Pente raide
Je suis supposé survoler l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande en compagnie du directeur de la plus grande compagnie de guides touristiques au monde, mais je ne suis pas en forme. La nuit dernière, Daniel Houghton et moi avons fait un petit tour des bars de Queenstown : le Winnies, le Buffalo Club et le Zephyr, entre autres. Je me rappelle d’un toit ouvrant, d’une grande quantité de Red Bull et de vodka, de gens qui criaient et dansaient, et de la vidéo d’un homme en wingsuit volant au beau milieu de canyons étroits. J’ai quitté le dernier bar (je crois bien qu’il s’agissait du Boiler Room) sans Houghton. « Je ne sens rien du tout pour l’instant », a-t-il déclaré avant de commander un autre verre, aux alentours de 2 h 30 du matin. Mais à 7 h 30, lorsque je frappe à la porte de sa chambre d’hôtel, Houghton, 25 ans, est en pleine forme. Dans la chambre, l’espace est minutieusement organisé : le lit est fait, et sur celui-ci le matériel vidéo et les vêtements North Face et J.Crew sont soigneusement rangés et pliés, formant deux piles distinctes. Houghton, qui mesure 1 m 95 pour 68 kilos, est pourvu d’un long cou et d’yeux bleus. Il a câblé le système audio de la chambre de manière à pouvoir jouer M83 et la bande originale du Seigneur des anneaux directement depuis son iPhone. Tandis qu’il me fait signe d’entrer, il est au téléphone avec son patron, le milliardaire Brad Kelley, un ancien magnat du tabac qui a racheté Lonely Planet l’année dernière tandis que la firme légendaire se trouvait au beau milieu d’une rude crise économique. Houghton souhaite à Kelley un joyeux anniversaire, puis nous partons pour ce que l’on présente comme la ligne de tyrolienne en forêt la plus abrupte du monde. Houghton est venu en Nouvelle-Zélande pour se détendre. Il est aux commandes de Lonely Planet depuis neuf mois maintenant, période durant laquelle il a massivement investi dans une restructuration numérique et licencié un cinquième de la force de travail de la compagnie. « Il est difficile de faire virer de bord un navire de croisière, alors nous avons dû nous réfugier dans un canot de sauvetage », me dit-il avant que nous ne partions pour Queenstown. « Et un petit. »
Il est également venu voir comment le contenu des guides est produit, accompagnant un auteur et un photographe assignés au magazine de luxe anglais de la compagnie. L’itinéraire incluait une descente en rafting de la rivière de classe IV Shotover, une randonnée sur la fameuse Routeburn Track, des dégustations de pinot dans les meilleures caves à vin, une balade tout-terrain à bord du 4×4 de rêve de Houghton (un Land Rover Defender, introuvable aux USA), un lever de soleil au-dessus du lac Wakatipu, et la recherche du moa, un immense oiseau incapable de voler mais pouvant étriper un être humain d’un seul coup de griffe. Un consensus scientifique affirme que le moa est une espèce très probablement éteinte, et ce depuis 400 ans. Mais cela ne suffit pas à dissuader Houghton. Un voyage typique de guide touristique, me confie-t-il, « serait terriblement ennuyeux ». Peut-être parce qu’il est, à l’origine, photographe de mariage, Houghton documente l’ensemble du voyage à l’aide de sa GoPro bien-aimée, pour le site internet de Lonely Planet. « Nous payons des gens pour sillonner la planète entière », m’a-t-il répété plusieurs fois, « et c’est fantastique. Mais nos lecteurs devraient pouvoir vivre l’expérience que vivent les auteurs dans sa totalité. » Après un rapide trajet en voiture depuis l’hôtel et un court voyage en téléphérique, nous arrivons sur le versant de la montagne du circuit Ziptrek EceTours. Notre point de lancement est une plateforme en bois construite parmi les hêtres massifs, à 500 mètres en haut d’une pente raide. Une fois là-haut, nous attachons nos harnais avant de nous diriger vers la pièce de résistance : la ligne six, la plus rapide du monde. Houghton saute. Il vole la tête en bas, sa GoPro à la main, son bras libre placé tranquillement derrière sa tête et ses jambes croisées au-dessus de lui, « swami style ». Il atteint la vitesse de 70 km/h puis se replace tranquillement à l’endroit tandis qu’il approche d’une lointaine plateforme perdue dans les arbres, sur laquelle un sympathique opérateur Ziptrek le complimente sur son style. « Ça va faire une vidéo vraiment cool », dit Houghton en souriant.
