La Pièce est un jeu d’énigme pour 3 à 5 joueurs qui s’inscrit dans le genre en plein essor de l’escape room. Ces derniers mois, plusieurs lieux comme celui-là ont vu le jour à Paris et en province. Ici, les aventuriers qui se rendent au 3, rue de Metz, dans le dixième arrondissement, sont accueillis pour un rapide récapitulatif des règles et conduits dans une pièce fermée en sous-sol.

Le compte à rebours commence : ils doivent alors déverrouiller la porte en moins d’une heure, en résolvant une série d’énigmes qui font appel à la logique, l’esprit d’équipe, la curiosité ou l’observation. Le défi est de taille et si les aspirants détectives sont nombreux, ils ne parviendront pas tous à trouver la sortie dans les temps.

Genèse

Pouvez-vous nous raconter la genèse de la Pièce, votre première incursion dans le domaine de l’escape room ?

FibreTigre : J’ai écrit pour des concours (notamment un concours où il fallait faire un jeu textuel en une heure) des petites escapes rooms. Parallèlement à cela, début 2013, Chloé avait le projet de faire de vraies escape rooms comme elle en avait testé à Londres. Elle m’a sollicité pour en concevoir une avec quelques indications et un thème – et aussi un plan temporaire du local. C’était très nouveau par rapport à la conception classique de jeux vidéo, mais intéressant. J’ai fait un premier projet qu’elle a refusé, puis un autre qu’elle a accepté. Entre ce document descriptif et la réalisation concrète de la Pièce s’est écoulé un an et demi.

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Le Temple de la Terreur, de Ian Livingstone

Était-ce un développement logique, en tant qu’adepte et auteur de Livres dont vous êtes le héros ?

FT : Je dirais que ce n’est pas hétérogène à défaut d’être logique. Les Livres dont vous êtes le héros ont donné les jeux d’aventure classiques dont les escape rooms informatiques sont une variété.

Qu’est-ce qui rapproche – et distingue – l’écriture d’un Livre dont vous êtes le héros et l’écriture d’une escape room ?

FT : Il n’y a pas de lien direct (sauf dans les pièces pas très bonnes…) parce que tout simplement, sauf quelques exceptions, les Livres dont vous êtes le héros ont un cheminement linéaire. Idéalement, une pièce doit se résoudre de la façon la moins linéaire possible pour occuper tous les joueurs un maximum en dépit de la difficulté variable des énigmes et les forcer à voir large.

Auteur de Livres dont vous êtes le héros, et narrative designer de jeux vidéo (Out There) : en quoi cette double expérience a-t-elle aidé pour écrire la Pièce ?

FT : Un principe fondamental de l’écriture dans le jeu vidéo, c’est qu’il ne faut pas en dire trop. Dans la Pièce, cela va encore plus loin : les joueurs ont payé pour une heure de jeu, alors s’ils passent 10 ou 15 minutes à subir une histoire, c’est autant de leur budget qu’on rogne. La pièce idéale, pour moi, a zéro narration directe et 100 % d’énigmes, les énigmes racontant l’histoire.

À quelles difficultés particulières vous êtes-vous exposés au cours de l’écriture ?

Il faut associer réalisme de l’univers, nature de l’énigme et faisabilité.

— FibreTigre

FT : La réalité est une maîtresse cruelle : dans un jeu vidéo, on peut imaginer une machine magique comme il y en avait dans Myst ou Riven, dans laquelle tu mets des boules bleues et tu as des sons bizarres. On ne peut pas réaliser ce type de choses en vrai, ou alors avec un budget qui rend le ratio investissement/pertinence de l’énigme absurde. Il faut associer réalisme de l’univers, nature de l’énigme et faisabilité. Par ailleurs, comme c’est une discipline naissante, on retrouve les mêmes énigmes un peu partout. C’est décevant. On essaye de faire différent.

Une fois la Pièce constituée, comment l’avez-vous promue auprès du public ?

FT : Aucune promotion, la Pièce est bloquée plusieurs semaines à l’avance en permanence depuis son départ. Pourvu que ça dure !

