Naissance de Longform
Comment et à quel moment avez-vous imaginé Longform ?
« Personne ne voulait lire un article long format au milieu des années 2000 sur un ordinateur puisqu’il n’était pas pensé pour cela, contrairement à l’iPad. »
D’abord, je n’étais pas seul : cela vient vraiment d’Aaron et moi. Nous avons commencé en avril 2010 et l’idée de départ était très simple : nous aimions beaucoup lire sur nos portables avec des applications comme Pocket, Instapaper, etc. Et particulièrement à New York, les gens ont l’occasion de lire dans les transports sur le chemin du travail et ils ne peuvent pas le faire en ligne. Nous aimions beaucoup cela avec Aaron et nous n’avions pas de service qui nous permettait d’avoir des histoires longues à disposition. Du coup, nous avons pensé à quelque chose d’assez unique sur le web, avec une approche différente de ce qui se fait déjà et qui permettrait de mettre en valeur des textes qui ne passent jamais de mode : l’histoire d’un meurtre dans les années 1980, bien racontée, est quelque chose qu’on peut encore lire aujourd’hui avec plaisir. L’autre partie de l’idée, c’était qu’il fallait qu’on recommande des articles et, au-delà de cela, peut-être, à terme, qu’on devienne une archive des meilleures histoires écrites dans l’histoire du journalisme. C’était l’idée : une sorte de plateforme très accessible pour que les gens trouvent des choses intéressantes à lire.
Comment avez-vous rencontré Aaron ?
C’est un ami à moi, nous nous sommes connus au collège. Il y a eu un moment où nous avions des tas d’idées, et l’une d’entre elles, c’était Longform. L’autre, c’était une agence immobilière. En fait, nous voulions juste faire quelque chose ensemble.
Vous vous êtes lancés en avril 2010…
Oui, cela fait quatre ans, c’est assez fou quand on y pense.
C’est le mois où Apple a lancé son premier iPad, trois mois après son annonce par Steve Jobs. C’était un déclencheur ?
Oui, bien sûr ! Le timing n’était pas accidentel. Nous nous sommes dit à ce moment-là que c’était un pas de plus vers la consommation des histoires longues. Les histoires ne se sont pas améliorées. Le travail des journalistes était aussi bon par le passé que celui des journalistes d’aujourd’hui. La différence, c’est qu’il n’y avait qu’une manière de les lire : le papier. Et puis est arrivée une autre façon peu commode de les lire, sur un ordinateur de bureau. Personne ne voulait lire un article long-format au milieu des années 2000 sur un ordinateur, puisqu’il n’était pas pensé pour cela, contrairement à l’iPad. L’iPad permet aux gens de lire ces articles au moment où ils le désirent, le même moment que celui où ils souhaiteraient regarder des films. C’est ce que nous disent les statistiques de notre application en tout cas : nous sommes surtout consultés le soir et pendant le week-end, comme une activité de loisir. La plupart des gens que je connais lisent des histoires longues de chez eux, sur leur ordinateur ou dans leur lit.
Est-ce que les new-yorkais utilisent beaucoup leur iPad dans les transports publics ?
De moins en moins ! J’ai vécu une situation assez étrange l’autre jour : j’étais dans l’avion pour aller faire une interview, et j’étais en train de préparer mes questions. J’avais donc des tas d’articles sur mon iPad et sur mon iPhone, les deux étant synchronisés sur le même compte. Pendant tout le vol, j’avais l’iPad sur les genoux, et pourtant, je lisais sur mon iPhone.
Et puis une autre fois, dans le bureau que nous partageons avec Roads & Kingdoms et The Atavist, j’avais besoin de tester quelque chose sur un iPad. Nous en avons trois ici, Roads & Kingdoms en a quelques-uns, The Atavist en a une vingtaine. Je suis passé de bureau en bureau : tous les iPad étaient déchargés, sauf un. Pour moi, c’est une preuve assez évidente que les gens utilisent de moins en moins leurs tablettes – ou du moins les gens avec qui je travaille.Vous avez aussi lancé une application Longform. Pourquoi cela ?
