Le vampire d’Hollywood
Quand il n’est pas en tournée, on peut trouver Lemmy Kilmister presque tous les soirs au Rainbow Bar & Grill, à West Hollywood. Situé au cœur du Sunset Strip, le Rainbow est un club pour rock stars bien trempées depuis son ouverture, au début des années 1970. Quand Lemmy a quitté son Angleterre natale pour s’installer à L.A. en 1990, son seul critère pour trouver un endroit où crécher était sa proximité du Rainbow – ses seuls amis en ville y travaillaient ou traînaient là-bas – et il vit encore aujourd’hui dans le même appartement modeste, à quelques pâtés de maisons du bar. Lemmy est le chanteur du groupe Motörhead, et l’une des plus grandes figures du metal de tous les temps.
« Les gens me demandent souvent : “Qui est le roi du heavy metal ?” » dit Ozzy Osbourne. « Bah c’est Lemmy, sans aucun doute. Pour moi, Lemmy est l’essence même de ce qu’est une rock star. » En cet après-midi du mois d’août, Lemmy se prépare un verre de bourbon-coca sur le bar du Rainbow, désert à l’étage. Il est 15 heures. Tout l’après-midi, un assistant amènera un nouveau cocktail à Lemmy aussitôt son verre vide – à certains moments, Lemmy en aura deux entamés, qu’il mélangera quand le niveau le permet. Dans un documentaire de la BBC sorti en 2005, intitulé Motörhead: Live Fast Die Old, Lemmy, qu’on voit se servir un verre de Jack Daniel’s, estimait sa consommation à une bouteille par jour. Ozzy se rappelle avoir rendu visite à Lemmy dans son appartement il y a des années de ça pour lui emprunter un livre sur la Seconde Guerre mondiale. Pendant qu’il était là-bas, il a remarqué deux bouteilles de bourbon vides sur le rebord de la fenêtre mais n’y a pas prêté particulièrement attention. Lorsqu’il est venu lui rendre le bouquin une semaine plus tard, le nombre de bouteilles sur le rebord était passé à cinq ou six. « Je lui ai demandé : “Lemmy, tu fais quoi ? Tu collectionnes les bouteilles de bourbon ? » se souvient Ozzy. « Il m’a répondu qu’il avait appris qu’il existait 138 sortes de bourbons différents aux États-Unis, et qu’il avait décidé de boire une bouteille de chaque. Putain de merde. Et il y est arrivé ! » Ozzy fait une pause, avant de reprendre d’une voix basse où perce l’étonnement : « Je sais pas comment le mec tient encore debout. » Bien qu’il soit âgé de 63 ans, vous pourriez prendre une photo de Lemmy aujourd’hui et l’accrocher sur un des murs encombrés du Rainbow, à côté d’autres photos de lui plus jeune – portant un chapeau de motard, son bras passé autour d’une nana gothique, ou pointant un flingue sur l’objectif : le visiteur aura du mal à dater les différentes époques. Les tendances musicales et vestimentaires vont et viennent, mais Lemmy reste exactement le même.
Cet après-midi, comme, j’imagine, c’est le cas tous les après-midis depuis les trente dernières années, Lemmy est habillé comme un Hell’s Angel slash amateur de surplus militaire slash videur de boîte de nuit fétichiste. Son pantalon est noir et serré, rentré dans ses bottes de cuir noir aux parements blancs sophistiqués. Il porte une chemise de cow-boy, noire elle aussi, par-dessus laquelle il a enfilé une veste vaguement militaire, noire toujours, décorée d’insignes variés et d’un brassard Motörhead noir. Son chapeau (noir), flanqué d’une paire d’épées croisées sur le devant, évoque celui d’un général de la guerre de Sécession. Un bolo vient compléter le tableau. Il arbore toujours la même moustache en fer à cheval et ses cheveux, couchés sur ses épaules, sont eux aussi teints en noir. Enfin, il n’a pas cédé aux pressions des dermatologues de sa ville d’adoption, qui tentent de le persuader de faire retirer la paire de verrues géantes de sa joue gauche. Lemmy désigne de la tête une plaque peinte à la main accrochée au mur. Elle dit : « Antre des vampires d’Hollywood ». Dans les seventies, le bar de l’étage du Rainbow était un club secret dans lequel on croisait régulièrement John Lennon, Harry Nilsson, Keith Moon et les autres fêtards légendaires de l’époque. Leurs noms sont tous gravés sur la plaque. « L’endroit est chargé d’histoire », dit Lemmy d’une voix bourrue, matinée d’un accent british des Midlands. L’ascension des escaliers a quelque peu entamé son souffle, mais cela ne l’empêche pas de sortir aussi sec une cigarette d’un paquet de Marlboro. Il les fumera à la chaîne pendant les prochaines heures. Pendant la période « Lost Week-end » de Lennon, entre 1973 et 1975, quand lui et Nilsson faisaient la teuf sans discontinuer dans cette pièce, Lemmy jouait encore avec le groupe anglais Hawkwind, des pionniers de l’acid-rock. « Les gens avaient l’habitude de dire que le LSD ne marchait pas si on le prenait deux jours de suite », me raconte-t-il. « On a découvert que si on doublait la dose, ça marchait très bien. » Il a formé Motörhead en 1975, après avoir été exclu de Hawkwind parce qu’il prenait trop de drogue. (Ou plutôt, parce qu’il prenait trop de la mauvaise drogue : le speed.)
