Ce sera pareil mais pas pareil. C’est peu ou prou ce que devrait annoncer Emmanuel Macron ce soir à 20 heures à ses concitoyens : un reconfinement d’au moins quatre semaines qui épargnerait les écoles et une partie des entreprises. Préparez-vous à passer le mois de novembre 2020 au chaud. « Il faut agir vite », aurait confié un ministre à France Info ce 28 octobre.
La mesure serait nationale et entrerait en vigueur dès jeudi, pour endiguer la propagation galopante du virus. Mardi 27, 30 000 nouveaux cas de plus ont été détectés dans l’Hexagone, et l’on déplorait 523 décès en 24 heures, pire bilan depuis le mois d’avril. Le confinement, de nouveau, semble alors inévitable pour tenter de stopper l’hémorragie. L’économie y survivra-t-elle ?
Le dernier recours
Face aux sièges vides des discothèques, des grappes de jeunes échangent les bouteilles sur la plage de la Vila Olímpica, à Barcelone. Ce 25 juillet 2020, inquiété par l’augmentation des cas de Covid-19, le gouvernement catalan a ordonné la fermeture des clubs de la région. Alors les fêtards ont reflué vers le sable, laissant les professionnels de la nuit désœuvrés. « C’est une catastrophe », s’émeut Jordi Capdevilla, responsable du Shôko, un club situé sur le front de mer. « Nous ne savons pas comment nous allons tenir. » Pour ne pas garder la tête sous l’eau, la Fédération des établissements de nuit a demandé à la justice d’annuler la décision du gouvernement catalan mardi 28 juillet.
Sur les 1 150 nouveaux cas de coronavirus détectés en Espagne mercredi 29 juillet, 211 se trouvaient en Catalogne, dont le secrétaire de la Santé publique, Josep Maria Argimon, veut « à tous prix » éviter un deuxième confinement. En France, Jean Castex veut aussi « éviter par-dessus tout un reconfinement général ». Mais dans le même temps, le Premier ministre « déconseille » aux Français de se rendre en Catalogne, où 1 355 cas supplémentaires étaient recensés vendredi dernier.
L’Espagne tente vainement de rassurer les pays voisins afin de sauver le tourisme, un secteur qui représente 12,3 % de son PIB. Mardi 28 juillet, le gouvernement espagnol a réaffirmé que le pays était une destination « sûre » malgré le rebond des cas positifs et a rendu obligatoire le port du masque à Madrid. Cela n’a pas empêché le Royaume-Uni d’imposer une quarantaine de 14 jours aux touristes britanniques à leur retour d’Espagne.
Les Anglais représentent 40 % des touristes estivaux en Espagne dans certaines régions comme celle de Valence (18 millions de touristes britanniques en 2019). L’organisation patronale Exceltur estime que la quarantaine britannique pourrait coûter 8,7 milliards d’euros en août et septembre au secteur du tourisme espagnol, dont le chiffre d’affaires devrait déjà être divisé par deux en 2020.
À Paris comme à Madrid, le reconfinement est vu comme un ultime repoussoir. « On ne va pas faire un plan de reconfinement comme nous avions fait celui du mois de mars », promet Jean Castex. « Un reconfinement absolu, comme ce qu’on a connu en mars dernier, aurait des conséquences terribles pour le pays. Nous allons cibler. »
Pourtant, l’épidémie progresse dans le monde, avec 280 000 recensés le 25 juillet. Cinq jours plus tard, le Brésil enregistrait plus de 70 000 nouveaux cas et 1 600 décès en 24 h, tandis que 59 862 cas supplémentaires étaient détectés aux États-Unis, portant le total à plus de 4,3 millions de cas pour près de 149 000 morts. Les autorités sanitaires indiennes ont pour leur part confirmé un nouveau record d’infections quotidiennes vendredi 31 juillet avec 55 078 nouvelles personnes touchées.
Tout cela a poussé le comité d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à organiser une quatrième réunion vendredi pour évaluer la situation et proposer de nouvelles recommandations pour faire face à la pandémie qui a déjà tué près de 675 000 personnes dans le monde. Mais on sait déjà que personne ne veut d’un reconfinement. L’économie mondiale pourrait ne pas y survivre.
