements. Un code couleur était utilisé. Ainsi, les vêtements étaient soumis à des tests permettant de détecter la présence de traces de poudre ou d’explosifs. Les adresses de livraison associées étaient ensuite identifiées comme des repères de l’IRA. Cette opération a été mise au jour lorsque l’organisation a interrogé Seamus Wright, l’un de ses membres qui s’avérait travailler comme agent double pour le compte des Britanniques. Le véhicule de la blanchisserie a été pris d’assaut, le conducteur abattu. D’après les membres de l’IRA, deux hommes dissimulés dans un compartiment secret sous le toit du van ont également été tués. Par la suite, Dolours Price a conduit Seamus et l’un de ses collègues, un septuagénaire nommé Kevin McKee qui s’est également avéré être un traître, jusqu’en Irlande où tous deux ont été exécutés et enterrés dans des tombes anonymes à l’automne 1972. Quand l’IRA s’est rendu compte de l’existence d’agents doubles, ses dirigeants ont créé une unité spéciale chargée d’identifier les espions et traîtres à l’organisation. C’est dans ce climat de paranoïa croissante que Jean McConville a emménagé à Divis Flats.
Un jour qu’il était encore un enfant, Michael McConville a vu son père rapporter deux pigeons à la maison. Comme il me l’a raconté, Michael était autorisé à les garder dans un carton dans sa chambre. Son père s’intéressait alors aux courses de pigeons voyageurs. Après l’emménagement de la famille dans Belfast-Ouest, Michael et ses amis ont exploré les maisons abandonnées où ces oiseaux trouvaient refuge. Chaque fois qu’il en repérait un, il retirait son manteau pour capturer l’animal ; puis il le rapportait chez lui, caché sous son pull, pour développer sa flotte de volatiles. Belfast-Ouest était alors un endroit dangereux pour un petit garçon téméraire, mais Michael n’avait pas peur. « La plupart des garçons n’avaient pas peur car on avait grandi en plein conflit », m’a-t-il confié. Une fois, il a escaladé le mur d’un ancien moulin où campait une troupe de soldats britanniques. Alarmés, les soldats ont pointé leurs armes sur lui, puis ils lui ont ordonné de retourner d’où il venait. « On ne respectait pas la loi parce qu’on ne connaissait que la brutalité », se souvient Michael. « Les soldats frappaient des hommes face au mur, jambes écartées. C’est de là qu’est née chez de nombreux enfants la volonté de joindre l’IRA. » Il soupire. « Je ne crois pas que les Britanniques se doutaient de ce qu’ils allaient déclencher. » À 53 ans, Michael est un homme frêle et réservé, aux cheveux gris et aux joues roses, qui a hérité des lèvres pincées de sa mère. Quand je suis allé lui rendre visite l’été dernier, dans la maison moderne et lumineuse qu’il a bâti non loin de Belfast, il m’a montré une photographie de sa mère. Le cliché est célèbre : c’est le seul qu’il reste de Jean McConville, une photo d’aspect granuleux prise dans les années 1960 devant la maison familiale, à Belfast-Est. Jean affiche un sourire hésitant ; ses cheveux noirs ramenés en arrière, elle croise les bras. Trois de ses enfants sont assis à ses côtés sur le rebord d’une fenêtre tandis qu’Arthur se tient accroupi au premier plan. Arthur était plus âgé que Jean. Il avait combattu les Japonais en Birmanie au cours de la Seconde Guerre mondiale.
En 1954, lorsqu’Anne, son premier enfant, est né, Jean n’avait que 17 ans. Au décès d’Arthur, elle a eu du mal à nourrir ses dix enfants, même avec la pension de guerre qui lui était versée. « Elle n’arrivait pas à s’en sortir », raconte Michael ; elle a d’ailleurs souffert de dépression nerveuse. Lorsque je lui ai parlé de l’accusation de traîtrise portée contre sa mère, il a répondu avec indignation : « Quand est-ce qu’elle aurait trouvé le temps pour ça ? » Elle n’arrêtait pas une seconde, préparant des ragoûts ou frottant les vêtements sur une planche dans l’évier de la cuisine. Après le départ d’Arthur, Jean a développé une application dans le ménage qui relevait de la manie. L’un ou l’autre des enfants perdait sans arrêt un bouton ou déchirait un de ses vêtements. Aussi avait-elle en permanence une large épingle à nourrice bleue (une « épingle à couches-culottes », comme l’appelait Michael) attachée à ses vêtements. C’était son signe distinctif.
