Berlin, Allemagne. Quand Rami Al al-Hasan a tenté d’expliquer à un fonctionnaire allemand qu’il était un citoyen palestinien venu de Syrie, le travailleur social est resté perplexe. « Les fonctionnaires allemands ne comprennent pas que bien que je sois né en Syrie, je ne possède pas de passeport syrien. C’est quelque chose de très inhabituel pour eux », dit-il. L’étudiant de 23 ans est arrivé dans la petite ville de Siegburg, en Allemagne, au mois de décembre 2014.
Bien qu’il vive en Allemagne depuis plus d’un an, Hasan attend encore de passer l’entretien obligatoire pour terminer sa procédure de demande d’asile. On lui a tout d’abord conseillé de demander l’asile politique du fait de sa citoyenneté palestinienne, mais comme il est né en Syrie, Hasan a le sentiment qu’il doit pouvoir bénéficier du même traitement que les réfugiés possédant des passeports syriens. De nombreux fonctionnaires allemands ignorent tout du statut particulier des Palestiniens nés en Syrie, et cela entraîne des complications lorsqu’ils traitent leurs demandes d’asile. Après avoir entendu des histoires contradictoires de la bouche de différents Palestiniens nés en Syrie, Hasan a réalisé que chaque municipalité observait des procédures différentes. « Ils ne comprennent pas ce que signifie le fait d’être palestinien en Syrie. Certains bureaux pour les migrations locaux enregistrent les Palestiniens nés en Syrie comme des Syriens, et les autres se retrouvent dans les limbes à attendre qu’on statue sur leur citoyenneté. »
Les Palestiniens de Syrie
Avant que la guerre civile n’éclate en Syrie, on estimait à 560 000 le nombre de réfugiés palestiniens vivant dans le pays. Minorité hautement invisible, les Palestiniens se marient aux Syriens depuis longtemps, et ils ont intégré sans heurts le tissu social du pays – à tel point qu’ils sont admis dans les rangs de l’armée syrienne.
Depuis que la Jordanie et le Liban voisins ont fermé leurs frontières aux Palestiniens syriens arrivant de Syrie en 2015 (et plus tard à tous les Syriens), l’Europe est devenue pour eux la destination la plus prometteuse. D’après l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, l’UNRWA, plus de 110 000 Palestiniens nés en Syrie ont fui le pays depuis le début du conflit en 2011. 450 000 autres ont été déplacés à l’intérieur du pays. « Nous estimons qu’au moins 60 000 d’entre eux ont fui la région où s’étend notre juridiction, c’est-à-dire entre la Jordanie, le Liban et la Palestine », m’a confié le porte-parole de l’UNRWA Christopher Gunness. « Une bonne partie d’entre eux a probablement essayé de passer en Europe. » « Les Palestiniens de la région sont de plus en plus fragiles et vulnérables. Ils ne s’y sentent plus en sécurité, et c’est la raison pour laquelle ils risquent leur vie pour voyager en Europe », poursuit Gunness. Les Palestiniens sont déplacés depuis de très longues années : tout a commencé avec l’expulsion d’un grand nombre d’entre eux des terres palestiniennes après la partition du pays en 1948. « Ce sont les plus vulnérables d’entre tous », dit-il.
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Hasan a grandi à Alep et a reçu la même éducation que n’importe quel Syrien, jusqu’au dialecte aleppin qu’il parle couramment et la fierté qu’ils ressent à évoquer sa ville natale. Ses frères et sœurs sont eux aussi mariés à des citoyens syriens. En grandissant, dit-il, ses amis n’ont jamais eu le sentiment qu’il était différent, et il n’a jamais été traité comme tel.
