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Le chef

En se lançant elle-même dans un effort politique public, Michelle Obama relevait un défi que beaucoup d’autres occupants de la Maison-Blanche avant elle avaient traité un peu différemment. La raison pour laquelle une Première dame peut être un visage utile à une campagne comme celle sur la nutrition est claire, mais il n’est pas évident de la voir accomplir véritablement des choses importantes. Eleanor Roosevelt est connue pour avoir transformé le rôle d’épouse du président en ne le limitant plus à celui d’hôte de l’Amérique, assurant la promotion de tout, de l’exercice physique aux libertés civiles en passant par l’embauche d’artistes et d’auteurs de la période de la Grande Dépression. Les Premières dames modernes ont souvent tenu un rôle proche de celui d’un responsable de la communication, bien qu’elles se soient essayées au jeu politique – Rosalynn Carter sur la santé mentale, Laura Bush on l’illettrisme –, à l’exception notable d’Hillary Clinton, qui a été vilipendée pour avoir essayé d’instaurer trop vite une politique fédérale de sécurité sociale et qui a passé les six années suivantes en retrait.

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Les cuisines de la Maison-Blanche et Sam Kass à droite
Crédits : Pete Souza

Pour les Obama, l’une des solutions au problème a pris la forme de Sam Kass. Pendant que Michelle Obama s’occupait des passages médiatiques incontournables comme Sesame Street et Ellen, ils envoyaient souvent le chef cuisinier de la Maison-Blanche en tant qu’intermédiaire de Washington. Avec son crâne rasé, ses centres d’intérêt singuliers et l’énergie inépuisable d’une ancienne star du baseball universitaire, Kass était le genre de personne qu’ils pouvaient envoyer au front sans que Michelle ait à livrer bataille elle-même. Mais tout le monde savait qui il représentait. Kass a aussi fait office de figure publique pour Let’s Move!, en accueillant des enfants à la Maison-Blanche pour des « dîners d’État » miniatures et en passant dans l’émission Today. Mais c’est en coulisse qu’il était le plus efficace. Kass, qui découvrait encore le monde de la bureaucratie, a commencé à allumer des feux ici et là au sein des agences fédérales et des cadres de l’alimentaire. C’était le gardien de Michelle Obama. Des dizaines d’experts en nutrition interviewés pour cet article ont dit ne pas se souvenir d’une seule réunion centrée sur la politique concernant leurs problèmes avec la Première dame elle-même, et que presque tous avaient rencontré Kass. Des figures importantes de l’administration sont venus voir Kass – qui a joué ce rôle de « tsar » comme d’autres membres du personnel de la Maison-Blanche pendant le premier mandat d’Obama, à l’instar de Carol Browner sur le changement climatique et Steve Rattner sur l’industrie automobile. Il était devenu incontournable si on voulait voir les choses avancer. Il avait cette façon de secouer le cocotier des politiques s’étiolant depuis trop longtemps dans les méandres de leur bureaucratie, mais aussi de pousser les employés de la Maison-Blanche eux-mêmes à revoir les façons de faire mieux et plus rapidement.

Plusieurs personnes extérieures à la Maison-Blanche pensent que pendant que Kass était là, il a aidé à faire avancer les règles de labellisation des menus dans le pays, qui traînaient depuis longtemps (un héritage peu connu d’Obamacare) et à faire progresser la répression controversée des graisses trans par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). On retrouve l’empreinte de Kass sur beaucoup d’autres problèmes liés à l’alimentation, et qui dépassent de loin celui de l’obésité infantile – des problèmes allant de la limitation de l’utilisation des antibiotiques dans la nourriture du bétail à la protection des pollinisateurs.

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Le chef de la Maison-Blanche
Crédits : USDA