Et le voilà aujourd’hui, le dernier des vampires d’Hollywood, du moins le dernier de son époque. Il joue toujours la même musique, et sa vie est toujours aussi déglinguée, comme un de ces soldats japonais coincés sur une île déserte, qui n’ont jamais su que la guerre était terminée et qu’il était temps de rentrer au bercail. Motörhead est au metal ce que les Ramones (qui se sont formés un an plus tôt) étaient au punk : l’expression la plus primaire du genre. Le nom du groupe est tiré de l’argot biker et signifie « fou de vitesse ». Leurs chansons, dépouillées et jouées à un rythme périlleux, sonnent toutes comme si leur ingrédient secret était préparé dans un labo de meth. Lemmy, qui joue aussi de la basse, arbore une Croix de fer et une barbe intimidante. Sur scène, il fait pendre son micro bien au-dessus de sa tête, ce qui fait qu’il chante en regardant le plafond et non le public, comme s’il déclamait une prière enragée ou qu’il crachait ses paroles à la face d’un type bien plus grand que lui. Ses morceaux portent des titres aberrants qu’aucun être humain normal ne pourrait scander avec sincérité (« Love Me Like a Reptile », « Killed by Death »), mais Lemmy n’est pas un être humain normal, et la voix qu’il prend quand il chante, qui ressemble à celle d’un homme qui n’aurait pas totalement récupéré d’une grave trachéotomie, donne aux paroles l’âpreté dont elles ont besoin. À l’instar des Ramones, le groupe a réalisé très tôt qu’il y a très peu de place (ou de besoin) pour la variété quand on a trouvé la recette du morceau parfait. C’est pourquoi Motörhead a passé les trois dernières décennies à travailler sur des variations d’un registre extrêmement restreint et incroyablement puissant. Lors d’un concert en plein air dans la ville natale de Lemmy, Stoke-on-Trent, en 1981, le groupe a joué sur une scène entièrement faite d’enceintes – 117 000 watts ! Un homme vivant à plus de six kilomètres de là a appelé pendant les balances pour se plaindre du fait qu’il n’entendait pas sa télévision. Tous ces éléments se combinent parfaitement dans l’hymne mythique du groupe écrit en 1980, « Ace of Spades », avec son rythme proto-speed-metal et assez de métaphores burnées dans les lyrics pour faire douter Kenny Rogers de sa virilité. Lorsque la musique s’interrompt à une minute et 20 secondes de la chanson (qui totalise deux minutes et 40 secondes), et que Lemmy chante : You know I’m born to lose/And gambling’s for fools/But that’s the way I like it, baby/I don’t wanna live forever (« Tu sais que je suis né perdant/Et que jouer c’est pour les cons/Mais c’est comme ça que j’aime ça, bébé/Je ne veux pas vivre pour toujours »), on atteint des sommets et d’aucuns considèrent qu’il s’agit de la plus grande chanson de metal de tous les temps. Si « Ace of Spades » était l’unique contribution de Lemmy à la musique, ce serait bien assez. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Né en Angleterre en 1945, Lemmy était là, comme un Zelig du rock’n’roll, à un grand nombre de points chauds de l’histoire du rock. Il traînait au Cavern Club pendant que les Beatles y étaient en résidence, il a travaillé comme roadie pour Jimi Hendrix et a passé quatre ans au sein de Hawkwind, l’un des groupes les plus trempés dans l’acide de l’ère psychédélique. Quand le punk anglais a explosé, Lemmy était là pour donner des cours de basse à Sid Vicious. Quelques années plus tard, Motörhead faisait la première partie d’Ozzy Osbourne pour la tournée Blizzard of Ozz, l’une des plus célèbres tournées metal de l’histoire. (Dans son autobiographie parue en 2002, subtilement intitulée White Line Fever, Lemmy se souvient des fans qui jetaient des grenouille, des serpents à sonnette vivants ou des colombes aux ailes brisées, et même la tête d’une biche sur scène durant le concert d’Ozzy.) Depuis ce temps-là, des musiciens plus jeunes comme Dave Grohl ou Jarvis Cocker, de Pulp, ont chanté les louanges de Lemmy. Les membres de Metallica sont tellement fans de lui qu’en 1995, ils ont joué aux 50 ans de Lemmy comme groupe de reprises de