Si Hillary Rodham Clinton remporte l’élection présidentielle américaine, elle prendra la tête en janvier 2017 de l’État le plus puissant – économiquement et militairement – que le monde ait connu. Cette position lui conférera un arsenal impressionnant de pouvoirs, parmi lesquels l’autorité de valider ou de s’opposer à la législation de son pays, d’en nommer les plus hauts fonctionnaires, d’amnistier des criminels, de négocier des traités, de commander aux forces armées et – en raison de la puissance nucléaire et des drones américains – de semer la mort et la destruction aux quatre coins du monde. Il ne fait aucun doute que son influence sera ressentie par des millions de gens vivant à des milliers de kilomètres des États-Unis. La présidente Clinton sera-t-elle alors la femme la plus puissante de l’histoire de l’humanité ? Et outre cette question, à quand remonte la dernière fois où une femme fut la personne la plus puissante de la planète ?
Au cours de l’histoire, il y eut plusieurs prétendantes sérieuses au titre de « personne la plus puissante du monde », mais peut-être pas autant que nous pourrions l’escompter. Les hommes jouent bien souvent le rôle dominant en politique. Et si les femmes furent toujours à même d’influencer les actes de leurs fils, de leurs époux, de leurs frères et de leurs amants, il est difficile de prouver l’existence d’une éminence grise et impossible de les dénombrer. Beaucoup de femmes se retrouvèrent en position de gouverner au nom de leurs jeunes enfants ou de leurs époux absents, mais leurs règnes officieux furent toujours éclipsés par le nom des souverains officiels. Certaines d’entre elles, dont la Vierge Marie incarne l’exemple le plus probant, eurent un immense impact culturel mais exercèrent peu de pouvoir durant leur vie. Celles dont il est question ici furent en mesure d’agir sous leur seule autorité. Elles exerçaient une profonde influence sur leurs pays et bien au-delà de leurs frontières. Contrairement aux présidents d’aujourd’hui, aucune d’entre elles n’avaient été élues démocratiquement et elles ne pouvaient pas être aisément déchues de leur pouvoir. Toutes, sauf une, l’exercèrent jusqu’à leur mort.
La reine Victoria (1837 – 1901)
Il y a à peine plus d’un siècle, Victoria n’était pas seulement la reine du Royaume-Uni, elle était aussi (entre autres titres) Impératrice des Indes. Ses neuf enfants se marièrent dans la royauté, liant Victoria aux autres familles régnant sur l’Europe. Ses petits-enfants poursuivirent cette tradition. La reine Victoria est souvent citée en exemple lorsqu’il est question de femmes puissantes, mais au sein de sa monarchie constitutionnelle, elle avait en réalité peu d’occasions d’exercer le pouvoir. Elle pouvait conseiller son gouvernement mais pas agir de son propre chef. C’était de plus une souveraine introvertie qui n’avait que peu d’influence sur ses sujets. Son rôle s’apparentait plus à celui d’une figure nationale que d’une femme de pouvoir.
Catherine II (1762 – 1796)
L’impératrice Catherine – qu’on appelle aujourd’hui la Grande Catherine – régna sur la Russie de 1762 à 1796. Fille d’un prince prussien de moindre importance, elle se maria au sein de la famille royale russe et accéda au pouvoir après un coup d’État et l’assassinat de son époux, l’empereur Pierre III. Sous le règne de Catherine, les frontières de l’Empire russe s’étendirent au sud et à l’ouest, jusqu’à couvrir environ 322 000 km² de nouveaux territoires dont la Biélorussie, la Lituanie et la Crimée. À l’intérieur des frontières de l’Empire, elle poursuivit l’entreprise d’occidentalisation débutée par le grand-père de son défunt mari, Pierre le Grand. Son règne resta dans l’histoire comme un âge d’or : une époque florissante pour les arts et l’architecture, durant laquelle de nouvelles villes furent fondées ou réédifiées – 254 au total.
Marie-Thérèse d’Autriche (1740 – 1780)
Marie-Thérèse d’Autriche devint l’ultime souveraine des Habsbourg en 1740, après la mort de son père Charles VI. La guerre de Succession d’Autriche qui s’ensuivit impliquait la plupart des puissances européennes. Marie-Thérèse en sortit victorieuse et régna sur la majeure partie de l’Europe centrale, des Balkans et sur l’Italie du Nord. En tant que femme, elle ne pouvait pas devenir empereur des Romains, mais elle veilla à ce que fût sacré son époux François Ier. Elle réorganisa et modernisa l’armée autrichienne pour être parée au combat au cas où il lui faudrait défendre ses terres. Et bien qu’elle déclarât avoir été enceinte presque sans interruption pendant 20 ans (elle donna naissance à 16 enfants, dont 13 vécurent), elle était prête à se jeter elle-même dans la bataille. Parmi ses nombreux accomplissements, Marie-Thérèse introduisit la scolarisation obligatoire pour les garçons et les filles et mit au point un système administratif efficace qui permit à l’empire des Habsbourg, auparavant mal en point, de retrouver sa superbe.
