Laser de guerre
Derrière une colline qui se dresse en plein désert, une nuée de drones bourdonne à l’approche d’une base américaine. En descendant du ciel laiteux, les appareils se retrouvent dans le viseur d’un radar juché au-dessus d’une Jeep. Sans un bruit, le véhicule émet un long faisceau rouge qui les pulvérise un par un. Dans cette vidéo en images de synthèse d’octobre 2018, Raytheon Technologies présente ses lasers à haute-énergie. Elles ont été vendues à l’US Air Force en octobre 2019 et la technologie a été testée avec succès par la marine américaine le 22 mai 2020. En plus d’être précise, elle respecte la planète en n’utilisant que des photons.
Alors que les ventes d’armes se poursuivent pendant la pandémie de Covid-19 – la Maison-Blanche prévoit de livrer « des milliers de bombes » à l’Arabie saoudite selon l’élu du New Jersey Bob Menendez –, l’industrie ne se contente plus de fabriquer et de perfectionner ses engins et ses munitions. Au-delà du laser, le projet de Raytheon prévoit de développer de nombreuses technologies « à faible empreinte carbone ou qui utilisent moins d’énergie fossile », précise la société. Une étude publiée par l’université Brown en novembre 2019 démontre que l’armée des États-Unis émet, à elle seule, plus de CO2 par an que certains pays comme le Portugal ou la Suède.
Pour s’adapter au dérèglement climatique, l’armurier britannique BAE Systems a créé de nouveaux équipements qui résistent à des températures plus élevées. Il pourra ainsi continuer d’expédier ses équipements au Moyen-Orient et, là encore, en Arabie saoudite. En parallèle, le ministère de la Défense britannique prévoit de réduire les déchets plastiques (ou autres) en recyclant les colis de munitions qui contiennent des équipements allant des simples balles aux composants de missiles.
Et les groupes français suivent aussi le mouvement. Thales a annoncé au Carbon Disclosure Project (CDP) – un organisme qui publie l’impact environnemental des plus grandes entreprises – que la demande pour ses appareils de météorologie avait augmenté. La société hexagonale entend aussi développer des équipements à même de participer aux opérations humanitaires, par exemple en cas de catastrophes climatiques. Elle cherche enfin à réduire ses propres émissions. Il était temps. En France, troisième exportateur d’armes au monde et cinquième plus grand producteur d’armes au monde, le ministère de la Défense a attendu 2012 pour publier son premier bilan carbone.
Greenwashing
En 2007, alors que Thales dégageait un bénéfice net d’1,009 milliard d’euros, le groupe spécialisé dans la défense ambitionnait de réduire son empreinte climatique. Tous les trois ans, il revoit ses objectifs de baisse de consommation d’énergie, d’eau, de déchets et de CO2. Entre 2008 et 2015, il a ainsi fait chuter de 40 % son recours aux énergies fossiles, de 30 % sa consommation d’eau et de 17 % sa production de CO2. Il a aussi participé à la création du programme européen Clean Sky, une initiative visant à diminuer l’impact de l’activité aérienne sur l’environnement.
En termes d’armement militaire, Thales a équipé ses radars de nitrure de gallium et de processeurs multicouches « faiblement consommateurs » afin de faire fi des pièces rotatives et réduire la consommation d’énergie. La société a aussi mis au point une technologie permettant aux systèmes embarqués des véhicules militaires de tirer leur énergie en alternant entre les batteries au lithium et l’alternateur.
De son côté, l’Américain Lockheed Martin a investi dans des entreprises spécialisées dans la robotique ainsi que la société californienne Ocean Aero, qui produit des sous-marins fonctionnant à l’énergie solaire. Ces derniers participent à la surveillance de l’environnement marin et le protègent de la pêche illégale. Mais ils peuvent aussi être utilisés comme de véritables armes de guerre. Cet exemple montre combien les efforts des armuriers du monde sont intéressés. Dans son rapport rendu au Carbon Disclosure Project, Thales n’oublie pas de rappeler les « opportunités économiques » que représentent la sécurité en temps de dérèglement climatique.
« Ils continueront de vendre de gros systèmes d’armes car c’est là où il y a de l’argent », souligne Steve Chisnall, chercheur en sécurité et en stratégie à l’université de Southampton, au Royaume-Uni. Cela dit, il n’est pas rares que le complexe militaro-industriel accouche de nombreuses innovations, utilisées par la société civile, comme le radar ou le GPS. « Ces entreprises en savent beaucoup sur le changement climatique », observe Steve Chisnall. « Elles ont beaucoup d’équipes de chercheurs et des ressources énormes. » Mais leurs actions en la matière ne semblent pas à la hauteur de ces connaissances.
Couverture : Raytheon Technologies