Motörhead. « J’ai toujours été un grand fan des méchants de la musique, de Gene Vincent à Keith Richards en passant par Joe Perry, et je ne pense pas qu’un seul de ces types arrive à la cheville de Lemmy », affirme Slash. « La première fois que j’ai vu Motörhead, c’était durant la tournée Blizzard of Ozz. Je le jure devant Dieu, c’était le truc le plus puissant que j’avais jamais entendu. Leur son était taillé pour vous arracher la tête ! Et le set qu’ils jouent aujourd’hui sur scène est le même qu’à l’époque – pas en terme de choix des morceaux, mais en terme d’intensité, ils enchaînent les chansons comme les wagons d’un putain de train de marchandises. » « Y en a pas deux comme Lemmy, croyez-moi », ajoute Osbourne. « À l’époque, j’étais un sauvage, mais Lemmy ? Sur la tournée Blizzard of Ozz, il avait juste un sachet avec trois livres et un carnet. Pas de fringues de rechange. Dans sa valise, il y avait sept bouteilles de bourbon, huit bouteilles de vodka, deux bouteilles de jus d’orange et rien d’autre ! Et je l’ai jamais vu tomber ivre mort, jamais. Il n’est pas dégueu et obèse, il n’a jamais l’air d’avoir la gueule de bois comme un macchabée. Il est juste inhumain. » J’interroge Lemmy au sujet de sa consommation de drogue actuelle. Il secoue la tête et répond : « Je parlerai seulement d’avant. » Je lui demande s’il peut boire avant un concert. Il répond que oui, mais qu’il sait toujours ce qu’il fait. Puis il me raconte l’histoire d’un concert de Hawkwind, dans l’Ohio, où le groupe a pris deux fois du PCP dans la même soirée, et comment une fois sur scène, il n’a pas immédiatement compris ce qu’était sa guitare et ce qu’il était censé faire avec. Ils sont arrivés au bout du concert, malgré tout. Il ricane et beugle : « Helllooo, Cleveland ! » Après quoi il raconte qu’un jour il a testé l’ecstasy, deux capsules entières, mais que rien ne s’est passé. « Je dois être immunisé », dit-il. « Ça m’a toujours paru débile, tous ces gens qui se font des câlins. » Lemmy fait tomber les cendres de sa cigarette sur le sol et poursuit : « Je suis profondément convaincu que dans la vie, on a le choix : on peut faire ce qu’on est supposé faire ou ce qu’on a à faire. Et ce que vous avez à faire, ça peut être plein de choses, n’est-ce pas ? Si vous vous mariez et que vous avez deux enfants arrivé à 19 ans, alors c’est ce que vous avez à faire – vous êtes coincé. » Lemmy n’a jamais été marié – il n’a jamais eu de relation de plus de cinq ans. Il n’a jamais connu ses deux enfants et il vit seul jusqu’à ce jour. « La façon dont vous menez votre vie vous appartient », continue Lemmy. « Je veux dire, pour ma part j’ai loupé le truc des relations humaines. Mais si je me fie aux relations humaines que j’ai pu observer sur le chemin, j’ai pas l’impression d’avoir loupé grand-chose. » Il rit doucement et avale une gorgée de son verre. « C’est comme ça que je vis, tu vois ? » dit-il. « C’est ce que je suis supposé faire. »
Speed
Né Ian Fraser Kilmister, Lemmy n’a pas eu une enfance facile. Son père, aumônier de la Royal Air Force, a rencontré sa mère, qui était bibliothécaire, durant la Seconde Guerre mondiale, mais l’a quittée trois mois après la naissance de Lemmy. Lemmy n’a rencontré son père qu’une fois, lorsqu’il avait 25 ans. Au sujet de sa mort dans White Line Fever, Lemmy écrit : « Les gens ne deviennent pas meilleurs lorsqu’ils sont morts ; on parle juste d’eux comme si c’était le cas. Mais ce n’est pas vrai ! Les gens restent des trouducs, ce sont juste des trouducs morts ! » Quand Lemmy avait 10 ans, sa mère s’est remariée et la famille a abandonné le centre de l’Angleterre pour une station balnéaire du Pays de Galles, où son beau-père travaillait dans une usine de machines à laver. Dans sa nouvelle école, raconte Lemmy, « il y avait 700 enfants gallois et un seul gosse anglais, moi. Il y avait beaucoup de ressentiment envers les Anglais au Pays de Galles, à l’époque. » Les autres enfants se moquaient de Lemmy pour son accent, et lui ont donné son surnom. « Je crois que c’est une insulte galloise », dit-il. « Je n’ai jamais compris, mais c’est resté. » C’est à cette époque qu’il a commencé à écouter les premiers enregistrements de rock’n’roll – Buddy Holly, Tommy Steele (le Elvis anglais), Eddie Cochran –, et il a vite commencé à s’amuser avec la vieille guitare hawaïenne de sa mère. Au début des années 1960, il a quitté la maison et pour écumer l’Angleterre en faisant du stop. « Nous étions comme des hippies avant qu’ils ne s’appellent des hippies », me dit Lemmy. « Bob Dylan venait de sortir, et on s’entraînait tous à jouer ses chansons à la guitare. » Lemmy a atterri à Liverpool pile au moment où les Beatles débutaient leur résidence au Cavern Club. Dans White Line Fever, il souligne avec admiration que les Beatles travaillaient dur et qu’ils venaient des quartiers difficiles de Liverpool. « Ringo venait du Dingle », écrit-il, « c’est l’équivalent du Bronx. » Lemmy jouait dans des groupes variés depuis le Pays de Galles, il faisait des reprises de tout le monde, de Ricky Nelson aux Ventures en passant par Chuck Berry. « Pour un temps, j’ai un peu dealé de la dope », confie-t-il. En 1967, il a posé ses valises à Londres, où il a appelé son seul ami en ville, un roadie de Jimi Hendrix qui partageait un appart avec le bassiste de Hendrix, Noel Redding. Lemmy a demandé s’il pouvait pioncer sur le sol de leur piaule, et trois semaines plus tard il bossait comme roadie pour Hendrix lui aussi. Les concerts ont duré près d’un an. Lemmy était au bas de l’échelle des roadies, il ne faisait que transporter l’équipement. « Si vous pouviez poser la question à Hendrix aujourd’hui, je ne pense qu’il se souviendrait de moi », dit Lemmy. Malgré ça, tous les soirs, Lemmy prenait une chaise et s’asseyait dans le coin de la scène pour regarder Hendrix jouer. « Ça ne servait à rien d’espérer apprendre quelque chose de lui », dit-il. « Impossible de dire comment il faisait tout ça. C’était de la magie. »
Pendant ce temps, Swinging London était en passe de devenir la capitale culturelle du monde. « Tous les gens que je connaissais prenaient de l’acide », se souvient Lemmy. « Tout le monde. Quand vous entriez dans un bar à l’époque, vous tombiez sur Brian Jones, Hendrix, deux gars des Beatles, ils passaient le temps. On a été le centre de l’univers pendant environ trois ans. » En 1971, Lemmy a pris du speed sans interruption pendant trois semaines avec un membre de Hawkwind, un groupe psyché de Londres à l’avant-garde de scène space rock londonienne naissante, dont les plus éminents représentants sont Pink Floyd. Hawkwind passerait à la postérité pour leurs concerts sous prods de trois heures saturés de jeux de lumière intenses, d’imagerie tirée de la science-fiction et de morceaux comme « The Psychedelic Warlords (Disappear in Smoke) ». Le groupe a très probablement été l’une des inspirations de Spinal Tap : ils ont joué à Stonehenge plusieurs fois, et la ressemblance entre le bassiste de Tap Derek Smalls et Lemmy est frappante. Ce dernier est devenu le bassiste de Hawkwind en août 1971. « Tous les groupes qui utilisaient des effets spéciaux ont eu un impact sur Spinal Tap », admet Lemmy. « Plus vous essayez de faire des concerts élaborés, plus vous avez de chance de passer pour des cons. » Mais Lemmy insiste sur le fait qu’il y avait une grande différence entre Hawkwind et les groupes « mignons » comme Pink Floyd. « On n’était pas un groupe de rêveurs perchés », dit-il. « On était un putain de cauchemar. On fermait à clé les portes de la salle pour que les gens ne puissent pas sortir. » Durant le concert, la groupe avait cinq stroboscopes pointés sur le public plutôt que sur scène. Lemmy raconte que les membres du groupe jetaient de l’acide à la foule avec un compte-gouttes. Ils relevaient également les boissons des gens dans le public avec du LSD. En voyant sur mon visage quelque chose qui doit ressembler à un dilemme moral, Lemmy ricane et ajoute : « Je n’ai pas le souvenir que quiconque s’en soit plaint. » Au final, c’est l’amour de Lemmy pour le speed qui a fini par le faire éjecter de Hawkwind.