Kass est arrivé là un peu brute de décoffrage : les réunions avec lui étaient connues pour se terminer par des cris. Il pouvait se montrer impatient et inflexible. « Sam était un bulldog », dit l’ancien représentant de la FDA, Stuart Pape, qui est maintenant conseiller pour des entreprises du secteur alimentaire. « Je me souviens de quelqu’un disant que c’était comme si nous étions tous les ingrédients d’une recette qui demandait un brassage constant, et que Sam était la cuillère. » La nouvelle chaîne de commandement avalait parfois de travers. Au sein de la FDA, qui travaillait à réviser les tableaux d’informations nutritives, à bannir les graisses trans et à labelliser les menus, des cadres moyens se sont plaints des interventions « du cuisinier ». Un politicien républicain a déclaré qu’avoir un cuisinier qui supervise la politique alimentaire de l’administration revenait à avoir « un mécanicien auto qui dirige la NASA ». Mais Kass avait un atout que peu d’autres avaient : un lien personnel avec les Obama. « Ils discutaient du problème depuis de nombreuses années. Ça ne s’invente pas », dit Barnes. « Ce n’est pas quelque chose qui s’improvise à la volée. » (Bien que Kass ait quitté la Maison-Blanche en 2014, lui et la famille présidentielle restent amis : il joue au golf avec le président et en août dernier, les Obama se sont rendus à son mariage à New York avec la présentatrice de MSNBC Alex Wagner. Un rapport indique également que le président Obama a passé cinq heures dans l’appartement de Kass à Washington pour un enterrement de vie de garçon… Le jour où la campagne Let’s Move! a été lancée, le président a soutenu l’effort avec un ordre exécutif permettant la création de la toute première task force nationale contre l’obésité infantile, qui serait dirigée par son conseil en politique intérieure et qui travaillerait en tandem avec la campagne de la Première dame. Une douzaine d’agences fédérales se sont attelées à travailler sur plus de 70 recommandations formulées. Le ministère de l’Agriculture a modifié ses standards de repas scolaires afin qu’ils comportent plus de fruits et légumes, plus de céréales complètes et moins de sucre, de sel et de graisse. Des standards similaires sont toujours à l’étude pour les crèches et les garderies. Le ministère a élargi son contrôle de l’alimentation des enfants : pour la première fois, il régule tous les aliments vendus dans les écoles. Au Centre de contrôle des maladies, des efforts ont été faits pour promouvoir l’allaitement dans les hôpitaux (la recherche prouve que cela aiderait à garder un poids sain).

Des millions ont aussi été distribués sous forme de bourses pour la prévention communautaire et la promotion d’une alimentation saine et d’exercice physique. La FDA a répondu en remaniant les tableaux d’informations nutritives qui figurent sur les emballages alimentaires pour que le nombre de calorie apparaisse en gras et que les portions soient plus réalistes. La Maison-Blanche s’est impliquée jusque dans le nouveau design et c’est la Première dame elle-même qui a dévoilé le nouveau format à la Maison-Blanche en 2014. Pour la première fois, le label devrait faire figurer les sucres naturels mais aussi les « sucres ajoutés » – une mesure qui a rendu furieux certains secteurs de l’industrie alimentaire et de celle du sucre, qui envisagent de potentielles poursuites en se basant sur le fait que le corps digère tous les sucres, ajoutés ou non, de la même façon. Alors que l’Aile Est pousse les agences à adopter ces changements à coup de persévérance et d’incitations, les observateurs de la politique alimentaire ont noté que les initiatives de Michelle se concrétisaient tout simplement plus vite que ne le font habituellement les changements initiés par l’administration. La révision des informations nutritives – une régulation très importante avec un énorme impact sur le marché – a pris moins de huit semaines, laissant libre le bureau du budget juste à temps pour que Michelle Obama puisse dévoiler le nouveau label pour fêter le 5e anniversaire de Let’s Move!. Une autre régulation, qui pour la première fois établit des règles strictes concernant les snacks vendus dans les écoles, était une autre des priorités de l’aile Est et a abouti à temps pour l’année scolaire 2014-2015. La régulation a fait son chemin au ministère de l’Agriculture en « un temps record », dit Margo Wootan, directeur de la politique nutritive au Center for Science in the Public Interest.  La Maison-Blanche l’a ensuite validé via le Bureau de la gestion et du budget en sept jours. « Je n’avais jamais vu ça, de toute ma carrière à Washington. »

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Michelle Obama présente Let’s Move! chez Ellen DeGeneres
Crédits : Chuck Kennedy

Au forceps

Mais entre les premiers essais de Michelle et le label de nutrition qui arrive, il y a eu de nombreuses leçons difficiles sur tout le conflit que peut engendrer le changement. Si un problème a marqué la transition de sa campagne passée de réforme bipartite à paratonnerre controversé, c’est bien la bataille des déjeuners scolaires. Aucun autre élément n’est plus central, ou controversé, sur la scène politique de la Première dame, que cette révision des menus scolaires, qui nourrissent chaque jour 30 millions d’enfants américains.