Barbe rousse
Houghton a grandi dans une banlieue fleurie d’Atlanta. Ses parents travaillaient pour Delta Air Lines : Dan était mécanicien, Jean était hôtesse de l’air. La famille voyageait en avion gratuitement, c’est pourquoi à l’âge de 15 ans, Daniel avait déjà visité vingt-huit États américains. Il aimait la haute technologie et tout ce qui allait vite (il a commencé à skier dès l’âge de 3 ans). Dan songeait que son fils avait peut-être une âme de pilote. Houghton était par contre un étudiant médiocre. Mais arrivé en 1e, il a découvert sa vraie passion : la photographie. Il s’est alors inscrit au programme de photo-journalisme de l’Université Occidentale du Kentucky (WKU), à Bowling Green, et travaillait en tant que pigiste pour le Lexington Herald-Leader. Au derby du Kentucky, il est parvenu à photographier par deux fois des chevaux vainqueurs au moment même où ils franchissaient la ligne d’arrivée, surpassant des photographes bien plus expérimentés. Durant cette période, il faisait régulièrement l’impasse sur les soirées étudiantes pour prendre des photos à l’aube. Pendant les vacances, il se rendait secrètement en Argentine, en France et en Afrique du Sud pour photographier des orphelins atteints du Sida. Les professeurs étaient stupéfaits de la maturité de son travail, et Dan a commencé à songer que son fils pourrait devenir photographe pour National Geographic. Houghton a été stagiaire au Seattle Times et ses photos ont été utilisées quatre fois à la une de l’édition dominicale.
Cette fois-ci, Houghton s’est mis sur son trente-et-un. Dans le hall, il est accueilli par un homme imposant arborant une barbe rousse : Kelley.
Lors de sa première année d’études supérieures, il a réalisé des interviews pour le Chicago Tribune. Tout se passait bien jusqu’à ce que le Tribune ne commence à licencier. Houghton a obtenu son diplôme en 2010 avec une option majeure en journalisme et une mineure en entrepreneuriat, et sans avoir jamais assisté à un concert de rêve. Plus tard, il s’est marié avec sa petite amie du lycée, Susan, qu’il avait rencontrée à la fanfare (avant de faire sa demande, il lui a joué « Postcards from Far Away », de Coldplay, au piano). Enfin, Houghton a atterri dans une petit agence de marketing à Bowling Green, où il photographiait des intérieurs de banques. « Je me souviens m’être dit : “Mince, c’est naze.” » confie son ami de lycée Luke Sharrett, un photographe ayant officié pour le New York Times. Six mois après, Houghton a quitté l’agence et déposé une demande pour un permis d’exploitation commerciale. Il avait créé un site internet pour y afficher son travail : Houghton Multimedia. Mais les missions de marketing arrivaient au compte-gouttes. En marge de cette activité, il photographiait des mariages et se faisait un peu d’argent de poche en tant que consultant en médias numériques pour les publications des étudiants de son ancienne université. En mai 2011, alors que Houghton photographie une entreprise de mobilier à Bowling Green, son téléphone sonne. Un businessman local dit vouloir le rencontrer après être tombé sur son site internet. Houghton se rend au rendez-vous en jeans. La porte du modeste bureau de centre-ville, où a lieu la rencontre, n’affiche pas de nom. Il serre la main de trois hommes avant de s’asseoir. Ceux-ci avaient vu quelques-uns de ses travaux sur Vimeo, dont une vidéo intitulée « La beauté du film numérique », traitant du projecteur de son grand-père, ainsi qu’une commande sur le nouveau stade d’athlétisme de l’Université d’Auburn. Les hommes lui ont posé de nombreuses questions : Comment avez-vous fait ? Combien cela a-t-il coûté ? Avez-vous été aidé ? Houghton leur a répondu qu’il travaillait en solo. Ils ne se sont pas étendus sur la nature de leur business mais lui ont demandé de revenir la semaine suivante pour rencontrer leur patron. Cette fois-ci, Houghton s’est mis sur son trente-et-un. Dans le hall, il est accueilli par un homme imposant arborant une barbe rousse : Kelley. Un milliardaire autodidacte, élevé dans une ferme du coin, ancien étudiant de la WKU. Kelley, âgé de 57 ans, avait gagné la majorité de son argent grâce au tabac. Il était désormais le quatrième plus grand propriétaire de terres privées des États-Unis. Il possédait des terres dans le Tennessee, le Wyoming, la Floride, le Nouveau-Mexique, le Kentucky, le Texas, le Colorado, et Hawaï. Lors de cette rencontre, c’est surtout lui qui a parlé, principalement au sujet des nouveaux médias mais aussi à propos de voyage, de conservation et de musique. Au terme de la rencontre, il a fait une offre à Houghton : continue à faire ce que tu fais, mais travaille pour moi. Il n’y avait pas de contrat, c’était un accord à l’amiable, réglé d’une poignée de main. Il n’a jamais demandé son âge à Houghton. L’année suivante, Houghton a aidé à fonder et diriger la nouvelle compagnie de Kelley, NC2 Media et son équipe dynamique, sur le pied de guerre dès 5 h du matin. NC2 manquait néanmoins d’in situ, une locution latine signifiant : « en position ». Ensemble, ils ont lancé OutwildTV, un site web proposant des vidéos d’expéditions sponsorisées – dont le voyage d’un cowboy-journaliste à cheval du Canada au Brésil, sur 16 000 kilomètres, était vendu comme « l’un des voyages les plus audacieux du XXIe siècle ». Ils ont également créé un blog traitant de matériel de voyage.
