2475 Glendower Place
C’était encore plus effrayant qu’elle ne l’avait espéré. Jennifer Clay leva les yeux vers la demeure de style espagnol depuis le bas d’une volée de marches de béton tombant en ruines. Au milieu de ce quartier résidentiel plein de maisons raffinées, niché à flanc de collines, la demeure à la peinture blanche écaillée jurait. La mère de Jennifer et son cousin avaient accepté de se joindre à elle pour monter jusqu’à la vieille bâtisse, mais ils changèrent d’avis à la minute où ils l’aperçurent. Les deux fenêtres en arc de cercle de la façade étaient comme deux grands yeux vides fixés sur la communauté bourgeoise de Los Feliz. Le judas de la porte en bois fatiguée était barricadé de planches et un panneau « Interdiction d’entrer » était planté dans le jardin. Jennifer entama l’ascension toute seule.
La blogueuse de 31 ans était devenue accro aux rumeurs circulant sur Internet à propos de la maison. Elle avait lu le récit détaillant comment le Dr Harold Perelson avait attaqué sa femme alors que leurs trois enfants dormaient à quelques pas de là. Elle s’était repue de dizaines de récits qui disaient que la demeure à un million de dollars était restée vide depuis lors, devenant peu à peu une capsule témoin glauque de 1959. Quand les voisins commencèrent à témoigner d’activités paranormales, la maison devint une macabre attraction pour touristes. Jennifer ne parvenait pas à se sortir ces rumeurs de la tête. Les cadeaux de Noël du médecin démoniaque étaient-ils vraiment emballés et disposés sous le sapin ? La maison recelait-elle des indices permettant de comprendre ce qui avait pu s’emparer de lui pour détruire ainsi tout ce qu’il aimait ?
Pendant cet été 2012, Jennifer partagea son aventure sur son blog, My LA Bucket List. Elle se souvient de sa mère et de sa cousine « tremblant de peur » mais acceptant tout de même de prendre une photo d’elle posant sur les marches (un commentateur masculin ferait plus tard un compliment sur ses jambes). Jennifer était tout à fait le genre de fille à pousser la planche cassée d’une clôture et à se glisser avec aisance dans une propriété considérée parmi les plus effrayantes de Californie, avec les sites des meurtres de la famille Manson. Jennifer écrivit que « la maison était un véritable festival du paranormal », et qu’elle avait remarqué à travers une fenêtre « deux horribles chaises couleur moutarde qui (lui) glacèrent le sang ». Mais rien n’était plus sinistre que la gargouille de la demeure, une statue brisée au milieu d’une fontaine asséchée. Jennifer se souvient : « Elle souriait. » Jennifer fit courageusement le tour de la propriété, retira les protections sur les fenêtres et prit des photos à travers les vitres crasseuses. Des particules de poussière dansaient dans les rayons de soleil fragmentés qui illuminaient une riche cage d’escalier en spirale. Dans la cuisine, elle aperçut d’antiques paquets de spaghettis, de vieilles boîtes de détachant Vanish et d’anciens numéros de Life. Jennifer avait le souffle coupé par cette vie de famille éphémère, interrompue un soir sous la présidence d’Eisenhower. « Cela ressemble au sentiment qu’on éprouve en pénétrant dans une maison hantée, sauf que celle-ci l’est vraiment », explique Jennifer. Dans son exploration des années 1950, elle vit des vêtements mis à sécher, des courriers personnels, des livres. Et là, dans le salon, elle aperçut les fameux cadeaux de Noël. Comme promis par les visiteurs précédents, les rubans n’étaient pas défaits. À ce moment précis, Jennifer eut « un mauvais pressentiment ».
C’était peut-être le même sentiment qui avait découragé les sans-abris qui avaient tenté de trouver refuge ici il y a de nombreuses années, avant de s’enfuir en évoquant des courants d’air froid, des bruits de pas inexpliqués et des sons démoniaques pendant la nuit. Peut-être que c’était le même sentiment décrit par des voisins au journal local, qui se sentaient « suivis ». L’adrénaline fusa dans ses veines. Elle retourna vers les marches de béton. Ses pas suivaient le chemin emprunté par une des filles du docteur lorsqu’elle s’enfuit de la maison recouverte de sang. « Je l’ai imaginée fuyant son père devenu fou », dit Jennifer, « combien cela a dû être atroce… j’ai presque ressenti la même chose. » Elle se mit à courir, les mains noircies de poussière. Elle se fichait des réponses à présent, de l’aventure, de sa liste de choses à accomplir avant de mourir. « Oh mon dieu », pensa-t-elle, « je ne vais pas réussir à m’enfuir assez vite. » L’Amérique a toujours été fascinée par les maisons hantées. La plus tristement célèbre est une bâtisse coloniale de trois étages située à Amityville, à Long Island dans l’État de New York. Là, en 1974, Ronald DeFeo Jr, alors âgé de 23 ans et supposément possédé par l’esprit d’un chef indien mort, tira méthodiquement sur ses parents, puis ses quatre frères et sœurs étendus dans leurs lits. Quand George et Kathy Lutz emménagèrent dans la maison un an plus tard, en décembre 1975, ils décrivirent d’étranges phénomènes, des courants d’air froid, des mauvaises odeurs, et ils se plaignirent des lits de leurs enfants, qui « frappaient le sol ». Un prêtre appelé pour bénir la demeure affirma être reparti avec les mains en sang et un avertissement du monde des esprits. Un livre et un film suivirent, et la maison d’Amityville devint partie intégrante des histoires d’horreur américaines, même si elle est depuis longtemps suspectée d’être un canular. Aujourd’hui, Glendover Place fait office d’Amityville pour la génération Facebook.
