Dans la croyance des marins, rebaptiser un navire porte malheur. Mais les compagnies britanniques se moquent bien d’une poignée de matelots agrippés aux contes de fées. Au début du siècle, les croisières de luxe battent leur plein en Angleterre. Le tourisme maritime est à la mode. Une décennie après le Titanic, le 31 mai 1920, le paquebot Tyrrhenia quitte pour la première fois le port de Glasgow. Des chantiers navals de la rivière Clyde, le fleuron de la Cunard Line vogue vers les mers chaudes du globe et les côtes d’Amérique. 168 mètres de long, 17 nœuds de moyenne, le Royal Mail Steamer relie Casablanca, Naples, Monaco, les Bahamas et New York. Il voit défiler des passagers de la haute. Bourgeois et notables se charment des salles de restaurant grandioses, du salon lambrissé de chêne, des cabines coquettes, du café en véranda sur le pont. Mais les clients méprisent son nom. À vos ordres capitaine ! Trois coups de peinture et le paquebot est renommé RMS Lancastria.
Le mauvais sort est jeté. En 1940, le Lancastria connaîtra le même destin que le célèbre « Insubmersible ». Ce naufrage fera deux fois plus de victimes. La pire tragédie maritime qu’ait connu l’Angleterre. Une tragédie oubliée aujourd’hui. Madeleine a entendu parler toute sa vie de la « sacrée histoire » du Lancastria. La petite dame de 84 ans vit seule dans les arrières de Saint-Nazaire, le lieu du drame. Accoudée à sa table en bois brut devant un café réchauffé, elle soupire. « Il aurait fallu en parler avec le p’tit père Blandeau à côté, il connaissait bien. Mais le pauv’ vieux est mort l’an dernier. C’était pas rien. Mais on n’en parlait pas trop entre nous. C’était la guerre, les gens ne voulaient plus se souvenir. »La fuite
1939-1945. En Angleterre, les coquetteries des élites et leurs voyages exubérants appartiennent à un autre temps. Le long des flancs des bâtiments de guerre, les paquebots de croisières naviguent sur les mers de l’Atlantique, réquisitionnés pour le combat. À l’été 1940, la « drôle de guerre » prend fin, la bataille de France est perdue. Les soldats allemands se déploient toujours plus à l’ouest. Le 14 juin, les troupes hitlériennes défilent sur les Champs-Élysées. La Wehrmacht avance vers les côtes françaises. Le 17 juin, le maréchal Pétain appelle à cesser le combat. Ils sont des millions à apprendre la défaite à la radio. Les ondes grésillantes crachent les mots d’un octogénaire battu. C’est « le cœur serré » que le président du Conseil fait « don de sa personne à la France pour atténuer ses malheurs ». Dans l’esprit des Français, la guerre est terminée. L’ennemi siège. Mais pour les Alliés, c’est une question d’heures. 150 000 soldats britanniques doivent quitter l’Hexagone avant d’être faits prisonniers. Après l’Opération dynamo à Dunkerque, les Forces expéditionnaires britanniques fuient vers les ports normands puis bretons. Très vite, Le Havre, Cherbourg, Saint-Malo, Brest sont pris par les Allemands. Les Anglais se replient vers Saint-Nazaire, sur l’estuaire de la Loire. Ils sont 40 000 Anglais entassés dans la ville portuaire à attendre d’être rapatriés. Soit l’équivalent de la population nazairienne de l’époque. Tout ce qui peut flotter est déployé pour récupérer les hommes. Le Lancastria n’y échappe pas. Repeint de gris pâle à la va-vite, le paquebot royal devient le HMT Lancastria, « Her Majesty’s Troopship », un navire de transport de troupes. Il largue les amarres au port de Plymouth et met le cap vers Saint-Nazaire. Ce 17 juin 1940, la météo est clémente. À 6 h du matin, il mouille son ancre vers le phare du Grand charpentier à moins de vingt bornes du port. Une heure plus tard, l’Oronsay et le Lancastria sont prêts à emmener les rescapés.
