Dada Xi
Ce lundi 5 mars 2018 s’ouvre la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire de Chine. Celle-ci doit examiner la proposition d’effacer de la Constitution la mention stipulant qu’un président « ne peut pas exercer plus de deux mandats consécutifs » de cinq ans, formulée par le comité central du Parti communiste quelques jours auparavant. Et d’après les spécialistes du pays, elle va vraisemblablement l’accepter. Ce qui signifie que l’actuel président chinois, Xi Jinping, s’il est élu cette année pour un second mandat, pourra par la suite être réélu autant de fois qu’il le souhaite.
« Si sa santé le lui permet, il souhaite rester au pouvoir 20 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2032 en tant que secrétaire général du Parti et 2033 en tant que président de l’État », précise le Dr Willy Wo-Lap Lam depuis l’université chinoise de Hong Kong, en citant des sources proches du pouvoir à Pékin. « Je pense qu’il va devenir empereur à vie et le Mao Tsé-toung du XXIe siècle », affirme ce politologue, qui n’est pas le premier à comparer Xi Jinping au fondateur du régime communiste chinois.
Comme Mao Tsé-toung de 1949 à 1976, Xi Jinping cumule aujourd’hui tous les pouvoirs : président de la République, secrétaire général et « noyau » du Parti communiste, chef de la commission militaire centrale. Son programme de lutte contre la corruption lui a par ailleurs permis de sanctionner plus d’un million de cadres du Parti, et de se débarrasser du même coup de toute opposition interne. « Nous assistons au retour de l’ère Mao Tsé-toung, lorsqu’une seule personne décidait pour des centaines de millions », insiste Willy Lam, auteur de La Politique chinoise à l’ère Xi Jinping.
L’accaparation du pouvoir par Xi Jinping s’accompagne en outre d’un véritable culte de sa personnalité. Son portrait est placardé aux quatre coins de la Chine. Dans les boutiques de souvenirs, des assiettes et des bustes à son effigie côtoient les assiettes et les bustes à l’effigie de Mao Tsé-toung. À la télévision, il discourt devant des assemblées qui l’applaudissent avec ferveur ou bien visite des campagnes qui l’acclament sans discontinuer. Dans les journaux, il est présenté comme le visage rassurant de la « grande renaissance » économique et technologique de la Chine.
Ce visage, rond et poupin, vaut parfois à Xi Jinping d’être comparé à Winnie l’ourson sur Internet – ce qui explique sans doute pourquoi toute mention au célèbre personnage de dessin animé est censurée sur les réseaux sociaux en Chine. Mais le président chinois est bien plus souvent, et bien plus affectueusement, surnommé Dada Xi, c’est-à-dire « Oncle Xi ». Et c’est bien sous son nom que sa « Pensée » a été inscrite en toutes lettres dans la charte du Parti communiste en octobre 2017. Un honneur seulement réservé jusqu’ici à Mao Tsé-toung et à Deng Xiaoping, l’architecte des réformes économiques des années 1990.
Une ironie de l’Histoire, à double titre, lorsqu’on sait que le premier a causé bien des ennuis à la famille de Xi Jinping, et que le second a instauré le système de succession au pouvoir qu’il entend justement détruire.
Le prince rouge
Avant de devenir peut-être un « empereur rouge », Xi Jinping a été un « prince rouge », c’est-à-dire un membre de la très influente caste des descendants des premiers dirigeants du Parti communiste chinois. Lorsqu’il vient au monde, en juin 1953, son père, Xi Zhongxun, véritable héros de la révolution communiste de 1949, est secrétaire général du gouvernement. Il grandit à l’ouest de Pékin, dans le parc Zhongnanhai, et plus précisément dans la résidence alors réservée aux familles de la nomenclature, où celles-ci jouissent de nombreux privilèges : nounous, précepteurs, voitures, chauffeurs, cuisinières, etc.
Mais Xi Zhongxun se montre de plus en plus critique envers Mao Tsé-toung et il est finalement emprisonné, en 1962. Xi Jinping sera donc contraint d’en dire du mal publiquement et, comme tous les « jeunes instruits » du pays, envoyé en rééducation à la campagne lors de la « révolution culturelle ». Il est assigné à Liangjiahe, petit village troglodytique perdu dans les collines de la province de Shaanxi. Il y passe toute son adolescence – la journée à travailler dans les champs, la soirée à étudier à la lueur d’une lampe à pétrole. Des efforts finalement récompensés par son admission au sein de la prestigieuse université Tsinghua en 1975.
Mao Tsé-toung meurt l’année suivante. Xi Zhongxun, de nouveau libre, réintègre le Parti communiste et obtient pour son fils un poste de secrétaire à la Commission centrale militaire. Xi Jinping commence alors à tisser son réseau dans l’armée. Il finira d’ailleurs par épouser une chanteuse de variété formée en son sein, Peng Liyuan. Longtemps bien plus célèbre que lui, et encore aujourd’hui omniprésente dans les médias, elle tranche avec ses prédécesseuses au rang de Première dame de la Chine, toutes restées dans l’ombre de leur mari. En revanche, leur fille unique, Xi Mingze, qui poursuit des études à Harvard, est tenue à l’écart des caméras.