En 2013, des bloggeurs du site Cracked s’y rendirent et la déclarèrent « maison hantée la plus glauque du monde ». Forbes lui attribua une place sur sa liste des « maisons célèbres », aux côtés de celle de l’Ohio dans laquelle le tueur en série Jeffrey Dahmer dit avoir commis son premier crime. Avant l’avènement d’Internet, le 2475 Glendover Place était inconnu du reste du monde, dissimulé aux pieds du parc Griffith, à l’extrémité est des montagnes de Santa Monica. Là, des randonneurs choqués trouvaient parfois les restes déchirés de victimes de meurtres dans les broussailles. Les proies des pumas. Et pendant de nombreuses années, une autre maison du quartier demeura célèbre et effrayante. Conçue par Frank Lloyd Wright, « la Maison Ennis », située au 2607 Glendover Avenue, accueillit le tournage de House on the Haunted Hill, un film de série B datant de 1959 dans lequel un sinistre médecin plongeait un corps dans un bain d’acide. Mais aujourd’hui, la sérénité de cette colline n’est brisée que par le ronronnement occasionnel d’un moteur diesel. Un autocar blanc fait son tour dans les collines, se dirigeant vers cette maison de Los Feliz qui fut un temps la propriété de George Hill Hodel, considéré par certains théoriciens du complot comme suspect dans l’affaire du démembrement d’une femme de L.A. connu sous le nom du « Dahlia Noir ». Sur le flanc du véhicule, on peut lire : « Tour de nos chers défunts. Visite de l’histoire tragique de L.A. » Le prochain arrêt est « La Maison du Meurtre ». Au volant, le guide touristique Scott Michaels porte un t-shirt sur lequel est écrit « futur cadavre ». Il se révèle être un véritable showman lorsqu’il entame le récit du « Mystère de Noël » de Glendover Place, et celui de « la fille hurlant avec un trou dans le crâne ». « Tout le monde adore les histoires de mystères de maisons hantées », me dit Michael. « L’ironie d’une fête comme Noël qui tourne au tragique est quelque chose qui plaît, de la même façon que les gens aiment les accident de montagnes russes, ça fait appel aux mêmes choses. C’est une maison sur une colline et ça fait peur de la regarder depuis le bas de la route. » Produit dérivé de la visite, Michael anime le célèbre site web Find a Murder. Les participants au forum sont absolument obsédés par la Maison du Meurtre.
« Tous mes amis pensent que je suis fou de m’intéresser à ça, c’est tellement sympa de lire qu’il n’y a pas que moi ! » écrit sur le site un enthousiaste de l’homicide. Ils se font appeler « les vieilles peaux de la mort » et se consacrent à retrouver les enfants survivants de Perelson : « Les trois enfants sont encore en vie », lit-on dans l’un des commentaires. « Je pense qu’ils ont été recueillis par la sœur de leur père, Esther Perelson Kramer, qui vivait à New York. » Ces détectives du clavier, le genre de ceux qui ont mal identifié le terroriste de Boston en ligne, aiment combler les blancs entre les faits et parvenir à de dangereuses conclusions. Je devais découvrir la vérité. Qu’est-ce qui pousse réellement un médecin à attaquer sa famille et à se suicider ? Pourquoi la maison est-elle demeurée vide en plein boom immobilier pendant lequel les agents se sont rués sur les maisons vides comme des vautours ? « Vous ne pouvez pas maintenir une maison vide pendant 50 ans et ne pas vous attendre à ce qu’elle tombe en ruines. Elle est bonne à démolir maintenant », confiait un ancien voisin, Jude Margolis, au Los Angeles Times en 2009. « Quel dommage. » Les réponses étaient enfouies profondément dans les méandres du centre d’archives de Los Angeles, le Los Angeles Archives and Records Center, à un jet de pierre de l’historique cour de justice où Charles Manson et sa monstrueuse « famille » furent jugés pour meurtre. Le personnel du lieu a mieux à faire que de faire des recherches sur les maisons hantées. Mais si vous remplissez suffisamment de formulaires et que vous faites assez longtemps la queue, le labyrinthe d’archives révèle petit à petit ses secrets, un dossier poussiéreux après l’autre. En mai de cette année, je passai beaucoup de temps dans une banque de machines à lire des microfilms, à leur apporter des bandes et à faire tourner leurs roues. La roue de gauche contrôle le défilement, la roue droite sert à la mise au point. Des décennies de conflits et de discordes en tous genres défilèrent sous mes yeux en vrombissant. Puis l’histoire de la famille Perelson apparut.
