Park Sang-hak est au volant d’un mini van sur l’autoroute et passe à toute vitesse sous le panneau indiquant Pyongyang. « Là-bas, c’est la Corée du Nord », dit-il, pointant du doigt les pâturages qui s’étendent derrière une clôture de barbelés, au-delà de l’estuaire de l’Imjin.
Lâcher de ballons
Le van se gare sur une aire de stationnement, où Park salue le reste des Combattants pour une Corée du Nord Libre (Fighters for a Free North Korea). Ce sont tous des transfuges du Nord. Il y a là sa mère, sa belle-sœur et sa femme, qui porte un anorak violet ainsi qu’une visière en plastique. Elle recouvre tout son visage et la protège du soleil. Adossé près de la roue d’un petit camion d’approvisionnement bleu se tient son petit frère. Et sur l’asphalte attendent les membres d’un autre groupe proche de leurs idées, le Front de Libération du Peuple (People’s Liberation Front) : une troupe de choc composée de six hommes et trois femmes venus spécialement pour l’opération du jour. Anciens officiers de l’armée de Corée du Nord, vêtus de bérets et de treillis gris, ils auraient presque l’air intimidants si les bottes de combats des femmes n’étaient pas des talons hauts.
Park a passé les dix dernières années à tenter de mettre un terme aux décennies de totalitarisme qu’a connues la Corée du Nord. Quelle est son arme principale dans sa lutte contre la dynastie Kim et ses sbires de Pyongyang ? Des ballons gonflables. Park supervise les préparatifs du lancement, alors qu’un vent froid souffle sur l’aire de stationnement. Un camion transportant des bouteilles d’hydrogène s’arrête près de nous. Les membres du Front de Libération aident à décharger des cartons de baudruches et vingt pochettes plastiques remplies de DVD, de dollars américains et de brochures. Chaque sac pèse moins de dix kilos : la charge maximale que peut supporter un ballon. En tout, il y a 200 000 pages recto verso de tracts imprimés sur du polyvinyle, une matière aussi légère que les mouchoirs en papiers, mais résistante à l’eau. Sur une des brochures, on peut lire les dix premiers articles de la version américaine de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un autre pamphlet critique la dynastie Kim. Les poches sont également dotées d’un tube qui contient un produit chimique faisant office de minuteur : une fois le ballon lâché, après un certain temps, sous l’action du produit, les poches vont s’ouvrir et chuter jusqu’au sol, répandant au Nord les messages de Park, venus du Sud par le ciel. « La Corée du Nord est infranchissable. Elles est encerclée par un véritable rideau de fer et l’information ne peut pas l’atteindre, explique Park. Mais avec ces ballons, en survolant le rideau, rien ne peut l’arrêter. » En contrant la censure instaurée dans le Nord, Park espère encourager ses anciens compatriotes à renverser leurs souverains. « Nous pouvons leur faire prendre conscience de la situation et ainsi leur laisser le choix, en toute connaissance de cause, de se battre ou non. » La mère et la belle-sœur de Park attachent deux paquets de tracts à chaque ballon, puis les remplissent tour à tour d’hydrogène, produisant à chaque fois le sifflement strident propre au gaz mis sous haute pression. Les ballons, longs de 10 mètres et larges de 2, ballottent lentement dans l’air, certains arborant des slogans écrits en caractères coréens multicolores. Les membres du Front de Libération du Peuple commencent à s’énerver, le vent giflant puissamment leurs dos alors qu’ils attendent le signal pour lâcher les ballons. Park lutte pour accrocher une bannière – un dessin représentant Kim Jong-un se cramponnant à un missile nucléaire comme un gamin étreindrait un doudou – à la queue du dernier ballon. Puis il donne ses dernières instructions. « Restez concentrés ! crie-t-il. Tous ensemble ! Un, deux ! » Cinq ballons s’envolent comme des fusées, les rayons du zénith traversant leur enveloppes en plastique, des farandoles de feuilles tournoyant avec leurs fils. Ils s’élèvent rapidement, portés par le vent, et se font de plus en plus petits, jusqu’à être engloutis par l’éclat blanc du soleil. Si tout se passe comme prévu, ils flotteront au-dessus de Pyongyang dans quatre heures.