Peu avant qu’elle soit enlevée, Jean McConville a éveillé des soupçons parmi le voisinage. Un soir qu’elle et ses enfants étaient à la maison, ils ont entendu un homme gémir de douleur dans le couloir, derrière la porte d’entrée. Jean a ouvert la porte avec précaution pour découvrir un soldat britannique gisant sur le seuil. Il était blessé par balle. Jean l’a étendu et lui a apporté un oreiller. « Ma mère était comme ça », raconte Michael. « Elle aurait aidé n’importe qui. » Le jour suivant, quelqu’un a peint ces mots sur la porte : Brit Lover. Jean avait un frère, Tom, qui venait de temps en temps de Belfast-Est pour leur rendre visite. D’après Susan et Archie, il entrait parfois dans Divis vêtu d’une écharpe orange, symbole unioniste par excellence. Une telle provocation dans le quartier catholique de Belfast-Ouest était un acte de pure folie. Quoiqu’il en soit, Jean était catholique, tout comme ses enfants. Au moment de son enlèvement, Robert, son fils aîné, se trouvait en prison car il était suspecté de prendre part aux activités de l’IRA officielle. Jean McConville ne s’accordait qu’une sortie hebdomadaire pour jouer au bingo.
Un soir, elle a été interrompue au cours d’une partie : on lui a dit qu’un de ses enfants était blessé, qu’une voiture l’attendait à l’extérieur pour la conduire à l’hôpital. Quelques heures plus tard, des soldats britanniques l’ont retrouvée errant dans les rues, pieds nus, désorientée. Apparemment, elle avait été arrêtée par un groupe armé, puis relâchée. Son visage était enflé, tuméfié : elle avait été battue. Quand les soldats l’ont reconduite chez elle, « elle parlait par énigmes », se souvient Michael. Les enfants n’arrivaient pas à comprendre ce qui s’était passé. Ils lui ont préparé du thé ; elle fumait cigarette sur cigarette. Puis leur mère a été enlevée à nouveau et cette fois, elle n’est pas revenue. « Il n’y avait plus personne pour veiller sur nous », m’a confié Michael. « J’ai été placé dans différents foyers, mais à chaque fois, je fuguais. » Dans l’un des orphelinats, des frères parcouraient le dortoir de nuit à la lampe électrique, en demandant à des garçons de les suivre. Michael n’a pas été violenté, mais son plus jeune frère, Billy, qui avait été envoyé dans un orphelinat catholique à Kircubbin, a été victime d’attouchements. Il ne s’est confié que récemment à un groupe d’experts chargés d’enquêter sur les exactions commises durant cette période. Michael a finalement atterri dans un établissement entouré d’une enceinte électrifiée de 5 mètres de hauteur. « C’est la meilleure des maisons d’accueil que j’ai jamais eue », m’assure-t-il. Une nonne bienveillante lui est venue en aide ; petit à petit, il recollait les morceaux de son existence. Il a rencontré sa future femme, Angela, à l’âge de 16 ans. Il a ensuite commencé une carrière stable comme couvreur, et contrairement à d’autres de ses frères et sœurs, il n’est tombé ni dans la drogue, ni dans l’alcool. Avec son épouse, ils ont eu quatre enfants, dont il parle avec fierté. « J’ai fait de mon mieux, si on considère l’enfance que j’ai eue, pour être un bon père », me dit-il.
En Afrique du Sud, à la fin de l’apartheid, le gouvernement a entamé un processus dit « de vérité et de réconciliation ». Afin que l’ensemble des exactions commises par le passé soient répertoriées, les responsables se sont vus offrir l’amnistie en échange d’aveux sincères et complets. Mais en Irlande du Nord, où près de 3 600 personnes ont trouvé la mort et plus de 40 000 ont été blessées pendant les Troubles, il n’existe aucun recensement exhaustif des actes en question. Dans un rapport datant de 2013, Amnesty International dénonce les mécanismes « disparates et isolés » adoptés pour examiner les atteintes aux droits de l’homme commises par le passé. L’ONG suggère que « dans la sphère politique, ce sont les individus au pouvoir qui craignent d’avoir peu à gagner (voire beaucoup à perdre) si le passé de l’Irlande du Nord faisait l’objet d’un examen minutieux ». En 1999, encouragés par Bill Clinton, les gouvernements irlandais et britanniques ont instauré une commission indépendante pour la localisation des dépouilles des victimes. L’IRA a accepté de révéler l’emplacement des tombes de neuf personnes assassinées et enterrées en secret durant les Troubles, contre l’assurance qu’aucune poursuite pénale ne serait engagée. L’organisation a déclaré que certains des disparus, notamment Jean McConville, étaient des informateurs. Michael et ses frères et sœurs ont rejeté fermement cette accusation, mais ils n’ont eu d’autre choix que d’accepter la coopération de l’IRA dans leurs recherches.