La splendeur des Perelson
Les choses avaient si bien commencé pour Harold Perelson. Il était né le 1er février de l’année 1909, à New York. Son père, Henry, commis chez un imprimeur, et sa mère, Molly, qui était russe, avaient fui l’Europe de l’Est pour échapper à la répression impériale, à la pénurie de terre et au chômage chronique. Les Perelson faisaient partie d’une marée de 13,5 millions d’immigrants qui se déversa sur les États-Unis. Nombre d’entre eux étaient des travailleurs polonais, italiens et slaves, désireux de prendre leur part du rêve américain. Les Perelson s’installèrent sur Pitkin Avenue, dans le Queens, et Harold était l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. Richard Alba, professeur de sociologie à l’université de la Ville de New York, décrit l’époque comme « une histoire de pauvres devenus riches, alors que la deuxième génération quittait peu à peu les immeubles et les ateliers clandestins pour s’installer dans les banlieues fleuries de la classe moyenne et de nouveaux bureaux… Ils faisaient de rapides progrès, et connaissait le succès à une vitesse et avec une aisance remarquables. » Le jeune Harold fut envoyé à l’école de médecine, où il fit montre d’un esprit véloce et de dispositions certaines pour l’entrepreneuriat. Il plaça dans la bouche de ses parents une expression que convoitent de nombreux parents juifs : « Mon fils, le docteur. »
Il n’était malgré tout pas facile de faire sa place à New York pour un fils d’immigrés, aussi Harold fit-il ses bagages pour aller trouver le soleil de Californie du Sud. Il décrocha un job dans le cabinet d’un physicien d’Inglewood, publia plusieurs articles dans le champ de la neurologie, et devint plus tard professeur de cardiologie à l’école de médecine de l’université de Caroline du Sud. Le succès et la richesse furent au rendez-vous, et sa vie de famille était épanouissante : le Dr Perelson épousa Lillian Silver, une autre immigrante issue de la seconde génération venue de Cuyahoga Falls, dans l’Ohio. Ils eurent trois enfants – Judye, Debbie et Joel – et cherchèrent à s’installer dans une demeure familiale de rêve, juchée dans les collines de Los Angeles. Ils pensèrent l’avoir trouvée dans le quartier de Los Feliz, au prix de 60 000 dollars – un demi-million de dollars aujourd’hui. Pour le fils d’un commis polonais, le destin prenait un tour extraordinaire. De style renouveau colonial espagnol, la belle maison du 2475 Glendover Place avait initialement été dessinée en 1925 par l’architecte Harry E. Weiner, pour Harry F. Schumacher. Lorsque Schumacher mourut, la maison fut vendue, le 6 décembre 1931 – les fous du paranormal adorent souligner que Harold perdit les pédales à la même date. Après lui, Frederic Zelnik emménagea dans la maison. Zelnik, producteur et réalisateur influent de cinéma muet en Allemagne, avait été contraint de quitter sa patrie pour rejoindre Londres après qu’Hitler eût accédé au pouvoir en 1933. Il s’envola bientôt pour Los Angeles où il continua à produire des films jusqu’à sa mort en 1950. Les fins limiers du web lient également la maison à un autre décès, celui d’un jeune auteur hollywoodien de 20 ans en 1931, qui mourut dans son lit des suites d’une mystérieuse infection après avoir joué au tennis. Mais Donald Beaton mourut au numéro 2457, pas 2475. Il faut être vigilent avec les numéros de portes. Lorsque Harold fit l’acquisition de la maison dans les années 1950, elle était décrite comme « une délicieuse demeure de douze pièces, avec des pelouses en terrasse, des jardins artistiques et une vue magnifique ».
