Le concert des nations vient de gagner un membre. Irrités par les fausses notes des États du monde, qui peinent à accorder leurs violons pour traiter les problèmes globaux, Madeline Hung et Simon Anholt ont décidé de créer leur propre instrument géopolitique. Ce nouveau pays n’est pas issu d’une partition ni d’une association puisqu’il ne possède aucune frontière. Sans pré carré à défendre, The Good Country doit pouvoir appliquer des solutions globales à des problèmes pris en otages par les rapports de force et la concurrence entre gouvernements, comme le dérèglement climatique, les pandémies, le terrorisme ou l’instabilité économique.
D’après les estimations de cette spécialiste des droits humains américaine et de ce conseiller en politique international britannique, quelque 760 millions de personnes sont susceptible de s’entendre pour traiter ces problèmes en collaborant. Ensemble, ces « citoyens du monde » pourraient avoir un poids considérable sur la marche de celui-ci et finalement changer la culture de la gouvernance planétaire.
The Good Country est un pays sans territoire. Mais d’où viennent ses créateurs ?
Simon Anholt est de Londres et moi de San Francisco. En ce moment, je partage mon temps entre ces deux villes. Jusqu’à la fin du lycée, j’ai vécu en Californie. Comme des choses très différentes m’intéressaient, ma vocation changeait chaque mois. J’ai voulu être architecte, puis cheffe cuisinière et entrepreneure. En tout cas, je n’avais aucune envie de faire médecine, comme mes deux parents. Grâce à eux, j’ai pu visiter l’Espagne, l’Inde, le Cambodge ou encore la Jordanie. En découvrant des endroits très différents, je me suis rendue compte que les gens possèdent énormément de points communs. Ils ont les mêmes jeux, mangent des plats similaires et prient souvent de manière identique. C’était très formateur.
À Harvard, j’ai étudié le rôle de la justice internationale dans la protection des droits humains. En parallèle, je participais à l’action de l’ONG Health Leads, qui met au service de gens dans le besoin les ressources de la communauté en matière de logement et de nourriture. J’étais aussi membre de The Seneca, Inc., une association de défense des droits des femmes de mon campus. Dès la sortie de la fac, après un stage dans les bureaux d’une autre ONG, Oxfam, j’ai piloté un projet sur l’importance des droits humains en entreprise pour MSI Integrity, à San Francisco.
Comment avez-vous rencontré Simon Anholt ?
Je l’ai découvert en 2014, alors que j’étais encore étudiante, à travers une vidéo TED dans laquelle il présente son projet The Good Country Index. Il s’agit d’un classement des pays les plus vertueux en fonction de leurs contributions aux sciences, à l’égalité, à la santé, à la paix et à la diversité culturelle. Trois ans plus tard, en cherchant à bâtir un nouveau mode de gouvernance mondial dans le cadre d’un concours, cet outil m’est revenu à l’esprit. Mon idée était d’intégrer certains de ses éléments à mon modèle.
J’ai pris contact avec lui par e-mail et nous nous sommes mis à travailler ensemble pour ce concours sur Skype. Seulement, au fil de nos discussions, nous avons réalisé que nous ne voulions plus y participer mais lancer un projet. Notre base philosophique commune était simple : à l’heure de la mondialisation, les pays doivent agir main dans la main et moins en concurrence. Il fallait donc changer la culture de la gouvernance mondiale. Après trois mois de discussions à distance, j’ai pris un vol pour Londres en mars 2017.
Êtes-vous tombés d’accord rapidement ?
Nous avons planché des heures sur différentes options susceptibles de faire bouger des institutions comme les Nations Unies. Fallait-il accoucher d’une association, d’une entreprise, d’un think tank ou d’un cabinet de lobbying ? Nous nous sommes alors demandés qui étaient les gens prêts à agir pour un monde meilleur selon des critères proches. En bref, nous avons constaté que 10 % de la population partageaient nos valeurs. Comme je le disais, les gens qui vivent loin les uns des autres ont souvent plus de points communs qu’on ne le croit. S’ils étaient regroupés, ils formeraient le troisième pays le plus peuplé au monde. Leur poids serait considérable. La base est déjà là !
Nous pensons qu’en tant qu’État, on réussit mieux à travers la collaboration. La concurrence a bien sûr certaines vertus, mais elle est souvent trop présente dans les relations internationales. Simon Anholt l’a constaté en exerçant le rôle de conseiller auprès de différents pays. Nous ne demandons pas aux États de se sacrifier mais de prendre en compte l’interconnexion des problèmes et les liens entre les niveaux local et global. C’est un jeu gagnant-gagnant.