La plupart des paysages irlandais comportent de nombreuses tourbières. Les caractéristiques acide et anaérobie de terres densément compactes donnent lieu à des résurrections macabres du passé de l’île. Les cueilleurs de tourbes découvrent fréquemment des fragments de mâchoires, de clavicules et parfois des squelettes entiers ayant traversé les millénaires. Certaines dépouilles qui datent de l’âge de bronze portent les stigmates de sacrifices rituels et de morts violentes. Ces victimes, exclues et ensevelies par leurs semblables, refont surface presque inaltérées, comme en témoignent leurs cheveux et leur peau parcheminée. Le poète Seamus Heaney, qui dans son enfance cueillait de la tourbe pour la ferme familiale, a un jour qualifié les tourbières d’Irlande de « paysage qui se souvient de tout ce qui s’est passé en son sein et sur son sol ».
À l’été 1999, Helen, l’une des filles de Jean McConville, a appris par deux prêtres faisant office d’intermédiaires que l’IRA avait identifié l’endroit où aurait été enterré le corps de sa mère : un bout de côte balayée par les vents, près de Carlingford dans le comté de Louth, sur la côté est de la République d’Irlande. Tandis que les tractopelles se préparaient à retourner le sol, Helen a rassemblé ses frères et sœurs autour d’une table. C’était une réunion de famille des plus étranges. La plupart d’entre eux ne s’étaient pas croisés depuis des années. Nerveux, susceptibles, les McConville affichaient encore leur chagrin. Ils avaient à présent entre 30 et 50 ans, mais semblaient plus âgés. Les visages étaient hagards, les bras des hommes couverts de tatouages bleu foncé. Lorsqu’ils évoquent Jean, même entre eux, chacun a tendance à parler de « sa mère ». « Où allons-nous l’enterrer ? » a demandé Michael. « Belfast-Ouest » a répondu Helen. (Un documentaire datant de 1999, Disappeared, a immortalisé la conversation.) « Ça va leur faire mal. C’est eux qui l’ont tuée. C’est eux qui nous ont volé notre mère. » Certains de ses frères étaient un peu réticents. « Nous vivons tous dans des quartiers républicains », a dit Jim. « On ne veut pas leur chercher d’histoires. » Avant d’ajouter : « Ceux qui ont fait ça vont le regretter jusqu’à la fin de leurs jours. Il est temps de pardonner. » Billy s’est emporté : « Je ne vais pas pardonner à ces enfoirés ! »
En juillet 1972, vingt bombes ont explosé à Belfast en l’espace d’une seule journée, faisant neuf morts.
Cinquante jours durant, les tractopelles se sont mis à l’œuvre, creusant un cratère de la taille d’une piscine olympique. L’impatience de la famille a laissé place au désespoir : de toute évidence, l’IRA avait commis une erreur. « Ils nous ont bien ridiculisés » le jour où ils ont enlevé Jean, déplorait Agnès, dont le mascara coulait sous les larmes. « Ils recommencent aujourd’hui. » Les recherches ont été abandonnées et les enfants ont regagné leurs foyers. L’un des hommes qui avait enlevé Jean conduit aujourd’hui un des Black taxis à travers Falls Road. Un jour, Michael a hélé un taxi et il est monté à l’arrière, pour découvrir cet homme installé au volant. Michael n’a rien dit ; il ne pouvait pas. Il a attendu en silence puis a réglé la course.