Les enfants de pères ou de grands-pères palestiniens sont considérés comme des citoyens palestiniens par le gouvernement syrien, qu’importe la citoyenneté de leur mère. Seules des circonstances exceptionnelles, comme l’absence ou l’apatridie d’un père, peut autoriser une mère à demander la citoyenneté syrienne pour son enfant. Au lieu d’un passeport, les Palestiniens de Syrie se voient délivrer des documents de voyage et conservent le droit de vivre et travailler en Syrie. L’ambassade syrienne à Berlin n’a pas répondu à mes demandes de commentaires à propos des législations sur la nationalité du pays. « En Syrie, j’étais traité comme un Syrien, mais hors du pays, c’est différent », dit Hasan. La plupart des pays du monde exigent des visas de la part des Palestiniens et, certains d’entre eux ne les reconnaissant pas comme les citoyens d’un pays déchiré par la guerre, la validité de leur statut de réfugié est toujours mise en question.
Verwaltung
En 2015, l’Allemagne a enregistré 1,1 millions de demandes d’asile, près de six fois plus qu’en 2014. Et parmi les personnes cherchant à obtenir le statut de réfugié auprès de la plus puissante économie européenne, on comptait environ 430 000 Syriens. Un porte-parole de l’Office fédéral allemand pour les migrations et les réfugiés (BAMF) m’a affirmé qu’en vertu du droit des réfugiés allemands, les Palestiniens nés en Syrie étaient considérés de la même manière que les réfugiés détenant la citoyenneté syrienne.
Le père de Haki a trouvé refuge en Syrie après que sa famille a fui la Palestine en 1948.
« Les Palestiniens syriens ne bénéficient pas de la citoyenneté syrienne mais sont traités de la même façon que les réfugiés de Syrie détenant des passeports, d’après les procédures d’asile allemandes », a-t-il ajouté. « Pour tous les réfugiés en provenance de Syrie, il y a ce qu’on appelle une évaluation individuelle avec consultation, au cours de laquelle les demandeurs d’asile décrivent les raisons qui les ont poussés à partir. » Le BAMF est responsable de la sélection des demandes d’asile, et il est divisé en agences dispatchées dans plusieurs municipalités du pays. D’après eux, la législation allemande est supposée être appliquée partout de la même façon. « L’Office pour les migrations déploie fait tout ce qu’il peut pour s’assurer que chaque Palestinien est traité équitablement au cours de son entretien personnel », ajoute-t-il. « Pour cela, il y a des spécifications et des directives à suivre selon leur pays d’origine, que tous les responsables d’agence ont à disposition. »
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Bien que le droit d’asile allemand prévoit d’offrir aux Palestiniens nés en Syrie les mêmes protections qu’aux citoyens syriens, la procédure d’asile représente un défi de taille pour beaucoup d’entre eux. Rami Haki est arrivé à Gunzburg au début de l’année 2015. La vie dans cette petite ville paisible est très différente de ce qu’il connaissait à Damas, où il est né, mais l’homme de 37 ans s’en moque. Rami est venu trouver refuge en Allemagne avec sa femme, Hanaa, et leurs trois enfants – ils ont eu un quatrième enfant après leur arrivée ici. Tandis qu’Hanaa est citoyenne syrienne, Rami et les enfants sont considérés comme des Palestiniens nés en Syrie. Le père de Rami a trouvé refuge en Syrie avec toute sa famille après qu’ils ont fui la Palestine en 1948. « C’est quelque chose que mes enfants et moi n’avons pas choisi », m’explique Rami. « C’est fait pour protéger la nationalité palestinienne. Quand les Palestiniens adoptent une autre nationalité, ils ne peuvent pas retourner en Palestine », dit-il, ajoutant que c’est un problème purement « politique ».
Ils ont voulu demander le statut de réfugié tous ensemble. Cependant, lors de son entretien à Munich, les fonctionnaires ont séparé Rami de sa femme et de ses enfants – dont le cas, en tant qu’enfants dépendants d’une citoyenne syrienne, a été traité et approuvé dans les plus brefs délais. Sur les permis de séjour des enfants, la case indiquant leur nationalité est laissée vide. Haki n’a même pas réalisé que sa demande avait été traitée séparément jusqu’à ce qu’ils reçoivent la certification officielle d’approbation de leur demande d’asile. Son nom ne figurait nulle part. « J’ai pensé que le fonctionnaire avait dû égarer ma fiche car il ne l’avait pas mise dans le même dossier que celui de ma femme », raconte-t-il. « Et puis on m’a annoncé que nous avions deux dossiers séparés du fait que je suis palestinien et que ma femme est syrienne. Mais pour moi, cela ne fait aucune différence : je suis un Palestinien de Syrie. Je viens de Syrie, j’y ai grandi et vécu au même titre que ma femme. » Il s’est adressé à un employé de l’agence de l’Office pour les migrations locale, qui lui a dit qu’ils étaient passés un peu vite sur ses documents de voyage syriens : il avait été enregistré comme citoyen palestinien de Palestine. Les documents ont fini par être corrigés et Haki s’est vu accorder l’asile en janvier dernier.