La Cible Zéro
Park a 46 ans. C’est un petit homme, maigre et nerveux. Il vit dans la banlieue sud de Séoul, et lorsqu’il n’est pas chez lui, il est souvent accompagné d’un ou deux policiers en civil, qui le conduisent où il le souhaite dans une modeste Hyundai citadine. Park reçoit régulièrement des lettres de menace : par mail, par téléphone, et même – c’est sûrement dû au charme suranné de la Corée du Nord – par fax. « L’indicatif vient toujours de Chine », indique Park. Mais il n’est pas naïf et sait très bien d’où proviennent vraiment ces messages. Depuis qu’il a commencé à envoyer des ballons, en 2004, il est devenu une telle source d’irritation pour le régime de Pyongyang que la télévision d’état nord-coréenne a fait de lui il y a cinq ans sa Cible Zéro. Une place à part, au-dessus du numéro 1, qui fait de lui le plus grand ennemi de l’État.
Ahn avait servi dans les forces spéciales nord-coréenne et transportait avec lui tout un attirail de gadgets meurtriers dignes d’un film d’espionnage.
« Je suis passé à la télé 500 fois en trois ans », raconte-t-il. Les gens le reconnaissent dans les restaurants, et il doit se déguiser quand il part en randonnée. Il s’amuse à dire qu’il est aussi connu en Corée du Sud qu’en Corée du Nord. Je lui demande donc s’il reçoit des aides du gouvernement. Il rigole. Chaque ballon lancé coûte environ 500 $, mais contrairement aux autres groupes transfuges, les Combattants pour une Corée du Nord Libre ne reçoivent par d’argent de l’État. « Non, on a quelques centaines de personnes qui nous donnent 5 ou 10 dollars par mois. Et aucune de ces personnes n’est particulièrement fortunée. » Il y a trois ans, un autre transfuge l’a contacté, évoquant une possible négociation avec une personne qui pourrait fournir des financements pour son action. Les services de renseignements de Corée du Sud l’ont informé qu’il s’agissait d’un piège, et ils ont fini par arrêter quatre hommes à la station du métro de Séoul qui devait servir de lieu de rendez-vous. L’un d’entre eux, un transfuge connu seulement sous le nom de Ahn, avait servi dans les forces spéciales nord-coréenne et transportait avec lui tout un attirail de gadgets meurtriers dignes d’un film d’espionnage – parmi lesquels une lampe torche miniature qui tirait des balles, un stylo qui lançait des fléchettes en métal, et un autre qui contenait une aiguille capable d’injecter à sa victime une toxine mortelle. Ahn a admis plus tard avoir été payé 12 000 $ par les Nord-Coréens pour assassiner Park. S’il avait refusé, ils auraient fait du mal sa famille. Park reste de marbre lorsqu’on lui dit qu’il pourrait très bien mourir pour son combat. Il sait qu’il fait du bon travail. La preuve : de temps en temps, le nombre d’agents en civil qui assurent sa protection vient à doubler. Si les hommes de Pyongyang arrivaient à l’attraper, dit-il, quelqu’un d’autre s’occuperait des ballons. « Même si Park Sang-hak est assassiné, déclare-t-il, il restera toujours son numéro deux, et même son numéro trois. »
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En Corée du Nord, le père de Park, Park Gun-hee, était membre du Parti Travailliste au pouvoir. Il est devenu haut fonctionnaire du Bureau des Sciences et des Technologies du régime, puis plus tard général du 35e bureau, celui des services de renseignements de la Corée du Nord. Sang-hak était l’aîné de ses trois enfants. Il est né dans la ville montagneuse de Hyesan, tout près du fleuve Yalou, qui borde la frontière chinoise. Les rives du Yalou n’étaient qu’à une vingtaine de mètres de chez lui. Il était donc aisé pour Park de s’y rendre durant son adolescence, et de parler avec les Chinois de Changbai situés sur l’autre rive. Au début