Les sœurs Price
Un après-midi de mars 1973, au siège londonien du Times, une femme a répondu à un appel. À l’autre bout du fil, elle a entendu un homme à l’accent irlandais légèrement prononcé énumérer les emplacements et la description de plusieurs véhicules stationnés dans la ville. « Les bombes exploseront dans une heure », a-t-il ajouté. Il était deux heures de l’après-midi. Les directeurs du Times ont prévenu la police de la teneur de l’appel, tandis que des journalistes se rendaient à l’emplacement de la bombe la plus proche. D’après le locuteur, elle se trouvait dans une Ford Cortina verte, garée devant le Old Bailey, le tribunal correctionnel central de Londres. À 14 h 30, la police est arrivée sur les lieux. Une bombe de 55 kilos a été découverte sous le siège arrière de la voiture. Les démineurs sont intervenus : ils sont entrés en trombe dans le pub adjacent, The George, pour ordonner aux gérants ébahis son évacuation immédiate. Un car scolaire venait de déposer 49 enfants près de la Ford. Immédiatement, un inspecteur a hurlé aux enseignants de quitter la zone. Le projet d’un attentat coordonné au centre de la capitale était né quelques mois plus tôt, au cours d’une réunion secrète à Belfast. L’IRA avait déjà posé des centaines de bombes en Irlande du Nord, mais Dolours Price, qui se souvenait de l’attentat perpétré par son père en Angleterre dans les années 1940, avait réclamé une action bien plus audacieuse. À l’occasion d’une interview accordée en 2012 au Telegraph, elle se souvient : « J’étais persuadée qu’un choc violent et ponctuel, au cœur même de l’empire britannique, serait bien plus efficace que vingt voitures piégées explosant dans le nord de l’Irlande. » Dolours était présente à cette réunion stratégique, tout comme Marian et Brendan Hughes. Dolours et Brendan affirment que c’est Gerry Adams qui dirigeait les discussions.
D’ordinaire, l’IRA lançait des avertissements avant chaque attentat à la bombe, pour limiter le nombre de victimes parmi les civils. Mais parfois, ces avertissements n’étaient pas suffisamment précoces pour permettre l’évacuation des lieux : en juillet 1972, vingt bombes ont explosé à Belfast en l’espace d’une seule journée, faisant neuf morts. Un épisode connu sous le nom de Bloody Friday (« Vendredi sanglant »). « Vous risquez la potence », a prévenu Gerry ; si les responsables étaient attrapés, ils seraient exécutés pour trahison. « Si quelqu’un veut renoncer, qu’il se lève et parte sur le champ. » Plusieurs personnes ont quitté la salle, mais pas les sœurs Price. Une équipe de dix volontaires a été sélectionnée pour mener à bien le premier attentat à la bombe perpétré par l’IRA en Angleterre depuis trente ans. Malgré ses 22 ans, Dolours a été désignée responsable de la mission. Elle était, selon ses propres mots, le commandant de « tout le bastringue ». L’équipe est partie pour la République d’Irlande plusieurs semaines afin de s’entraîner au maniement des armes. Des voitures, volées sous la menace, ont été repeintes puis acheminées jusqu’à Dublin. Là, des membres de l’organisation les ont équipées de plaques d’immatriculation anglaises avant de leur faire traverser la mer d’Irlande à bord de ferrys. Peu avant le jour de l’attaque, Dolours et son équipe sont entrés dans Londres où ils ont réservé des chambres d’hôtels. Les bombes devaient être déposées à quatre endroits différents le matin, les retardateurs devant enclencher la mise à feu simultanément l’après-midi. À 7 h 30, les quatre véhicules piégés étaient en place. Les bombes étaient réglées pour exploser à 14 h 30. Si tout se déroulait selon le plan, l’équipe sera déjà à bord d’un vol retour pour l’Irlande au moment de l’explosion. Or, Dolours et ses acolytes ignoraient qu’un espion infiltré avait déjà informé les autorités britanniques de l’attentat. La police a reçu l’ordre de redoubler de vigilance.
