Royal Crown
Mais qui boit du RC Cola, de toute façon ? C’est une question que se posent les buveurs de Coca-Cola et de Pepsi depuis des décennies. Dans la bataille marketing que se livrent depuis les années 1970 les deux marques légendaires, à grands coups de spots publicitaires et jusqu’à une course pour aller dans l’espace, RC Cola est restée sur la touche. Une canette bleue et rouge discrète qui semblait juste contente d’être là.
Le fait est qu’ au cours de son histoire longue de plus d’un siècle, RC a eu de loyaux supporters. L’entreprise a ses racines dans le Sud des États-Unis, où boire une canette de RC Cola accompagnée d’une part de gâteau au chocolat est une tradition ouvrière encore populaire aujourd’hui. Il existe même une chanson qui célèbre le mariage de ces deux friandises. Mais on ne trouve pas RC qu’aux États-Unis : leur cola se vend aussi dans des pays tels que l’Estonie, la Thaïlande et l’Islande. C’est aussi l’une des marques de soda les plus vendues actuellement aux Philippines. Pourtant, les buveurs de RC Cola auraient pu être beaucoup, beaucoup plus nombreux que ça. Dans un univers parallèle – mais parfaitement plausible – la compagnie aurait pu donner du fil à retordre à Coca-Cola et Pepsi. Ce fut d’ailleurs le cas pendant un temps. Croyez-le ou non, Royal Crown Cola compta à une époque parmi les entreprises les plus innovantes du marché de la boisson. Ce sont les inventeurs du soda en canette, du soda décaféiné et du soda vendu en bouteilles de 50 cl. Ils étaient aussi les premiers à faire du soda light une boisson populaire et les premiers à organiser des dégustations publiques à grande échelle.
Avec sa longue histoire fourmillante d’innovations, RC méritait d’être bien plus que la marque de soda moyenne qu’elle est aujourd’hui. Pour un secteur dont la survie dépend du marketing, RC en a fait bien trop peu. Pourtant, son échec ne s’explique pas seulement par un manque d’initiative, c’est aussi la faute d’un énorme manque de chance, de jugement et d’un ingrédient fatidique connu sous le nom de cyclamate.
Comme son principal concurrent Coca-Cola, RC Cola a vu le jour dans l’État de Géorgie, à Colombus. En vérité, c’est un désaccord avec Coca-Cola qui a poussé un homme, Claud Hatcher, à fonder la société qui deviendrait la Royal Crown Cola Company. Hatcher était un pharmacien et un grossiste en produits d’épicerie qui dirigeait avec son père la Hatcher Grocery Company. Au début des années 1900, les Hatcher vendaient beaucoup de Coca-Cola à leurs clients – tellement que Claud pensait avoir le droit à une réduction ou à une quelconque commission pour sa contribution à l’entreprise. Cependant, le représentant local de Coca-Cola a refusé la demande, sachant très bien que Coca-Cola était le soda le plus populaire du pays, pas du genre à être intimidé par ses clients. Furieux, Hatcher rétorqua au représentant qu’il avait acheté sa dernière caisse de Coca-Cola et jura de lancer sa propre marque. Après des mois passés à bricoler dans le sous-sol de Hatcher Grocery, Claud proposa Royal Crown Ginger Ale, une alternative pétillante au best-seller couleur caramel (qui contenait à l’époque de la cocaïne) de Coca-Cola. La boisson, dotée d’un nom majestueux, s’est avérée plutôt populaire et bientôt, Hatcher et son père abandonnèrent leur commerce d’épicerie pour devenir embouteilleurs de soda à plein temps. La création suivante de Claud était Chero-Cola, un cola aromatisé à la cerise qui permettrait à l’entreprise de devenir un producteur légitime de soda. Cela le mettrait inévitablement en concurrence directe avec la marque qu’il avait l’habitude de vendre.
Au début du XXe siècle comme aujourd’hui, Coca-Cola était de loin la société de soda la plus rentable des États-Unis. À l’ombre de ce succès, de nombreux imitateurs sont apparus pour profiter du marché que Coca-Cola avait créé. Selon Tristan Donovan, auteur d’une histoire du soda, Candy-Cola, Kos-Kola et Coke-Ola faisaient partie des imitations. Il y avait même un cola appelé Klu Ko Kolo, produit pour attirer ceux qui s’étaient pris d’un intérêt soudain pour le Ku Klux Klan après son apparition dans le film de D.W. Griffith de 1915, Naissance d’une nation. Coca-Cola n’a pas trouvé ça drôle. Pour maintenir sa domination sur le secteur, la société a, d’après Donovan, poursuivi en justice plus de 500 fabricants qui les avaient copiés et gagné plus de procès qu’elle n’en a perdu.