Depuis le début, tout le monde au sein de l’administration était d’accord pour dire que les écoles étaient absolument incontournables dans la bataille contre l’obésité infantile. Beaucoup d’enfants, surtout ceux issus de milieux défavorisés, consomment environ la moitié de leurs calories quotidiennes à l’école. Le National School Lunch Program – signé par le président Harry S. Truman pour combattre la malnutrition et aider les fermiers – s’était enlisé dans une avalanche de produits transformés et très riches en calories. Certaines écoles sont allées jusqu’à proposer des produits McDonald’s ou Taco Bell. Les fondements d’un durcissement des standards de nutrition dans les écoles ont en réalité été mis en place sous George W. Bush, mais ne sont devenus une priorité qu’avec l’arrivée de Michelle Obama. En 2010, la loi était prête à être reconduite, ce qui a constitué une parfaite opportunité pour l’aile Est d’imprimer son empreinte sur une loi.

Mais le parcours du combattant de la loi ne faisait que commencer.

Et dès le départ, ça a été une lutte. Le Congrès était déjà surchargé par d’autres priorités législatives d’Obama, dont les réformes sur la sécurité sociale, le changement climatique et la réforme de Wall Street. Même le contrôle des deux chambres du Congrès par les Démocrates ne garantissait pas une victoire. Pendant l’été 2010, de l’argent destiné au programme de nutrition infantile a été détourné pour aider à éviter des licenciements d’enseignants dans les États en situation difficile. À un autre moment décisif particulièrement dramatique, les Démocrates progressistes ont fait machine arrière alors que le processus était très avancé, en apprenant que le projet de loi allait être financé avec de l’argent prévu initialement pour les bénéficiaires de coupons alimentaires. Mais le projet de loi était surtout perçu comme la cheville de l’effort de la Première dame et la Maison-Blanche n’allait pas la laisser perdre la bataille. Le président en personne en a alors appelé à la direction des Républicains. Et Michelle Obama a elle-même décroché son téléphone pour tenter de calmer plusieurs législateurs. Une conversation avec la représentante démocrate du Connecticut Rosa DeLauro, un grand soutien du programme de déjeuners scolaires, s’est particulièrement mal passée ; un ancien assistant parlementaire se souvient que l’appel s’est terminé par l’élue du Congrès proférant des jurons. Les groupes de santé et la Maison-Blanche l’ont finalement emporté, et le Healthy Hunger-Free Kids Act a été adopté par un Congrès boiteux – une loi considérée comme une victoire majeure pour Let’s Move!.

Elle instaurait le premier changement nutritionnel dans les menus scolaires depuis des décennies et proposait aux écoles de nouveaux financements fédéraux si elles opéraient les changements. Pour la première fois, une loi mettait en place des règles strictes concernant la nourriture vendue dans les distributeurs et les self-services. Quand le président Obama a signé le projet de loi dans une école primaire de Washington, Michelle était à ses côtés. « Je ne suis pas seulement extrêmement fier de cette loi », a plaisanté le président, « mais si je n’avais pas réussi à la faire passer, j’étais bon pour dormir sur le canapé. » Quand, juste après, il a fait une deuxième blague sur la catastrophe domestique à laquelle il aurait dû faire face s’il avait échoué, sa femme lui a coupé la parole : « N’entrons pas là-dedans. Contentons-nous de dire que ça a marché, pour qu’on n’ait pas besoin d’en parler. »

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Barack Obama signe le Healthy Hunger-Free Kids Act
Crédits : Pete Souza

Mais le parcours du combattant de la loi ne faisait que commencer. Alors que les détails de cette politiques commençaient à prendre forme au ministère de l’Agriculture, les directeurs de l’alimentation des écoles et les fabricants de nourriture vendant leurs produits aux écoles sur un marché représentant 15 milliards de dollars par an ont commencé à avoir sérieusement peur et à se plaindre auprès de leurs alliés de Capitol Hill. En 2011, les fabricants de pizzas ont demandé que la sauce tomate continue d’être considérée comme un légume (ils ont remporté cette partie-là) ; les écoles de New York étaient furieuses de devoir passer aux bagels aux blé complet. En Caroline du Nord, les employées de cantine s’inquiétaient de devoir retirer le gru de leurs menus alors qu’il constituait un apport en calorie populaire et peu coûteux. Beaucoup d’écoles ont trouvé la nouvelle nourriture plus coûteuse et moins populaire, et certaines ont dû faire face à des pertes financières dans leurs cafétérias. La School Nutrition Association, qui avait soutenu la loi lorsqu’elle a fait son chemin au Congrès en 2010, s’est retournée contre beaucoup des réformes lorsqu’elles ont été mises en place et a commencé à faire du lobbying au Sénat pour faire retirer les mandats sur les céréales et le sodium, afin de mettre fin à la nouvelle exigence d’inclure 125 grammes de fruits et légumes aux repas. Les Républicains qui avaient réussi à regagner la majorité des sièges pendant les élections de mi-mandat en 2010 y ont vu une ouverture et s’en sont pris directement au programme de déjeuners scolaires de Michelle Obama, arguant qu’il représentait une exagération de plus du gouvernement fédéral.