Peu après le dépôt d’une bombe dissimulée dans une Ford Corsair à l’extérieur de Scotland Yard, un policier de passage s’est aperçu que le numéro de plaque ne correspondait pas à l’année indiquée sur le véhicule. Au terme de fouilles complémentaires, les policiers ont découvert une bombe sous le siège arrière, qu’ils ont désamorcée. Les dirigeants britanniques savaient que les responsables allaient tenter de quitter le pays, aussi ont-ils pris une mesure exceptionnelle : « Verrouiller l’Angleterre. » Dans le hall des départs de l’aéroport de Londres Heathrow, des policiers ont repéré un groupe de jeunes attendant d’embarquer pour un vol à destination de Dublin. Une femme à la chevelure de jais vêtue d’un long manteau semblait donner les directives. Il s’agissait de Dolours Price. Lorsque la police l’a interrogée, elle a dit s’appeler Una Devlin. Un officier lui a présenté un exemplaire d’un journal de l’époque, The Evening News, qui affichait en gros titre la découverte d’une bombe devant Scotland Yard. Elle l’a fixé en silence. Dans son sac à main, la police a découvert, outre une « grande quantité de maquillage », un carnet à spirales dont plusieurs pages avaient été arrachées. Quand les experts ont examiné les empreintes laissées par la bille du stylo sur les pages suivantes, ils ont révélé un diagramme représentant le circuit d’un détonateur. Dolours a été arrêtée, ainsi que Marian. L’enquêteur qui a interrogé cette dernière se souvient encore de l’interrogatoire qui a suivi. À 14 h 50 précise, « elle a levé le poignet et regardé fixement sa montre, puis elle m’a souri. »
Les experts démineurs n’ont pas pu arriver avant 14 h 50 au Old Bailey ; les bombes n’ont pu être désamorcées à temps. L’explosion a soufflé des vitres, creusé un cratère dans la chaussée et projeté des débris de verre et de métal aux alentours. Une autre bombe a également explosé près de Westminster. Plus de 200 personnes ont été blessées dans les attentats et un homme est décédé d’une crise cardiaque. « Nous n’avions pas l’intention de tuer des gens à Londres », se souvient Brendan. Dolours Price ne s’est pas montrée aussi magnanime. « Il y a eu des avertissements, mais les gens n’ont pas quitté les lieux », a-t-elle confié des années plus tard. « Certains attendaient même aux fenêtres de leur bureau, ils ont été frappés par des éclats de verre quand la voiture a explosé. » Elle ajoutait : « À Belfast, nous lancions les avertissements quinze minutes avant chaque explosion. À Londres, nous leur avons laissé une heure. » Le procès des terroristes de Old Bailey s’est tenu à l’extérieur de Londres, dans le grand hall du château de Winchester, dix semaines durant.
Cet événement a fait couler beaucoup d’encre, la presse ayant fait grand cas des sœurs Price. Le quotidien The Irish Times décrivait la façon qu’elles avaient d’entrer chaque jour dans la salle, « habillées de façon impeccable », prenant la pose avec un air de défi. À la barre, Dolours était presque orgueilleuse ; elle soutenait qu’elle ne savait rien de l’opération. Lorsqu’un des magistrats l’a questionnée à propos du détonateur tracé dans son carnet, elle a feint d’être confuse, jouant les actrices devant l’assistance. « Il m’a eue ! » Interrogée sur ses convictions politiques, elle s’est montrée moins évasive et a déclaré : « J’aimerais la suppression de la frontière et la création d’une Irlande démocratique. » Huit terroristes ont été reconnus coupables et condamnés à une double peine de réclusion à perpétuité. À la lecture du verdict, ils ont raillé le juge et proclamé leur loyauté à l’IRA. C’est alors qu’ils ont fait part de leur intention d’entamer une grève de la faim. Comme le souligne Padraig O’Malley dans son ouvrage Biting at the Grave: The Irish Hunger Strikes and the Politics of Despair, publié en 1990, l’utilisation du jeûne comme forme de protestation en Irlande remonte bien avant les débuts de l’ère chrétienne. En 1903, William Butler Yeats a publié la pièce Le Seuil du palais du roi, l’histoire d’un poète qui, au XVIIe siècle en Irlande, avait entamé une grève de la faim aux portes du palais royal. Yeats y décrit une étrange coutume ancestrale au nom de laquelle des hommes offensés se laissent mourir de faim en des lieux où viendront se recueillir les gens du commun. En 1920, Terence MacSwiney, un homme politique irlandais emprisonné à Brixton pour sédition, est décédé après 63 jours de grève de la faim. L’affaire a eu un retentissement international et près de dix mille personnes ont suivi le cortège funéraire le jour de son enterrement. « Ce ne sont pas ceux qui causent le plus de peine, mais ceux qui souffrent le plus qui auront gain de cause », avait-il déclaré.