des années 1980, il a remarqué certains changements de l’autre côté du fleuve : les petites huttes étaient progressivement remplacées par des maisons en ciment. Quand Park a demandé à ses voisins ce qu’il se passait, ils lui ont parlé des réformes économiques de Deng Xiaoping. Durant l’hiver 1985, à l’âge de 17 ans, Park a traversé la rivière gelée pour se balader dans les rues de Changbai. Et quelle n’a pas été sa surprise de voir des gens porter des vêtements américains et de les entendre parler avec admiration des États-Unis ! À 18 ans, Park a déménagé à Pyongyang pour étudier l’ingénierie électrique. En 1992, il a vu pour la première fois des tracts venant du Sud. Avec ses camarades d’université, il a alors fait un voyage à Wonsan, un port de la mer du Japon, où ils ont vu deux énormes ballons sphériques flotter doucement vers eux, à 10 ou 15 mètres de distance et à des centaines de mètres au-dessus de leur tête. C’étaient des ballons de propagande que le gouvernement de Séoul avait commencé à envoyer en direction du Nord il y a des décennies. Park les observait attentivement. L’un des ballons s’est mis à dériver, mais le deuxième a continué d’avancer vers lui. Lorsqu’il s’est trouvé juste au-dessus de sa tête, il a entendu comme une détonation, et des centaines de tracts sont tombés du ciel, recouvrant le sol. Les soldats ont essayé d’empêcher la foule de ramasser les tracts, mais il y en avait trop, et beaucoup trop de monde.
Plus tard dans la nuit, en lisant l’un des tracts Park a découvert les images de jeunes filles en bikinis bronzant sur la plage de Busan, mais il a pu lire également des informations sur Kang Chol-hwan et An Hyuk, d’anciens prisonniers de Yodok – un camp de concentration nord-coréen dont peu de gens connaissaient l’existence – qui s’en étaient récemment échappé. Après une formation complémentaire de six mois aux techniques de propagande, il a trouvé un excellent poste au sein du Département de la Propagande et de l’Agitation de la Jeune Ligue Socialiste de Kim Il-sung. Bien que le fait de posséder une voiture à soi était parfaitement inimaginable, même pour un membre du parti, le département lui a néanmoins prêté une Toyota Crown plutôt agréable, qu’il était même autorisé à garer chez lui. Il aimait son travail. Il était engagé. Sa situation lui semblait idéale. Sous le régime de Pyongyang, la consultation de médias étrangers non approuvés est illégale, et les délinquants sont envoyés dans des camps. Les censeurs du gouvernement organisent des perquisitions dans tout le pays pour saisir des films et des enregistrements illégaux. Selon Kim Hueng-kang, directeur de la Solidarité des Intellectuels de Corée du Nord, un groupe de recherche regroupant des universitaires, des ingénieurs et des docteurs ayant fuit vers le Sud, avant chaque descente, les censeurs coupaient l’électricité à des villages entiers, de sorte que les cassettes et les disques qui étaient en train d’être lus ne puissent être sorties des machines. Les Nord-Coréens se sont alors mis à garder deux radios – une à montrer aux censeurs, l’autre pour écouter leurs programmes – et à utiliser des batteries de voiture pour alimenter les lecteurs CD et ainsi éviter les tactiques de la police secrète. À la fin de l’année 1993, même la nomenklatura nord-coréenne devait se rendre à l’évidence : les choses avaient mal tourné. La fin de l’aide soviétique, une série de catastrophes naturelles, la famine et l’échec de l’économie planifiée ont transformé les mésaventures de la vie quotidienne sous le régime Kim en une catastrophe nationale. Park Gun-hee, qui à ce moment-là était en poste à Tokyo, a prévenu son fils que les choses allaient devoir changer. « Mon père a commencé