Claud Hatcher et Chero-Cola se trouvaient dans la ligne de mire de Coca-Cola, qui a plaidé pour qu’ils ne puissent pas utiliser le terme « cola » dans leur nom. Hatcher a résisté et continué de se battre pendant des années tout en étendant sa distribution de Chero-Cola à plus de 700 embouteilleurs franchisés. Hatcher répétait continuellement que son soda n’était pas qu’une simple imitation et qu’il ne céderait pas à la menace pour être éjecté du marché. En 1923, un juge s’est prononcé en faveur de Coca-Cola, jugeant que le nom de Chero-Cola était en violation vis-à-vis de celui de la marque déposée Coca-Cola. Cela signifiait que Hatcher devait retirer le terme « cola » du nom de son entreprise, coûtant une reconnaissance précieuse à sa marque. Une boisson appelée « Chero », ça n’avait pas le même effet, et comme on pouvait s’y attendre les ventes ont chuté. Quelques années plus tard, Hatcher a changé le nom de la société en Nehi (à prononcer « ni-aïe »), sa boisson fruitée la plus connue.
En 1954, elle est devenue la première société à distribuer du soda dans des canettes en aluminium à l’échelle nationale.
La Grande Dépression a mis à mal les ventes de Nehi autant que celles des autres entreprises de soda. Pire encore, Claud Hatcher est mort en 1933, laissant Nehi aux mains de H.R. Mott, son directeur des ventes. Ce qui ressemblait à une catastrophe est en réalité devenu l’opportunité dont la société avait besoin. Mott était un homme d’affaires malin. Juste après avoir repris l’affaire en main, il s’est débarrassé des boissons à faible rendement et a recentré les efforts de la société sur les plus rentables. Il a également réintroduit sur le marché un Chero-Cola sans l’arôme de cerise, sous un nouveau nom qui, après deux décennies mouvementées, remontait aux débuts de l’entreprise. En 1934, Nehi inventa Royal Crown et les ventes décuplèrent au cours des années suivantes.
Au milieu du XXe siècle, Nehi enregistrait victoire sur victoire. En 1944, les tribunaux jugèrent qu’en fin de compte, Coca-Cola n’avait pas le monopole du terme « cola », ce qui a permit à Royal Crown de devenir Royal Crown Cola, ou RC Cola. Avec une distribution à l’échelle nationale et des ventes de plus en plus élevées, Nehi dépensa de l’argent à la pelle dans des publicités imprimées et télévisées. Elles brillaient par des apparitions de célébrités comme Bing Crosby, Joan Crawford, Shirley Temple et Lucille Ball. « Et comment que RC a meilleur goût ! » vantaient les pubs des magazines. Ce n’était pas que de la vantardise : Nehi avait organisé plusieurs dégustations publiques à travers le pays en opposant RC à ses concurrents Coca-Cola et Pepsi, et il en était sorti vainqueur. C’était la première fois qu’une entreprise de boisson réalisait une telle promotion. On n’a pas la preuve que les tests n’étaient pas truqués, mais tout ce qui importait était que les gens y croient.
Lentement mais sûrement, RC s’est imposée dans les fontaines à soda et les rayons des épiceries. Pour rester dans l’esprit des consommateurs, la marque a continué d’innover. En 1954, elle est devenue la première société à distribuer du soda dans des canettes en aluminium à l’échelle nationale. Peu de temps après, elle a commencé à vendre du soda dans des bouteilles de 50 cl comme alternative pour ses adeptes les plus assoiffés. En 1959, Nehi a changé son nom pour celui de son meilleur produit, devenant la Royal Crown Cola Company. Mais alors que Royal Crown avait fait d’importants progrès, elle était vouée à suivre la voie de Coca-Cola et Pepsi tant qu’elle continuerait à vendre un produit identique. Elle avait besoin de quelque chose de nouveau. Elle avait besoin de changer la donne.
