En terminant une phrase, Donald Trump pointe son index vers un journaliste. Dans la salle de presse de la Maison-Blanche, les places sont tenues à distance par une chaise vide. « La Chine aurait dû arrêter ça », vient d’accuser le président américain avant de demander une nouvelle question. Cette conférence de presse sur la pandémie de Covid-19 organisée le mardi 21 juillet 2020 va alors sortir légèrement des clous : l’envoyé spécial qui vient d’être pointé est là pour parler du coronavirus mais aussi et surtout de l’arrestation de Ghislaine Maxwell le 2 juillet dernier.
L’ex-compagne de Jeffrey Epstein est accusée d’avoir joué un rôle central dans un réseau de pédophilie mené par l’homme d’affaires milliardaire américain. Ce dernier s’est donné la mort en prison le 10 août 2019. Les sourcils froncés, dodelinant de la tête, Trump semble écouter avec une grande concentration la question du journaliste. Mais sa réponse est surprenante.
« Je lui souhaite bonne chance, sincèrement », répond le président américain, cette fois-ci en haussant les sourcils avec un air d’honnêteté. Trump explique n’avoir pas suivi cette affaire, lui qui, avoue-t-il dans la foulée, a rencontré Ghislaine Maxwell et son ex-mari Jeffrey Epstein à plusieurs reprises lorsqu’il habitait à Palm Beach, en Floride. Aujourd’hui, il a toutes les raisons de vouloir se tenir éloigné de cette sordide affaire. Car de plus en plus de noms célèbres y sont mêlés. « Les complices d’Epstein et Maxwell doivent être bien stressés en ce moment », devine Lisa Bryant, réalisatrice de la série documentaire de Netflix Jeffrey Epstein : Filthy Rich.
La pièce maîtresse
Si Jeffrey Epstein a emporté de sombres secrets en se pendant dans sa cellule à l’été 2019, Ghislaine Maxwell en sait beaucoup sur les agissements du pédocriminel récidiviste. Selon un article du Daily Mail paru le 6 juillet dernier, elle dispose d’une cachette dans laquelle sont gardées des sextapes ainsi que des informations essentielles concernant l’affaire. « Si Ghislaine tombe, elle entraînera tout le monde avec elle », assure le journal britannique, suggérant que le couple n’agissait pas seul.
Cette riche héritière franco-britannique ne pourra pas tout garder pour elle. Le jeudi 23 juillet, la juge new-yorkaise Loretta Preska a ordonné le dévoilement de documents concernant la vie privée et sexuelle de Maxwell, ainsi que sa relation avec Epstein. Jusqu’ici, les avocats de Maxwell ont refusé de les fournir au tribunal, arguant que leur dévoilement serait intrusif. Mais la juge a décidé que l’intérêt public avait en l’espèce plus d’importance que la préservation de sa vie privée. Ce matériel contiendrait les noms de célébrités proches de Jeffrey Epstein.
Lors d’un raid organisé en juillet 2019 au domicile d’Epstein, la police a retrouvé des milliers d’images et de vidéos de femmes nues. Le milliardaire américain a été mis en examen pour exploitation sexuelle de mineures et pour association de malfaiteurs en vue d’exploiter sexuellement des mineures. Deux jours après son arrestation le bureau du procureur de Manhattan affirmait qu’il avait abusé sexuellement de dizaines d’adolescentes, dont certaines âgées de 14 ans, entre 2002 et 2005. Il a été emprisonné puis retrouvé mort dans sa cellule.
Un an plus tard, les juges considèrent que Ghislaine Maxwell détient des copies ainsi que d’autres vidéos et informations liées à cette affaire. Recherchée par le FBI, elle a été arrêtée le 2 juillet 2020. « Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais contente pour les victimes, qui voulaient voir la complice d’Epstein poursuivie », indique Lisa Bryant. « On les a empêchées d’obtenir justice quand il s’est suicidé. » Maxwell est suspectée d’avoir mené une vraie chasse aux mineures pour le milliardaire. Des jeunes femmes qu’elle aurait attirées et mises en confiance en faisant mine de s’intéresser à leur vie, en les amenant au cinéma ou en organisant des sessions shoppings.
Elle a ainsi joué « un rôle essentiel » en aidant Epstein à agresser ses victimes, juge la procureure de New York Audrey Strauss. « Elle a même participé aux abus dans certains cas », affirme-t-elle. Or en parallèle, Ghislaine Maxwell a aussi joué un rôle majeur dans le carnet d’adresses d’Epstein. C’est elle qui lui a présenté le prince Andrew, fils de la reine Elizabeth, l’ancien président américain Bill Clinton et quantité d’autres célébrités qui sont désormais suspectées d’avoir participé aux soirées du couple.