Un hall d’entrée spacieux et carrelé donnait sur un grand escalier, qui menait à un charmant salon, une véranda, une salle à manger, un débarras, une salle de petit-déjeuner et une cuisine. Plus haut, le second étage comprenait quatre chambres principales et trois salles de bain, tandis que le troisième abritait un bar et une salle de bal. Il y avait aussi des quartiers réservés aux domestiques, mais la seule aide que les Perelson recevaient était celle d’une babysitter adolescente, qui se trouvait être leur voisine. Cheri Lewis était âgée de 14 ans et elle avait littéralement grandi dans l’ombre de la maison des Perelson, dans le cottage situé à l’exact opposé du 2475 Glendower Place. Nous nous sommes rencontrés en juin dernier, à son cabinet dentaire affairé de Beverly Hills. C’est une femme enthousiaste aux yeux clairs, qui s’adressait à moi d’une voix couverte par le bourdonnement désagréable de la fraise. « Mon père était un genre de playboy », se rappelle-t-elle, avant de me confier qu’elle raffolait de la cuisine de Lillian Perelson. « Lillian était une femme douce… Elle faisait de la soupe de tomate, dans laquelle elle plongeait des morceaux de saucisse. Mon père trouvait que c’était de la grande cuisine, et ma mère, qui était justement une grande cuisinière, n’était pas du tout de cet avis. » Le Dr Lewis me révèle qu’elle avait le sentiment étrange que Lillian Perelson et son avocat de père auraient dû être ensemble, et Harold avec sa mère, Esther : « Ils auraient été bien mieux assortis. » Je lui demande si elle avait décelé des traces de violence dans le comportement du docteur. « Rien d’étrange ou de bizarre, non… C’était un homme qui avait le sens du compromis », dit-elle. Le précédent docteur, lui, était agressif, mais Perelson était « très doux », me confie-t-elle lors du premier moment troublant de cette enquête. La fraise s’arrête et dans le silence, le Dr Lewis ajoute d’un air pensif : « Il faisait de bonnes injections. » Le Dr Harold Perelson était un spécialiste de l’injection. Le 30 décembre 1938, il avait déposé un brevet pour un accessoire médical de son invention. La pièce adjointe à une seringue hypodermique était conçue pour injecter des soins directement depuis une capsule de verre scellée, réduisant ainsi le danger de contamination et le risque de débordement. Après avoir travaillé sur son invention pendant plus d’une décennie, il passa en 1949 un accord verbal avec un homme du nom d’Edward Shustak, qu’il espérait voir transformer « l’idée générale » de son produit en un véritable hit médical. Perelson et Shustack s’entendirent sur le partage des bénéfices. Harold et Lillian Perelson investirent 24 496 dollars dans le projet, dont 7 000 dollars provenaient des économies personnelles de Lillian. D’après les documents juridiques, Shustack passa onze années de plus à préparer la seringue magique à la vente. Mais il n’avait pas l’intention de donner le moindre sou au docteur. Dans une plainte déposée le 21 juillet 1952, Perelson déclarait que Shustack, faisant usage d’un faux nom, l’avait dépossédé de ses droits sur l’accessoire. Une compagnie véreuse « dissimula la supercherie », s’entendit dire la cour, et le bon docteur se fit doubler. Furieux, Perelson entreprit une action en justice, demandant une compensation à hauteur de 100 000 dollars (près d’un million de dollars d’aujourd’hui). Mais l’affaire s’éternisa.
Après deux années de manœuvres juridiques coûteuses, la cour accorda à Perelson la somme de 23 956 dollars. On ne sait pas si la seringue fut jamais mise sur le marché. Trois ans plus tard, un plus grand malheur encore frappa la famille Perelson. Le 3 novembre 1957, Judye conduisait ses frères et sœurs dans la Oldsmobile de 1952 de son père. Alors qu’elle franchissait l’intersection des boulevards Vermont et Los Feliz, elle percuta un autre véhicule. Judye souffrit de blessures aux mains et aux genoux, d’une commotion et d’un « choc sévère » ; le jeune Joel avait une blessure à la tête et « un choc sévère du système nerveux » ; quant à Deborah, elle avait eu la joue tranchée. L’autre conductrice, Eleanor Keller, déclara que Judye, alors âgée de 16 ans, était passée au rouge sans regarder. Mais le Dr Perelson traîna la famille Keller devant le tribunal, affirmant pour sa part que c’était la négligence et l’imprudence d’Eleanor qui étaient la cause de l’accident. Il requit 20 000 dollars de dommages et intérêts pour chacune de ses filles, et 10 000 dollars supplémentaires pour son fils. Il remporta le procès. Mais la cour ne lui accorda qu’une fraction de l’argent qu’il avait demandé, à peine de quoi couvrir les frais médicaux. Une nouvelle victoire au goût amer pour le docteur, et un autre coup porté aux finances de la famille. « Ma famille se retrouve encore embarquée dans le même manège : même problèmes, mêmes inquiétudes, mais multipliées par dix », écrivit Judye à une tante juste avant le meurtre-suicide de 1959. « Mes parents, pour ainsi dire, sont dans une impasse financière. » Les problèmes d’argent avaient également prélevé leur tribut sur la santé du docteur. « Il avait eu deux problèmes coronariens, et ils l’avaient admis aux soins coronariens », se souvient le Dr Lewis. « J’avais 14 ans à l’époque… Judye venait dormir à la maison régulièrement. »