Pourquoi avoir pensé à créer un nouveau pays, alors qu’il s’agit selon vous d’un modèle insatisfaisant ?
C’est que The Good Country n’est pas véritablement un pays idéal. Nous n’entendons pas créer une nation avant-gardiste que les autres devront copier. Il s’agit plutôt d’utiliser un cadre efficace pour mettre en relation des citoyens de pays différents qui partagent nos valeurs. Nous avons évalué qu’ils sont 760 millions sur la planète et pourraient donc avoir un grands poids s’ils se rassemblaient. Nous ne sommes pas dogmatiques : s’il vaut mieux fonder une équipe de football pour faire avancer les idées qui nous sont chères, nous le ferons.
Comment éviter que The Good Country ne tombe dans les travers des pays existants ?
Déjà, il faut dire que la coopération est à la base même de The Good Country. C’est dans son ADN. L’intérêt national de notre pays, c’est l’intérêt international. Par ailleurs, nous n’avons pas de territoire à défendre, ce qui économise des dépenses militaires et réduit la méfiance. Nous n’avons pas non plus à offrir des services d’État comme une protection sociale ou un revenu minimum. Enfin, nous n’avons pas de gouvernement à proprement parler, nous voulons au contraire poser les bases d’une démocratie participative, débarrassée d’intermédiaires et donc d’élections.
Comment devenir citoyen de The Good Country ?
Il faut aller sur notre site et remplir un petit formulaire d’inscription. Ce n’est pas pour vous tester, plus pour que vous sachiez qui nous sommes et quel est notre projet. Ensuite, comme dans n’importe quel pays, vous payez une taxe annuelle. Chez nous, elle est de 5 dollars. Si vous ne pouvez pas payer, vous pouvez toujours avoir une exemption. D’autres ont la possibilité de payer à votre place pour vous aider à rester citoyen.
Il est important que nos citoyens disposent d’éléments de compréhension des enjeux.
Nous avons déjà plusieurs milliers de membres. Plus ils viennent de régions différentes, plus nos actions pourrons se diffuser. Ceux qui nous ont rejoints sont engagés à des niveaux différents et c’est très bien ainsi. Certains se plaisent simplement à l’idée que The Good Country existe, et d’autres veulent être impliqués dans la prise de décision. Nous encourageons bien sûr tout le monde à y participer. Pour l’instant, nous sommes seulement en train d’établir un réseau de personnes autour du monde, mais peut-être qu’un jour nous aurons des ambassades.
Justement, par quel mécanismes seront prises les décisions ?
Pour faire simple, les citoyens vont décider des questions dont nous allons nous emparer à travers une plateforme d’intelligence artificielle. Les discussions entre les uns et les autres vont être analysées par le logiciel Remesh, afin de dégager des tendances. C’est une manière de combiner le vote et la participation qui est plus riche et utile que de faire un choix entre une option A et une option B. Ensuite, nous travaillerons avec des experts à la définition d’une politique. Cela nous permettra de savoir quel budget nous allons mobiliser pour mener des actions spécifiques sur le terrain.
Si des pays veulent reproduire nos initiatives, libres à eux. Idéalement, nous les mènerons d’ailleurs avec eux ou avec des institutions comme les Nations Unies. Nous sommes conscients que certaines mesures seront plus cohérentes si elles sont appliquées à certaines communautés alors qu’en revanche, l’écriture d’un traité affectera plusieurs parties prenantes. Dans tous les cas, il est important que nos citoyens disposent d’éléments de compréhension des enjeux. Ils recevront donc de nombreuses informations sur ces défis.
Quelles sont les prochaines étapes pour The Good Country ?
Des gouvernements, des membres de Nations Unies, des associations et des entreprises nous ont déjà exprimé leur intérêt. De par nos expériences respectives, Simon et moi avons développé un réseau d’experts et nous serions heureux de le prolonger. Nous voulons approcher de nouveaux spécialistes au cas par cas, en fonction des sujets à traiter. La biosécurité et le dérèglement climatique ne s’appréhendent pas de la même manière.
En attendant de lancer une nouvelle version du site en janvier 2019 et de présenter notre calendrier pour l’année à venir, nous donnons des conférences et des interviews. D’ici là, nous allons parler de The Good Country dans différents pays et rencontrer notre communauté de citoyens. Avant d’agir, il nous faut en attirer d’autres. Même si les défis sont grands, l’enthousiasme rencontré nous encourage. Nous sommes ouverts à de nouvelles idées et prêts à répondre aux questions.
Couverture : Slava Bowman