Moins d’un an après, Kelley a vu une opportunité à saisir. Lonely Planet, l’entreprise de guides touristiques aux 120 millions de livres vendus basée à Melbourne, en Australie, était en difficulté. En 2007, la BBC avait racheté Lonely Planet à ses fondateurs Tony et Maureen Wheeler pour 210 millions de dollars. Depuis, ses profits avaient chuté à cause de la récession globale, de la hausse du dollar australien et de l’état critique de l’industrie du livre. Kelley a offert 77 millions de dollars pour la firme et a ainsi conclu l’affaire le 1er avril 2013. Il n’a pas cherché de nouveau directeur ; il avait déjà choisi Houghton pour devenir capitaine de ce navire à la dérive. Quelques semaines avant la conclusion de l’opération, le président de BBC Worldwide, Marcus Arthur, a annoncé l’imminence du rachat. Houghton, qui était sorti du lycée à peine trois ans auparavant, a fait le tour des bureaux internationaux de Lonely Planet. Dans les bureaux de Londres, juste avant qu’il ne se présente, quelqu’un a projeté sur un écran la représentation d’une scène de la Bible, celle où Daniel se retrouve dans la fosse aux lions. « Ils m’ont énervé, se souvient-il, mais j’ai essayé de ne pas le montrer. » Comme on pouvait s’y attendre, l’équipe était perplexe. « Je me suis dit que l’histoire devait être plus complexe que celle d’un milliardaire solitaire confiant la direction à un jeune homme inexpérimenté de 24 ans », m’a écrit un vétéran de Lonely Planet dans un courriel. « Mais à mon avis, c’est aussi dingue et stupide que cela en a l’air. »
Travel porn
Les plus grands bureaux de Lonely Planet se trouvent toujours à Melbourne, mais, de fait, son quartier général est désormais installé à Franklin, au Tennessee, une ville prospère de 65 000 habitants décrite par sa chambre de commerce comme étant située à la fois à « 22 kilomètres et à un siècle de Nashville ». En mars 2012, Kelley y a acheté un parc d’activités et a placé NC2 Media dans une ancienne usine de cuisinières de 1 100 mètres carrés. En octobre, deux mois avant d’entamer notre voyage en Nouvelle-Zélande, je suis allé visiter les locaux. Houghton m’a montré son magnifique bureau d’angle Restoration Hardware. La pièce, à la fois inspirée et méticuleusement organisée, présentait un agrégat de bois, de cuivre, d’écrans plasma et de meubles familiaux. « Nous avons passé beaucoup de temps à réunir tout cela », dit-il. Par « nous », il veut dire lui et son père : l’aîné Houghton a construit la cloison sèche lui-même.
Houghton est technophile. Il possède deux iPads (des deux tailles existantes), un iPhone 5S, un HTC One (débloqué), un Samsung Galaxy Note, une tablette Microsoft Surface et un MacBook Pro 13 pouces.
Aujourd’hui, le PDG porte une veste en jean, des desert boots, des pantalons Skinny Khaki, des lunettes Burberry, une ceinture à 4 200 dollars, une montre Ross (« un cadeau de moi-même »), et une tonne de gel capillaire. Il a récemment abandonné l’idée de se laisser pousser la barbe. Son bureau est immense, façonné dans un bois français vieux d’un siècle et comportant un emplacement dédié à son ordinateur ainsi qu’un étrange ornement : une buse en laiton. « C’est un bec de lance à incendie que Brad m’a donné », dit-il. « C’est une blague entre nous. Faire ce travail, c’est comme essayer de boire avec une lance à incendie. Le business est en perpétuel mouvement, chaque jour et dans plusieurs fuseaux horaires à la fois. » Quelques 400 courriels l’attendaient à son arrivée ce matin, à 5 h 30 : des messages provenant d’autres bureaux de Lonely Planet, à Melbourne, Londres, Pékin, Delhi, New York, Los Angeles et Oakland, en Californie. Son thermos de café lui permet de rester en forme. « Vous pourriez avancer que ce n’est pas le bon moment pour se lancer dans les affaires, dit-il. Mais je crois, au contraire, que le meilleur moment pour démarrer dans une industrie est celui où elle évolue complètement. » Qu’il ait appris cela à l’école, que Kelley lui ait dit ou qu’il ait eu une révélation durant les vingt-quatre derniers mois – « depuis les premiers jours », dit-il avec tout le sérieux du monde – ses mots surgissent avec une autorité surprenante. Houghton est technophile. Il possède deux iPads (des deux tailles existantes), un iPhone 5S, un HTC One (débloqué), un Samsung Galaxy Note, une tablette Microsoft Surface et un MacBook Pro 13 pouces. Il me montre son iPhone. « Regarde cette application fantastique », dit-il en parlant de Fitbit. « Elle indique combien de temps tu as dormi la nuit dernière. Là, j’ai dormi cinq heures et quarante-neuf minutes ! Et hier, j’ai fait 14 096 pas, ajoute-t-il. J’adore les apps. Notre défi est d’en créer une qui change la manière dont les gens voyagent. » Son assurance semble naturelle, si on fait abstraction du fait qu’il est soutenu par un bailleur milliardaire. Kelley n’a jamais imposé de budget à Houghton. Son principe fondamental, selon Houghton, se résume en ces termes : autant que nécessaire, mais le moins possible. « Il y a des décisions à un million de dollars que je peux prendre sans faire appel à lui », confie Houghton à propos de Kelley. « Et des décisions à 10 000 dollars pour lesquelles je requiers son avis. » Au téléphone avec Kelley, ils parlent des licenciements. En juillet dernier, quelques mois après que NC2 a mis la main sur l’entreprise, 75 des 383 employés à plein temps de Lonely Planet ont été licenciés. « Je me suis retrouvé devant un micro à Melbourne, là où la majorité des licenciements ont eu lieu, et je leur ai dit : “Aujourd’hui va être une journée vraiment difficile.” » Sur Internet, on s’est empressé d’écrire la nécrologie de Lonely Planet ; le hashtag #lpmemories décollait sur Twitter.