En 2014, une guerre ouverte avait éclaté au sujet des déjeuners scolaires, avec d’un côté la Première dame et les avocats de la santé et, de l’autre, les dirigeants de cafétérias scolaires, les fabricants de nourriture et les Républicains. Les législateurs du secteur de l’élevage voulaient une dérogation qui permette aux écoles perdant de l’argent avec l’option de l’alimentation plus saine de se retirer du programme. « Seule l’administration Obama pouvait prendre un programme de lutte contre la faim et en faire un programme anti-obésité sans voir la différence », dit Brian Rell, directeur de cabinet du républicain Robert Aderholt, le Républicain d’Alabama qui a mené l’effort pour assouplir les règles.

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Michelle Obama parle de l’importe de la loi
Crédits : Pete Souza

Le combat est devenu moche. À un moment donné, la Première dame a accusé certains membres du Congrès d’utiliser la santé des enfants pour servir leurs petits jeux politiques et a appelé à se battre « sans merci » pour protéger les standards de nutrition. À un autre moment, le SNA a refusé à Kass le droit de venir s’exprimer à sa conférence annuelle – un pied de nez à la Maison-Blanche qui illustrait bien à quel point les choses s’étaient envenimées. Après des mois, le Congrès et la Maison-Blanche ont fini par renoncer à l’idée d’une dérogation et modestement assouplir quelques standards dans le recueil de 2015. Ce qui est arrivé ensuite n’est pas clair : la loi de base sur la nutrition expirait en septembre, bien que tous les programmes principaux continuent en pilote automatique. L’administration Obama, anxieuse à l’idée qu’un président républicain puisse tout simplement la jeter aux oubliettes, aimerait vraiment sceller son lègue en la faisant repasser cette année. Mais même avec un compromis bipartite récent avec le Sénat, la chance de voir le projet de loi parvenir jusqu’au bureau d’Obama pendant une année d’élection présidentielle est plutôt mince.

MyPlate

D’autres changements se sont faits bien plus facilement. Il a fallu moins de deux ans à Kass et une poignée de représentants de l’administration pour se débarrasser de la « pyramide alimentaire » bien connue et la remplacer par un tout nouveau guide de bien-manger baptisé MyPlate (mon assiette). « La première dame a été claire. Cela portait à confusion », dit Kass en parlant de la pyramide, que le gouvernement utilise comme guide de nutrition depuis le début des années 1990. Le projet a attiré des gens étonnement haut placés, dont Zeke Emanuel, un conseiller spécial sur la politique de santé au Bureau du personnel et du budget (OMB) de la Maison-Blanche, Cass Sunstein, le professeur de droit à Harvard qui dirigeait le Bureau d’information et des affaires légales de l’OMB, et Martha Coven, une employée du conseil en politique intérieure de la Maison-Blanche. Finalement, il en est sorti un graphique non pas en forme de pyramide mais d’assiette, divisant le repas recommandé en quatre parties : les protéines, les céréales, les fruits et les légumes, ainsi qu’un verre de lait sur le côté. Le message inscrit en bas était simple : une demi-assiette de fruits et légumes. « Qu’y-a-t-il de plus simple qu’une assiette ? » a dit Michelle Obama en dévoilant le nouveau symbole à la Maison-Blanche début 2011. Et les réformes comprenaient un peu plus qu’un simple changement de symbole. Pour la première fois dans l’histoire du pays, le gouvernement américain recommandait explicitement aux gens de moins manger, avec une nouvelle page web gouvernementale pleine de conseils et intitulée : « Appréciez votre nourriture, mais mangez moins. »

