Avril 2016. Le soleil brille au-dessus des plans d’eau de la ville de Bellegarde, dans le Gard, quand soudain un homme vêtu de rouge et de noir fend le ciel d’un bleu limpide. Dressé sur une planche volante, il évolue dans les airs pendant de longues minutes, à une vitesse pouvant atteindre 55 km/h, et à plusieurs mètres de l’eau, qui forme une fine brume scintillante à chaque fois que l’engin se rapproche. Celui-ci finit par se poser tranquillement sur le ponton où patientaient les coéquipiers de l’homme volant, certainement partagés entre enthousiasme et anxiété.

Franky Zapata sur son FlyBoard Air
Crédits : Zapata Racing

Cet homme, c’est Franky Zapata. Ancien champion de jet-ski et chef d’entreprise autodidacte, il vient d’effectuer un premier test concluant de sa toute dernière invention, le FlyBoard Air, planche volante munie de six moteurs à hydropropulsion et commandée par une manette. Diffusé sur YouTube, son exploit va être visionné plus de sept millions de fois par des internautes estomaqués. Un an après, les plus sceptiques ont admis que la vidéo avait été réalisée sans trucage et Franky Zapata a fait voler son invention 300 fois. Mais celle-ci n’est toujours pas homologuée, et les autorités françaises ont décidé de la clouer provisoirement au sol. Une enquête préliminaire a été ouverte pour « non-respect des règles minimales de survol et conduite d’un aéronef sans les titres nécessaires ». Selon la Direction générale de l’aviation civile, le FlyBoard Air aurait dû faire l’objet d’une expertise de sécurité, son expérimentation aurait due être déclarée au préalable, et son pilote, pourvu d’un titre aéronautique – a minima une licence théorique ULM. Outré par l’interdiction de voler, Franky Zapata a déclaré sur Facebook qu’il songeait désormais à délocaliser son entreprise, qui emploie 17 personnes dans les Bouches-du-Rhône et affiche un chiffre d’affaires annuel de 5 à 6 millions d’euros. Cet inventeur de 38 ans raconte ici comment il a eu l’idée du FlyBoard Air et pu réaliser un des plus vieux rêves de l’humanité. Les propos ayant servi à réaliser cette histoire – qu’il faut imaginer teintés d’accent marseillais – ont été recueillis par Camille Hamet au cours d’un entretien avec Franky Zapata. Les mots qui suivent sont les siens.

Le FlyBoard

J’ai grandi au bord de la mer, à côté de Marseille, et pourtant mon rêve c’était le ciel. À 15 ans, j’ai voulu passer mon permis hélicoptère, mais je suis daltonien. Je me suis dit que le ciel n’était finalement pas pour moi et j’ai commencé à faire des courses de jet-ski. J’ai eu de la chance, c’est allé très vite pour moi : ma carrière de pilote a démarré très rapidement. Mais on vit très mal de ce sport. J’ai connu des mois à 300 euros et sans week-ends. Les vacances, je ne savais même pas ce que c’était.

Franky Zapata
Crédits : Zapata Racing

Alors en 2008, j’ai créé ma propre marque de jet-ski et monté ma propre société : Zapata Racing. À l’époque, on a fabriqué 250 machines, avec des pièces spécifiques, dédiées à la compétition. C’était des jet-skis haut de gamme, la Ferrari du jet-ski. Avec elle, on a remporté 18 titres de champion du monde… Mais en 2011, on n’a plus eu le droit de la vendre à cause du changement des normes de pollution, et on s’est retrouvé au bord de la faillite. C’est là que j’ai eu l’idée d’utiliser la technologie du jet-ski pour faire voler des personnes au-dessus de l’eau. Le principe du premier FlyBoard est plutôt simple : on récupère l’eau qui sort de la turbine qui fait avancer le jet-ski, on la dévie via un coude en aluminium et on l’achemine grâce à un tuyau du même genre que ceux utilisés par les pompiers. Le résultat a la forme d’un Y en aluminium, ou en plastique, et on se retrouve debout sur deux jets d’eau, à faire toutes les figures acrobatiques possibles et imaginables. On a posté des vidéos de la machine sur YouTube, et c’était parti. Cette année-là, on est passé de 300 000 à quatre millions d’euros de chiffre d’affaires.

Une figure de FlyBoard
Crédits : Zapata Racing

À présent, il y a une vraie communauté sportive et passionnée autour du FlyBoard. On en a vendu 10 000 dans le monde, dont la plupart sont utilisés sur des bases de location, pour 50 ou 100 euros l’expérience. On suppose donc que des millions de personnes l’ont déjà essayé. En tout cas, certains ont attrapé le virus et y consacrent leur vie. Une coupe du monde réunit les meilleurs athlètes tous les ans. La dernière édition s’est déroulée en Floride. On a développé deux autres produits à eau, l’hoverboard, qui doit son nom à la célèbre planche du film Retour vers le futur, et le jet-pack, qui permet de s’élever dans les airs en position assise, un peu comme James Bond. Mais notre référence ultime, c’est Iron Man. Dès le premier jour où on a vu fonctionner le premier FlyBoard, on s’est dit que si on pouvait enlever le tuyau qui le reliait au jet-ski et voler librement, ce serait juste magique. On savait déjà que le FlyBoard était la version édulcorée de ce qu’on voulait vraiment : le FlyBoard Air.