Nous avions l’impression que la manière dont nous lisions des articles long-format était… maladroite. L’idée que nous avions pour améliorer tout cela était la suivante : vous allez sur Longform.org, vous sélectionnez les articles qui vous intéressent, vous ouvrez l’application, vous la rafraîchissez et les articles sont là, disponibles à la lecture. Nous voulions que l’expérience de lecture soit plus simple et meilleure, en la rendant plus intuitive. Il fallait créer une sorte de lecteur qui enregistrerait les articles que vous choisiriez. Et ensuite, même si nous nous fions à nos goûts, nous nous sommes dit que tout le monde ne les partagerait peut-être pas, donc nous avons imaginé un service qui pourrait aussi attirer des gens qui ne partagent pas nos centres d’intérêt. Alors nous avons créé un système qui vous permet de vous abonner à des magazines numériques, tout en ne recevant que leurs articles longs. Si vous pensez à des magazines comme GQ par exemple, ils ne publient que quatre articles longs par mois, qui sont souvent parmi les meilleurs articles écrits du mois. Ce sont les plus travaillés, et ils ont les meilleurs auteurs du monde. Et si vous regardez le flux RSS de GQ.com, vous trouverez une centaine d’articles par jour, la plupart étant des diaporamas ou des posts de blog. Nous voulions créer une manière d’accéder aux longs articles de la manière la plus simple possible. En février 2012, l’application était lancée. Nous y avons travaillé pendant pas mal de temps – c’est une application payante, réservée à l’iPad, même si depuis, nous avons travaillé sur une application iPhone qui étend notre idée à un autre usage, plus mobile.
Comment organisez-vous vos journées de travail ?
C’est une question intéressante… Cela dépend. Aaron travaille sur les produits et sur la nouvelle application. Nous avons quelques personnes à plein temps sur l’application. C’est un gros projet, à long terme. Mon travail, c’est plutôt de faire en sorte que tous les trains arrivent à l’heure. Je lis beaucoup. J’arrange aussi les partenariats, je m’occupe des sponsors, je passe donc beaucoup de temps à parler à ces gens. Finalement, je m’occupe du podcast qui demande beaucoup plus de temps que nous l’aurions imaginé, mais c’est vraiment intéressant.
Lecture & écriture
Vous me dites que vous lisez beaucoup. Quelles sont vos exigences quand vous sélectionnez des articles ?
D’abord, il faut qu’un article sache retenir mon attention. C’est fondamental ! Je travaille souvent à la maison le matin, pour lire, parce qu’il y a toujours des choses à faire au bureau. Cela dit, je sais maintenant assez rapidement si une histoire va me passionner ou non. Et puis il y a des éditeurs qui travaillent avec nous et qui choisissent aussi des articles à diffuser. Nous nous sommes étendus, en quelque sorte, pour diversifier nos goûts. Pour moi, avoir envie de lire une histoire jusqu’à la fin est définitivement la chose la plus importante. Avant notre entretien, je lisais un article dans le New York Times qu’un ami m’a envoyé ce matin et c’était un bon article : je voulais me faire un café avant notre rencontre mais je n’ai pas pu, parce que je n’arrivais pas à m’arrêter de lire. C’est une bonne chose, c’est cela que nous recherchons !
« Nous ne disons pas que si vous n’êtes pas intéressé par le sujet, vous allez apprécier l’histoire ; ce que nous promettons en revanche, c’est que si vous appréciez le sujet, vous aurez une histoire intéressante à lire. »
Nous ne disons pas que même si vous n’êtes pas intéressé par le sujet, vous apprécierez l’histoire ; ce que nous promettons en revanche, c’est que si vous appréciez le sujet, vous aurez une histoire intéressante à lire. Le scénario le plus désastreux pour nous serait que vous ayez trouvé une histoire chez nous, que vous l’ouvriez dans l’avion parce que vous nous faites confiance, et que vous tombiez sur une histoire tout juste moyenne. J’essaie toujours de trouver des histoires qui peuvent passionner, distraire. Cela ne signifie pas que les sujets doivent être légers, fabuleux ou cinématographiques – Joshuah Bearman fait cela très bien –, mais que les histoires doivent être attirantes. « Est-ce que vous voulez continuer à lire ? » est la question à laquelle on doit répondre par la positive pour entrer dans nos exigences qualitatives.
Avez-vous développé une sorte de méthode inconsciente pour distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas ?
Vous savez, j’ai toujours été journaliste, dès lors mon goût personnel a beaucoup joué dans la construction de Longform. La nature du site a changé, en fait. Les deux premières années, nous étions assis sur un coffre au trésor : nous avions toutes les plus grandes histoires jamais écrites à diffuser. C’était incroyable de faire le tri dans tout cela, il y en avait tellement ! Maintenant, nous sommes davantage tournés vers les nouvelles publications, et il y en a beaucoup. Nous nous demandions au début si nous allions arriver à court d’articles à publier, mais ce ne sera jamais le cas.
Pourquoi avoir lancé une rubrique dédiée à la fiction ?