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Changement de logo

Il y a eu d’innombrables autres petits efforts, dont la réglementation du ministère de l’Agriculture interdisant la publicité pour la junk food dans les écoles, et un engagement de bonne volonté pour le million d’enfants supplémentaires nourris dans les crèches. Les chefs de produits dans le marketing ont aussi remarqué une hausse des ventes de fruits et légumes pour les compagnies utilisant des personnages de « Sesame Street », qui sont libres de droits depuis la signature d’un accord négocié par la Maison-Blanche en 2013. Michelle Obama a aussi encouragé les commerces de quartier, comme Kwik Trip, à proposer plus de produits frais, comme les bananes, à la caisse. Les engagements de sociétés ont tous été réalisés via le Partnership for a Healthier America (« partenariat pour une Amérique plus saine »), une association financée par une fondation à but non lucratif créée uniquement pour soutenir la campagne de la Première dame et vérifier si les entreprises tiennent leurs promesses. Les défenseurs de la santé, pour la plupart, se disent ravis d’avoir eu Michelle Obama comme championne, mais la démarche de la Première dame a aussi dû faire face à beaucoup de controverse. Michelle Obama a été critiquée à droite pour avoir outrepassé son rôle et s’être comportée comme une « nounou » de la nutrition, et à gauche pour ne pas avoir été assez loin.

Des auteurs spécialisés dans l’alimentation dont Pollan et Mark Bittman ont publiquement critiqué l’aile Est pour avoir travaillé main dans la main avec les industriels. Katie Couric et Laurie David, qui ont produit le documentaire récompensé aux Oscars sur le changement climatique Une Vérité qui dérange, avec Al Gore, ont dénoncé la Première dame dans leur film Fed Up parce qu’ils pensait qu’elle avait abandonné sa politique de nutrition sous la pression des industriels. Et toutes les promesses n’ont pas été tenues. La Maison-Blanche est restée sur la touche en 2011 quand une initiative pour freiner le marketing autour de la junk food à destination des enfants s’est effondrée face à une farouche opposition du Congrès. Michelle Obama n’a pas mené à bien son projet d’éliminer « les déserts alimentaires », ces parties les plus pauvres du pays où l’on constate un manque d’accès aux fruits, aux légumes et à la nourriture équilibrée. Certaines idées liées à Let’s Move!, dont celle de faire entrer des chefs cuisiniers dans les écoles, ont fait long feu. La Première dame s’est aussi battue personnellement avec le Congrès – fait dans lequel les assistants du Sénat des deux bords voient un problème plus vaste de l’administration Obama. L’appel à Rosa DeLauro au sujet des déjeuners en est un bon exemple.

Un autre exemple est survenu au printemps 2014, quand la sénatrice républicaine du Maine, Susan Collins, s’est battue avec la Maison-Blanche au sujet des pommes de terre blanches. Elle faisait pression pour un avenant à un projet de loi de dépense pour l’agriculture qui rendrait la pomme de terre éligible à l’achat dans le cadre d’un programme d’assistance alimentaire pour les femmes, les enfants et les nourrissons. L’administration Obama, et beaucoup d’experts en nutrition, ont détesté l’idée. Les pommes de terre sont à peine considérées comme des légumes dans certains cercles de nutritionnistes car elles contiennent de l’amidon et font monter le taux de sucre dans le sang. Et la recherche a démontré que les femmes défavorisées mangeaient déjà bien assez de pommes de terre, souvent sous forme de frites. Mais l’industrie de la pomme de terre n’a pas supporté d’être laissée de côté. Ils ont argué que les pommes de terre contenaient plus de potassium que les bananes et que les exclure du programme serait absurde.

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Une victoire en demi-teinte
Crédits : Let’s Move!

Les Démocrates du Sénat penchaient fortement en faveur des pommes de terre quand la Maison-Blanche a décidé d’essayer de faire pencher la balance en faisant entrer dans la partie une longue liste de sénateurs des sous-commissions, dont Collins elle-même, une Républicaine modérée qui non seulement représentait un État reposant sur l’économie de la pomme de terre, mais qui était née et avait été élevée dans la plaque tournante de la culture de pomme de terre qu’est le comté d’Aroostook County. « J’étais choquée qu’elle appelle tous les sénateurs ! » dit Collins en gloussant. « Je dois admettre qu’elle a fait un effort de lobbying énorme. » Elle n’avait jamais été contactée par la Première dame ou le président sur aucun autre sujet lié à la nourriture ou la nutrition. « Ça a été une conversation difficile. Il vaut mieux en rester là », dit Collins de l’appel. Finalement, tient à préciser Collins, la pomme de terre a gagné. Elle a battu la Maison-Blanche avec le soutien de tous les Démocrates du comité mis à part le sénateur de l’Iowa de l’époque, Tom Harkin. Malgré l’appel, Collins se considère comme une grande fan du travail sur la nutrition de Michelle Obama, et elle dit que la Première dame « mérite beaucoup de crédit » pour son travail sur l’obésité infantile – « même si elle a méchamment tort sur les pommes de terre ».