Le Dr Lewis décrit Judye comme une adolescente compliquée, qui était trop âgée pour qu’elle pût la considérer comme son amie. « J’étais une enfant en comparaison », dit-elle. « Ma mère dessinait des chapeaux et des vêtements pour les studios, elle était très habile avec la couture. Il arrivait que Judye lui apporte une robe, de taille 14 par exemple, et elle, qui faisait une taille deux, lui demandait : “Pourrait-on juste la reprendre ?” » Le Dr Lewis dessine avec ses mains une petite silhouette féminine à côté de la chaise de dentiste vide. « Voici la robe… et voici Judye. » Les annales du lycée Barrister de 1958 montrent que Judye était populaire, membre de la « Ligue des Filles » et secrétaire du corps étudiant. En-dehors de l’école, Judye travaillait comme ouvreuse au théâtre Huntington Hartford, sur Hollywood et Vine, un auditorium mid-century clinquant, décoré de marbre blanc du Vermont et d’accessoires en or. Le Dr Lewis se rappelle des tours de boîtes à chaussures qui s’élevaient dans la maison, résultat de l’amour de Judye pour le shopping. Elle conduisait une voiture de sport juste avant la tuerie, précisa un journal, suggérant par là que les revers de fortune qu’avait connus la famille Perelman n’avaient pas eu d’impact sur ses dépenses. Mais le père de Judye était en train de changer. Le bon docteur n’était plus alors poussé par l’ambition de réussir, d’inventer, de soigner, d’aider les autres. Ses lectures s’assombrirent. Durant l’été 1959, il se tourna vers des livres mélancoliques. Les spéculations entourant l’accès de violence du docteur sont allées bon train, et cependant peu de faits sont connus à propos des morts en elles-mêmes. Le bureau du médecin légiste de Los Angeles détenait les réponses, cachées profondément dans les archives. Les rapports d’autopsie sont une lecture désagréable, et ceux-ci incluaient de sinistres diagrammes des blessures des victimes. Ouvrir cette enveloppe fut le second moment troublant de cette enquête. À présent, la vérité brutale de cette nuit-là peut être précisément relatée, pour la toute première fois.
La forêt obscure
Il était près de cinq heures lorsque le soleil plongea derrière les montagnes, le 6 décembre 1959. Le mois de décembre à Los Angeles est réputé pour son climat incertain. Les journées sont chaudes et lumineuses, suivies par des nuits au froid mordant. Par des soirées comme celles-ci, les résidents profitent de l’heure des cocktails en enfilant des chandails. Lillian Perelson avait dîné de haricots verts avant de se mettre au lit. Elle dormait profondément dans sa robe de chambre, sa tête posée sur l’oreiller du lit conjugal au deuxième étage de la maison. À minuit, la température avait chuté comme une guillotine. Le silence régnait sur Glendover Place à 4 h 30 du matin, lorsque Harold se pencha sur le lit, un marteau à panne ronde dans la main. Lillian n’eut pas le temps de crier. Il la frappa si fort que le trou béant à l’arrière de sa tête changea la couleur de l’oreiller en carmin. Voyant ce qu’il avait fait, Harold tourna les talons et sortit de la chambre. Il ouvrit la porte de la salle de bain attenante, et passa une autre porte qui menait à la chambre de l’aînée de ses filles, dans laquelle son nom était écrit sur une étiquette placée sur l’interrupteur. Il la frappa elle aussi sans crier gare, sur la tête avec le même marteau. Mais le coup atteignit Judye de côté et la jeune fille laissa échapper un cri. Un cri d’outre-tombe tellement irréel que les voisins de Glendower Place se dressèrent tous en sursaut dans leurs lits. « Reste tranquille », dit Harold à Judye. « Ne fais pas de bruit. » Mais Judye ne l’écouta pas. Cheri Lewis se souvient encore des cris. Cette nuit-là, sa jeune amie Shelley était venue dormir à la maison. Shelley se mit à paniquer. « Au début, j’ai cru qu’il s’agissait des cris d’un animal sauvage », dit le Dr Lewis. Puis elle reconnut clairement la voix de Judye : « Ne me tue pas… » Dans sa chambre, Judye parvint d’une manière ou d’une autre à échapper à son père, dont les mains et l’épaule étaient couvertes de sang. Judye courut dans la chambre de ses parents. Là, elle vit l’horrible méfait qu’avait accompli son père. Judye se rua au bout du couloir, jusqu’à l’escalier en spirale. Elle descendit les marches quatre à quatre et sortit par la porte principale, prenant de grandes inspirations dans l’air glacé de la nuit. La gargouille souriante qui trônait sur la fontaine la regarda passer alors qu’elle dévalait les marches de béton. Elle frappa désespérément à la porte de la maison des Lewis. N’obtenant pas de réponse, elle commença à tambouriner contre les portes-fenêtres adjacentes à la porte d’entrée, les barbouillant de sang. À l’étage, Cheri et Shelley étaient pétrifiées de peur. Judye tenta sa chance chez un autre voisin, Marshall Ross, qui finit par ouvrir sa porte. Ensemble, ils appelèrent la police.