C’est assez amusant, parce que c’était la chose la plus demandée dès que nous avons lancé le site. « Pourquoi ne faites-vous pas de fiction ? », « S’il vous plaît, faites de la fiction ! » La seule réponse que je pouvais formuler était simple : je ne lisais pas de fiction ! Et je ne voulais pas vraiment m’y mettre. Et puis il y a eu ces gars, qui ont lancé Instafiction, qui ressemblait dans son principe à Longform, mais uniquement pour la fiction. Je leur ai envoyé un mail et je leur ai dit : « Plutôt que de faire Longform pour la fiction, pourquoi ne feriez pas Longform Fiction ? » Je ne voulais pas qu’on se lance là-dedans avant d’avoir des gens aussi passionnés par cela que nous l’étions par le journalisme — et ils étaient bons. Du coup, nous les avons pris avec nous et les gens apprécient beaucoup leur travail. Comme ça, je ne reçois plus ces emails ! (Rires.)
Ces gens avec qui vous travaillez sont tous employés ?
Tout le monde ne travaille pas à temps plein, non. Les éditeurs ont d’autres métiers qu’ils exercent à temps plein et ils participent à Longform sur leur temps libre. Ils sont pour la plupart de grands utilisateurs du site, de la première heure, qui m’envoyaient beaucoup de mails pour nous recommander des articles. Nous avons pensé que ce serait une bonne chose de les impliquer. Encore une fois, Aaron et moi avons des goûts plutôt similaires… Je pense que si vous regardez les dix-huit premiers mois d’existence du site, vous trouverez beaucoup de sport, de sexe et de meurtres ! (Rires.) C’est bien d’avoir d’autres individualités qui peuvent élargir le spectre des sujets.
Pourquoi des lecteurs viendraient plus sur Longform que sur Longreads ou Narratively ?
Narratively n’est pas sur le même créneau, ils produisent du contenu original. Leur succès est impressionnant ! Du côté de Longreads, oui, il y a de similarités. Je pense que la plus grande différence est le type de contenu : nous mêlons de la nouveauté et des textes anciens, alors que Longreads ne diffuse presque que de nouveaux articles.
Vous produisez aussi un podcast avec The Atavist, dans lequel vous rencontrez des auteurs de textes non-fictionnels. Croyez-vous que cela intéresse au-delà des journalistes, de connaître les coulisses d’un reportage ?
Nous avons trop d’auditeurs maintenant pour croire qu’il n’y a que des journalistes dans le lot. C’est la même chose avec notre site, au demeurant : quand nous avons lancé Longform, nous pensions qu’il n’y aurait que des journalistes qui regarderaient cela. Mais ce n’est pas le cas, et avec le podcast, c’est un peu le même cheminement. Il y a évidemment des journalistes qui écoutent et les sujets dont nous discutons peuvent être similaires à ce qui se dit dans les écoles de journalisme. Mais l’audience est assez large et je pense que vous avez mis le doigt sur la raison pour laquelle cela intéresse : nous avons des lecteurs, très intéressés, qui veulent savoir comment les choses se passent en coulisse. Je pense aussi qu’il y a un intérêt naturel, très humain, pour le métier qu’exercent les autres. Il y a des gens qui ne connaissent pas du tout les journalistes que nous recevons et qui les écoutent parler de ce qu’ils font. C’est un métier très intéressant et ceux qui viennent sur notre plateau sont plutôt éloquents.
Histoires originales
Avez-vous déjà pensé à publier du contenu original sur Longform ?
Oh oui ! Cela revient sur la table tout le temps. Toute ma vie, j’ai été journaliste, seulement journaliste. Donc tout le côté business, la recherche d’articles… Ce sont des choses très différentes de ce que j’ai toujours fait. L’idée de produire du contenu original est très tentante, évidemment. Nous connaissons beaucoup de très bons auteurs et nous avons une audience, nous pourrions certainement combiner ces deux choses et faire quelque chose de bien. Et pourtant, deux problèmes se posent.
« Je ne veux pas imaginer qu’on puisse investir beaucoup de temps et d’argent sur une histoire et qu’à la fin, ce soit juste bien, pas excellent. »
Le premier, c’est que nos lecteurs ne demandent pas plus de contenu. Nous publions quatre articles par jour, nous avons essayé d’en publier plus et nous n’avons pas eu plus de trafic, plus de liens cliqués… En fait, les gens viennent chez nous pour moins que ce que nous publions. Ce n’est pas vraiment ce que nous promettons à nos lecteurs. Le deuxième problème, c’est qu’il est coûteux et difficile de bien faire. Je ne peux pas concevoir qu’on investisse beaucoup de temps et d’argent dans une histoire et qu’à la fin, elle soit juste bonne, pas excellente. Cela plomberait toute l’idée du site et du service que nous proposons à nos lecteurs. Aussi tentant que ce soit, nous avons résisté…
Avez-vous découvert quelque chose sur votre propre travail de journaliste en travaillant avec les textes d’autres auteurs ?