Paralysie
La première vague de coronavirus, accompagnée d’un confinement massif impliquant près de la moitié de l’humanité, a eu de graves conséquences sur l’économie internationale. L’Organisation des nations unies (ONU) estime que sur l’année 2020, le tourisme mondial, dont la moitié est représentée par l’Europe, aura perdu 2 900 milliards d’euros. Ce secteur représente 10 % du PIB européen et pour la France, le pays le plus visité au monde, l’addition est très salée. Dans l’hexagone, le chiffre d’affaires du tourisme tourne autour de 143 milliards d’euros par an. Cette année, il sera de 33 milliards selon l’agence de développement touristique en France.
Une baisse drastique qui se ressent sur le PIB du pays, qui selon l’Insee aurait chuté de 17 % au deuxième trimestre par rapport au premier. L’institut estime également que l’activité en décembre 2020 en France pourrait être entre 1 et 6 % en dessous de son niveau d’avant la crise. Sur l’ensemble de l’année, le PIB aura diminué de 9 % par rapport à 2019. Selon les économistes, le « coronakrach » sera plus dévastateur que la crise bancaire et financière de 2008.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au mois d’avril 2020, le PIB mondial a chuté de 19 % tandis que le commerce mondial a baissé de 25 %. À travers le globe, la valeur ajoutée du secteur de l’hébergement-restauration aurait diminué de 47 %, celle du commerce de 43 %. Des chiffres catastrophiques qui pourraient empirer et faire sombrer l’économie mondiale en cas de reconfinement. Puisque tout le monde cherche à éviter cette catastrophe, il est vu comme un dernier recours.
Mais que faire lorsque les décisions d’un autre pays paralysent votre économie ? Même si les bars catalans restaient ouverts, cela ne ramènerait pas les touristes français qui ont pour consigne d’éviter la région. La France est aussi concernée : si la Chine venait à se reconfiner, l’Europe serait à nouveau touchée, alors qu’elle mise sur un plan de relance de 750 milliards d’euros pour relever la tête. De nombreux secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, l’armement et bien sûr le tourisme ont de quoi craindre un reconfinement.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tire déjà la sonnette d’alarme en prévoyant deux scénarios. S’il n y a pas de seconde vague, l‘organisation anticipe, pour 2020, une contraction de l’activité de 6 % avant une croissance de 5,2 % en 2021. Si un reconfinement devait avoir lieu, l’économie mondiale pourrait chuter de 7,6 % cette année. Dans la zone OCDE, le chômage pourrait, pour sa part, passer de 5,4 % en 2019 à 9,2 % en 2020.
Peu importe le scénario, « à la fin de 2021, la perte de revenu dépassera celle de toutes les récessions précédentes au cours des 100 dernières années sauf en période de guerre, avec des conséquences terribles et durables pour les populations, les entreprises et les gouvernements », déplore la chef économiste de l’OCDE Laurence Boone. La zone euro sera particulièrement touchée avec un déclin du PIB prévu à 9,1 % dans le scénario favorable, et à 11,5 % en cas de deuxième vague. Selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), la masse salariale française a diminué de 10 % en un mois, et de plus de 7 % par rapport à l’année précédente.
De plus, 1,2 million d’emplois ont été perdus en 2020 et une baisse du salaire moyen par tête de 5,7 % a été observée. Les quartiers les plus pauvres de France sont les plus touchés. Selon une étude de l’École d’économie de Paris parue le 10 juillet, la mortalité a augmenté de 50 % dans les communes françaises les plus riches, et de 88 % dans les communes les plus pauvres en temps d’épidémie. Et dans le monde, ce sont aussi les pays les plus pauvres qui risquent de payer le plus lourd tribut.
Les gouvernements du monde vont ainsi devoir trouver une solution pour préserver les emplois, les revenus tout en limitant l’excès de mortalité dans certains territoires, un équilibre fragile entre nécessité sanitaire et reprise économique. Un vaccin pourrait les y aider, mais aucun des 200 projets en développement dans le monde n’est très proche d’aboutir. Les plus avancés promettent des résultats à la fin de l’année 2020. D’ici là, les dirigeants vont prendre des mesures pour éviter la circulation du virus, afin de faire en sorte de ne pas avoir à tout fermer. Leur impact aura à lui seul de lourdes conséquences économiques et sociales.
Couverture : Adrien Delforge