à me décrire la Corée du Nord comme un État sur le point de s’effondrer, et il me disait que nous devions nous échapper », se souvient Park. Aux premières heures du 21 août 1999, Park, son frère, sa sœur et sa mère ont traversé le fleuve Yalou. Il a laissé derrière lui sa fiancée. Munis de faux passeports ils ont rejoint Séoul depuis la Chine. Les services de renseignements sud-coréens les y attendaient. Sur la route au départ de l’aéroport international de Gimpo, Park a été surpris par le spectacle des voitures grouillant dans la ville. Il trouvait extraordinaire que l’élite du parti soit si nombreuse. « Je n’avais pas vraiment compris la situation en Corée du Sud », confie-t-il. Park a alors trouvé un emploi dans le département de recherche en technologie mobile de l’Université Nationale de Séoul. Le gouvernement a tenu compte de son profil d’ingénieur, mais peut-être pas au poste auquel il aurait pu prétendre à priori. Il s’est retrouvé en charge des ressources humaines, après avoir pris conscience que ce qu’on lui avait enseigné à Pyongyang – dans l’institut technique le plus prestigieux de la ville – était obsolète depuis vingt ans.
L’activiste
Park a vécu confortablement à Séoul pendant trois ans, avant de se lancer dans l’activisme. Il était resté sans aucune nouvelle des membres de sa famille restés au Nord, jusqu’à ce qu’un autre transfuge de Hyesan le contacte à Séoul en février 2003. On lui a appris que dans les semaines après sa fuite, les autorités avaient envoyés ses deux oncles dans un camp, où ils avaient été exécutés. Ses cousins, eux, avaient été abandonnés dans la rue. Le père de Park, lui, était encore au Japon. Park a démissionné et a formé un groupe avec les transfuges dont il avait lu les aventures lorsqu’il était étudiant, An et Kang.
La police a dû intervenir pour mettre un terme à ses lâchers de ballons ; mais il a continué en secret.
Ensemble, ils se sont alliés pour créer un groupe de pression, dans le but d’attirer l’attention sur le sort des Nord-Coréens. Ils ont voyagé jusqu’aux États-Unis et témoigné devant le Congrès des actions perpétrées sous le régime Kim, notamment de son système de camps. Park a pris part à des protestations à Tokyo et à Séoul ; il a été arrêté après avoir pénétré dans un sommet diplomatique et lancé une bouteille d’eau sur un délégué nord-coréen, le blessant à la tête. Mais Park voyait plus grand. « C’est très bien d’aller à Washington et de lancer des actions de protestation. Mais je sentais que nous avions besoin d’envoyer directement des informations au peuple nord-coréen. » En juin 2004, à l’apogée de la longue politique du rayon de soleil menée par le gouvernement sud-coréen, politique conçue pour encourager de meilleures relations avec le régime de Pyongyang, la Corée du Sud a imposé un moratoire sur ses efforts propagandistes, qu’il s’agisse des émissions de radio, des panneaux d’affichage, des chaînes de haut-parleurs implantés sur la zone démilitarisée, ou bien des vols de ballons apportant les tracts que Park avait vus lorsqu’il était étudiant. Mais Park ne se sentait pas concerné par cette politique, et il s’est promis de reprendre les choses là où l’État sud-coréen s’était arrêté. Ses premières tentatives étaient loin d’être remarquables. Park avait acheté 500 ballons de baudruche – de ceux qu’on utilise pour les anniversaires des enfants – dans une petite papeterie située près de chez lui, et les a remplis d’hélium dans un parc situé sur les rives de l’Imjin. Chaque ballon transportait deux morceaux de papiers. Il n’avait aucune idée d’où ils arriveraient. Les voir s’envoler vers le Nord était déjà pour lui un motif de satisfaction. Plus tard, Park a commencé à demander autour