Le FlyBoard Air

On a travaillé pendant quatre ans sur ce projet fou. Puis, en 2015, nous avons perdu beaucoup de parts marché à cause de toutes les répliques du FlyBoard qui existent dans le monde. On a dû mettre notre projet de côté pour retravailler notre produit initial et nous replacer au-dessus de nos concurrents. Développer un produit qui existe déjà n’est pas amusant ; ce qu’on aime, c’est inventer les machines qui n’existent pas encore. Mais il fallait faire cet effort pour le bien de l’entreprise. C’était une année très difficile psychologiquement. Finalement, avec mes collaborateurs du pôle Recherche & Développement, on a dit au reste de l’équipe de continuer à travailler sans nous : nous voulions nous consacrer pleinement à notre rêve. Tout le monde a été surpris et personne ne croyait qu’on allait y arriver. Même moi, je n’étais pas du tout sûr de mon coup. J’ai arrêté les études très tôt, vers 16 ans. J’étais plutôt du genre à faire du sport et à traîner dans le garage pour bricoler. J’ai tout appris dans le jet-ski, c’est ma seule formation. Mais c’est une sacrée formation. En me battant contre des entreprises qui brassent des millions d’euros, j’ai appris à en faire mille avec un seul euro. J’ai appris à porter toutes les casquettes : relations publiques, ingénieur, vendeur, manager… Et une fois qu’on sait fabriquer un jet-ski, on sait fabriquer un FlyBoard. Il suffit d’être malin et d’avoir un peu de bon sens. Et de se risquer en dehors des sentiers battus, là où personne ne s’aventure. Pour le FlyBoard Air, c’était différent. J’ai dû énormément travailler pour mettre au point mon système hydropropulsé. En tout, il y a eu une quinzaine de prototypes. Et heureusement qu’il y avait Google : plus besoin de diplôme pour inventer de nouvelles machines. Je me souviens d’une fois où j’ai demandé à deux ingénieurs qui travaillaient avec moi de m’aider à faire un calcul : ils ne se souvenaient pas de la formule adéquate, alors ils sont allés sur Google. Exactement comme moi ! Avant, je le reconnais, il m’arrivait de réinventer la roue. Mais maintenant, je m’en rends tout de suite compte et je change de direction.

En plein essai
Crédits : Zapata Racing

Finalement, on a réussi à mettre au point une planche qui peut voler jusqu’à 10 000 pieds, avec une vitesse de pointe de 150 km/h et une autonomie de 10 minutes. Mais la véritable innovation du FlyBoard Air, c’est sa fiabilité. Les autres engins de déplacement personnel volants sont ce que j’appelle des « cailloux ». Non seulement ils sont plus lourds, moins rapides et moins endurants, mais ils n’ont pas de plan B : si le moteur lâche, on tombe comme une pierre. Le FlyBoard Air, lui, est muni de six turboréacteurs, dont quatre au centre de la planche pour être au plus près du centre de gravité. Donc si un moteur lâche, on continue à voler. Il est aussi résistant aux tempêtes, aux courants descendants, aux trous d’air, aux turbulences… Tout comme un avion de ligne. À part les sensations, qui ne sont pas du tout les mêmes.

L’ovni

La seule chose que j’ai du mal à expliquer quand je parle de mon invention, c’est ce que j’éprouve en volant avec… Il n’y a aucun effort à faire, juste à sentir l’air sur son corps pour mieux s’équilibrer. Comme un aigle au bout de ses plumes. Les turboréacteurs ont un son très caractéristique, qui gronde dans la cage thoracique. C’est phénoménal. Même si je m’étais habitué à la sensation de voler au-dessus de l’eau avec le premier FlyBoard, voler entre les montagnes, se faufiler entre les arbres… Ça n’a rien à voir. On a l’impression d’avoir une force surnaturelle, d’être un super-héros. Et je ne ressens aucune peur, car je suis complètement déconnecté de la réalité, ou plutôt, j’ai le sentiment de me trouver quelque part entre rêve et réalité. Après avoir volé une fois, je n’avais plus qu’une seule idée en tête : décoller de nouveau. Dès la première démonstration du FlyBoard Air, j’ai été contacté par l’Armée française, par l’Armée américaine et par les services secrets. J’étais en lien avec le ministère de la Défense et le ministère de l’Économie, qui m’ont assuré que mon invention était un ovni, qu’elle ne tombait sous le coup d’aucune loi, d’aucune réglementation. Un être humain qui vole, ce n’était pas prévu…

Le FlyBoard Air impressionne
Crédits : Zapata Racing

J’avoue que ça m’a bien plu, cette idée de ne pas pouvoir être contraint par la loi et la réglementation, mais je me suis quand même renseigné. Et en effet, d’après la convention de Chicago, même le terme d’aéronef ne peut pas s’appliquer au Flyboard Air, car il n’utilise pas la direction de l’air pour voler, il utilise la propulsion d’un gaz – du kérosène. Aujourd’hui, le FlyBoard Air s’apparente à un aéronef pour les autorités françaises. Or un aéronef doit être homologué et immatriculé. Résultat, interdiction de voler. Lorsque j’ai écrit sur Facebook que je délocaliserais mon entreprise si la situation ne se débloquait pas, ce n’était pas du tout par dédain pour la France ou pour faire pression sur le gouvernement. Je n’aurais tout simplement pas le choix. Si je devais partir pour pouvoir continuer à vivre de ma passion, je le ferais. D’ailleurs, j’ai déjà dix employés aux États-Unis et 20 employés en Chine. Ce serait à contre-cœur, bien sûr, et ça poserait énormément de difficultés techniques à l’entreprise, mais je partirais. Et j’emmènerais mon équipe avec moi. C’est la plus grande force que j’ai : on est tous très soudés.

Il peut théoriquement atteindre des hauteurs vertigineuses
Crédits : Zapata Racing


Couverture : Franky Zapata sur son Flyboard Air. (Facebook)