Quand les sœurs Price et plusieurs de leurs codétenus ont refusé de s’alimenter, ils avaient des revendications bien précises. Ils exigeaient d’obtenir le statut de prisonniers politiques et d’être transférés en Irlande du Nord afin de purger leur peine auprès des leurs. « Les jours passent, nous nous affaiblissons toujours plus », écrivait Dolours dans une lettre. « Mais qu’importe si notre corps faiblit, notre détermination reste sans faille. » La plupart des parents seraient bouleversés à l’idée que leur fille, à peine sortie de l’adolescence, décide de jeûner à mort. Mais le geste des sœurs Price s’inscrit dans une tradition réfractaire qui suscitait la fierté. Après avoir rendu visite à ses filles, Albert Price a déclaré à la presse : « Elles sont heureuses. Heureuses de mourir. » Prenant conscience de la crise qu’engendrerait le décès de l’une des sœurs, les autorités britanniques ont décidé de les forcer à se nourrir quotidiennement. « Quatre surveillants nous attachaient à une chaise avec des draps si étroitement serrés qu’on ne pouvait pas se défendre », expliquait Marian des années plus tard. « On avait beau serrer les dents pour fermer la bouche, ils utilisaient un appareil à ressorts métalliques placé autour de notre mâchoire pour l’ouvrir de force. » Les surveillants inséraient ensuite entre les dents une pince de bois percée d’un trou, dans lequel ils glissaient un tuyau. « Il mettait un peu tout et n’importe quoi au mixeur », poursuit Marian. « Du jus d’orange, de la soupe, des briques de crème quand ils voulaient augmenter le taux de calories. »
En janvier 1974, des proches venus rendre visite à Dolours ont été horrifiés de l’état physique dans lequel elle se trouvait : elle avait perdu beaucoup de poids, sa peau était cireuse et ses cheveux blanchissaient au niveau des racines. Ses dents bougeaient sous la pression de la pince. La situation est devenue intenable pour le gouvernement britannique, qui était critiqué pour l’alimentation forcée des soeurs Price, bien que sans cela, elles seraient déjà mortes. L’épreuve de force a pris une tournure déconcertante lorsque des cambrioleurs se sont emparés du Joueur de guitare du peintre Vermeer au musée Hampstead. Dans plusieurs lettres de rançon, ils menaçaient de brûler le tableau (« avec force cérémonie, en véritables fous furieux ») si les sœurs Price n’étaient pas transférées en Irlande du Nord. Chrissie, leur mère, a informé les journalistes que Dolours, « qui est étudiante en art », avait demandé à ce que le Vermeer ne soit pas endommagé. (Il a finalement été rendu, intact.) En mai 1974, sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement britannique a accepté de ne plus alimenter les Price. Les sœurs ont vite perdu une livre par jour ; d’après un rapport médical, elles « épuisaient l’intégralité des forces de leur propre corps ». En fin de compte, le ministre de l’Intérieur Roy Jenkins a informé les Price qu’elles seraient bientôt transférées à la prison d’Armagh, en Irlande du Nord. En juin, elles ont mis un terme à une grève de la faim qui avait duré 205 jours. Un transfert a été organisé au printemps suivant dans le plus grand secret. Dans le documentaire The Chaplain’s diary, diffusé en 2002 sur les ondes irlandaises, Dolours se souvient que le directeur de la prison de Brixton est entré dans sa cellule pour lui annoncer : « Vous rentrez chez vous. Pas vraiment chez vous, vous allez à Armagh. »
« Je m’en contenterai », lui a répondu Dolours. Assise aux côtés de Marian pendant le court vol au-dessus des eaux de la mer d’Irlande, elle a éclaté en larmes en apercevant les étendues vertes en contrebas.