Parmi ces licenciés se trouve l’éditrice de longue date Suki Gear, accompagnée de son équipe de publication d’Oakland, composée de cinq personnes. « Nous savions tous qu’il y aurait une annonce », se souvient-elle. Un site de voyage appelé Skift avait répandu la nouvelle avant que Houghton ne se soit exprimé. « Nous avons ri et pleuré, dit-elle, comme dans les films. » Un grand nombre de personnes licenciées étaient, comme Gear, des éditeurs de livres. Houghton n’est pas un puriste de l’imprimé. « L’autre nuit, je me suis réveillé en pensant à la publication numérique », dit-il, arpentant son bureau. « Nous voulons et nous devons faire un magazine numérique. Lorsque j’entrevois des opportunités, mon instinct me pousse à les saisir. Arracher les pages d’un livre et les mettre dans un e-book : nous pouvons le faire, et c’est une excellente chose. Mais cela ne constitue pas un changement de paradigme. » Il s’interrompt. « Nous allons continuer à publier des livres. Nous pouvons changer les livres, les rendre meilleurs. Et les livres vont rester essentiels pour ceux qui aiment avoir les choses entre les mains. » Je lui demande ce que les recherches marketing disent de tout ça. « Je ne les ai pas vraiment consultées », dit-il en baissant le volume de sa voix, adoptant un ton de conspirateur. « Je ne suis pas vraiment les enquêtes marketing. Je décide avec mes tripes. » Le directeur de la section dédiée aux produits mobiles de Lonely Planet, Matthew McCroskey, 26 ans, frappe à la porte. Il ressemble à un jeune Steve Jobs : les lunettes, les cheveux, la barbe, le teint pâle. McCroskey dirigeait sa propre firme de conseil en marketing mobile à Nashville lorsque Houghton est tombé sur son site web et l’a embauché. Ils discutent d’une application de cartes postales, que Houghton appelle « un fruit mûr ». Utilisant des photos soumises par les lecteurs, l’application offrira un service de photos de voyage dans le style des cartes postales, pour être visionnées sur appareils intelligents. Houghton me montre quelques images sur son iPad et suggère des éléments de design à McCroskey. « On peut boucler cela d’ici une semaine, dit-il. Du travel porn, juste à temps pour Noël ! »
Le mennonite
On est loin des débuts tumultueux de Lonely Planet. Au début des années 1970, un jeune couple venu d’Angleterre et d’Irlande est parti à l’aventure. Ce voyage leur a inspiré un livre de conseils, un guide adressé à leurs amis. Intitulé Across Asia on the Cheap, l’ouvrage incluait les conseils standards prodigués aux voyageurs, mais Tony et Maureen Wheeler y ont ajouté des commentaires politiques et religieux, des conseils sur la drogue (« Roulez votre dernier joint avant d’arriver à la frontière iranienne »), et des conseils financiers à suivre en cas d’urgence (« Beaucoup d’établissements offrent un bon prix en échange de sang »). En 1973, l’ouvrage devient le premier texte de Lonely Planet. Le nom de la compagnie provient d’une erreur d’interprétation du texte de la chanson de Joe Cocker, « Space Captain », par Tony : « Once I was traveling across the sky/ This lovely planet caught my eye. » Lonely Planet dénichait ses premiers auteurs dans les bars.