En 1975, pendant leur tournée nord-américaine, Lemmy s’est fait coffrer pour possession d’amphétamines alors qu’ils traversaient Detroit pour rejoindre le Canada. « Lemmy était défoncé depuis deux jours », se rappelle Dave Brock, le chanteur de Hawkwind. « Il prenait des tonnes de speed et ne dormait plus pendant des jours. Le reste d’entre nous, on lui gueulait tout le temps de la fermer. Ce jour-là, à la douane, il était endormi et ils ont vu ce type avec les cheveux longs, qui bavait, alors évidemment ils l’ont fouillé et ils ont trouvé sa poudre. » Peu de temps après, Lemmy s’est vu relevé de ses fonctions. « C’était le groupe le plus cosmique de la planète ! » assure Lemmy, qui a toujours l’air de ne pas en revenir. « Mais il y avait une hiérarchie terrible dans les drogues à l’époque. Le speed était peut-être trop prolo, trop col bleu. »
Toujours en vie
De retour en Angleterre, Lemmy a piqué en douce l’équipement qu’il utilisait à l’endroit où le groupe stockait son matos. Quelques semaines plus tard, il avait peint ses amplis aux couleurs psychédéliques en noir et formé Motörhead. Au départ, il voulait appeler le groupe Bastard, mais son manager l’en a dissuadé, il a donc utilisé le titre de la dernière chanson qu’il avait écrite pour Hawkwind. Dans les paroles, il admet : « Je devrais être crevé, mais au lieu de ça je suis déchiré », avant d’ajouter génialement, « Je ne m’étais pas senti aussi bien depuis une heure ! » Le groupe était un power trio, conçu par Lemmy comme un mélange de Hawkwind, MC5 et Little Richard – Lemmy dit que Richard « a la meilleure voix rock’n’roll que j’ai jamais entendue, pleine de joie, de joie féroce ». Malgré leurs cheveux longs, Motörhead a rapidement été adopté par la scène punk anglaise naissante. Lemmy se souvient être entré dans le Roxy, un club punk, pour prendre la température de l’endroit. « J’étais assis au bar avec mes lunettes de soleil, à me faire regarder de travers, quand j’ai entendu une voix derrière moi dire : “Je vendais de l’acide à tes concerts !” » C’était Johnny Rotten. « Je me souvenais de lui », dit Lemmy. « Il avait des longs cheveux roux avant ça. » Lemmy jouait parfois avec les Damned, et avant que Sid Vicious ne rejoigne les Sex Pistols, il est tombé sur Lemmy dans un club et lui a demandé de lui donner des cours de basse. « Ben, j’ai essayé », raconte Lemmy. « Mais il n’avait pas la fibre artistique pour ça. Il avait déjà de la chance de tenir debout. » Pendant une période de deux ans qui a débuté en 1979, Motörhead a sorti un quatuor d’albums spectaculaire, qui sont tous devenus des classiques du metal : Overkill, Bomber, Ace of Spades et le live No Sleep ‘til Hammersmith, qui a figuré en tête des charts anglais en 1981. Un morceau de Motörhead est en gros un morceau de punk passé dans une broyeuse, et tout comme la drogue qui leur sert de moteur (le speed), ils ont une fonction utilitaire et brutale. « Overkill » parle de musique puissante. « (We Are) The Road Crew » parle des roadies. Et « Jailbait » parle des injustices qui adviennent inévitablement quand le gouvernement fait muter l’incarcération en complexes carcéro-industriels massifs, avec un besoin maladif de profit. Je plaisante pour le dernier, mais vous saisissez l’idée. Le premier hit du groupe, en 1978, était une reprise de « Louie Louie », l’Ave Maria des tubes rock beaux et cons à la fois, tellement que Lemmy aurait pu écrire la chanson lui-même si elle n’existait pas déjà. Au début des années 1980, quand les compatriotes métalleux de Lemmy – Iron Maiden, Judas Priest, Ozzy en solo – ont commencé à tourner à travers les États-Unis, Motörhead restait un groupe culte. Motörhead – là encore comme les Ramones – avait une influence énorme sans pour autant vendre beaucoup de disques. L’album le plus récent du groupe, Motörizer, sorti en 2008 (trois autres albums ont vu le jour depuis, dont le 22e et dernier, Bad Magic, est sorti fin août 2015, ndt), a fait son plus gros score dans les bacs américains, se glissant à la 82e place du top 100 de Billboard. « En avant et toujours plus haut », marmonne Lemmy. Le plus gros carton de Lemmy dans son pays natal s’est avéré être une chanson qu’il avait écrite pour Ozzy, la ballade de 1991 « Mama, I’m Coming Home ».