Dans la maison des Perelson, les deux jeunes enfants s’étaient réveillés au son des cris de leur grande sœur. « Retourne te coucher. C’est un cauchemar », dit Harold à la petite Debbie, âgée de 11 ans. Puis il s’éloigna à grands pas, du sang dégoulinant sur le sol. Pendant ce temps, Marshall Ross gravissait les marches de la maison des Perelson. Il trouva Debbie et le petit Joel qui attendaient au premier étage. Puis il grimpa une autre volée de marches et se retrouva face à face avec le docteur. « Rentrez chez vous », lui dit Harold, à en croire le rapport du légiste. « Ne me dérangez pas. » Ross regarda le docteur pénétrer dans la salle de bain. Harold se dirigea vers les tiroirs où il gardait ses médicaments et les ouvrit. Le sang coulait partout. Il sortit des bouteilles et des boîtes de pilules, en ouvrit les couvercles. Il déchira deux capsules de Nembutal, un barbiturique, et ouvrit les robinets, mélangeant la poudre jaune à l’eau remplissant le lavabo. Le Nembutal, ou pentobarbital, est parfois surnommé « la mort en bouteille », un grand classique des suicidés cherchant une mort rapide – c’est ce qui coûta la vie à Judy Garland. Le goût était amer. Pour s’assurer de son destin, le docteur avala 31 petites pilules blanches, probablement de la codéine ou un puissant tranquillisant. Puis il retourna dans une des chambres. Marshall Ross vit le docteur s’allonger sur un lit, attendant que les médicaments fissent effet. Il fallut quinze minutes aux voitures de police pour grimper sur la colline depuis la gare d’Hollywood. À 5 h 15 du matin, les inspecteurs du Département de la police de Los Angeles Anderson et Pozzo gravirent les marches de béton. Quand ils trouvèrent le docteur, il gisait sur le sol. Sa tête reposait sur l’oreiller couvert du sang de sa fille, le marteau dans sa main. Il ne respirait qu’à peine, et serait mort avant l’arrivée de l’ambulance. La police rassembla le reste des pilules et les posèrent sur une commode dans sa chambre. Là, ils découvrirent sur une table de chevet près du lit de Perelson un exemplaire de la Divine Comédie, de Dante. Le livre était ouvert au Chant I : Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue. Cheri Lewis se rappelle du matin après le meurtre. Elle était supposée garder Joel et Debbie Perelson ce soir-là, dit-elle. « Lorsque j’ai ouvert la porte au matin, quand les parents de Shelley sont venus la chercher, la porte était couverte de sang. Je me souviens du contact de ma main sur ce sang poisseux. » Elle raconte que sa famille couvrit l’œil de bœuf de la porte pendant des années après cela. « Ça me faisait peur », dit-elle, « j’ai insisté car je ne le supportais pas. » Les médecins légistes qui examinèrent le corps de Lillian observèrent que le blanc de ses yeux avait tourné au rouge sang : elle était morte d’asphyxie, noyée dans son propre sang.
« Nous tournions tous en rond dans un état de panique. Ma mère était très secouée, elle et Harold étaient de bons amis. » Le père du Dr Lewis, qui était avocat, fit des recherches. « Il récupéra des dossiers judiciaires, et il apparut que les problèmes coronariens de Perelson n’en étaient pas : c’étaient des tentatives de suicide. Il n’est pas rare pour quelqu’un qui a commis des tentatives de suicide de se retourner contre les gens qui ont créé le problème. Il s’avère que sa femme – ou les docteurs – songeait à le faire interner, ou bien peut-être qu’elle était tenue de le faire après un certain temps. » Je mis la main sur un document judiciaire daté d’après le terrible incident, révélant que la sœur de Lillian, Gertrude Saylan, demanda à prendre en charge le paiement des compensations des enfants en rapport avec l’accident de voiture, en qualité de tutrice. Il semble que ce fut la famille de Lillian qui assuma la garde des jeunes enfants, et non celle d’Harold comme les limiers du web le suggèrent souvent. Un an plus tard, en 1960, la propriété fut vendue au cours d’une enchère à un couple de Lincoln Heights, Emily et Julian Enriquez. Mais ils ne s’y installèrent pas. Personne ne le fit. La maison fut simplement laissée à l’abandon, et la vie s’écoula autour d’elle comme un microfilm en avance rapide, jours et nuits défilant à la vitesse de l’éclair, en flashs stroboscopiques. L’Histoire se déroula en time-lapse sous les fenêtres de la maison, la ville scintillant dans la vallée comme les projecteurs d’une immense scène dorée. Ses personnages s’appelaient Monroe, Mansfield et Phoenix. À l’horizon, des buildings se dressèrent dans le centre-ville, et derrière eux fleurirent les torches des émeutes, et des vies furent brutalement interrompues. Biggie, Michael, Rodney. Même lorsque la terre trembla, cela ne vint pas troubler la maison ou ses fondations. Dans une ville où les secrets s’affichent en première page, dans ce grand cirque TMZ, la maison mit sous clé son violent mystère derrière sa façade délabrée. Elle vieillissait sans grâce, au-dessus du royaume du lifting et des injections de Botox. Et pendant tout ce temps, l’effrayante gargouille se tint au garde-à-vous, lâchant au nez des décennies son sinistre rire de pierre.