Diet Rite Cola
En 1952, Hyman Kirsch, le fondateur d’un sanatorium à Brooklyn dans le quartier de Williamsburg, inventa un soda sans sucre appelé No-Cal. Au gingembre ou à la cerise noire, No-Cal était spécifiquement conçu pour les patients diabétiques ou cardiaques du sanatorium. Kirsch découvrit rapidement que sa boisson avait un attrait beaucoup plus vaste et, avec son fils, il commença à produire des saveurs chocolat, root beer ou cerise. Ils se sont mis à vendre No-Cal aux commerces du coin et ont rapidement construit un réseau de distribution qui s’étendait à travers New York et tout le Nord-Est du pays. Mais Kirsch n’étant pas un homme d’affaires, il avait des difficultés à se développer au-delà du marché régional. Il continuait de plus à prescrire No-Cal aux clients diabétiques, ce qui limitait plus encore son attrait. Le succès de Kirsch attira l’attention de la Royal Crown Cola Company. Au milieu des années 1950, elle commença secrètement à développer sa propre boisson diététique – une boisson qui attirerait non seulement les diabétiques, mais aussi une nation entière de clients de plus en plus conscients de leur consommation de calories. Alors que les autres sociétés de nourriture et de boisson continuaient à tout rendre plus sucré, plus salé et plus riche, RC a anticipé une demande croissante d’options plus saines.
Après plusieurs années, RC inventa Diet Rite, une boisson qui selon eux était une innovation décisive. Les marchés-tests ont confirmé son intérêt. Dans l’un d’eux, en Caroline du Sud, des responsables de supermarché ont même exigé d’être à nouveau livrés. « À Greenville, en Caroline du Sud, où nous étions troisième derrière Coca-Cola et Pepsi, des responsables d’épicerie ont pris leur voiture pour traquer les camions de RC et obtenir du Diet Rite dans leurs rayons », témoigne un représentant de RC. Ce qui provoquait une telle réaction ? Ce n’était pas seulement l’absence de calorie, mais également le fait que le goût était le même que ceux des vrais sodas. L’ingrédient clé – celui qu’avait utilisé Kirsch pour No-Cal – était un édulcorant alternatif appelé « cyclamate » qui était 30 fois plus sucré que le sucre. Développé par un étudiant de l’université de l’Illinois en 1937, il était vendu initialement comme édulcorant alimentaire.
En 1958, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux lui a donné son feu vert, ouvrant la voie à son utilisation comme ingrédient de marché de masse. Le moment ne pouvait pas être plus propice pour Royal Crown. À l’aide d’un marketing bien ficelé, la société a fait en sorte de vendre Diet Rite à la manière du vrai cola : dans les mêmes bouteilles effilées à cinq cents l’une ou par pack de six. Elle s’est aussi assurée d’inscrire le mot « cola » sur son packaging. Les cadres de RC se sont rendus compte que les clients voulaient quelque chose de différent, mais pas trop.
Quand Diet Rite fit son apparition dans les rayons en 1962, ce fut un succès retentissant. Moins d’un an et demi après sa commercialisation, le produit avait bondi jusqu’à atteindre la quatrième place des ventes, derrière Coca-Cola, Pepsi et le RC Cola originel. En fin de compte, l’Amérique était prête pour ce qui aurait semblé paradoxal durant toutes ces années : un soda sain. Le reste du secteur était en état de choc. « L’impact du Diet-Rite Cola sur le marché des boissons non-alcoolisées au début des années 1960 est si époustouflant qu’on peut le comparer aux débuts du vrai Coca-Cola, il y a de cela 75 ans », commentait le quotidien Georgia Trend. Coca-Cola et Pepsi ont été totalement pris par surprise. Non seulement ils n’avaient pas anticipé l’attrait populaire qu’aurait le soda light, mais en plus ils n’avaient rien pour riposter.
En moins d’un an, Coca-Cola s’est dépêché de sortir TaB, une boisson également sucrée au cyclamate. Pepsi a lancé le Patio Cola, un soda light destiné à la gente féminine contenant lui aussi du cyclamate –il deviendrait vite Diet Pepsi. Comme on pouvait s’y attendre, il y eut de nombreux autres suiveurs, notamment des marques depuis longtemps oubliées comme LoLo, Coolo-Coolo et Bubble-Up. En 1965, Coca-Cola inventa un soda light aux agrumes : Fresca.
Toujours plein de ressources, le secteur du sucre a recherché des moyens légaux pour discréditer les boissons light.