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Il va falloir des années, peut-être des décennies, avant que quiconque puisse dire si tous les efforts que Michelle Obama a fait pour promouvoir une alimentation équilibrée et l’exercice physique aura eu le moindre impact sur l’obésité infantile. « On ne sait pas », admet un ancien responsable de la Maison-Blanche qui a travaillé sur Let’s Move!, notant que le taux d’enfants obèses semble s’être stabilisé. « On n’a pas eu assez de temps pour voir si on avait eu l’impact qu’on espérait. » Le rapport de la Task Force de la Maison-Blanche a défini des marques de réussite bien précises. L’objectif final était de ramener le taux d’obésité infantile à son taux normal d’environ 5 % en 2030 – un but ambitieux quand on sait que le taux se situait aux environs de 20 % quand Let’s Move! a été lancé. Mais le rapport fixe aussi des objectifs intermédiaires. La task force espérait ramener le taux à 17 % avant 2015, mais il n’y a aucune donnée disponible pour le moment. La Première dame, de son côté, a répété à plusieurs reprises qu’elle comptait continuer à travailler sur l’obésité infantile bien après son passage à la Maison-Blanche. Elle aura 53 ans trois jours avant l’investiture du prochain président. « Ce n’est pas comme si j’avais un an ou deux devant moi à consacrer à ce problème. Je compte y consacrer le reste de ma vie », a-t-elle déclaré pendant un événement à la Maison-Blanche avec des parents blogueurs. « Parce que je sais que c’est le temps que ça va prendre pour résoudre ce problème. »

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Michelle Obama dîne avec les enfants à la Maison-Blanche
Crédits : Pete Souza

À court terme, même si la Maison-Blanche échoue à faire voter au Congrès le projet de loi sur la nutrition infantile, la Première dame va gagner par défaut. Plus longtemps les céréales complètes et les options pauvres en sel resteront sur les menus, plus les enfants s’habitueront à eux et moins les règles auront de chance de changer. « C’est la nouvelle norme », dit Debra Eschmeyer, la directrice exécutive de Let’s Move! qui a pris la relève après le départ de Kass, dans une interview donnée plus tôt ce mois-ci dans le bureau de l’aile Est de Michelle Obama, où les visiteurs sont invités à se servir en pommes dans un saladier en verre. Jusque-là, la Maison-Blanche soutient que l’initiative paye en mettant en avant une étude qui prouve que les taux d’obésité ont baissé chez les enfants qui ne vont pas encore à l’école, un signe prometteur dans un océan de mauvaises nouvelles. Mais ce n’est qu’une étude, et même les experts qui soutiennent le projet se disent étonnés par la façon dont elle a été menée. « Je pense qu’il est trop tôt », dit Seema Kumar, une pédiatre endocrinologue à la clinique Mayo qui traite des enfants obèses. Kumar, une fidèle supportrice de Let’s Move! qui considère MyPlate comme un pas de géant, pense que la Maison-Blanche a surestimé cette étude, trop réduite pour refléter une tendance nationale. Kumar dit que d’autres données émergent qui indiquent un mouvement plus large dans la bonne direction, mais qu’il est trop tôt pour en être sûr. Pour James Levine, chercheur à la clinique Mayo et l’un des principaux conseillers sur l’obésité des Nations Unies, la question de savoir si Michelle Obama a aidé à réduire les taux d’obésité chez les enfants n’est pas celle qu’il faut poser, du moins si tôt dans le processus. Aucun autre pays industrialisé n’a réussi à endiguer ce phénomène. Avant que les États-Unis ne fassent vraiment des progrès, dit-il, les politiciens doivent le percevoir comme un véritable problème nécessitant une solution digne de ce nom. Et sur ce front, Let’s Move! a fait avancer les choses. « Vous me direz peut-être que les Américains ne laisseront jamais la santé devenir un sujet de conversation », dit-il. « Mais la mission que s’est fixée la Première dame a prouvé le contraire. Et pour moi, c’est un énorme pas en avant. »


Traduit de l’anglais par Caroline Bourgeret d’après l’article « The great FLOTUS food fight », paru dans Politico Magazine. Couverture : Michelle Obama défend Let’s Move! (Barack Obama/Flickr).


DANS LES COULISSES DE LA PRÉSIDENCE OBAMA

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