Très vite, la firme a commencé à dominer le marché des guides touristiques au Royaume-Uni, en Australie, puis dans la majeure partie du monde. Lonely Planet a réussi à s’imposer, comme son ancienne PDG Judy Slatyer l’a déclaré, « en racontant les choses telles qu’elles sont, sans peur ni complaisance ». En 1999, la compagnie avait vendu 30 millions de guides. À cette époque, Lonely Planet cherchait à toucher une cible plus fortunée, et ses ouvrages se sons faits plus sages et intègres. Au sein de la compagnie, les auteurs appréciaient le partage des bénéfices et les bacchanales d’une semaine en Australie tous frais payés. Ces événements ont culminé lors d’un bal de Noël qui a eu lieu au bureau de Melbourne et où les auteurs ont été conduits en limousine. « Ces événements étaient réputés pour leurs scandales, leurs bagarres et leur atmosphère de débauche générale », raconte l’auteur de longue date et ancien éditeur Ryan Ver Berkmoes. « Le matin, on calmait notre gueule de bois en découvrant avec jubilation qui avait couché avec qui la nuit précédente. Complètement ridicule, mais très amusant à vivre. » Mais l’ambiance s’est dégradée après les tragiques événements du 11 septembre, car les gens se sont mis à voyager moins. L’industrie accusait le coup, et la montée en puissance de la publication numérique n’a pas amorti sa chute. Les profits de Lonely Planet ont drastiquement diminué de 2001 à 2007. Puis vint la récession. Entre 2007 et 2012, les profits générés par les ventes combinées des cinq plus importants éditeurs de guides ont chuté, passant de 125 à 79 millions de dollars. Les ressources en ligne comme TripAdvisor ou Wikitravel ont gagné du terrain tandis que Lonely Planet, Rough Guides, Frommer’s et les autres ont lutté pour poser le pied dans le monde numérique. Mais Lonely Planet a persévéré : ils ont créé un forum en ligne dédié aux voyageurs, « Thorn Tree », et ont poursuivi toutes les opportunités liées à la télévision et aux marchés émergents de l’Asie. Cependant, en 2008, les fêtes s’y étaient arrêtées et leurs livres avaient perdu plus encore de ce courage qui les caractérisait et constituait leur signature. « Ils écrivaient comme si le croquemitaine était tapi derrière chaque verbe », raconte Ver Berkmoes. « On n’avait pas le droit de dire d’une ville qu’elle était mauvaise. » « Nous aurions dû être plus agressifs et nous investir davantage dans la création d’un espace numérique au sein duquel les voyageurs pourraient se cultiver, interagir, écrire leurs propres guides », conclut Slatyer, PDG de Lonely Planet lors de son rachat par la BBC. Après le rachat de la compagnie des Wheeler par la chaîne, celle-ci a semble-t-il adopté une stratégie de surcoût et de sous-imagination. « La culture de la BBC est profondément conservatrice », explique Vivek Wagle, directeur d’édition pour plateformes numériques chez Lonely Planet de 2004 à 2011. « Il est difficile d’innover. » Tony Wheeler, qui regardait sa firme depuis le banc de touche, était de plus en plus inquiet. « Si je devais donner une unique explication qui me permette de dire “voilà-pourquoi-le-navire-a-sombré”, avoue-t-il, c’est la télévision. Lonely Planet a fait plus de télévision pendant les cinq années précédant son rachat par la BBC que lors des cinq années suivantes. »
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Lonely Planet n’était pas à vendre lorsque Kelley a approché la BBC pour la première fois, en avril 2012. Mais l’entreprise de télédiffusion lui a rapidement fait comprendre qu’elle aimerait être libérée du fardeau de son investissement. Alors pourquoi, si la firme semblait tant en difficulté, Kelley l’avait-il achetée ? Au début, il n’a pas répondu à la question lorsque je la lui ai posée par l’intermédiaire de Houghton. Kelley est réputé pour esquiver l’attention de la presse. Mais ceux qui le connaissent insistent sur le fait qu’il ne fait pas d’achats par vanité. Kelley, qui dit n’avoir jamais fumé, a fondé la firme de tabac Commonwealth Brands en 1991 avant de la vendre une décennie plus tard pour un milliard de dollars. Il possède également Calumet Farm, un producteur de chevaux pur-sang, ainsi qu’un parc d’activités dans le nord du Colorado, appelé le Centre pour l’innovation et la technologie.
Comme la plupart des gens, le père de Daniel se demande toujours pourquoi, exactement, son fils a reçu autant de pouvoir.
