42 USA
Qu’est-ce que c’est 42, pour vous ?
42, c’est une école qui donne sa chance à tout le monde. On s’aperçoit, aussi bien en France qu’aux États-Unis, que les élèves des grandes écoles sont majoritairement issus d’un milieu social favorisé. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce ne sont pas les élèves les plus brillants qui ont le plus de chances d’accéder à ces écoles, mais plus généralement ceux d’entre eux qui viennent de milieux favorisés. Un deuxième élément vient s’ajouter à ce constat : dans les métiers qui sont les nôtres – le développement informatique notamment –, la culture générale a assez peu d’importance. Seules comptent deux choses : d’une part, la logique, c’est-à-dire la capacité à traiter les informations dans l’ordre, et d’autre part la volonté de s’en sortir. Ce sont des éléments extrêmement importants pour qui veut faire du développement informatique. Nous voulions mélanger tout cela sous une forme associative, c’est-à-dire non-profit – on ne cherche pas à gagner de l’argent avec. En associant ces idées aux gens qui ont fondé les meilleures écoles dans le domaine en France, comme Nicolas Sadirac, nous avons lancé 42 en 2013. Et aujourd’hui, nous lançons 42 aux États-Unis. Si on se base sur le modèle américain, l’idée est de donner leur chance à des mômes issus de la classe moyenne, de leur donner un espoir et une chance d’avoir un métier, voire de créer leur entreprise tout en ayant des salaires – qui peuvent atteindre 140 à 150 000 dollars par an dans la Silicon Valley.
Pourquoi faites-vous ça ? Qu’est-ce que ça vous apporte ?
Il y a plusieurs raisons. La première, c’est quelque chose d’assez classique chez les Français mais assez peu chez les Américains : la notion de redonner (give back). C’est-à-dire qu’après avoir réussi à gagner beaucoup d’argent en France et aux États-Unis – j’espère que ce le sera dans d’autres pays aussi –, à chaque fois, je me suis demandé comment je pouvais redonner un bout de l’argent que j’avais gagné dans ces endroits.
Quelle a été la réaction aux États-Unis, compte tenu du coût des études américaines ? Le décalage est bien plus grand qu’ici.
Ce qui est fou, c’est que nous avons à 42 Paris des jeunes qui viennent de Californie. Ils n’avaient pas les moyens d’accéder à ces études aux États-Unis, et ils sont venus jusqu’en France car avec la gratuité et les différentes choses que nous pouvons mettre en œuvre pour les aider, nous leur avons permis de faire des études. La réaction est donc très positive. Nous ne sommes pas là pour ennuyer les universités, les jeunes que nous allons chercher n’auraient de toute manière pas pu y accéder. Ces universités coûtent autour de 50 000 dollars par an, et généralement ils n’ont même pas accès à l’endettement pour pouvoir s’y inscrire. Ils auraient dans tous les cas galéré et auraient enchaîné les petits boulots. Il est donc très dur d’y trouver des points négatifs. Quand on a lancé 42 en France, certains nous disaient juste : « Vous faites ça pour embaucher des salariés dans vos entreprises ! » Je prends trois élèves de chez 42 chaque année sur environ mille nouveaux. Ça n’a pas d’impact. Il n’y a pas d’idées cachées là-dedans, et si vous prenez le communiqué, vous verrez qu’on ne se met pas en avant. Notre nom est à la fin parce qu’on n’a pas de raison de se cacher. On dit ce que chacun d’entre nous fait, on a une petite bio, mais c’est vraiment juste pour le principe.
Ouvert à tous
Comment entre-t-on à l’école ?