L’année suivante, Ozzy a tenté de lui rendre la pareille en rejoignant Lemmy sur le morceau de Motörhead « I Ain’t No Nice Guy ». Une autre ballade en puissance, et regarder le clip provoque un curieux sentiment, pas seulement parce que c’est mauvais – même si nous sommes en 1992, Ozzy porte une veste à la Miami Vice, et lui et Lemmy déclament des paroles poussives comme : « Quand j’étais jeune, j’étais le seul player de la ville » en étant assis sur des trônes –, mais parce qu’il est étrange de voir Lemmy essayer si dur de coller à la mode de l’époque et de faire un tube. La chanson, sans surprise, a fait un flop. À en croire Lemmy, c’est la faute d’Epic, le label de Motörhead de l’époque, qui n’en a pas fait la promotion correctement. Mais la vérité, c’est que lorsque Lemmy chante : « Je pensais que je vivais ma vie de la seule façon possible/Mais j’ai pris conscience que la vie était plus qu’une suite de jours/Je me suis retourné, j’ai lu ce qui était écrit sur le mur », on n’y croit pas, tout simplement. Car plus qu’aucune autre rock star de son âge, il a continué à vivre sa vie exactement de la même manière. S’il a jamais ressenti le moindre sentiment de solitude ou de regret dont il parle dans la chanson, c’est bien l’unique fois où il en a fait mention publiquement. Même les gens les plus proches de Lemmy ne semblent pas apercevoir souvent l’homme qui se cache derrière l’uniforme. Ozzy, qui dit de Lemmy qu’il est « un bon ami à moi », marque un temps de pause lorsque je lui demande si Lemmy a jamais eu l’air de regretter le fait de n’avoir pas fondé de famille ou de s’être posé d’une manière ou d’une autre. « Il a un fils, je crois », répond-il après un moment. « Il m’a montré sa photo. Mais il ne parle jamais de ces choses. »
Quand Lemmy a été hospitalisé en 2000 – on lui a diagnostiqué un diabète de type 2 –, Ozzy lui a passé un coup de fil. Il raconte que Lemmy semblait surpris de recevoir un appel de quelqu’un. Lemmy me confie qu’il a failli se marier, une fois, lorsqu’il était jeune, à cause des pressions de l’époque. « S’intégrer est une grande tentation », reconnaît-il. Mais il dit qu’il est heureux, à présent, d’avoir résisté à cette tentation-là. Lorsque je lui demande s’il est proche de son fils, Paul, qui a maintenant 40 ans, il n’arrive pas à me répondre sérieusement. « Ouais, ça va », dit Lemmy. « Il a ma gueule, donc y a pas de doute là-dessus. » Il n’a pas fait la connaissance de son fil savant qu’il ait six ans, et il ne pense pas devoir s’en excuser. « Ce ne sont pas des vraies personnes avant ça, de toute façon », dit-il. « Enfin je veux dire, vous pouvez tisser un lien avec eux. Mais ce sont des bébés. Ils se ressemblent tous. Vous pourriez les échanger pendant la nuit, personne s’en apercevrait. » Et ça ne fait pas bizarre, commencé-je à lui demander, quand tant de vos compères… « Tombent comme des mouches ? » m’interrompt-il en ricanant. Puis il ajoute : « Oui, ça fait bizarre. » J’essaie d’entrer dans les détails : Ozzy, par exemple, a changé ses habitudes. Lemmy m’interrompt à nouveau. « Il serait mort s’il avait continué comme ça », dit-il, ajoutant : « Je ne sais pas s’il est plus heureux maintenant. Mais en tout cas il est en vie. »
Mourir sur scène
Après l’interview, nous redescendons pour prendre un autre verre. En bas, le Rainbow ressemble vraiment à un musée dédié à l’âge d’or des chevelures metal de Sunset Boulevard. Les murs qui entourent ses confortables alcôves rouges sont couverts de souvenirs rock’n’roll de toute une époque (un portrait au crayon de Slash, des photos encadrées de David Lee Roth, une copie signée de Get the Knack…), et tous les autres types assis au bar – des rockeurs vieillissants portant des bandanas façon Axl Rose et des t-shirts sans manches noirs de concert – pourraient être le batteur de Poison. Nous sortons nous attabler en terrasse où, pendant que je discute avec son assistant, Lemmy se plante devant une borne d’arcade. L’un des gérants du Rainbow me confie que Lemmy adore jouer aux jeux vidéo et qu’il a même marqué son préféré avec un sticker Motörhead. Alors qu’il sirote son quatrième verre en deux heures, Lemmy regarde l’écran en silence, tapant sur un jeu qui met au défi sa coordination œil-main, avant d’enchaîner avec un autre plus trivial, et aussi rapidement avec une variation du Scrabble. Dans ce dernier, en utilisant les lettres qui lui sont données, Lemmy construit furieusement des mots alors qu’il fait la course contre le chrono. Quand il réalise un bon score, il écrit son nom sur le tableau des gagnants. À un moment, un jolie blonde lui tape sur l’épaule et lui demande s’il est d’accord pour poser avec elle. Lemmy se retourne lentement et acquiesce, et elle passe son bras autour de lui pendant que son amie prend la photo. « J’ai fait une photo avec vous la dernière fois que je suis venue ici, mais j’en voulais une autre », avoue la jeune femme. « Pourquoi ? » lui demande Lemmy. Puis il retourne à son jeu. Je finis par lui demander si nous pouvons visiter son appartement. Lemmy étrécit prudemment ses yeux et dit : « Tu vas juste penser que je suis un nazi qui s’ignore. » En plus de son utilisation de la Croix de fer dans l’imagerie du groupe, Lemmy est réputé pour collectionner les artefacts de la Seconde Guerre mondiale. Ozzy parle de l’appartement de Lemmy comme d’un « putain de musée de la guerre », ajoutant : « Si les Allemands veulent recommencer, ils peuvent emprunter leur équipement à Lemmy. » Lemmy explique que grandir en Angleterre après la guerre a fait de lui un grand amateur d’histoire, et il possède à n’en pas douter quantités de savoir sur la période.