Houghton a préparé l’achat de Lonely Planet avec tout le soin nécessaire. Avant décembre 2012, il sentait qu’il allait avoir un rôle majeur dans ce rachat. Un mois plus tard, lui et Kelley étaient assis dans le bureau de Franklin. Kelley a dit : « Je dois te demander quelque chose d’important. As-tu besoin d’être aimé ? » Houghton a répondu : « Eh bien, oui, je veux être aimé. » « Ce n’est pas ce que je t’ai demandé », a dit Kelley. « Je n’ai pas besoin d’être aimé », a rétorqué Houghton. « Bien, a poursuivi Kelley. Avoir besoin d’être aimé pose des problèmes. À partir du moment où tu comprends cela, les choses vont devenir amusantes. » En se souvenant de cette conversation, Houghton me confie : « Je suis devenu le directeur à 24 ans et j’ai licencié beaucoup de monde. Ils pensent que je suis un idiot. Cela ne m’a pas rendu populaire. Brad m’a préparé à cela. Ce mec est un putain de génie. » Suite à des sollicitations répétées, Kelley a finalement consenti à répondre par écrit à une interview au sujet de l’engagement de Houghton. C’est Houghton qui l’a transmise, Kelley n’utilisant pas les courriels. C’est une des seules interviews du baron des terres de la décennie, et l’unique fois où il s’est exprimé librement à propos de Lonely Planet. Ses réponses totalisent 118 mots. Il a écrit : « Daniel a créé sa propre opportunité. Tandis que nous partageons certains traits, comme le dynamisme et la capacité d’adaptation, ses talents supérieurs d’organisation, combinés à ses talents personnels et communicationnels, lui ont donné une valeur inestimable dans cette affaire. » À propos de sa première rencontre avec Houghton, au Bowling Green, Kelley écrit : « C’était le destin. Tout s’est accordé pour provoquer un événement heureux. » Comme la plupart des gens, le père de Daniel se demande toujours pourquoi, exactement, son fils a reçu autant de pouvoir. Kelley lui a fourni un indice lorsqu’ils se sont rencontrés, un jour, aux quartiers généraux de NC2. « Est-ce que Daniel vous a raconté comment je l’ai appelé l’autre jour ? » a demandé Kelley, d’après le père de Dan. Le mécanicien de Delta a secoué la tête. « Eh bien, je lui ai dit qu’il me faisait penser à un mennonite. On trouve peu de jeunes gens aussi concentrés que lui sur le désir de devenir quelqu’un. »
L’humble serviteur
Tony Wheeler avait une routine qui voulait qu’il lève son ordinateur portable, son GPS et son téléphone mobile dans les airs en déclarant : « Voici le guide touristique du futur. » Puis il levait son PalmPilot et ajoutait : « Notre mission est de parvenir à le faire rentrer là-dedans. » La technologie nécessaire à cette réalisation existe, bien sûr, mais ni Lonely Planet ni aucun de ses concurrents n’ont la capacité de le faire pour l’instant. Personne ne sait vraiment à quoi le guide touristique du futur pourrait bien ressembler. Google a acheté la compagnie américaine Frommer en 2012 pour un prix rapporté à 23 millions de dollars, annonçant des plans pour mettre un terme à l’édition imprimée, puis a revendu la compagnie à son fondateur Arthur Frommer sans explication et pour un montant inconnu. Depuis, l’acte le plus important de l’éditeur a été de publier, l’hiver dernier, trente guides significativement plus petits que les précédents. La maison d’édition londonienne Rough Guides numérise actuellement la totalité de son catalogue de livres de voyage et acquiert leurs droits d’auteurs « pour un futur totalement flexible », selon l’éditeur Jo Kirby. Let’s Go et Fodor font plus ou moins la même chose. Mais ce sont des adaptations mineures.
« Ces jours-ci, je voyage autant avec des guides numériques qu’avec des guides imprimés, dit Wheeler, mais ils sont loin d’être parfaits. Souvent, il est beaucoup plus rapide de trouver quelque chose dans un livre que sur un iPad. Et les batteries ne tombent pas à plat. » Mais Houghton a-t-il les moyens de réinventer Lonely Planet ? « Si vous êtes sur le point d’innover, dit Wheeler, c’est une bonne idée que de le faire avec quelqu’un de différent. Vous ne voulez pas, bien entendu, d’un vieux briscard routinier – comme moi – aux commandes. Est-il le bon jeune de 25 ans ? Le jury est partagé, mais il m’a tout l’air d’être un bon gars. » Les bons gars font couler de l’encre. Certains observateurs sont sceptiques sur les compétences de Houghton quant à la direction d’un groupe multinational. Un ancien éditeur, victime des licenciements et ne voulant pas être nommé car travaillant toujours en freelance pour la compagnie, m’a confié : « L’âge de Houghton n’est pas un problème, ce n’est pas le cas de son manque d’expérience. Avant d’avoir été nommé à ce poste, Daniel n’a jamais dirigé la moindre compagnie, quelle que soit sa taille, et il n’a que quelques années d’expérience dans le simple fait de faire partie de la population active. Kelley lui-même n’a jamais dirigé aucune firme productrice de contenu, ni même une compagnie globale avant cela. Il n’y a eu aucune articulation de stratégie future autre que des phrases vagues et vides du genre “le numérique d’abord”. » Suki Gear, ancienne directrice du bureau d’Oakland, craint que Lonely Planet ne se transforme en TripAdvisor : un service gratuit et peu fiable, dont le contenu est alimenté par les utilisateurs. « J’espère qu’ils vont garder les auteurs, dit-elle. Ils sont une mine d’or. S’ils n’utilisent plus que du contenu généré par les utilisateurs, c’est foutu. »
Une partie de ces « producteurs de contenu » va être payée. Mais la plupart ne le seront pas.