La première chose, c’est qu’on ne demande rien à l’entrée : on ne demande qu’un nom, un prénom et une date de naissance aux gens qui veulent rentrer chez 42. Et les candidats doivent être âgés entre 18 et 30 ans. C’est tout. On ne demande pas aux gens s’ils ont eu un diplôme, s’ils savent lire ou écrire, on ne demande rien de tout ça. En France, nous avons des gens qui viennent du monde entier, dont certains sont arrivés à Paris sans parler un mot de français. Les choses se passent malgré tout très bien pour eux. Quand on sélectionne ces jeunes, on essaie de les sélectionner sur des critères un peu objectifs. On oublie donc tout ce qu’ils ont pu faire de leur vie, dans leur passé. Ils passent d’abord un test en ligne – test que des centaines de jeunes Américains passent chaque jour en allant sur le site 42. Ce sont des tests de logique pure. On peut être très mauvais en mathématiques et les réussir à merveille. C’est très drôle, il s’agit de jeux desquels on ne vous donne pas la règle, mais il faut réussir à trouver la solution. Déjà, on est pas mal si on réussit ça. Ceux qui réussissent ces jeux, on leur propose de venir faire une « Piscine ». En ligne, on a testé les capacités de logique – ce qui ne signifie pas être bon mathématicien. Ensuite, on va tester leur motivation à travers la Piscine. La Piscine, ça veut dire travailler à peu près 450 heures en un mois à l’école, 15 heures par jour, tous les jours pendant 30 jours. C’est comme ça qu’on teste leur motivation. Ce qu’on constate généralement en France – je ne sais pas si ce sera pareil aux États-Unis –, c’est que très vite quelques-uns disent : « Vous êtes gentils, mais franchement ce n’est pas fait pour moi, c’est trop lourd, c’est trop dur, je préfère faire autre chose et m’en aller. »
On a une partie des gens qui s’accrochent, qui vont au bout, et en un mois ce qu’ils apprennent en termes de développement informatique correspond à environ deux ans d’études universitaires en France. Aux États-Unis, de ce que je sais, c’est à peu près la même chose. Au bout de la Piscine, il y a des jeunes qui après ce mois intense commencent à savoir coder. Ceux-là, on leur dit qu’ils ont le niveau suffisant pour continuer avec nous et que maintenant, on va leur offrir leur scolarité et les aider autant qu’on peut. S’ils viennent des États-Unis par exemple, on a un immeuble à côté avec des dortoirs. On leur dit : « Maintenant, on va t’aider à apprendre ça dans la durée et tu vas devenir un génie du code. » On pousse vraiment l’enseignement à partir de là. Et ça marche. Ça marche objectivement. Que vous ayez un casier judiciaire, que vous soyez nul en maths et en français, que vous disiez toutes les conneries de la terre, on s’en fout. On ne tient pas compte de cela, on ne regarde que les deux critères objectifs. Et si vous les avez, on est ravis de vous aider parce qu’on pense que vous avez tout pour vous en sortir. Ce qu’il faut voir, c’est qu’en France, la moitié des élèves n’ont jamais codé de leur vie, ils n’ont jamais touché à un ordinateur. Vous êtes dans un monde où on n’a pas besoin d’avoir déjà fait de l’informatique, on s’en moque complètement.
Comment vous est venue l’idée ?
Pour commencer, je me suis demandé ce que je constatais dans mon métier. Dans mon métier, quand on veut embaucher quelqu’un qui code, on lui demande de s’asseoir et on le fait coder, on ne lui demande pas son diplôme. S’il a un bon diplôme, tant mieux pour lui, mais on n’en a rien à faire. Le code est un métier ou un savoir-faire dans lequel le diplôme n’a pas d’importance. Au bout du compte, les gens ont un savoir ou ne l’ont pas. C’est peut-être le cas dans d’autres métiers, mais dans ce secteur le diplôme n’est pas un élément qui permette de juger objectivement une personne par rapport à un savoir-faire. Et l’absence d’un diplôme évite aux élèves de partir dans des stress.
Un diplôme, ça veut dire aussi respecter des règles. 42, c’est une école ouverte 24/24, 7 j/7. À 3 h du matin, on peut trouver entre 300 et 400 personnes en train de travailler dans l’école. Donc on évolue en France dans un modèle au sein duquel un certain nombre de règles sont faites pour obtenir son diplôme, qui ne cadrent pas avec nos méthodes d’enseignement. On n’a pas de professeurs, on fait du peer-to-peer correcting [les élèves se corrigent entre eux, nda], des choses comme ça font que 42 est une entreprise radicale, et cette radicalité empêche de pouvoir correspondre à un diplôme existant.
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LES SECRETS D’UNE ÉCOLE SANS PROFS ET SANS COURS MAGISTRAUX
Couverture : Xavier Niel dans 42 (AR architectures).