Ce matin, la 31e division d’infanterie allemande franchit la Loire à Orléans. L’occupant approche. Ses avions ont largué des mines magnétiques dans l’estuaire dès la veille. Ils peuvent revenir à tout moment. Un bateau en mouillage est une cible facile. Mais les Anglais n’ont qu’une idée en tête : rentrer chez eux. Home sweet home… Beaucoup sont en France depuis le début des combats. Ils sont traumatisés, fatigués, amaigris. Une fois que la cheminée du Lancastria aura craché sa fumée, alors la guerre sera derrière eux. Enfin. Les soldats grimpent dans le calme sur les remorqueurs Ursus, Minotaure et Titan. Les premières unités à embarquer sur le paquebot appartiennent à la Royal Air Force. Deux-cents aviateurs descendent dans les cales I et II. Même si les couchettes sont en nombre insuffisant, les officiers ont droit à leur cabine. Les labyrinthes de couloirs sont bondés. Malgré la foule, des petits-déjeuners sont servis. Les hommes font la queue chez le coiffeur. Une routine à en oublier le danger. L’ordre est donné qu’aucun Français ne monte à bord. Seuls les militaires et civils anglais sont acceptés. Près de 9 000 hommes auraient réussi à s’entasser dans le navire. Un navire pensé pour accueillir 2 151 passagers.L’attaque
À la mi-journée, le Lancastria remonte l’ancre. Soudain, un sifflement perce le ciel. Les premiers avions allemands survolent la rade de Saint-Nazaire. Ils lâchent une bombe sur l’Oronsay, qui mouillait à côté du Lancastria. La timonerie explose, le pont supérieur est touché. Mais le bateau parvient à se maintenir à flot.
L’ordre est donné de se regrouper à bâbord pour équilibrer le bateau. Mais dans le chaos, c’est impossible.
15 h 38. Un bombardier Junker 88 revient en piquée avec pour cible le Lancastria. Une première bombe touche la cale où s’étaient entassés quelques heures plus tôt les aviateurs de la Royal Air Force. Une deuxième frôle la cheminée et explose dans le restaurant et la salle des machines. Une épaisse fumée recouvre l’avant du navire. Le Lancastria commence à sombrer par la proue. Les gréements lâchent. Une troisième bombe tombe dans l’eau, et crée un trou dans la coque du navire sous la ligne de flottaison, libérant 1 400 tonnes de mazout. Les avions ennemis continuent de sillonner le ciel. Les embarcations alentours ne peuvent venir en aide aux malheureux. Les hommes sont seuls, pris au piège. Quelques rares canots de sauvetage seulement parviennent à être mis à l’eau. Pour les survivants, il faut sauter. La plupart ne savent pas nager. Il faut faire vite. Le navire se penche sur le tribord. L’ordre est donné de se regrouper à bâbord pour équilibrer le bateau. Mais dans le chaos, c’est impossible. À 15 h 50, le Lancastria se penche sur le bâbord puis commence à s’enfoncer. À 16 h 02, la cheminée disparaît. Le navire coule en 24 minutes. À la nage ou accrochés à des débris, les soldats tentent de fuir avant de se faire engloutir avec le Lancastria. Ce n’est pas dans une mer douce de juin qu’ils baignent, mais dans une nappe de pétrole épaisse de 60 centimètres. Les avions allemands reviennent et s’acharnent de plus bel. Ils mitraillent les survivants dans l’eau tandis que l’un lâche une bombe incendiaire espérant que le mazout prenne feu. Par miracle, c’est un échec. Les deux destroyers HMS Highlander et HMS Havelock mettent leurs embarcations à l’eau et le sauvetage commence. Le Glenaffaric, l’Oronsay, le Fabian, le John Holt viennent à la rescousse. Le commandant Le Guelvout du navire français La Lambarde fonce aussitôt en direction du naufrage, sous la menace des bombardiers. L’aviation canadienne et anglaise entre enfin en jeu. Les Allemands fuient. Le ciel est dégagé, le sauvetage réel peut commencer. Le baliseur Paul Leferme récupère 85 rescapés. Bientôt suivi du canot de sauvetage SNSM du Pouliguen le Coman, du bac Saint-Christophe, et des chalutiers Agate et Cambridgeshire. Environ 2 500 personnes sont sauvées. De 1939 à juin 1940, le seul naufrage du Lancastria représente 36 % des victimes des Forces expéditionnaires britanniques. 4 000 hommes auraient péri ce jour là.