Sans pays
Mohamad Jabeti a 22 ans et il venait juste de commencer l’université quand il a été contraint de fuir Damas, sa ville natale. Mohamad est le petit-fils d’un réfugié palestinien qui lui aussi avait fui la Palestine en 1948.
Depuis septembre 2015, il vit à Mannheim, l’une des plus grandes villes d’Allemagne. En dépit de son expérience globalement positive là-bas, Mohamad a rencontré de sérieuses difficultés lorsqu’il a dû expliquer aux autorités allemandes pourquoi il n’avait pas de passeport. « Les Syriens n’ont aucun problème pour faire accepter leur demande d’asile, mais pour les Palestiniens, le gouvernement allemand rend les choses très difficiles », m’a confié Mohamad. « J’ai l’impression d’être une personne de second rang. » Mohamad nourrit une frustration terrible lorsqu’il rencontre des Syriens et des Irakiens dont les demandes d’asile ont été acceptées presque automatiquement. Nombre d’entre eux ont pu être transférés de la résidence pour réfugiés dans laquelle ils vivaient, et ils sont autorisés à étudier et travailler tandis que Mohamad prend son mal en patience en attendant des nouvelles du BAMF. « J’ai le sentiment de ne pas avoir les mêmes droits que tout le monde », dit-il. « Je voudrais que le gouvernement sache que je suis dans la même situation que les autres citoyens syriens. » Mais la situation lui a permis de renouer avec ses racines palestiniennes. « Je suis palestinien. Il me serait difficile de prétendre le contraire », dit-il. « Mais j’ai aussi le sentiment de n’avoir aucun pays, aucune nationalité. »
En janvier 2016, la Suède a imposé les contrôles aux frontières pour endiguer le flot des réfugiés arrivant du Danemark. En ce qui concerne les Palestiniens nés en Syrie, un membre du ministère de la Justice et de l’immigration m’a confié qu’ils étaient traités de la même manière que les citoyens syriens et qu’en outre, des règles spéciales étaient mises en place pour les individus sous protection de l’UNRWA. La législation suédoise sur l’immigration, qui définit le statut de réfugié et identifie les personnes nécessitant une protection internationale, contient des articles faisant explicitement référence aux « étrangers en dehors du pays dans lequel ils ou elles ont leur résidence principale », m’a expliqué la personne du ministère. « Ainsi, un Palestinien apatride qui avait sa résidence permanente en Syrie verra sa demande d’asile traitée à la lumière des circonstances en Syrie, de la même façon que les citoyens syriens. » Leurs voisins allemands ne sont pas aussi magnanimes dans leur façon de traiter les demandes des Palestiniens nés en Syrie. Le Royaume-Uni s’est engagé à réinstaller 20 000 réfugiés syriens d’ici 2020. Les cas sont redirigés vers l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’UNHCR. Lorsque je leur ai demandé si des Palestiniens nés en Syrie étaient attendus parmi les nouveaux arrivants, les fonctionnaires du Bureau de l’Intérieur britannique se sont refusés à tout commentaire.