Élisabeth Ire (1558 – 1603)
La reine Élisabeth hérita des trônes d’Angleterre et d’Irlande en 1558, après la mort de sa demi-sœur catholique fervente Marie Tudor. Elle établit l’église protestante anglaise, dont elle devint le gouverneur suprême. L’église deviendrait bientôt une autorité religieuse extrêmement influente. Connue sous le nom de « reine Vierge », elle devint une icône culturelle, célébrée dans l’art et les écrits florissant sous son règne. Sa politique extérieure était essentiellement défensive, mais il en allait autrement à l’intérieur de ses frontières. Confrontée à la rébellion de l’Irlande catholique, elle appliqua la politique de la terre brûlée et laissa des dizaines de milliers de ses sujets mourir de faim. Elle était indéniablement omnipotente sur son territoire. Mais hors de cette sphère relativement limitée, son pouvoir sur le continent européen était moindre.
Wu Zetian (624 – 705)
Wu Zetian fut la seule femme à la tête de la Chine impériale. Elle régna durant la brève période de la dynastie Zhou, deuxième du nom, qu’elle avait elle-même fondée (690 – 705). Wu était la fille magnifique et finement éduquée du chancelier Wu Shihuo. Son ascension vers les hautes sphères du pouvoir débuta lorsqu’elle fut choisie comme concubine de l’empereur Tang Taizong. Après la mort de Taizong, elle se débarrassa impitoyablement de ses rivales pour devenir l’impératrice consort de son successeur, Tang Gaozong. Lorsque son mari mourut, Wu, dès lors impératrice-mère, demeura la souveraine officieuse de la Chine durant le règne de ses deux fils. En 690, elle ordonna finalement à son second fils d’abdiquer et prit sa place sur le trône. Elle régna seule en tant qu’impératrice jusqu’à l’année de sa mort, durant laquelle elle fut elle-même contrainte d’abandonner le pouvoir à son troisième fils.
Cléopâtre VII (51 av. J.-C. – 30 av. J.-C.)
Cléopâtre VII hérita du trône d’Égypte de son père, Ptolémée XII, en 51 avant notre ère. Son règne avait débuté sous des auspices peu favorables : l’Égypte était au bord de la guerre civile. Mais elle fut capable de rétablir l’ordre dans le pays et forma une alliance avec Jules César pour assurer la sécurité de son peuple. Après l’assassinat de César, sa nouvelle alliance avec Marc Antoine conduisit finalement à la restauration de l’Empire ptolémaïque. Cléopâtre régnait alors sur une large part de l’est du monde méditerranéen. Hélas, son triomphe fut de courte durée. Cléopâtre et Marc Antoine furent défaits par le Romain Octave (qui deviendrait plus tard l’empereur Auguste) lors de la bataille d’Actium, et Cléopâtre se suicida 30 ans avant notre ère.
Hatchepsout (v. 1479 – v. 1457 avant notre ère)
Mais Cléopâtre ne fut pas la seule souveraine de l’Égypte ancienne. Près de 1 500 ans plus tôt, la XVIIIe dynastie égyptienne vit régner Hatchepsout. Techniquement, la souveraine dirigeait le pays avec son jeune co-régent Thoutmôsis III. Dans les faits cependant, elle agissait seule et prit la tête de l’armée, du service civil et de la prêtrise. Son aptitude supposée à communiquer avec les dieux permit à Hatchepsout de répandre une nouvelle fabuleuse : elle disait être la fille d’Amon, dieu de Thèbes. Comme le voulait une ancienne tradition artistique égyptienne, le roi d’Égypte devait être représenté sous les traits d’un jeune homme en parfaite santé. C’est pourquoi l’art officiel du règne d’Hatchepsout la peint dans un corps d’homme, parée de vêtements et d’accessoires masculins, ainsi que d’une fausse barbe. Les textes écrits à son époque sont pour leur part très clairs sur le fait que le pharaon d’Égypte était une femme. Du moins pour ceux de ses sujets qui savaient lire… Le règne d’Hatchepsout fut placé sous le signe de la paix, caractérisé par une architecture monumentale et par l’essor du commerce extérieur. L’écrivain et historien Tom Holland estime que le règne d’Hatchepsout – en tant que souveraine de la nation la plus puissante du monde – est la dernière fois qu’une femme fut la personne la plus puissante de la planète.