Cependant, personne n’arrivait à rattraper Diet Rite, qui continuait à accroître les parts de marché de Royal Crown Cola. « RC était la principale marque de soda light, et c’était essentiel », explique Tristan Donovan. « Ils avaient le sentiment d’avoir passé un cap. » Vers la fin des années 1960, Royal Crown détenait 10 % du marché des sodas. Ils étaient loin de le dominer, mais c’était un chiffre impressionnant malgré tout. De toute évidence, l’entreprise, qui avait démarré dans le sous-sol d’une épicerie de petite ville, était en lice pour devenir un acteur majeur du marché du soda. L’expansion du soda light a peut-être réjoui les producteurs de boissons non-alcoolisées et les consommateurs américains, mais elle a totalement paniqué l’industrie sucrière. Après avoir déversé leur produit vedette dans les sodas depuis des décennies, il y avait à présent une boisson similaire entièrement débarrassée du sucre. Et si les sodas light continuaient de se développer ? Toujours plein de ressources, le secteur du sucre a recherché des moyens légaux pour discréditer les boissons light.
Sucre vs. Cyclamate
Au milieu des années 1960, les choses sérieuses ont commencé : des études suggéraient que le cyclamate était dangereux. En 1964, l’une d’elles trouva un lien entre le cyclamate et le cancer chez les animaux, et évoqua de possibles effets négatifs sur l’homme. Les chercheurs n’ont pas été jusqu’à associer l’édulcorant avec des maladies spécifiques comme le cancer ou les anomalies congénitales. Le président de Royal Crown a minimisé les résultats de l’étude et d’autres fabricants l’ont rejoint dans ses propos.
Cependant, à mesure que la décennie avançait, leurs conclusions se faisaient de plus en plus précises. En 1969, deux études ont asséné le coup de grâce au cyclamate. L’une affirmait qu’injecter du cyclamate dans les œufs de poules donnait naissance à des poussins mal-formés, l’autre qu’administrer des doses de cyclamate à des rats augmentait le risque qu’ils développent des tumeurs à la vessie. Les résultats de ces recherches, qui firent la une des journaux et des programmes télévisés nationaux, rangeaient le cyclamate avec les ingrédients très dangereux. « Tout le monde commençait à se dire : “Mon Dieu, on va choper le cancer avec le soda light !” » raconte Donovan. « Le marché s’est presque instantanément effondré. » La FDA n’a eu d’autre choix que de retirer au cyclamate sa catégorisation « généralement reconnu comme sûr ». L’industrie du soda light était en chute libre, tombant de 20 % de parts de marché à moins de 3 %. Désespérés, les fabricants ont changé le nom de leurs boissons et tenter de rassurer les consommateurs, en vain.
Du jour au lendemain, l’engouement pour le soda light avait pris fin. La crise a touché Royal Crown en particulier. Diet Rite était son meilleur produit et son seul avantage sur Coca-Cola et Pepsi. Sans cela, il ne restait à l’entreprise que sa place de troisième cola préféré du pays, ce qui ne lui permettrait pas de gagner du terrain sur ses rivaux. Après quelques semaines, la société a de nouveau commercialisé Diet Rite, mais sucré à la saccharine. Hélas son goût n’était pas le même – la saccharine est connue pour son arrière goût métallique – et de toute façon, les gens n’avaient plus envie de boissons light. Plus tard, Coca-Cola et Pepsi sont revenus sur le marché avec de meilleures formules et de meilleures publicités : une fois de plus, Royal Crown Cola avait servi de cobaye à ses concurrents.
D’après Donovan, le désastre du cyclamate était la conséquence directe de l’intervention de l’industrie du sucre. Ce lobby, dit-il, a dépensé 600 000 $ pour financer les études qui ont condamné le cyclamate, désormais controversées. Elles exposaient les animaux cobayes à des taux de cyclamate beaucoup plus importants que n’importe quel buveur de Diet Rite ou de TaB ne pouvait possiblement en ingurgiter. Pour obtenir le taux de cyclamate qu’on avait administré aux rats, il aurait fallu boire plus de 500 sodas light par jour. Aujourd’hui, le cyclamate est communément utilisé comme édulcorant en Australie, en Afrique du Sud et dans l’Union européenne. Les scientifiques du monde entier affirment qu’il est apte à la consommation, mais les résultats des études de 1969 demeurent dans les esprits.