Le drame, rares sont ceux qui s’en souviennent. Depuis les hauteurs d’une rangée de maisonnettes aux haies bien taillées, la rade de Saint-Nazaire scintille. À 90 ans, Georges ne quitte presque plus son chez lui. Son fauteuil roulant est encastré derrière une table en formica. Son bureau inondé de paperasses est tapissé d’affiches du Queen Mary et du France. Georges souffre d’Alzheimer. « À l’époque… Qu’est-ce que je faisais déjà ? » Sa femme, bienveillante, égraine des indices. « — Tu n’étais pas ouvrier à Penhoët ? — Bah bien sûr, je travaillais aux chantiers. » Les chantiers navals qui ont vu naître les monstres de la navigation. Les bateaux, toujours. Les bateaux qui maintiennent à flot sa frêle mémoire. Le jour du Lancastria, ce jour tragique, il l’évoque comme un souvenir de la semaine passée. « Il faisait beau. Je marchais sur le boulevard de mer. L’après-midi, on entendait des avions qui survolaient l’estuaire. Le bateau était mouillé dans l’entrée du port de Saint-Nazaire, en face de Villès-Martin. Et là, soudain, on a entendu les bombes tomber. On n’a pas su ce qu’il se passait sur le coup. Mais quand on a vu que le bateau était touché et qu’il s’était couché dans le chenal, tous les gens qui étaient disponibles sont venus et ont essayé de sauver les soldats qui étaient dans l’eau et dans le pétrole. » Les Nazairiens s’affairent sur la plage à récupérer les rescapés que les canots déchargent. Georges est l’un d’entre eux. « Ça a commencé le soir. On a reçu ces pauvres hommes. On les a emmenés rue de Pornichet. Aujourd’hui, c’est le collège Saint-Louis, mais à l’époque c’était un hôpital. Puis on a passé la nuit à nettoyer ces malheureux qui étaient couverts de mazout. » Les bénévoles s’emparent de ce qu’ils ont sous la main pour décrasser les rescapés – souvent avec du beurre. Ils distribuent quelques vêtements secs, des plats chauds. Des gestes à la va-vite. Car pour les soldats qui avaient réchappé de l’enfer, il fallait repartir d’urgence. Direction le port, pour embarquer à nouveau et fuir vers l’Angleterre. Dans la soirée, les Allemands étaient déjà là. « Nous, on a fait les premiers soins, mais après il y avait un camion qui les remmenait vers les bateaux. Fallait qu’ils partent. Enfin, c’est pas un exploit extraordinaire. » Sa femme, fidèle a elle-même : « — Tu avais 18 ans quand même… — C’était naturel de venir en aide à ces gars », commente Georges, d’un haussement d’épaules las, le regard figé sur le passé. Silencieux, il se réveille, sa voix gronde. « Oh bah on était anti-allemand, y’avait pas de doute. On savait même pas si c’étaient des Français, des Anglais ou je ne sais quoi. C’étaient des blessés. Ça ne pouvait être qu’amical. On ne pouvait pas faire grand chose à part aider pour… pour sauver des gens, quoi ! » Sauver des vies semble un geste simple, presque banal. Georges soupire. Son regard s’est à nouveau figé. La mémoire est un effort. Les images reviennent par vagues. Trop dures. On dit « c’était pas grand chose » comme pour esquiver l’affliction du souvenir.L’amnésie
Le chapitre du Lancastria s’est clôt il y a bien longtemps. Quand les eaux ont englouti le navire. Quand les survivants ont rejoint leur Angleterre. Après le drame, vient l’oubli. Les Nazairiens sont préoccupés par leur propre sort. Les Allemands occupent la ville et ne tardent pas à en faire leur bastion. L’immense base sous-marine sort de terre, un mastodonte de béton armé de 300 mètres de long. Saint-Nazaire est un point stratégique puisqu’elle dispose du seul bassin de l’Atlantique capable d’héberger le Tirpitz, le plus grand cuirassé d’Europe construit par les Allemands. Le navire de 50 000 tonnes est encore stationné en Norvège. En pleine bataille de l’Atlantique, les Alliés ne peuvent imaginer que l’arme suprême de l’ennemi rallie les côtes ouest. La cale sèche, baptisée « la forme Joubert », doit être détruite coûte que coûte.