Durant notre interview, il évoque longuement le bombardement de Dresde – sa chanson « Bomber » a été inspiré par le roman historique du même nom, de Len Deighton – et le tour manager de Lemmy me raconte qu’en Europe, dès que leur bus passe près d’un ancien champ de bataille ou d’un autre site important, Lemmy part systématiquement dans un discours sur l’importance historique de ce qu’ils sont en train de voir. Le complexe d’appartements où vit Lemmy est situé à quelques pâtés de maisons de Sunset, la porte de son immeuble surplombant une cour miteuse. Alors que nous nous garons sur sa place de parking, une séduisante femme afro-américaine attend dehors. L’assistant de Lemmy prend la parole : « Bonjour, on s’est parlé au téléphone. » La femme dit à Lemmy qu’elle se doutait qu’il serait en retard, et il lui demande si elle peut revenir d’ici une demi-heure. Elle a l’air d’être ici pour affaires ; on ne me donne pas le détail, et je ne pose pas de questions. En haut, Lemmy ouvre la marche à travers son salon encombré et légèrement claustro, qui m’évoque le labyrinthe d’un rat de laboratoire. Une télé, dont le son est coupé, est allumée sur la chaîne histoire – ça parle d’un dirigeable – et une bibliothèque près de la porte inclut un Thomas Harris et une vieille biographie de Paul McCartney. À part ça, l’endroit est plein à craquer de reliques datant de la Seconde Guerre mondiale, franchement choquantes même si vous y êtes préparé. Deux murs entiers sont entièrement couverts de drapeaux. Une rangée d’uniformes militaires pend à un présentoir de vêtements. Il y a également une armoire aux tiroirs tapissés de velours qui accueillent de nombreux poignards et médailles. Lemmy semble regretter à demi de m’avoir invité. Mais sa fierté de collectionneur prend le dessus et il commence à me montrer différents objets très rares : un drapeau qui a un jour flotté sur un cortège de véhicules allemands, ainsi qu’un magnifique sabre d’apparat. Sur une table basse encombrée, auprès d’un cendrier qui déborde et d’un verre de whisky à moitié vide, Lemmy saisit une petite boîte noire. Alors qu’il défait le nœud noir, sa main tremble imperceptiblement. En ouvrant le couvercle, il relève le papier de soie pour révéler un vieux peigne démodé, rond et orné, avec un miroir assorti. Tous deux sont monogrammés : « E.B. » « Eva Braun ? » dis-je. « Eva Braun », répond Lemmy. « Putain de merde », dis-je. « Putain de merde », répète doucement Lemmy. Rien dans la musique ou la vie publique de Lemmy – à part le fait, évidemment, de posséder tout une panoplie d’objets ayant appartenu à de vils individus – n’indique le moindre soupçon de racisme. Il aime clairement le pouvoir transformateur de l’uniforme. Mais au-delà de ça, sa collection semble être davantage l’extension de son besoin infantile de transgresser les normes – ça, et le reflet de sa vision très sombre de la nature humaine. Lorsque je demande à Lemmy s’il a une vision positive ou négative de l’humanité, il répond sans hésiter : « Oh, négative. On peut tout reprocher à la nature humaine, n’est-ce pas ? Nous sommes une maladie sur cette planète. Et elle va nous éjecter comme un cancer. C’est trop tard, de toute façon, vu ce que nous avons fait à l’environnement. Nos enfants porteront des masques à gaz. On va tous brûler. » Tandis que Lemmy sort sa rengaine, il s’anime davantage, et lorsqu’il retourne au silence, il semble curieusement revigoré.
Plus tôt, tandis que nous parlions de drogues, il montrait des émotions similaires. « On dit beaucoup de conneries au sujet de ce qui est mauvais pour nous, surtout en Amérique. Tout le monde veut être en sécurité. » Il crache presque le dernier mot, avant de poursuivre : « Eh bien je vais vous apprendre quelque chose : vous ne pouvez pas être en sécurité. Vivre ne rime pas avec sécurité. Travailler ne rime pas avec sécurité. Dès que vous quittez votre maison, vous n’êtes plus à l’abri. Et l’air que vous respirez n’est pas sûr non plus, plus pour longtemps en tout cas. C’est la raison pour laquelle il faut que vous profitiez de l’instant présent. » La dernière phrase n’est pas prononcée sur un ton joyeux, façon carpe diem. Dans la bouche de Lemmy, ça sonne plus comme un douloureux état de fait. Malgré son nihilisme à l’endroit de notre futur condamné, la vie de Lemmy ces temps-ci se résume surtout à se raccrocher au passé. Il passe son temps dans un musée (le Rainbow) ou un autre (son appartement), ou bien il est sur la route, où il se conduit de la même manière que lorsqu’il avait 20 ans. Il ne se rappelle pas avoir jamais pris de vacances en bonne et due forme – il dit qu’il n’aurait jamais pu se le permettre. Il n’a pas d’ordinateur. Lemmy a choisi son chemin il y a bien longtemps, et contrairement à la plupart d’entre nous, il s’est entêté à le suivre sans en dévier une seule seconde. Certains verront dans ce choix