Chloé Blondel : Dans mon budget initial, j’avais prévu une attachée de presse pour faire connaître le jeu. Le bouche à oreille a largement suffi. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce jeu : on ne peut le faire qu’une fois et donc on ne peut pas fidéliser le public. Mais quand on a testé ce genre de jeu, on a souvent envie d’en refaire plein d’autres. Les joueurs tournent donc entre les différentes escape rooms, sachant que nous nous recommandons entre nous en fonction de ce que les joueurs cherchent (difficulté, thématique, décors, etc.). Pour l’instant, le public est là et j’en suis ravie !

À l’intérieur

Les joueurs sont invités à écouter les règles du jeu avant d’entrer dans la Pièce. Cela signifie-t-il que le jeu a déjà commencé ?

CB : Le jeu à proprement parler, non. Mais l’expérience, oui. C’est un moment où les gens m’écoutent et se préparent à jouer. C’est important d’avoir ce petit moment avant de commencer le jeu, cela permet de se mettre doucement dans l’ambiance.

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Le Mystère de la chambre jaune, de Bruno Podalydès
D’après l’œuvre de Gaston Leroux

Un détail frappe d’entrée dans la Pièce : son écrin en apparence dépouillé… qui cache de nombreux secrets. Ce minimalisme est-il intentionnel ?

FT : On maintient un ratio (qui est amené à changer, parce que les joueurs deviennent expérimentés) de 30 énigmes par heure, soit une toutes les deux minutes, plus quelques fausses pistes. En multipliant les objets, on multiplie les fausses pistes. Le décor est très important, mais la densité de gameplay, c’est-à-dire le rapport du nombre d’objets utiles sur le nombre d’objets total, doit rester haut afin de ne pas se disperser. Chloé a peut-être un avis différent sur la décoration.

CB : Au départ, j’imaginais vraiment recréer un bureau qui sent le vécu. Dans un premier temps, je l’ai meublé pour qu’ils corresponde à toutes les énigmes, en me disant que je rajouterai beaucoup d’éléments de décor pur par la suite. Mais l’expérience des joueurs fait que j’ai dû garder ce côté épuré pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’une fois dans le jeu, les joueurs imaginent que chaque objet a une utilité. Certains joueurs vont inspecter pendant de longues minutes un balai alors qu’il n’est là que pour décorer. C’est donc important de ne pas multiplier ce genre d’objets pour de ne pas faire perdre trop de temps aux joueurs. Et ensuite parce que le temps de remise en place doit être limité. Si la Pièce était remplie d’éléments, je passerai beaucoup trop de temps à remettre en place, au risque de mettre en retard les équipes suivantes.

Une escape room repose souvent sur des énigmes ne requérant aucune connaissance particulière, mais ne pouvant être résolues qu’en conjuguant les efforts de chacun. Quelle est la clé du bon équilibre ?

FT : Il est essentiel que les énigmes ne soient ni techniques (par exemple résoudre une énigme mathématique) ni même culturelles (le fait qu’en Angleterre on roule à gauche par exemple). Quand on arrive à ce résultat, ce qui est le cas dans la Pièce, un enfant de 12 ans est aussi performant qu’un adulte confirmé, et c’est une réussite.

Il n’y a rien de plus agréable que de réussir à résoudre des énigmes par soi-même.

— Chloé Blondel

CB : C’est un parti pris que nous avons discuté avec FibreTigre et qui nous plaisait à tous les deux. Nous avons testé plusieurs escape rooms où le jeu peut être ralenti ou même rendu impossible s’il manque des connaissances aux joueurs, et nous trouvions ça dommage. Nous avions envie que tous les joueurs soient à égalité, et ça se vérifie au quotidien ! C’est quelque chose de très important pour moi.

Existe-t-il un parcours idéal pour sortir de la Pièce ?

FT : Il est toujours possible de hacker certains passages, on le tolère même si au final cela diminue l’expérience de jeu.

CB : Les joueurs ont tendance à chercher séparément pour gagner du temps. C’est une stratégie, mais qui fait perdre en général plus de temps qu’elle n’en fait gagner étant donné que beaucoup d’informations se perdent. C’est aussi frustrant puisque qu’à la fin du jeu, les joueurs ont souvent manqué la résolution de certaines énigmes parce qu’ils étaient occupés à chercher ailleurs. C’est un peu dommage. Je conseille souvent de travailler en équipe tout au long du jeu.