En 1942, l’Opération Chariot est engagée. Les Forces spéciales britanniques parviennent à rendre les infrastructures portuaires inutilisables. La mission est un succès. Le Tirpitz restera condamné en mer du Nord. Les plans de la Wehrmacht sont mis en déroute et les officiers allemands s’en prennent à la population. Chaque Nazairien est soupçonné de cacher des soldats anglais, les maisons sont fouillées, les hommes interrogés. Seize civils sont exécutés. Après le débarquement en Normandie en juin 1944, les troupes allemandes sont acculées dans la région. Isolées, elles font état de siège autour de l’indestructible base sous-marine. 130 000 civils sont pris au piège dans la Poche de Saint-Nazaire. La zone ne sera libérée que trois jours après la capitulation nazie, le 11 mai 1945. Elle est la dernière ville d’Europe à être libérée.Le Premier ministre britannique décide de placer la tragédie sous secret militaire.
Pour les témoins, le naufrage du Lancastria est un épisode tragique comme un autre. Derrière ses fines lunettes, Georges fronce les sourcils. Peu de temps après le naufrage, il est condamné à ses drames personnels. Georges est arrêté et déporté au camp de Mauthausen en Autriche. Il ne reviendra à son port d’attache que bien des années plus tard. « Personne n’en parlait. Finalement, parmi les gens qui étaient là à l’époque, y’en a plus beaucoup. Soit ils sont morts, soit ils sont partis. Le Lancastria, ça a pas tellement marqué les gens. C’était la débâcle à ce moment-là. Ce sont des souvenirs… mais des souvenirs qui s’estompent. Puis Churchill avait demandé à ce qu’on garde ça secret. » Winston Churchill est à Londres, à 800 kilomètres du lieu du naufrage, dans « la paisible salle du Conseil », quand il apprend la nouvelle. Le 17 juin 1940, les Alliés ont failli. La guerre est perdue. Le Royaume-Uni compte ses morts. Le Premier ministre britannique décide de placer la tragédie sous secret militaire. Archives, notes d’état-major, ordres des gradés… rien ne sera connu avant cent ans, soit en 2040. L’homme au cigare restera muet. Seules quelques lignes succinctes dans ses Mémoires de guerre 1919-1941 relatent l’événement. Il faut ouvrir le pavé autobiographique au chapitre « L’agonie de la France ». « Un épisode effroyable se déroula le 17, à Saint-Nazaire. Lorsque ces nouvelles me parvinrent au cours de l’après-midi, j’en interdis la publication au motif que “les journaux ont bien assez de désastres à se mettre sous la dent, au moins pour aujourd’hui”. J’avais l’intention de laisser publier la nouvelle quelques jours plus tard, mais des événements lourds de menaces s’amoncelèrent si rapidement au dessus de nos têtes que j’en oubliai de lever l’interdiction, et il s’écoula un certain temps avant que la nouvelle de cette effroyable catastrophe ne devînt publique. » Trois phrases écrites… après la guerre. Dans les journaux anglais de l’époque, pas un mot. Il faut éplucher les quotidiens d’outre-Atlantique. Le nom du journaliste Raymond Daniell remonte dans les archives du New York Times. Le 26 juillet 1940, quand le journal ne coûtait que trois centimes, une colonne perdue au milieu de la Une : « Liner is torpedoed ». Un navire torpillé. Page 6, la photo du Lancastria prend la moitié de la page. Avec une légende : « Le naufrage du navire britannique a causé de lourdes pertes. Le drame n’a été annoncé qu’hier par l’Amirauté. »
Plus d’un mois après le drame, l’Angleterre est abasourdie. Mais le gouvernement reste silencieux. Secret officiel. Oubli populaire. Au point d’ignorer encore qui était à bord ou combien d’hommes et femmes avaient pu embarquer. Georges se souvient avoir soigné des Polonais, beaucoup de Polonais, ce soir-là. Qui étaient ces hommes ? Les témoins ne l’ont jamais su.~
Direction Nantes. Archives départementales. Mot clé : Lancastria. Le chariot croule sous la pile de pavés au papier jauni. Courriers de la gendarmerie, messages des préfectures, photos, vues aériennes, listes de soldats… Une lettre de la Croix-Rouge, signée du 19 mars 1942, « adressée au préfet de Loire-Inférieure » lance un avis de recherche d’un couple belge. « Georges Rémi-Marie Beaufays, né à Montigny-sur-Sambre le 18 octobre 1896 – ou 1890, vit au 64 rue Theys, Gosselies. Madame Georges Beaufays, née Cannes, Joséphine Ida Ghislaine, née à Gosselies le 7 mars 1895, vit 64 rue Theys, Gosselies. »