Trois ans après sa visite à la maison hantée, le post à propos du 2475 Glendower Place est la page la plus populaire du blog de Jennifer Clay, My LA Bucket List. Jennifer me fit part d’un email qu’elle avait reçu en provenance d’une personne qui prétendait être un parent des Perelson. Elle disait que Judye avait changé son nom « genre dix mille fois depuis ce temps-là » et que son frère s’était envolé pour Israël, où « il est devenu hassidim et ne parle plus à personne ». Il est compréhensible qu’aucun des enfants n’ait répondu à mes sollicitations d’entretien. Quand la propriétaire Emily Enriquez mourut en 1994, son fils Rudy hérita du manoir. Gérant d’un magasin de musique qui vivait à deux pas dans Washington Heights, Enriquez choisit lui aussi de ne pas emménager dans la propriété. Au fil des ans, il fut approché de nombreuses fois par des acheteurs potentiels, et devint le centre de l’attention des obsédés morbides du web. « Je ne sais pas si je souhaite vivre là-bas ou rester ici », confiait Enriquez au Los Angeles Times en 2009. Lorsque le reporter Bob Pool lui demanda s’il était au fait des rumeurs de fantômes sévissant dans sa propriété, Enriquez répondit avec ironie : « Dites aux gens de faire leurs prières matin et soir, et tout ira bien pour eux. » Sheree Waterson, une voisine, confia au Times qu’une de ses amies avait tenté une nuit d’explorer le manoir, dans un accès de confiance à la Buffy. La jeune femme se glissa furtivement à l’intérieur par la porte de derrière, mais elle n’eut pas le temps d’aller bien loin avant que l’alarme ne se déclenche. Soudain, sa main fut parcourue d’une douleur intense. « Elle avait été mordue par une veuve noire, une traînée rouge remontait le long de son bras. Elle a dû aller chez le médecin », raconta Waterson, cadre dans une entreprise du textile. « Deux nuits plus tard, l’alarme de ma maison n’arrêtait pas de se déclencher depuis la porte de derrière. Mais il n’y avait personne. C’était comme si le fantôme nous poursuivait. » Dave Schrader, l’animateur d’une émission de radio paranormale, raconte qu’il eut la chance de fureter autour de la maison un après-midi quand arriva Rudy Enriquez. Schrader lui aussi était devenu obsédé par la « Maison du Meurtre », et il posa ses questions à Enriquez. « Il m’a dit que les Perelson étaient juifs… pourquoi auraient-ils eu un arbre de Noël en ce cas ? » se souvient-il. Selon Schrader, Enriquez lui dit qu’il utilisait la maison pour entreposer les biens hérités d’amis à lui décédés. Mes recherches révélèrent que certains des objets visibles à travers les fenêtres n’auraient pas pu avoir appartenu aux Perelson : les SpaghettiOs ne furent pas mises sur le marché avant 1965 ; l’exemplaire du magazine Life photographié par Jennifer Clay montre l’actrice Yvette Mimieux et est daté du 9 mai 1960, cinq mois après les meurtres. Pourtant, alors que je démystifiai l’affaire, de nouvelles explications sinistres se firent jour. Une rumeur suggère qu’une autre famille loua brièvement la maison après les Perelson, qui n’avait pas été mise au courant de la tragédie. C’est leur arbre de Noël qu’on peut voir dans le salon. Et si l’on doit en croire le mythe, la famille quitta précipitamment la maison le jour de l’anniversaire du meurtre-suicide, dans une telle hâte qu’il laissèrent derrière eux leurs cadeaux. Ce sont ces légendes qui dissuadent les intrus d’approcher. Aujourd’hui, les voisins crient après les curieux qui viennent en pèlerinage dans leur rue paisible. Un voisin donna un coup sur le capot du véhicule de Scott Michaels, lorsque ce dernier fit demi-tour sur une allée privée. Un autre groupe organisa un jour un macabre pique-nique dans le jardin des Perelson. Cependant, il est vrai que des choses étranges se produisent encore aujourd’hui qui ne sauraient être expliquées, comme l’alarme de la maison qui hurle parfois au milieu de la nuit, réveillant en sursaut les voisins. Peut-être que l’alarme est déclenchée par des explorateurs trop curieux, comme Jennifer Clay, mais qui peut l’affirmer ? Une nuit de juillet, je fourrai une lettre pleine d’espoir dans la boîte aux lettres de Rudy Enriquez, qui