Cependant, d’autres pensent que la compagnie ne survivra que s’ils laissent totalement tomber les livres. L’année dernière, à la conférence All Things Digital à Rancho Palos Verdes, en Californie, le co-fondateur de Myspace Chris DeWolfe s’est approché de Houghton et lui a demandé : « Êtes-vous le jeune homme qui dirige Lonely Planet ? » Selon Houghton, DeWolfe lui a dit que la compagnie n’aurait aucun succès si elle ne déménageait pas à la Silicon Valley. « J’ai beaucoup de respect pour lui », déclare Houghton à propos de DeWolfe, « mais lorsqu’il a dit cela, j’étais encore plus excité à l’idée de réussir. Chacun a le droit d’avoir son opinion. Mais cela me frustre vraiment quand les gens disent des choses qui ne sont pas vraies. Ils continuent à clamer que nous quittons l’industrie de la production de contenu. Je suis genre : “Quoi ? Mais ce n’est absolument pas vrai !” » Un jour, dans son bureau, Houghton m’en a révélé davantage sur sa stratégie de production de contenu. Sur un bout de papier, il a dessiné une pyramide découpée par quatre lignes horizontales. Dans la partie du haut, il écrit « les auteurs ». « Ils ne sont pas nombreux, a-t-il dit, mais ils sont vraiment cruciaux. » La partie suivante était appelée « résidents », suivie par des catégories plus vagues, qui semblaient se chevaucher : freelance, super fans et communauté web. Une partie de ces « producteurs de contenu » va être payée. Mais la plupart ne le seront pas. « Ce n’est pas parfait, admet-il. Mais le système qui consiste à envoyer un auteur pour écrire sur un vaste endroit est désuet. Pour rester pertinents, nous devons être capables de livrer beaucoup plus d’informations, et ce plus rapidement. Nous voulons le contenu le plus récent, en temps réel. » Cela signifie avoir des applications. Les applis de Lonely Planet ont été téléchargées 11 millions de fois, à peu près autant que celle de Yelp. Houghton ne commente pas les bénéfices de la compagnie depuis qu’il en a pris la tête, mais il explique qu’aujourd’hui le numérique représente 30 % des revenus de Lonely Planet. En novembre, Lonely Planet a racheté TouristEye, une application qui permet de planifier son voyage et de découvrir des choses à faire lorsqu’on est sur place. C’était un accord à six chiffres qui ne concernait pas seulement une application sympathique. Houghton était plus excité par le fait de recruter le talent créatif qu’il y avait derrière, pensant que les gens qui avaient donné corps à cette idée pourraient l’aider à répondre à ce que lui et son équipe considèrent comme une énigme à un milliard de dollars. « Pouvez-vous dire à un voyageur ce qu’il devrait faire, là, maintenant ? demande McCroskey. Cela selon l’heure, le lieu, la météo et un million d’autres facteurs ? Beaucoup de gens ont évolué dans cette direction, mais ils se sont retrouvés face à un mur parce qu’ils ne disposaient pas d’assez d’informations. Eh bien nous, des informations, nous en avons des tonnes : tout le contenu historique de Lonely Planet. Et actuellement, nous fabriquons une technologie purement géniale qui va nous permettre d’analyser ce contenu et de comprendre comment l’utiliser. » Puis McCroskey offre un exemple concret de comment le système va fonctionner : « Vous êtes à Rome, devant le Colisée. C’est un jeudi, il est 15 h, en plein été. Vous allumez votre téléphone, et il vous dit : « Salut, content que le Colisée vous ait plu, qui se trouvait sur l’itinéraire que nous vous avons aidé à planifier. Nous savons que vous adorez le café. C’est l’heure du cappuccino ! Le meilleur endroit pour prendre un cappuccino à Rome se situe à quelques centaines de mètres d’ici. Voici comment vous y rendre à pieds. Et pendant que vous marchez, un petit conseil : En Italie, ne commandez pas un cappuccino l’après-midi ; ils n’en boivent qu’au petit-déjeuner et ils vont vous prendre pour un Américain débile. Vous devriez prendre un macchiato. Et voici comment vous devez le commander. » « Si j’étais vous, poursuit McCroskey, je tiendrais compte du fait que nous ne savons pas comment faire cela. Ce n’est pas encore là, c’est compliqué à réaliser, et je ne donnerai pas de date de sortie. Mais nous avons avec nous l’équipe parfaite pour rendre cela possible. Et grâce à Daniel, elle continue de s’agrandir. »
Un matin à Franklin, tandis que je marche dans les bureaux de Lonely Planet, Houghton reconduit à la porte un homme à l’air sérieux, nommé Joe Bochenek. Lorsque Houghton réapparaît, il explique : « Mec, c’est un physicien des particules. Il a aidé à découvrir la particule de Dieu ! Et il vient juste de m’expliquer pourquoi le voyage dans le temps est impossible. » Cet homme, qui a effectivement contribué à la découverte du boson de Higgs, vient tout juste d’accepter une offre pour devenir scientifique des données de Lonely Planet. Son rôle est d’analyser les vastes réserves de données de voyage, et d’aider l’équipe de McCroskey à catégoriser les clients. On est loin de l’époque où Lonely Planet recrutait dans les bars.