Que sont-ils devenus ? Avaient-ils embarqué sur le mauvais navire un certain 17 juin 1940 ? La demande est vaine. Aucun registre n’évoque cette famille belge. Car aucun registre tout court n’existe. Un demi-siècle plus tard, André Beaufays, leur fils, témoignera auprès de l’association du Lancastria. Il racontera le naufrage, puis le silence des autorités. « Âgé de 14 ans, je me trouvais avec mon père et ma mère à bord du paquebot. Mon père était technicien spécialiste des avions Hurricane au service de Fairy Aviation, société anglaise qui avait une usine en Belgique, en bordure de l’aérodrome de Gosselies. » Le 10 mai, la fabrique est bombardée lors de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne. Ils sont une vingtaine d’employés à débarquer avec leur famille à Saint-Nazaire le 16 juin. « Le 17 au matin, nous prîmes place dans un petit bateau qui nous mena au Lancastria. Au début du repas, il y a eu une alerte et on entendit le canon du destroyer qui nous accompagnait. Peu après une seconde alerte, une bombe traversa le plafond et le plancher. Parvenu à la surface, je cherchais mes parents parmi toutes les têtes qui émergeaient, mais je ne pus les trouver. Réalisant que j’allais être entraîné par le bateau qui était sur le point d’être complètement englouti, je me mis à nager. Un bras m’a saisi. Je suis tombé dans la barque en poussant un cri de douleur qui attira l’attention du marin qui m’avait sauvé. Il remarqua avec étonnement que je n’étais qu’un petit garçon. Il me demanda si j’étais anglais et comment je me trouvais là. » Après quelques jours de repos à l’hôpital, le jeune André entreprend le voyage de retour en Belgique. Toujours sans nouvelles de ses parents. « Ma mère fit de nombreuses recherches pour savoir si son époux et son fils avaient survécu au naufrage. Un hôpital militaire lui a envoyé la carte d’identité et le porte-feuille de papa, accompagnés d’un message naval : “Georges Beaufays décédé”, le secret militaire était de rigueur. » André ne retrouvera sa mère qu’en juin 1945. Aucune information sur la mort de son père ne lui est parvenue. Durant l’été 1940, la mer ne cessera de déposer des cadavres sur les plages. Les autorités locales sont dépassées par l’événement. Aux archives de Loire-Atlantique toujours, une note du maire de La Plaine-sur-Mer confirme le manque d’informations. « Le dernier inconnu n°30, le 15 juillet 1940, 8 h 35, lieu dit Le Menigou. Nous avons constaté le décès paraissant remonter à environ un mois, d’un individu de sexe masculin, âge indéterminé, taille 1,75 m environ. Le cadavre n’avait sur lui aucune pièce d’identité. Il semble parvenir d’un bateau anglais, coulé le 18 ou le 19 juin 1940, à l’embouchure de la Loire. » Un mois après le drame, le nom du navire, la date du naufrage sont ignorés. Le Lancastria semble n’avoir été qu’un vaisseau fantôme. Mais les vagues continuent de ramener des corps que les habitants inhument eux-mêmes, malgré la présence allemande. Souvent, l’armée occupante se saisit des papiers retrouvés sur les noyés, confisquant l’identité et le souvenir de ces hommes. Les cimetières anglais parsèment les côtes de l’estuaire de la Loire. Ils sont jonchés de stèles blanches. Toutes vierges de nom. L’épave du Lancastria gît toujours dans les eaux tourmentées de l’Atlantique et de la Loire par 24 mètres de profondeur. Aux Moutiers-en-Retz, au sud du fleuve, le cimetière des soldats britanniques existe toujours. Pour y accéder, il suffit de suivre le « chemin du Lancastria ». La pancarte porte ce nom encore aujourd’hui. Comme une infime trace d’un drame mis sous scellés et que les témoins oublient peu à peu.Merci à Yves Beaujuge et à l’Association Lancastria France. Couverture : Un paquebot pris d’assaut par l’aviation allemande. Création graphique par Ulyces.