l’expression d’un courage iconoclaste, d’autres la triste vie en boucle d’un alcoolique d’une soixantaine d’année qui vit plus ou moins dans un bar. Et pourtant, j’ai beau le presser, Lemmy n’émettra aucun regret vis-à-vis de la vie qu’il s’est choisi – sa décision de renoncer aux « relations humaines », comme il dit, pour le plus pur hédonisme rock. Et sincèrement, savoir si « Lemmy » est un personnage ou l’homme de chair et d’os n’a plus aucune importance à cet instant. Ian Kilmister a porté le costume de Lemmy pendant si longtemps qu’il l’habite complètement aujourd’hui. Lorsque je lui demande s’il ressent la moindre pression à se comporter d’une certaine manière en public, pour se conformer aux attentes de ses fans, Lemmy répond : « Il n’y a pas de pression. Je suis juste moi-même. Je ne me cache pas derrière un masque. » Dave Brock, de Hawkwind, voit encore Lemmy régulièrement. Brock et sa femme vivent dans une ferme dans le Devon, au sud-ouest de l’Angleterre, et il a tenté de convaincre Lemmy de lui rendre visite pendant plusieurs jours. « Histoire de se sortir de tout ça – de la vie qu’il mène », dit Brock, qui a 68 ans. « Je suis surpris de le voir encore debout à chaque fois. Je lui dis : “Écoute, il faut que tu fasses très attention.” Mais il répond toujours qu’il veut mourir sur scène. » Brock ricane. « Il faut avouer qu’il a une constitution exceptionnelle. » Slash, qui est bien plus jeune que Brock et Lemmy, voit différemment le mode de vie de son idole. « Il a récemment écrit des paroles pour mon album solo, sur la façon dont il gère sa consommation de psychotropes, d’alcool et j’en passe », dit-il. « Ce sont de super paroles parce qu’elles sont très personnelles – en gros, ça raconte comme un docteur lui fout les jetons, et comment un autre le rassure, et à la fin Lemmy leur dit : “Allez vous faire foutre ! Je vais faire ce que je veux.” » Puis Slash récite sa ligne préférée de la chanson : « I’m not gonna die/Just write me an alibi » (« Je ne vais pas crever/Donnez-moi juste un alibi »). Lemmy admet que le texte est inspiré de sa vie. Quand on lui a diagnostiqué son diabète, les docteurs lui ont dit de changer ses habitudes. « “Vous ne pouvez pas faire ci, vous ne pouvez pas faire ça” », se souvient-il. « Mais j’ai continué quand même. C’était il y a dix ans. » Il prend des médicaments tous les jours pour se soigner. Mais à part ça, dit-il : « Je préférerais mourir plutôt que de devoir renoncer à tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. » Je lui demande s’il lui arrive de penser à la fin. « Si ça doit arriver, ça arrivera. Mais espérons que ce sera bref. Je ne veux pas traîner ici longtemps avec des tubes dans le nez. »
Quelques semaines plus tard, j’assiste à un concert de Motörhead dans un casino du centre de Detroit. Le son est un peu brouillon, l’endroit un peu trop aseptisé. Mais malgré tout, le concert est très cool. Le line-up actuel du groupe, avec le guitariste Phil Campbell et le batteur suédois Mikkey Dee, est en place depuis 1992 et opère comme une machine bien huilée. Vers la fin du set, ils jouent même un très beau morceau de blues acoustique – Rick Rubin, si tu nous lis – intitulé « Whorehouse Blues ». En coulisse, il est près de minuit, mais Lemmy, le dernier des vampires d’Hollywood, a l’air revigoré depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Il me raconte qu’il a perdu 2 000 dollars au casino la veille, qu’il les a regagnés plus tôt dans l’après-midi, mais qu’il a reperdu 1 000 dollars juste avant le concert. Il se marre – ainsi va la vie. Motörhead sera sur la route durant les prochains mois. Un documentaire à propos de Lemmy est également dans les tuyaux, et il songe toujours à enregistrer l’album solo depuis longtemps promis. Lorsque je lui demande ce qu’il aime en matière de musique actuelle, ses réponses sont surprenantes : Kelly Clarkson, Taylor Swift et le duo de Bon Jovi avec Jennifer Nettles du groupe country Sugarland. « L’harmonie me colle encore des frissons », dit-il. « C’est peut-être la seule chose qui y parvient encore. » Je lui demande de rentrer dans les détails. Qu’y a-t-il dans la musique qui fait qu’il joue encore, après toutes ces années ? Lemmy rive ses yeux aux miens et dit : « La musique te fait voyager en des lieux que tu ne pourrais pas atteindre autrement. Tu le sais bien, mec. » Il reste songeur un moment, avant de poursuivre : « Plus tu essaies de l’analyser, plus tu as de chance de la bousiller. » Il se tourne vers le miroir de la loge et essaye un nouveau chapeau de cow-boy. Il contemple son reflet avec intensité. « Alors », demande-t-il, « t’en penses quoi ? »
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac d’après l’article « Lemmy Kilmister: Vampire of the Sunset Strip », paru dans Rolling Stone. Couverture : Lemmy Kilmister devant un mur d’amplis. Création graphique par Ulyces.