Oh, j’ai découvert que j’étais mauvais ! (Rires.) Passer du temps à sélectionner les meilleurs articles qui ont été écrits, cela permet de souligner combien il est difficile de faire ce métier. Cette sensation a été grandement renforcée au moment du podcast : c’est du travail, beaucoup de travail. Cela prend du temps, demande des efforts et coûte de l’argent. Pour ce qui est de mon travail personnel : non, Longform ne m’a pas donné envie de dédier ma vie au reportage.
Vous utilisez beaucoup Twitter. Pensez-vous toujours que c’est un bon outil pour un rédacteur en chef ?
Peut-être ! Depuis l’interview en revanche, j’ai l’impression que Twitter a un peu changé. Je ne pense pas qu’un rédacteur en chef aujourd’hui passerait ses journées sur Twitter pour trouver des sujets. Si c’est sur Twitter, c’est que cela a déjà été fait, et que c’est déjà trop tard. J’y passe beaucoup moins de temps qu’avant. J’ai l’impression que c’est plus une distraction qu’autre chose.
Avez-vous cru à Google + ? Son format semble plus adapté à ce que vous faites, a priori.
C’est une remarque intéressante. Google ajoute de plus en plus de produits à Google +, comme Hangouts, que j’utilise beaucoup. Mais je ne me souviens même pas de la dernière fois où je me suis connecté à Google +… si même je l’ai déjà fait ! Je pense que Twitter nous a permis de construire une communauté. C’est assez magique, ce concept de conversation publique permanente à laquelle vous pouvez vous greffer à n’importe quel moment.
« Il y a de nouveaux outils, oui, mais qu’est-ce qui faisait une bonne histoire en 1980 ? Le fait que vous la lisiez jusqu’à la fin. C’est la seule chose qui compte et cela n’a pas changé. »
Pourtant, dans le même temps, c’est un format assez décevant par nature, 140 caractères… On a l’impression qu’un sujet discuté sur Twitter est important parce qu’il y a toujours quelqu’un pour en parler, mais en réalité, je pense que le nombre de gens qui discutent n’est pas énorme. Ils font simplement beaucoup de bruit. J’ai réfléchi récemment à la manière de s’extraire de ce petit monde et de concevoir une application pour les gens qui se moquent royalement des conversations sur Twitter et qui veulent simplement lire quelque chose de bon. Nous voulons créer cette application pour ces gens, et non pour ceux qui aiment faire beaucoup de bruit. C’était la question aussi derrière le podcast : fallait-il faire en sorte qu’il soit très utile aux journalistes ou fallait-il faire des concessions pour que ceux qui ne feront jamais de journalisme aient aussi plaisir à le suivre ? Et y a-t-il un moyen de faire en sorte que les deux types d’auditeurs soient satisfaits ? Je pense que nous y arrivons petit à petit.
Avez-vous le sentiment que l’essence du journalisme a changé ces dernières années ?
Est-ce que l’essence du journalisme a changé… Il y a eu beaucoup de formes de journalisme. Je dirais que le journalisme dont nous parlons n’a pas changé. Cela revient toujours à raconter une histoire. Il y a de nouveaux outils, oui, mais qu’est-ce qui faisait une bonne histoire en 1980 ? Le fait que vous la lisiez jusqu’à la fin. C’est la seule chose qui compte et cela n’a pas changé. Ce qui est bien désormais, c’est que des gens construisent même des business-models sur le fait que les lecteurs lisent les articles jusqu’au bout. C’est une excellente idée.
On entend souvent dire que les gens lisent de moins en moins. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas, non ! Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question puisque je m’adresse à des gens qui lisent à peu près tout le temps… En revanche, si les gens lisent exactement la même quantité de choses qu’avant, maintenant nous pouvons comptabiliser le temps de lecture, et on s’aperçoit peut-être qu’ils lisent moins que ce qu’on présumait. J’ai travaillé pas mal de temps pour un hebdomadaire gratuit, qui comptait plusieurs rubriques : de l’actu orientée à gauche, des nouvelles sur les restaurants, les horaires des cinémas, etc. Au milieu, il y avait une longue histoire, qui faisait à peu près 5 000 mots. Eh bien même si nous savions que les gens prenaient le journal pour les restaurants ou les cinémas, nous aimions faire comme s’ils lisaient ce journal pour le reportage central. Et puis quand le journal est passé en ligne, nous avons eu accès à des statistiques de lecture. C’était un moment un peu dérangeant, parce que nous avions la preuve que les gens ne lisaient pas ce reportage central autant qu’on l’imaginait. Nous n’avions qu’une manière, avant internet, d’avoir des retours sur le contenu : c’était le courrier des lecteurs. Bien évidemment, personne n’allait vous envoyer une lettre à propos des horaires des cinémas, mais c’était très souvent le cas à propos de l’histoire centrale. Nous n’avions pas de données objectives. Après, pour revenir à votre question, si vous regardez notre site, soyons sincères : il n’y a aucune raison pour que vous y alliez si vous n’avez pas envie de lire quelque chose. Et bien plus de gens que je ne l’aurais cru y viennent chaque jour.