débordait. Lorsque je retournai sur les lieux à la fin du mois d’août, la boîte était toujours pleine. Cette nuit-là, je restai assis un moment à regarder le ciel devenir noir au-dessus de Glendower Place. Le ciel était percé d’une inquiétante « super lune » qui me plongea dans une intense réflexion. Peut-être que les gens obsédés par l’existence des fantômes sont juste en quête de l’assurance d’une vie après la mort. Et peut-être que la terreur véritable qui émane de la maison est celle du spectre bien réel d’un père et d’un mari aimant, qui se changea en impitoyable tueur au marteau. Un docteur à la salle de bain pleine de narcotiques et de seringues prêtes à l’emploi, l’échec rongeant peu à peu son esprit, les ténèbres recouvrant son âme. C’est un monstre de banlieue plus effrayant que n’importe quelle créature de film d’horreur. Le fait que son histoire alimente encore de nos jours les forums sur Internet et les légendes locales nous rappelle que cela pourrait arriver à n’importe quelle famille. Y compris la vôtre. Le Dr David Adams est un psychologue spécialisé dans les maris qui commettent des « familicides ». Il explique qu’un homme assassinant sa femme et au moins un enfant est généralement un monsieur d’un certain âge, la cinquantaine, et en moyenne de sept ans plus âgé que son épouse. Le Dr Perelson avait 50 ans, soit huit ans de plus que Lillian. « Beaucoup de ces hommes, les auteurs des faits, sont très préoccupés par leur image publique », dit-il. « À la perspective de voir leur réputation ou leur statut entaché, ils souffrent d’une blessure narcissique. Leurs meurtres sont presque une tentative pour limiter les dégâts. »
Il est probable, comme incline à le penser le Dr Adams, que la santé mentale du docteur, la peur d’être déchu de son statut social et privé de son train de vie, le poussa à commettre l’irréparable. Bien qu’il n’ait pas laissé de lettre de suicide, il y avait l’exemplaire de la Divine Comédie. Le livre révèle qu’un homme âgé de 50 ans, à la moitié du chemin de sa vie, s’était égaré pour se retrouver « par une forêt obscure ». J’avais découvert des indices permettant d’expliquer pourquoi le docteur avait agi, mais pas pourquoi la maison était restée inhabitée pendant si longtemps. Personne ne le saura jamais, car ma lettre ne parvint pas à Rudy Enriquez. D’après un ami de la famille, le propriétaire du manoir rendit l’âme cette année. Je trouvai une nécrologie pour un enterrement que je pense être le sien, qui eut lieu en juin dernier. La notice indique qu’il n’avait pas eu d’enfants. Maintenant que la demeure est orpheline, elle pourrait être mise en vente. Fait inquiétant, le code civil californien inclue une « règle de trois ans » pour les « maisons d’assassinat » : les agents immobiliers sont légalement obligés de mettre au courant les acheteurs d’un défaut matériel tel qu’une mort violente – mais seulement si la mort est survenue moins de trois ans avant la date où l’offre est faite pour acheter la maison. Je rencontrai les agents immobiliers aguerris que sont George et Eileen Moreno, qui vendent des propriétés de Los Feliz depuis des décennies. Je cherchai uniquement à avoir une évaluation récente pour la maison. « Vous voulez que je vous raconte mon histoire effrayante ? » me demanda Eileen dès que j’eus mentionné l’adresse. Elle me parla de la première fois où elle posa les yeux sur la propriété, avant qu’elle n’apprenne ce qui s’y était passé. Un sentiment épouvantable s’empara d’elle. « J’ai immédiatement dit : “Oh mon Dieu, quelqu’un est mort dans cette maison.” Je savais que quelque chose de terrible avait eu lieu… Seigneur. » Il y a des moyens de purifier une maison, m’expliqua Eileen. Il existe des purificateurs spirituels, des praticiens reiki, des brûleurs de sauge, des prêtres. Dans ce quartier, la propriété pourrait valoir deux millions de dollars, mais une question subsiste : pourriez-vous trouver le sommeil dans la Maison du Meurtre ?
Traduit de l’anglais par Caroline Bourgeret et Nicolas Prouillac d’après l’article « The Murder House », paru dans Medium. Couverture : La maison du 2475 Glendower Place. Création graphique par Ulyces.