« Nous ne sommes pas encore en Irlande », lui a dit Marian. « C’est l’île de Man. » Moins d’une heure après le décollage, elles ont atterri en Irlande du Nord. Les sœurs Price étaient ravies de rentrer chez elles mais accablées par les circonstances de leur arrivée. Quelques mois plus tôt, leur mère Chrissie et leur tante Bridie Dolan étaient toutes deux décédées. Sans succès, elles avaient sollicité la compassion des autorités pour assister aux funérailles de leur mère. Le cercueil de Chrissie Price a été transporté à travers les rues de Belfast. À l’avant de la procession, une petite fille portait le béret noir et les lunettes teintées de l’IRA. Dans son ouvrage On the Blanket, qui retrace l’histoire des grévistes de la faim pendant les Troubles, Tim Pat Coogan explique que la décision d’arrêter d’alimenter les Price a été lourde de conséquences. Le gouvernement britannique admettait de fait que « désormais, toute personne en grève de la faim pourrait être abandonnée à son sort ». En 1981, le gréviste de la faim Bobby Sands est décédé, suivi de près par neuf autres détenus. Tandis qu’il s’éteignait, Bobby a tenté un tour de force hasardeux : il a présenté sa candidature au Parlement britannique pour représenter la circonscription de Fermanagh and South Tyrone, siège qu’il a obtenu.
Au cours des années 1970, Gerry Adams a fait plusieurs séjours en prison. Après son passage sur le Maidstone en 1972, il a été enfermé trois ans dans la prison de Long Kesh où il partageait la cellule de Brendan Hughes. Il a alors commencé à réfléchir aux limites de ce que pouvait obtenir l’IRA par la violence. Suite à l’élection de Bobby Sands au parlement, Danny Morrison, l’assistant de Gerry, a annoncé que le Sinn Féin présenterait à l’avenir son propre candidat à chaque événement électoral. Il a alors eu cette formule qui restera célèbre : « Quelqu’un a-t-il une objection si un bulletin de vote dans une main et une Armalite dans l’autre, nous prenons le pouvoir en Irlande ? » La stratégie de « l’Armalite et du bulletin de vote » marquait un nouveau départ pour l’IRA provisoire. Pour certains, en devenant candidats à des postes dans l’administration britannique en Irlande du Nord, Gerry Adams et ses collègues reconnaissaient implicitement la légitimité des institutions. Gerry a troqué ainsi ses pulls en laine de révolutionnaire de Belfast-Ouest pour le costume-cravate des hommes politiques.
En 1983, il a été élu à son tour au Parlement britannique, où il représentait Belfast-Ouest. Dolours Price a passé six années à Armagh. Si Marian et sa sœur ne refusaient plus de se nourrir, elles continuaient toutefois à s’affaiblir physiquement. Dans le documentaire The Chaplain’s Diary, Dolours explique la façon dont les grévistes de la faim percevaient les choses : « Si vous mangez, vous êtes perdu. Vous devez en êtes persuadé quand vous entamez une grève de la faim. Vous devez vous en convaincre car votre corps va réclamer à manger. Vous devez dire à votre corps : “Non, tu n’auras rien à manger… Nous ne gagnerons pas ce combat si je te nourris.” » Après avoir obtenu gain de cause auprès du gouvernement britannique, les sœurs Price ont eu quelques difficultés à vaincre la réaction à la nourriture qu’elles avaient développées. « Nous avions un rapport à la nutrition vraiment altéré », raconte Dolours. Au printemps 1980, Marian avait perdu tellement de poids qu’elle a été libérée, le ministre de l’Irlande du Nord Humphrey Atkins considérant qu’elle était « en danger de mort imminente ». Dolours était soulagée que sa sœur échappe à la perpétuité, mais malgré tout, elle s’est sentie abandonnée. « J’étais profondément déprimée », confie-t-elle. « J’avais l’impression qu’on m’avait séparée d’une sœur siamoise. » Dans un courrier, elle relate l’inertie oppressante de cette période, son énergie qui s’amenuise, son corps engourdi : « Je bougeais comme une poupée mécanique. »
Un ensemble de documents récemment déclassifiés par le gouvernement britannique révèle que le Premier ministre Margaret Thatcher a alors suivi de près le cas de Dolours Price. Les premiers temps, Thatcher n’était pas touchée. Dans une note, elle avançait l’hypothèse que Dolours s’empresserait de rejoindre l’IRA (« je doute que ses vieux amis ne la laissent en paix quand elle sortira »), avant de rappeler que les attentats de Londres avaient causé la mort d’un homme. (D’après l’autopsie, la crise cardiaque s’était déclenchée bien avant l’explosion de la bombe.) En avril 1981, Tomas Ó Fiaich, un cardinal irlandais, a rendu visite à Dolours dans la prison d’Armagh, puis envoyé son rapport à Thatcher. « Ce n’est plus une jeune fille pleine d’entrain. À 30 ans, elle a l’apparence d’un spectre décharné, vieilli prématurément et dépourvu de toute joie de vivre », écrivait-il. Il implorait la clémence de Thatcher et insistait sur le fait que « dans une semaine, il [serait] peut-être trop tard ». À son arrivée à Armagh en 1975, Dolours pesait 52 kg. Mais lorsque le cardinal est venu s’enquérir de son état, elle n’en pesait plus que 34. Thatcher a ordonné sa libération. Dolours n’a pas rejoint l’IRA. En revanche, elle a emménagé à Dublin où elle a mené une existence discrète, et s’est installée en tant que journaliste indépendante. Elle a commencé à fréquenter l’acteur Stephen Rea qu’elle avait rencontré lors de manifestations pour le respect des droits civiques dans les années 1960. Stephen était un protestant de Belfast à la mine sombre et aux cheveux hirsutes, favorable à la cause républicaine.