Les États-Unis, le Japon et plus de 45 autres pays ont maintenu leur interdiction de l’additif. Comment des résultats aussi douteux ont-ils pu être jugés recevables ? Donovan parle d’un vide juridique, la Delaney Clause, un amendement du Food, Drug and Cosmetic Act de 1938 établi par James Delaney, un sénateur qui a enquêté sur les insecticides et les substances cancérigènes dans le secteur alimentaire à la fin des années 1950. Cette clause imposait à la FDA d’interdire tout additif « entraînant un cancer chez l’homme ou, après des tests, causant un cancer chez les animaux ». Si bien intentionnée qu’était la Delaney Clause, elle n’avait pas prévu de restrictions quant à la quantité d’un ingrédient qui pouvait être testée. Qu’importe qu’il s’agisse d’un granule ou de plusieurs litres : si cela s’avérait dangereux pour la santé de l’homme ou de l’animal, l’ingrédient devait être retiré du marché. « La Delaney Clause était une loi motivée par de bonnes intentions mais très mal pensée », déclare Donovan.
Coca-Cola et Pepsi dépensaient des millions dans une guerre marketing sans précédents.
Malchanceuse comme l’était Royal Crown, sa réponse dans les années qui suivirent n’a pas aidé. Jurant de ne plus jamais investir autant de ressources sur un seul produit, l’entreprise a commencé à se diversifier. Elle a acheté deux fabricants de jus de fruits, Texsun et Adams Packing, et pris l’étonnante décision d’acheter sept sociétés d’ameublement. Quel potentiel le fabricant de soda a-t-il vu exactement dans ce secteur ? On ne connaît pas la réponse, mais elle devait être plutôt convaincante car au milieu des années 1970, près d’un quart des affaires de Royal Crown Cola étaient liées à la fabrication de miroirs, de cadres photo, de carrelage et de meubles de rangement… La dégringolade s’est vite accentuée. En 1976, Royal Crown a acheté la chaîne de fast food Arby’s. Une acquisition plus logique, puisqu’elle donnait à l’entreprise un point de vente pour ses fontaines à sodas. Mais Royal Crown a mal géré l’affaire, introduisant des hamburgers et autres produits de fast food dans une enseigne réputée pour ses sandwiches au rosbif.
En 1984, Victor Posner, un milliardaire spécialisé dans le rachat d’entreprises, fit l’acquisition de Royal Crown, qui avait entre-temps enlevé le terme « cola » de son nom pour devenir la Royal Crown Companies. Durant ses neuf années à la tête de Royal Crown, Posner a considérablement réduit le budget marketing de l’entreprise, contredisant l’avis de ses cadres les plus qualifiés quant à la marche à suivre avec RC. En 1987, le gouvernement l’a reconnu coupable d’évasion fiscale et a lancé peu après une enquête pour délit d’initié. Alors que Royal Crown tentait de réduire ses dépenses et de fabriquer des abat-jours, Coca-Cola et Pepsi dépensaient des millions dans une guerre marketing sans précédents. Les hostilités ont démarrés au milieu des années 1970 avec des dégustations, des programmes de fidélisation, des pubs télévisées, de nouveaux produits ainsi qu’un grand nombre de promotions. Pepsi lança Pepsi Stuff ; Coca-Cola contre-attaqua avec Coke Rewards. Coca-Cola mit Bill Cosby dans ses publicités ; Pepsi répondit avec Michael Jackson.
L’éternel outsider
En 1985, après avoir découvert que Coca-Cola fournissait des canettes spécialement conçues à la navette spatiale Challenger, Pepsi a mis au point sa propre « canette spatiale » et fit pression sur la NASA pour qu’elle fût autorisée à bord. Les astronautes se sont vite plaints des canettes : aucune des deux ne fonctionnaient comme prévu. Peu importe : les deux géants étaient dans l’espace. Du point de vue du consommateur, la guerre du cola ressemble à un combat entre deux titans déterminés à s’annihiler mutuellement. Mais en réalité, les deux marques ont bénéficié de cette rivalité spectaculaire. « La guerre du cola a fait baisser les ventes de toutes les marques à l’exception de Coca-Cola et Pepsi », explique Donovan. « Personne ne pense plus à RC, justement parce qu’ils ne sont plus dans la bagarre. » Avec son budget publicité limité, RC a produit quelques spots télévisés assez basiques, montrant des acteurs buvant une bouteille d’un trait avant de marquer une pause et de sourire à la caméra. Ils en ont même produit quelques unes amusantes, dont une mettait en scène des prisonniers « condamnés à vie de boire du Coca-Cola ou du Pepsi ». Ils faisaient rentrer en douce des bouteilles de RC dans leurs cellules.