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En étudiant leur destin, il apparaît que chacune de ces femmes de pouvoir influença l’histoire durant sa vie, sur son territoire et au-delà. Certaines contrôlaient de vastes royaumes, d’autres étaient assises sur des richesses colossales. Cependant, aucune d’entre elles n’avaient accès aux technologies modernes qui permettent à l’image, aux pensées et aux actes de la présidence d’être partagés et vécus par le monde entier. Elles ne disposaient pas non plus de l’armement et des ressources financières auxquels aurait accès une présidente américaine. Si elle accédait à la présidence des États-Unis, Hillary Clinton deviendrait-elle la femme la plus puissante que le monde ait jamais connu ? Il semblerait que oui.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Madam President: Is Hillary Clinton About to Become the Most Powerful Woman Ever? », paru dans Heatstreet. Couverture : Hillary Clinton durant les primaires. (Gage Skidworth/Flickr)
COMMENT MICHELLE OBAMA A GAGNÉ SA GUERRE CONTRE LA MALBOUFFE
Depuis les premières heures de la présidence de son mari, Michelle Obama prend à bras le corps le problème que pose l’alimentation des Américains.
I. #thanksMichelleObama
Miriam Nelson a reçu l’appel alors qu’elle faisait de l’escalade au Canada : l’adjoint du chef cuisinier de la Maison-Blanche la convoquait à une réunion en privé avec la Première dame des États-Unis. C’était en 2009, Nelson était alors l’une des plus grandes expertes du pays en nutrition et en sport, enseignante à l’université Tufts, et elle n’était pas la seule : six autres avaient reçu la même invitation.
Les Obama étaient à la Maison-Blanche depuis six mois, et Michelle avait commencé à laisser entendre qu’elle allait utiliser son statut de Première dame pour encourager une alimentation saine. Elle avait déjà participé à des spots télévisés classiques pour une femme de président chezOprah et dans Sesame Street. Mais lorsque Nelson est arrivée à la Maison-Blanche, elle ne s’est pas retrouvée face à une équipe construite pour faire bonne figure devant les médias. La pièce était pleine de gens de pouvoir à Washington : l’équipe de la Première dame de l’aile Est, des représentants du président venus de l’aile Ouest, et des membres haut placés des Centers for Disease Control (Centre de contrôle des maladies) et des ministères de l’Agriculture, de la Santé et des Ressources humaines. La directrice du conseil pour la politique intérieure d’Obama, Melody Barnes, était là aussi, ainsi que la conseillère politique la plus importante de la Première dame, Jocelyn Frye. Michelle Obama elle-même présidait la réunion, vêtue d’une robe de marque sans manche et tenant un carnet de notes entre ses doigts. Nelson et les autres ont réalisé qu’avec les Démocrates au pouvoir au Congrès, l’aile Est allait tenter une grosse poussée qui allait requérir tous les leviers possibles du gouvernement fédéral pour améliorer la façon dont les Américains s’alimentent. Ils voulaient faire passer une nouvelle loi pour rendre les repas de cantine scolaires plus sains, et ils avaient trouvé des façons d’utiliser de l’argent fédéral pour renouveler l’équipement des cuisines dans les écoles publiques, ainsi que des financements gouvernementaux pour approvisionner les épiceries des quartiers pauvres où les produits frais ne sont pas aisément disponibles. Ils voulaient revoir les labels fédéraux de nutrition pour que les acheteurs soient plus directement confrontés au nombre de calories contenues dans les produits. Même l’aspect le plus symbolique de la politique nutritive américaine était passé au crible : une révision de la « pyramide alimentaire » vieille de plusieurs décennies qui enseignait aux familles à équilibrer un repas. « On sentait vraiment que c’était quelque chose qu’elle allait prendre en main », se souvient Nelson, à qui on a demandé des conseils en nutrition et en exercice physique. « C’était très excitant. » Six ans après cette réunion, la campagne stratégique et élaborée de Michelle Obama a transformé le paysage alimentaire américain de façon bien plus profonde qu’on pourrait le croire à première vue. Si les Américains moyens ont surtout regardé Michelle faire une compétition de pompes contre Ellen DeGeneres ou sa mom dancing (« danse de maman ») avec Jimmy Fallon, ou encore son post viral sur Vine Turnip for what (« des navets, pour quoi faire ? »), la première dame et son équipe ont opéré une série d’énormes changements dans la politique américaine de nutrition.