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Personnellement, je ne suis pas certain que je remettrais entre les mains d’un jeune homme de 25 ans une compagnie qui valait, il y a six ans, le quart d’un milliard de dollars. Mais si je devais le faire, ce serait certainement à quelqu’un comme Houghton : énergique, optimiste, charismatique, fétichiste de la technologie et doté d’une bonne dose d’humilité. « Zuck », me dit Houghton, faisant référence au Marc Zuckerberg de Facebook, « a une carte qui dit : “Je suis le PDG, pétasse.” Je suis à l’opposé de ça. » Houghton préfère ne pas utiliser de titres du tout. Pendant la semaine que nous avons passée en Nouvelle-Zélande, il s’est donné beaucoup de mal pour éviter de parler de son travail. Si on le lui demande, il se limite à : « Je travaille pour Lonely Planet. » Houghton exprime rarement sa peur. Lors de notre descente en rafting sur la rivière de classe IV Shotover, il pagaye avec le zèle d’un capitaine Achab paré d’une GoPro. À Queenstown, capitale mondiale de l’adrénaline, il veut essayer un truc effrayant appelé la balançoire en baldaquin (il s’agit en fait d’un saut en chute libre depuis le flanc d’une falaise, attaché à une corde qui nous balance vers l’extérieur au lieu de nous faire chuter directement vers le bas). Malgré mes profondes réserves, il me convainc de sauter avec lui. Heureusement, l’attraction est fermée lorsque nous arrivons… Nous nous dirigeons alors vers Fergburger, un restaurant de burgers à Queenstown. Ultra-branchée, cette boîte a gagné sa renommée en partie grâce à la recommandation de Lonely Planet. Puis nous voilà de retour à notre hôtel où nous nous asseyons dans le patio et buvons ; de l’eau pour moi, du vin pour lui. Houghton passe un coup de téléphone, espérant fermer davantage de locaux à Londres. Pendant l’appel, il rit beaucoup. « Nous avons une équipe géniale », dit-il sincèrement après avoir raccroché. Je ne peux m’empêcher de hocher la tête lorsque, quelques moments plus tard, il déclame l’une de ses redondantes maximes destinées à retrouver de la motivation, sans raison particulière : « Le voyage est une force, et pour longtemps. »
Après dîner, le gosse s’assied, met son casque, et code. Même le jour de son 21e anniversaire, une bière chaude posée à côté de lui, il code.
Quelques jours plus tard, nous mettons ce mantra en pratique sur la Routeburn Track, une des pistes de randonnées les plus populaires du monde. Ce périple, s’étalant sur trois jours, est très fréquenté bien qu’il soit situé dans un lieu reculé. Les gens y marchent en petits groupes, péniblement, mais toujours avec le sourire. Notre groupe est constitué d’une quinzaine de personnes, dont un producteur de télévision new-yorkais, un avocat du Colorado, et un professeur de biologie du Massachusetts. Un jour, nous déjeunons dans une hutte, accompagnés d’un jeune couple belge qui n’a pas hésité à exprimer son amour pour les livres de la compagnie. Lorsque Houghton se lève pour remplir sa tasse de café, je ne peux m’empêcher de leur livrer son secret. « — C’est auteur ? demande l’homme. —Non, dis-je. C’est le PDG. » Le teint de la femme vire au rouge et elle réajuste sa coiffure. Lorsque Houghton revient, l’homme adopte un ton avide, proposant son frère comme candidat pour un job d’auteur. Houghton, rompu à ce type de situations, suggère patiemment à l’homme de dire à son frère d’envoyer un courriel à quelqu’un de la compagnie. « Ils lisent chaque message, dit-il. Je vous le promets. » Le membre le plus silencieux du groupe est un lycéen du Colorado accompagné de son MacBook. Après dîner, dans le gîte qui nous accueille chaque nuit, le gosse s’assied, met son casque, et code. Même le jour de son 21e anniversaire, une bière chaude posée à côté de lui, il code. Il travaille sur une application, la troisième ou la quatrième qu’il développe. Lui et Houghton se rencontrent sur les applis et leur mépris mutuel pour Zuckerberg. « — Je me suis désinscrit de Facebook il y a des années, confesse Houghton. — Ouais, c’est vraiment pour les vieux maintenant, dit le gamin. Nos parents sont dessus. Ce n’est plus le futur. » Finalement, le gamin décrit l’application qu’il a codée : un outil de diffusion sociale semblable à Twitter. Mais Houghton est impressionné par son ambition et son éthique de travail. « Tu sais, me dit plus tard Houghton, si on lui donne la bonne opportunité, il pourrait finir par créer des choses géniales. »
Traduit de l’anglais par Jules-Michel Rodrigues d’après l’article « Young Man in a Hurry », paru dans le magazine Outside. Couverture : Un hélicoptère volant à haute altitude.