Néanmoins, la marque centenaire était devenue presque invisible pour la majorité des gens. En 1997, un gros titre du journal satirique The Onion, a résumé le tout : « RC Cola fête son 10e achat ! » Entre les années 1980 et 1990, Royal Crown continua à perdre des parts de marché pendant que ses deux principaux concurrents le dévoraient. L’entreprise avait encore des consommateurs fidèles et une distribution nationale, mais aux yeux de la nation Coca-et-Pepsi, elle était la perdante, l’éternelle médaille de bronze. Les choses ont encore empiré. Alors que les deux géants du cola continuaient de croître, ils ont passé des accords avec les distributeurs leur garantissant de grands espaces dans les rayons. Ils offraient des réductions spéciales aux supermarchés et commençaient à payer des frais de référencement, une pratique courante encore aujourd’hui. (Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi Coca et Pepsi dominent le rayon soda, c’est parce qu’ils payent pour cet emplacement.) « Coca et Pepsi ont commencé à se partager le marché de la distribution et à fermer la porte à RC en même temps », explique Donovan. « RC perdait non seulement au niveau de la pub, mais également dans les magasins. » RC essaya de regagner sa place dans la bataille. Après que la société s’est débarrassée de Posner, elle a obtenu un solide budget publicité et développement.
En 1995 sortait RC Draft, sa première tentative pour faire redémarrer les ventes : un soi-disant soda « premium » au sucre de canne. Malheureusement pour RC, les gens ne virent pas ce qu’il y avait de si « premium » dans cette boisson et elle fut retirée des rayons en moins d’un an. En 2000, Cadbury-Schweppes a racheté RC, le rattachant à son Dr Pepper Snapple Group. Dans les années qui ont suivi, RC a créé quelques colas améliorés – RC Edge et RC Kick – dont le Diet RC, contenant moins de calories. Aucun de ces nouveaux produits n’a percé, et aujourd’hui aucun produit RC ne s’approche des meilleures ventes du secteur. Mais alors, qui boit encore du RC Cola ? Au-delà de ses fans du sud du pays, la marque est présente à Chicago, où elle est par exemple servie pendant les matchs de hockey de l’équipe de la ville, les Bears, et dans les pizzerias locales, qui donnent souvent un litre gratuit avec les commandes. Selon Encyclopizzeria, cette entente a commencé dans les années 1960, lorsqu’un embouteilleur local créatif a noué de bonnes relations avec les pizzerias du coin et s’est dit qu’allier le RC aux pizzas à pâte épaisse plairait aux clients. C’était le cas, et aujourd’hui, beaucoup d’habitants de Chicago ont un petit faible pour le cola outsider.
Néanmoins, mis à part à Chicago, l’attrait pour le RC semble circonscrit aux petites villes américaine, et à un temps révolu. « L’entreprise n’a jamais cherché à changer cette image proche du Sud et des petites villes », déclare la New Georgie Encyclopedia, qui chronique l’histoire de l’État de Géorgie. Les adeptes du RC l’aiment justement pour son image de perdant de la guerre du cola, négligé et dévalorisé. C’est la marque teigneuse et bon marché – l’alternative impopulaire et modeste des vrais amoureux de cola. De son côté, Donovan croit que l’histoire de RC aurait été bien différente s’il n’y avait pas eu l’interdiction du cyclamate. Le succès constant de Diet Rite aurait pu donner la confiance nécessaire à RC – sans parler des fonds – pour faire une publicité plus agressive et continuer à innover. Sa notoriété aurait pu croître, comme son influence dans les restaurants et les distributeurs. Aurait-ils pu rejoindre Coca-Cola et Pepsi dans la stratosphère des ventes de soda, ou même les dépasser ? « RC n’aurait sûrement pas eu les ressources de Coca-Cola ou de Pepsi », imagine Donovan, « mais ils auraient pu les gérer mieux. » Aujourd’hui, il n’y a plus de quoi pavoiser à être un des leaders sur le marché des sodas. L’ensemble du secteur des boissons non-alcoolisées est sur le déclin et ce depuis plus d’une décennie, les consommateurs optant pour des choix plus sains.