En 1980, il a créé The Field Day, une compagnie irlandaise de théâtre. Le mariage de Stephen et Dolours a été célébré dans la cathédrale d’Armagh en 1983. Lorsqu’on l’interrogeait sur son union avec une terroriste condamnée à la prison, il répondait : « C’est son passé… Elle ne s’en est pas excusée et je ne lui demanderai pas de le faire. » Stephen n’a jamais pris part officiellement au mouvement républicain ; toutefois, il entretenait une relation particulière avec Gerry Adams. Suite à une série d’attentats à la bombe perpétrés par l’IRA dans les années 1980, le gouvernement Thatcher a annoncé l’adoption de mesures très peu judicieuses. Elles prévoyaient qu’à la télévision britannique, la voix de toute personne qu’on estimait en train d’encourager une action paramilitaire soit effacée. Des acteurs ont été engagés pour doubler des interviews et des discours. Ainsi, pendant des années, un petit groupe d’acteurs irlandais ont régulièrement prêté leur voix à Gerry Adams. Stephen était de ces personnes. Parmi les conditions de sa libération, Dolours Price devait désormais solliciter une autorisation auprès du gouvernement britannique pour pouvoir quitter le territoire nord-irlandais. Mais elle n’avait rien perdu de son audace et elle est parvenue à emménager à Londres avec Stephen. D’après leurs amis, Dolours aimait à souligner l’ironie de cette situation. La presse anglo-saxonne faisait de même en rapportant que la terroriste du Old Bailey sirotait « aujourd’hui du champagne en compagnie de célébrités au Théâtre national », où son mari travaillait comme metteur en scène. L’effronterie de Dolours a été portée à l’attention de Thatcher, qui n’a pas caché son exaspération. « Si elle et son mari veulent vivre ensemble, qu’ils aillent s’installer en Irlande du Nord », a-t-elle écrit. Cependant, aucune action n’a été intentée contre le couple.
Finalement, après la naissance de ses fils, Danny et Oscar, Dolours a emménagé avec sa famille à Dublin. (Dans plusieurs interviews, Stephen explique qu’il ne souhaitait pas élever ses enfants en Angleterre.) L’un des plus proches collaborateurs de Stephen était le réalisateur Neil Jordan. En 1992 sortait sur les écrans le film The Crying Game, dans lequel Stephen interprète peut-être son rôle le plus célèbre : celui de Fergus, un homme ordinaire, sensible, membre de l’IRA. Dans l’histoire, Fergus est chargé de veiller sur un soldat britannique (interprété par Forest Whitaker) quelques heures avant qu’il ne soit exécuté. Ils veillent toute la nuit, se lient d’amitié ; Fergus donne au soldat des morceaux de chocolat et le rassure lorsqu’il pleure, puis le conduit à l’extérieur du bâtiment, là où il sera fusillé. Pendant la promotion du film, Stephen n’a pas parlé de sa femme, qui avait joué un rôle similaire par le passé, tenant en joug des prisonniers et les conduisant à la mort. Cependant, dans une interview accordée récemment, il explique ce qu’être membre de l’IRA impliquait. Il décrit « l’énigme des personnes dont la vie n’est qu’une pièce de théâtre ». Souvent, explique Stephen, ces personnes « n’ont pas peur de la mort, car la mort est supportable lorsqu’on consacre sa vie à la défense d’une cause ».
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Traduit de l’anglais par Audrey Previtali d’après l’article « Where the Bodies Are Buried », paru dans le New Yorker. Couverture : Une tourbière irlandaise.