D’autres pays adoptent également des mesures spécifiques pour offrir l’asile aux Palestiniens syriens. Depuis son élection au mois d’octobre 2015, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a fait virer de bord la politique du pays envers les réfugiés syriens. Le Canada a atteint l’objectif qu’il s’était fixé de réinstaller 25 000 réfugiés syriens avant la fin du mois de février 2016. Aujourd’hui, ce sont plus de 26 000 personnes qui sont arrivées là-bas. « Les personnes qui viennent de Syrie mais sont citoyennes d’un autre pays que la Syrie, ainsi que les personnes apatrides ont droit à la réinstallation au Canada, du moment qu’ils sont envoyés par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés », m’a expliqué un employé du ministère de l’Immigration, des réfugiés et de la citoyenneté du Canada. Pour Gunness, il appartient aux nations de s’assurer que les programmes de réinstallation ne sont pas discriminants envers les Palestiniens de Syrie. « La chose à faire immédiatement est de s’assurer que les Palestiniens syriens ne sont pas laissés de côté », dit-il. « Les gouvernements doivent être clairs et intraitables sur le fait que les Palestiniens de Syrie sont traités exactement de la même manière que les citoyens syriens, car ils fuient les mêmes circonstances horribles. » Dans un monde où les voyages internationaux requièrent un passeport, Hasan rêve d’en avoir un à lui. Sa situation actuelle est un fardeau. « Je voudrais un passeport, n’importe lequel », dit Hasan. « Je n’ai que des documents de voyage. Mais je préfère ne plus en parler car ça me noue la gorge. » Pour l’heure, il ne se voit pas retourner en Syrie. À la place, il prévoie de s’inscrire à l’université de la ville voisine de Cologne ou de Bonn, pour étudier la science informatique. Il maîtrise déjà la langue allemande et vit chez une famille locale. « J’aime vivre en Allemagne », dit Hasan. « Pour un étudiant, c’est l’idéal. » Malgré tout, dit-il, il a envie de découvrir le monde et peut-être de voyager en Italie et ailleurs en Europe. Et un jour, dit-il, il aimerait aller aux États-Unis ou au Canada. « J’ai entendu dire à la radio que c’étaient des pays formidables où émigrer, je sais tout du rêve américain. Peut-être qu’un jour, quand j’aurai mon passeport… »
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Palestinian Syrians: Twice refugees », paru dans Al Jazeera. Couverture : Des femmes palestiniennes à Yarmouk, une banlieue de Damas bâtie par les Palestiniens. (UNHCR)
COMMENT SURVIVENT LES YÉZIDIS IRAKIENS
À Zakho, dans le nord de l’Irak, des bâtiments en construction se dressent dans la poussière. Cinq mois aux côtés des réfugiés de Dabin City.
« On a entendu l’écho d’une bombe au loin, puis un proche nous a appelé et a dit : “Il faut partir, ils arrivent.” On n’a pas réfléchi, on a pris quelques affaires dans un sac et on a fui. » Depuis janvier 2014, l’histoire s’est répétée, encore et encore. Terrorisées à l’idée de finir entre les mains des hommes en noir de l’État islamique, des centaines de milliers de personnes sont parties en direction du nord de l’Irak. Entre juillet et septembre, alors que les températures dépassaient par moment 50°C, elles ont trouvé refuge partout où elles le pouvaient : dans les parcs, les écoles ou encore les innombrables bâtiments en construction de la région. C’est notamment le cas à Zakho, à quelques kilomètres des frontières turque et syrienne. Dabin City, du nom de son promoteur immobilier, est un groupe d’immeubles inachevés au cœur de cette ville de 350 000 habitants, où plus de 120 000 personnes se sont réfugiées en août dernier. Principalement originaires du Sinjar, elles ont fui l’horreur, laissé leur vie derrière elles et mené un incroyable périple à travers la montagne et la Syrie avant de retrouver le sol irakien. Au côté de l’ONG Action contre la Faim, je pars à la rencontre de ces familles quelques jours après leur arrivée. Des bâtiments en construction pour des vies détruites, tel est le premier sentiment que j’éprouve face à la détresse de ces femmes qui fixent l’objectif de l’appareil à la recherche de réponses. C’est la première fois que je viens à Dabin City. Une cinquantaine de personnes m’entourent et dans leurs regards règne une même angoisse, qui traduit leurs mots que je ne comprends pas.