Un réseau de haut-standing
Née à Maisons-Laffitte, dans les Yvelines, d’une mère historienne française et d’un père britannique magnat des médias, Ghislaine Maxwell a rencontré Jeffrey Epstein à New York, peu après la mort de son père, retrouvé noyé dans les Caraïbes en 1991. « Il ne s’est pas suicidé », refuse-t-elle de croire, s’opposant aux conclusions de l’enquête. « C’est simplement incompatible avec son caractère. Je pense qu’il a été assassiné. » Maxwell partage alors la vie d’Esptein. Tandis que des employés de la maison la qualifient de « petite amie principale », Epstein préfère la décrire comme sa « meilleure amie ». Elle s’occupe notamment de la gestion de ses propriétés à travers le monde.
En 2000, elle emménage dans une maison de Manhattan, à quelques pas de chez Epstein. Selon certaines victimes, elle organise aussi la vie sexuelle du milliardaire en y invitant certaines personnalités reconnues mondialement. C’est elle qui l’a introduit auprès du prince Andrew, le deuxième fils d’Elizabeth II, à la toute fin des années 1990. Aujourd’hui, une ex-employée de l’homme d’affaires affirme au Sun avoir surpris Epstein et Maxwell en train de regarder une vidéo du prince Andrew avec une jeune femme nue.
Epstein, Maxwell et le Duc de York passent du temps ensemble à Saint-Tropez ou encore en Thaïlande. Jeffrey Epstein prête même de l’argent (environ 10 000 euros) à l’ex-femme du prince Andrew, Sarah Ferguson, en décembre 2010 afin de l’aider à rembourser plusieurs dettes. Celle-ci le reconnaît en 2011, évoquant « une immense erreur de jugement ». Le nom du prince est désormais attaché à ce dossier. Virginia Roberts, l’une des victimes, l’accuse notamment d’avoir eu des relations sexuelles avec elle lorsqu’elle était mineure.
Elle affirme qu’Epstein l’a forcée « à avoir des relations sexuelles » à trois reprises avec le prince Andrew alors qu’elle était adolescente. D’après son témoignage, ces faits auraient eu lieu à New York, au domicile londonien de Ghislaine Maxwell, et lors d’une « orgie avec de nombreuses autres jeunes filles mineures ». Elle décrit également la façon dont Ghislaine lui a expliqué ce qu’elle « devait faire pour Andrew ». Le palais de Buckingham a toujours nié ces accusations, tout comme le prince a catégoriquement réfuté tout contact sexuel avec Virginia Roberts.
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Maxwell aurait également présenté Epstein à Bill Clinton. En 2010, elle est aperçue au mariage de Chelsea Clinton, la fille de l’ancien président des États-Unis. Après leur rencontre, Epstein donne des millions de dollars à Bill Clinton pour sa fondation humanitaire, puis finance la campagne de sa femme, Hillary. En 2002, Epstein propose à Bill Clinton son avion pour un voyage en Afrique consacré au développement économique du continent et à la lutte contre le VIH.
Le porte-parole de Bill Clinton, Angel Ureña, a déclaré dans un communiqué publié le 9 juillet 2020 que l’ancien président avait voyagé quatre fois à bord de cet avion, entre 2002 et 2003. La même année, Donald Trump décrit son ami « Jeff » pour un portrait réalisé par le New York Magazine. Les deux hommes ont commencé à se côtoyer dans les années 1980. Sur une vidéo de 1992, on peut les apercevoir danser et accoster des femmes lors de soirées.
« Cela fait quinze ans que je connais Jeff. C’est un gars génial, on s’amuse bien avec lui. La rumeur dit même qu’il aime autant les femmes que moi, et que beaucoup d’entre elles sont plutôt jeunes », déclare Trump en 2002. Epstein semble être un bon ami avec qui il aimait passer du temps. Mais son discours a aujourd’hui changé. Le 9 juillet dernier, il a assuré qu’il connaissait Epstein « comme tout le monde le connaissait à Palm Beach ». Trump a ajouté qu’il avait eu une dispute avec Epstein et qu’ils ne s’étaient pas parlés depuis 15 ans : « Je n’étais pas un grand fan de lui, je peux vous l’assurer. »
En 2013, le président américain a lui-même été accusé d’avoir violé une jeune fille de 13 ans en 1994, lors d’une soirée à Manhattan, chez Epstein. La plainte a été retirée en 2016. Elle pourrait revenir dans l’actualité si le nom de Trump figure dans les documents maintenus secrets par Ghislaine Maxwell, sans compter que ces révélations pourraient éclabousser d’autres intimes d’Esptein. « Je pense qu’il pourrait y avoir quelques bombes », imagine Lisa Bryant. « C’est une histoire bien plus vaste que ce qu’on pouvait imaginer, un scandale international. »
En attendant, Ghislaine Maxwell dort derrière les barreaux. « Peut-être qu’elle finira par coopérer », songe aussi Lisa Bryant. « Elle est habituée à un style de vie bien plus luxueux que celui de sa cellule… » Mais l’ouverture de son procès n’est prévue que le 12 juillet 2021.
Couverture : Davidoff Studios Photography