Mon équipe a échoué à deux minutes près. J’ai ressenti une frustration plus grande qu’à l’issue d’un échec sur un Livre dont vous êtes le héros. Comment l’expliquez-vous ?

FT : Je regrette ce sentiment, mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. À noter que certaines pièces font en sorte que vous sortiez au bon moment. Ce n’est pas notre cas, mais c’est une forme de pacte intellectuel honnête même si ce n’est pas très commerçant.

CB : C’est effectivement frustrant. Mais c’est encore plus frustrant de résoudre les énigmes en étant constamment aidé. Ça n’est pas ma façon de jouer (même si en vrai je suis très impatiente), et logiquement, j’ai appliqué ce principe à la Pièce. Il n’y a rien de plus agréable que de réussir à résoudre des énigmes par soi-même, même si on perd de précieuses minutes. Au moins on a la satisfaction de s’être débrouillé seul. Est-ce que vous auriez préféré sortir dans les temps en ayant eu plus d’indices ? Je n’en suis pas sûre.

Gameplay

Il y a un mot qui revient souvent à propos de la Pièce : le gameplay – un terme issu du monde du jeu vidéo –, pour qualifier l’enchaînement des énigmes. Il s’agit d’un glissement linguistique intéressant, non ?

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Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll

FT : Le gameplay est l’essence d’une pièce selon mon point de vue, même si être bien accueilli et l’environnement comptent beaucoup. Le reste, je pense notamment à l’histoire, ont beaucoup moins d’importance que les joueurs et les concepteurs veulent accorder à ce type de projet. Il ne faut pas oublier que la plus importante des histoires n’est pas celle que nous allons imposer aux joueurs, mais celle qu’ils vont se créer.

Sans rien dévoiler de l’intrigue, ne trouvez-vous pas que le gameplay de la Pièce, souvent basé sur des cadenas à déverrouiller, gagnerait à être moins répétitif ?

FT : Il faut comprendre que la Pièce est en conception depuis plusieurs années. Nous ne travaillions quasiment sur rien à l’époque. La prochaine pièce aura zéro cadenas.

Le concept de l’escape room n’a d’intérêt que si ses secrets sont gardés par ses initiés. Comment parvenez-vous à communiquer sur la Pièce sans rien révéler de son contenu ?

FT : Chloé veille jalousement à la non divulgation des secrets, et, à ce titre, refuse par exemple les reportages des grandes chaînes de TV qui pourtant pourraient lui apporter une notoriété (même si le projet n’en a pas besoin pour le moment).

CB : Effectivement, aucune image ne sort de la Pièce (à part une photo dont je me sers pour la communication, mais ce ne sont que des détails de la Pièce qui ne compromettent pas les énigmes).
Concernant les joueurs qui sortent et qui ont donc toutes les solutions, ils jouent vraiment le jeu et ne semblent rien révéler à leur entourage. Quand on sort de ce genre de jeu, en général on a envie d’en parler aux autres mais en gardant le mystère pour voir si votre entourage réussira mieux ou moins bien que vous.

Quelles critiques émanant des joueurs vous ont semblé les plus judicieuses ?

Aller dans le vide sans soutien et réussir nécessite une grande part de courage.

— FibreTigre

FT : Les joueurs ont l’air satisfaits. Chloé a réussi un projet très impressionnant. Je ne suis qu’un technicien qui a souvent été guidé par Chloé, mais elle a monté la société, convaincu des investisseurs alors que personne n’y croyait, réalisé la Pièce et aujourd’hui elle réussit financièrement. Tout le monde peut monter une pizzeria ou un magasin de vêtements, ou même fabriquer des jeux vidéo, car ce sont des activités dont les schémas financiers sont connus. Aller dans le vide sans soutien et réussir nécessite une grande part de courage.

Que pouvez-vous raconter à propos de votre prochaine escape room ?

FT : Vous vivrez une aventure à nulle autre pareille. Notez bien ces mots. Ce sera absolument incroyable, merveilleux, vous vivrez une heure dans un autre monde.


Couverture : La Pièce, par Simoné Eusebio.