Depuis 20 ans, les ventes de boissons non-alcoolisées à haute valeur calorique ont chuté de plus de 25 %. Au lieu de surenchérir, Coca et Pepsi sont prêts à tout pour rester au goût du jour dans une nation qui refuse leurs boissons phares. Ils se diversifient dans les jus et les en-cas, développent de nouvelles boissons zéro calorie et dépensent des millions de dollars en publicités pour associer leurs marques au bonheur, à la nostalgie et à d’autres émotions susceptibles de faire oublier tout problème de santé.
Boire moins de soda est sûrement une bonne chose. Mais pour beaucoup, il y aura toujours quelque chose de merveilleux à boire un cola bien frais et plein de calories. Que ce soit pour boire au quotidien ou de temps en temps, il y a de fortes chances que les gens boivent un Coca ou un Pepsi. Mais si l’histoire s’était déroulée un tout petit peu différemment, ils boiraient peut-être un RC Cola.
Traduit de l’anglais par Mathieu Polivé d’après l’article « The tragic History Of RC Cola », paru dans Mental Floss. Couverture : une ancienne publicité pour Royal Crown Cola. Crédits.
L’HISTOIRE VRAIE DU COLONEL SANDERS DE KFC
Derrière la mascotte mondialement célèbre de KFC se cache un homme à la vie épique et passionnante, à qui on a volé l’oeuvre d’une vie.
Il faisait chaud et l’air était saturé de poussière en ce 7 mai 1931 dans la petite ville de montagne de Corbin, dans le Kentucky. Au bord d’un chemin de terre, Matt Stewart, gérant d’une station-service, se tenait sur une échelle pour repeindre le mur en ciment qui bordait la voie ferrée. À mesure qu’il appliquait la nouvelle couche de peinture, le lettrage précédent disparaissait. Matt Stewart s’interrompit lorsqu’il entendit une voiture approcher à grande vitesse – du moins, ce qu’on considérait comme une grande vitesse en 1931. Elle venait de la partie aride et escarpée du nord de la région, surnommée l’ « antichambre de l’Enfer » par les habitants du coin en raison des produits qu’on y exportait principalement : de l’alcool de contrebande, des balles et des cadavres. On parlait également des environs comme du « trou du cul du monde ». Matt Stewart dut probablement plisser les yeux pour apercevoir la voiture qui approchait à travers la poussière, et éponger son front transpirant du revers de son poignet maculé de peinture. Il devait se douter que le conducteur serait armé et furieux et qu’il s’arrêterait à sa hauteur dans un dérapage, car il posa son pinceau et prit son pistolet. Arrivée à sa hauteur, la voiture s’arrêta bel et bien dans un dérapage. Toutefois, ce n’est pas un homme armé qui en sortit, mais trois. « Alors, espèce d’enfoiré », cria le conducteur au peintre, « je vois que t’as recommencé. » Le conducteur de l’automobile utilisait le mur pour faire de la publicité pour sa station-service, située dans le centre-ville, et ce n’était pas la première fois que Stewart, gérant d’une station-service concurrente, installait un bloqueur de publicité. Il sauta de l’échelle et plongea derrière le mur pour se mettre à l’abri tout en déchargeant son pistolet. L’un des deux acolytes du conducteur s’écroula. Le conducteur ramassa son pistolet et riposta. Malgré la rafale de balles tirées par ses deux ennemis, Stewart réussit à crier : « Arrête de tirer, Sanders ! Tu m’as eu ! »
Le silence retomba sur la route poussiéreuse. Du sang ruisselait de l’épaule et de la hanche du peintre, mais il n’était que blessé, contrairement au directeur de Shell qui était étendu sur le sol, une balle logée dans la poitrine. Ce face-à-face aurait pu n’être qu’une fusillade de plus parmi celles qui éclataient régulièrement aux environs de l’antichambre de l’Enfer. Mais c’était sans compter l’identité du conducteur. Le « Sanders » qui avait logé deux balles dans le corps de Matt Stewart n’était autre que Harland Sanders, l’homme qui deviendrait le célèbre Colonel Sanders. À cette époque, il était brun et rasé de près, mais son visage vieillissant apparaîtrait plus tard sur les panneaux publicitaires, les restaurants et les buckets de KFC dans le monde entier. Contrairement à la plupart des mascottes de chaînes alimentaires célèbres, le Colonel Sanders a vraiment existé, et sa vie fut bien plus mouvementée que ne le laisse imaginer la terne biographie qu’en a fait l’entreprise.
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