Phénomènes non-identifiés

Par cette nuit de pleine lune de février 2016, alors qu’ils sillonnent une petite route de Conches-en-Ouches, dans l’Eure, trois témoins aperçoivent un objet imposant qui se déplace à basse altitude. Des lumières de différentes couleurs, fixes ou clignotantes, une forme circulaire, et une faible allure : affolés et perplexes, ils ne s’attardent pas dans la zone et se rendent à la gendarmerie pour décrire ce qu’ils ont vu : une « soucoupe volante stationnaire ».

À quelques heures d’intervalle, une quatrième personne confirme avoir observé le même phénomène étrange : une sorte d’énorme vaisseau triangulaire se déplaçant lentement dans le ciel, à hauteur de la cime des arbres. Très vite, l’affaire est confiée au GEIPAN, le Groupe d’Études et d’Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés, créé en 1977 en France et dépendant du CNES. Il a pour mission d’expliquer aux témoins l’étrangeté qu’ils ont rencontrée dans le ciel.

Le GEIPAN met rapidement en évidence qu’il s’agit d’un avion militaire, un C130. Néanmoins, il leur faut également expliquer aux témoins du phénomène aérien suspect « chaque composante à l’origine de l’étrangeté dans le ciel », confie un membre éminent de l’organisation.

Car, si « dans la plupart des cas », ces phénomènes sont expliqués « de façon très prosaïque », le fait que les avions, les satellites, les astres, ou encore les lanternes n’aient pas été reconnus doit lui aussi pouvoir s’expliquer. Cela peut être le simple effet de nuages, ou d’éclairages fuyants, qui font que l’avion apparaît sans ailes ; ou des phénomènes physiques plus complexes, comme des courbures de rayon ou des foudres en boule.

À Conches-en-Ouches, c’est ainsi une concordance de facteurs qui a fait que les témoins ont observé un OVNI quand il s’agissait en réalité d’un avion militaire. Il venait en effet à l’encontre des témoins, qui se déplaçaient en voiture. La ligne de visée n’arrêtait donc pas de pivoter, et c’est ce même « phénomène pivot » qui donnait l’impression que l’appareil était stationnaire.

Malgré les trésors de logique déployés par ses chercheurs, 5 % des 9 000 cas recensés par le GEIPAN en 40 ans restent totalement inexpliqués. On les appelle les cas D et ils concernent les affaires dont les taux de probabilité des hypothèses formulées sont inférieurs à 50 %. Persistent alors toujours des « résidus d’étrangeté », les affaires étant même parfois « tellement invraisemblables que le GEIPAN n’essaie même pas de formuler une hypothèse ».

Un phénomène étudié par le GEIPAN

Pour l’organisation, cela ne signifie pas que ces cas D sont synonymes de visites extraterrestres, d’autant qu’ils « ne se parlent pas entre eux ». Devant l’inexpliqué, certains témoins ont tôt fait d’imaginer qu’ils ont croisé la route de membres d’une civilisation extraterrestre embarqués à bord d’un engin volant, au détour d’une nationale de campagne. Mais du côté des autorités, qu’envisage-t-on de faire si un pareil phénomène se produit ?

Gestion de crise

C’est justement ce manque d’éléments communs entre les cas D qui empêche la création, en France, d’un protocole bien arrêté en cas de visite impromptue des extraterrestres. L’objet d’un protocole serait ainsi de définir un scénario de gestion de crise, qui répondrait à la question : « Que se passe-t-il lorsqu’ils sont là, ou que nous les avons découverts dans l’espace ? »

Dans le cas d’une arrivée extraterrestre sur Terre, le GEIPAN imagine tout de même une synergie des forces entre la gendarmerie et la défense nationale, ainsi que l’aviation civile. Toutes travaillent d’ailleurs actuellement ensemble avec le GEIPAN, liées par une convention rédigée à l’occasion de la création de l’organisation. C’est probablement la communauté scientifique qui interviendrait en premier lieu, pour tenter de trouver des moyens de communication, et d’analyser les technologies développées par ces formes de vies extraterrestres intelligentes.

Pour autant, ni la Commission européenne, ni l’Armée de l’air, et encore moins le ministère de la Défense ne semblent aujourd’hui vraiment préoccupés par une telle rencontre. Lorsqu’on contacte le ministère des Armées sur la question, celui-ci nous renvoie ainsi vers l’Armée de l’air. Interrogée à son tour, elle affirme n’être en charge que « de la surveillance de l’espace, au sens de l’activité satellitaire ». Quant à Franck Gouéry et Lucía Caudet, attachés de presse à la commission européenne, ils « ne [croient] pas que cette question relève non plus de la compétence européenne ».

Un reportage YouTube édifiant

Il existe pourtant bien un protocole à respecter, rédigé et revu en 2013 outre-Atlantique par l’institut SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence, collaborateur de la NASA) et l’Académie internationale d’astronautique, dans le cas non pas d’une visite à proprement parler, mais de l’interception d’un signal extraterrestre. « Il prévoit trois étapes principales », explique Seth Shostak, astronome et membre du comité permanent du SETI – tout en précisant qu’il n’a jamais été approuvé, ou officialisé par les Nations Unies. « La première chose à faire est de vérifier ce signal, pour s’assurer qu’il est réel et qu’il n’est pas envoyé par les étudiants de l’école supérieure de je ne sais quoi », détaille-t-il avec humour.