Pour quel type de contenu pensez-vous que les lecteurs payeraient ?
C’est une grande question. Il y a beaucoup de modèles différents. Nous, nous faisons du contenu sponsorisé quand il s’agit de faire la promotion de livres : cela marche plutôt bien parce que nos lecteurs sont vraiment intéressés par la lecture. Wired a publié récemment une histoire à propos des start-ups, et particulièrement celles qui ont échoué dans la Silicon Valley. En présentant le côté peu glamour de cet univers, ils ont fait quelque chose d’intéressant. Ils ont d’abord publié l’histoire en tant qu’e-book, dans une version longue, et une semaine plus tard, ils l’ont mis en ligne dans cette version courte. De notre côté, nous avons renvoyé les gens vers cette version courte, en précisant que c’était un extrait d’un plus long texte. Bien entendu, davantage de gens ont cliqué sur le lien menant vers Wired, mais un peu plus d’un millier a cliqué sur le lien vers l’e-book. C’est intéressant et plutôt surprenant. Je ne pense pas que nous avons une solution miracle, c’est assez difficile de la trouver quand on parle de contenu de cette qualité. Quand le New Yorker sort À la poursuite d’El Chapo par Patrick Radden Keef, vous savez qu’il n’y aura pas de meilleure histoire publiée cette semaine. Elle est fantastique. Et c’est difficile de vendre quelque chose, je crois, quand il y a des textes de cette qualité en face.
Pensez-vous que le long format fait un retour sur le web après avoir été cantonné au papier ?
Je ne pense pas qu’il y ait eu un véritable come back, ou une véritable mise à l’écart, au demeurant. En revanche, les nouveaux appareils et la possibilité de lire les articles plus tard a beaucoup aidé au confort de lecture. Notre expérience en tant qu’utilisateurs est bien meilleure maintenant. Je ne crois pas qu’il y ait des gens qui aiment lire des articles longs et qui n’aimaient pas ça avant, il y a quatre ans par exemple. Si vous regardez de gros magazines, si vous regardez le New York Times, c’est souvent les articles les plus longs qui reçoivent le plus de commentaires, qui finissent par être les articles les plus populaires. Je ne pense pas que ce soit une mode : ces histoires entrent en résonance avec le lectorat et les meilleures d’entre elles sont diffusées quoi qu’il arrive. Ce qui est énorme, comme changement, c’est la possibilité d’accéder à ces histoires à peu près n’importe où et n’importe quand. C’est plaisant de voir des gens aussi talentueux qui consacrent toute leur énergie à faire vivre le format : The Atavist ou Epic, par exemple. Même le New York Times Magazine fait de belles choses, The Ballad of Geeshie and Elvie est, je crois, l’une des choses les plus agréables que j’ai pu lire sur le web. Le sentiment à la lecture était parfait, même le côté multimédia.
Que pensez-vous de l’article publié par The Atlantic contre le journalisme qui se dirait long format ?
Si le rédacteur en chef de The Atlantic veut utiliser son édito dans l’un des meilleurs magazines pour parler du nom de la société que j’ai monté avec mon pote d’université… c’est plutôt cool. Ça me plaît ! (Rires.) La seule chose que je pourrais dire à ce sujet, c’est que je ne pense pas que les gens confondent la longueur et la qualité. Jamais personne n’est venu me voir et m’a dit : « Eh, tu as lu cet article ? Il était tellement long ! C’était génial ! » (Rires.) Ce n’est pas comme cela que les gens lisent ! Le but du jeu, c’est toujours, finalement, d’amener les gens à lire un article jusqu’à la fin. Que ce soit un article de 2 000 ou de 40 000 mots. Je ne crois pas à l’histoire qui voudrait que des gens se retrouvent et affirment qu’une histoire est géniale parce qu’elle est longue. Ça ne peut pas être vrai !
Couverture : Longform.