Au moment de leur mariage en 1987, Xi Jinping est vice-maire d’une ville de la province du Fujian, dont il devient gouverneur en 1999. Au Zhejiang de 2002 à 2007, il promeut l’écologie et s’attaque – déjà – à la corruption. Devenu membre du Comité permanent du bureau politique du Parti, il est élu vice-président de la République populaire de Chine le 15 mars 2008. Puis, secrétaire général du Parti communiste chinois et président de Commission militaire centrale du Parti communiste chinois, le 15 novembre 2012. Et enfin, président de la République populaire de Chine, le 14 mars 2013. « Pour réaliser le rêve chinois, il faut promouvoir l’esprit chinois », déclare-t-il alors devant l’Assemblée nationale populaire. « C’est-à-dire l’esprit national centré autour du patriotisme, de la réforme et de l’innovation. »
Cinq ans plus tard, force est de constater que son premier mandat a surtout été marqué par son autoritarisme. « Tout doit être placé sous la direction du Parti, que ce soit les organisations du Parti, le gouvernement, l’armée, la société civile, et quel que soit l’endroit où l’on se trouve », affirmait-il encore en octobre 2017. Nombre de dissidents ont été arrêtés sous sa présidence, et le plus célèbre d’entre eux, Liu Xiaobo, ancienne figure de proue du mouvement démocratique de Tian’anmen en 1989 et prix Nobel de la paix en 2010, a terminé ses jours en prison.
Dès lors, comment ne pas craindre l’avenir que réserve la décision de supprimer de la Constitution chinoise la mention qui limite cette présidence à deux mandats ?
La Chine en folie
Pour Jean-Pierre Cabestan, professeur à l’université baptiste de Hong Kong, « on peut s’interroger sur le sens d’une mesure rétrograde qui remet directement en cause l’une des réformes institutionnelles essentielles de Deng Xiaoping introduite après la mort de Mao Zedong, en 1976 : éviter toute instauration d’un pouvoir à vie ». « Par ailleurs, si elle consolide indéniablement le statut de Xi, celui-ci est-il aussi puissant que ses thuriféraires le laissent entendre ? » C’est ce que semble penser son homologue de l’université chinoise de Hong Kong, Willy Lam. « Il n’y a pas de contre-pouvoir », affirme-t-il. « C’est très dangereux car Xi Jinping risque de commettre des erreurs parce que personne n’osera s’opposer à lui. »
Tout comme personne ne s’est opposé à lui lorsqu’il a fait bannir, le 27 février dernier, les romans d’Orwell 1984 et La Ferme des animaux, ainsi que l’utilisation des mots « empereur », « trône » ou « règne » du très populaire site de microblogging chinois Weibo.
« Assurément, cette décision consacre une montée en puissance et même une “poutinisation” de Xi à l’œuvre depuis son accession au pouvoir en 2012 », concède Jean-Pierre Cabestan. Le Kremlin estime d’ailleurs que « le maintien au pouvoir de Xi au-delà de 2023 est une bonne chose » à en croire Alexander Gabuev, expert de l’Institut Carnegie à Moscou. « S’il dirige le pays pendant une très longue période, les relations avec l’étranger seront stables et prévisibles », renchérit Wu Xinbo, expert de la politique américaine à l’université de Fudan à Shanghai. Un point de vue qui explique en partie la tempérance de la Maison-Blanche et la décontraction de son locataire à l’annonce de la probable modification de la Constitution chinoise.
« Je pense que c’est une décision qui appartient à la Chine », déclarait en effet la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, le 26 février dernier. « Le président a parlé de limite des mandats, c’est une chose à laquelle il est favorable aux États-Unis, mais cette décision appartient à la Chine », a-t-elle insisté. Sauf que Donald Trump n’a pas hésité à suggérer le contraire quelques jours plus tard, lors d’un rassemblement dans sa villa de Mar-a-Lago en Floride, destiné à lever des fonds en faveur du Parti républicain. « Xi-Jinping est désormais président à vie », s’est-il amusé d’après un enregistrement diffusé par CNN, avant d’ajouter : « Il est arrivé à le faire. Je trouve cela formidable. On devrait peut-être aussi tenter le coup un de ces jours. »
En mer de Chine, cette rivalité n’a de cesse d’éclater au grand jour.
Mais Donald Trump aura-t-il longtemps le cœur à plaisanter de la sorte ? Comme le soulignait la responsable des activités Chine au Centre Asie de l’
Au risque de déclencher une guerre entre la Chine et les États-Unis ?
Couverture : Xi Jinping, futur empereur ? (Juhupainting/Medium/Ulyces)