« Ensuite, il faut prévenir absolument tout le monde, afin que d’autres astronomes puissent étudier ce signal et que tous les télescopes possibles soient pointés en direction de sa source, pour tenter d’en apprendre quelque chose », explique l’Américain. La dernière phase est probablement la plus importante : « Le protocole dit : “Ne répondez rien en retour sans une consultation internationale” », explique Seth Shostak, tout en précisant qu’il « n’a pas la moindre idée de ce que “consultation internationale” signifie ». L’astronome imagine que cette phase impliquera les Nations Unies, et une bonne part de scientifiques français.

Il image ensuite que les gouvernements du monde s’associeront, pour réunir un budget permettant d’entrer en communication avec les extraterrestres, grâce à des outils tels que des « radiotélescopes très puissants et très chères, mais qui nous permettront peut-être de savoir ce qu’ils nous disent ». Quant à l’armée, elle ne devrait selon lui avoir aucun rôle à jouer. « Peut-être que Donald Trump voudra l’impliquer, mais elle ne pourra rien faire avec un signal provenant de plusieurs centaines d’années-lumière ! » plaisante-t-il.

Relations longue distance

Si les organisations internationales officielles ne semblent pour le moment pas s’intéresser à une rencontre extraterrestre, c’est parce qu’elle est encore « trop hypothétique », d’après Seth Shostak. Une vision que partage volontiers le GEIPAN, pour qui la question « est pour le moment trop prospective pour trouver un intérêt opératif ». « Si en 1480 les populations des Caraïbes avaient créé un protocole au cas où des navires européens arriveraient un jour dans leurs ports, tout le monde se serait moqué d’elles », compare Seth Shostak.

« L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence »

Le fait est que les navires européens ont bien fini par accoster, et que « d’ici 20 ans, nous trouverons une preuve de l’existence d’une vie extraterrestre », assure l’astronome avec optimisme. D’après le chercheur, le public, habitué des extraterrestres cinématographiques et télégéniques, est « prêt » à recevoir la nouvelle… en tout cas aux États-Unis. « Si vous leur demandez, 80 % des Américains vous dirons qu’ils sont sûrs que les extraterrestres existent. S’ils lisent demain dans le journal que les scientifiques ont reçu un signal, je ne crois même pas qu’ils deviendraient dingues. Ils se diront juste qu’ils étaient sûrs que cela arriverait », estime Seth Shostak.

Qu’est-ce que différencie dès la lors la perception française de celle des Américains ? Pour l’astronome, les scientifiques français, à l’instar des Allemands, des Anglais ou des Italiens, possèdent « l’expertise, l’argent, les télescopes et la technologie. Ils pourraient très bien chercher cette vie extraterrestre, mais ils décident de ne pas le faire. »

Ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque l’Agence spatiale européenne (ESA) admet volontiers qu’étant donné « la taille de l’univers – il y a au moins 100 milliards d’étoiles dans notre seule galaxies et peut-être 100 milliards de galaxies d’une taille comparable éparpillées dans l’espace –, peu de scientifiques croient que la Terre est la seule planète à abriter la vie ». Pour autant, dans un souci de mesure étranger aux Américains, ses recherches en matière d’exobiologie se bornent à de discrets communiqués, quand la NASA imagine déjà des tentacules sous la surface d’Europe.

Le problème serait donc avant tout culturel. Même si le GEIPAN admet « n’avoir aucun élément pour exclure l’hypothèse extraterrestre, et que l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence », ses chances d’être un jour confronté à un ovni d’origine extraterrestre sont à l’en croire extrêmement faibles. Ce qu’admet volontiers Seth Shostak, convaincu que notre relation avec les extraterrestres est vouée à être vécue à distance. « Ils ne viendront sur Terre que dans les films ! » assure-t-il. Le déplacement leur coûterait en effet très cher, et il nous faudrait certainement des années avant de pouvoir répondre à l’un de leurs signaux pour organiser une réunion.

Est-ce une soucoupe volante ou une feuille ?

« S’ils sont à 100 années-lumière de nous – ce qui est très proche à l’échelle cosmique – et que nous détectons un signal, ils ne le sauront pas avant très longtemps. Aujourd’hui, nos fusées volent à 40 ou 50 kilomètres par seconde. Pour atteindre sur l’étoile la plus proche, cela leur prendrait 100 000 ans. Les extraterrestres ont certainement de meilleurs vaisseaux que nous, mais se déplacer d’un système solaire à un autre demande une somme d’énergie difficilement concevable », explique l’astronome, qui n’exclut pour autant pas totalement qu’une rencontre physique puisse avoir lieu un jour. Car on ne peut être sûr de rien.

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’ils n’auront pas le loisir de garer leur soucoupe volante dans les vignes de Châteauneuf-du-Pape. En effet, depuis novembre 1954, un arrêté anti-ovni pris par le maire Lucien Jeune prévoit que « le survol, l’atterrissage et le décollage d’aéronefs dits “soucoupes volantes” (…) sont interdits sur le territoire de la commune ». Toujours en vigueur, il constitue la preuve irréfutable qu’au moins une commune de France est prête à accueillir les extraterrestres. Avec une volée de bois vert et une contravention.


Couverture : Jean-Pierre Pernault n’est pas prêt. (TF1/Ulyces.co)