de lui quelles techniques le gouvernement utilisait pour mener à bien sa propagande aérienne. Il a pris rendez-vous avec un membre du département de la guerre psychologique du ministère de la Défense sud-coréen. Il a été déçu d’y apprendre que l’usine qui concevait les dirigeables utilisés par le gouvernement avait stoppé sa production. C’est là que lui est venue l’idée d’utiliser du plastique à double paroi pour façonner lui-même des ballons. « C’est très économique et très robuste, dit-il. Je devrais faire breveter l’idée. » Entre mars et début juin, profitant des vents du sud, il a entrepris ses premiers lancers de ballons chaque semaine. Les ballons expédiaient des tracts et de petites radios grâce auxquelles les Nord-Coréens pourraient recevoir les émissions provenant des stations radio du Sud. Son action était controversée : Park a été accusé de saper les progrès permis par le travail du ministère de l’Unification et de la politique de coopération, dite « du rayon de soleil », concernant les relations Nord-Sud. La police a dû intervenir pour mettre un terme à ses lâchers de ballons ; mais il a continué en secret.
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Il a fallu attendre 2008 avant qu’on ne prête une véritable attention à Park. En septembre de cette année-là, il a été invité à la Maison Blanche pour dîner avec George W. Bush, aux côtés de neuf autres dissidents venus du monde entier. C’est à partir de là que Pyongyang s’est mis à le prendre au sérieux et que les menaces de mort ont commencé à arriver. Au cour des discussions militaires bilatérales qui ont eu lieu juste après ce dîner à Washington, la délégation nord-coréenne a protesté contre les ballons de Park et des autres groupes transfuges : ils ont apporté des boîtes entières de ses tracts à la réunion et ont promis des sanctions si Park n’était pas arrêté et poursuivi. Le ministère de l’Unification lui a vivement conseillé de se soumettre. Mais Park ne s’est pas arrêté là. Il a ajouté à ses colis aériens des clés USB contenant des vidéos : des fichiers concernant Samsung, Hyundai, la prospérité économique du Sud, ainsi qu’une comédie musicale sur le camp de Yodok. Il a complété ses « bombes de papiers » avec des dollars – pas moins de 1000 par lancer. À la suite d’une annonce selon laquelle le souverain bien-aimé venait de subir une attaque, le Nord, beaucoup plus sensible, a mobilisé ses troupes pour récupérer tous les flyers éparpillés.
En décembre 2008, alors que Park préparait un nouveau lâcher de dix ballons au-delà de l’Imjin, un groupe de protestataires progressistes sud-coréens sont venus pour l’en empêcher. L’altercation a mal tourné. Un des membres de l’équipe de Park a été hospitalisé après avoir été frappé avec une clef à écrous. Un reporter du Washington Post a vu Park donner un coup de pied à la tête d’un de ses opposants alors que celui-ci essayait d’éventrer un sac de prospectus. Park a même utilisé sa bombe lacrymogène en l’air avant que la police ne la lui confisque. Il n’est parvenu qu’à envoyer un seul ballon ce jour-là, mais il est revenu le lendemain et a fait un bien meilleur score, sous la surveillance de 200 policiers. Début 2010, Pyongyang a mis en garde : le Nord procéderait à des tirs d’artillerie aveugles vers le Sud, d’où des ballons seraient lancés. Mais Park a persisté. Il a envoyé sur DVD des vidéos qui représentaient Kim Il-sung en travesti (avec talons aiguilles et bustier) ou en sosie obèse d’Elvis. Ses lâchers de ballons, de plus en plus attendus par les médias, sont devenus de véritables événements. « Des gens attendent les ballons avec des gilets pare balle », explique Park. Des locaux affirment que les tirs d’artillerie ont des conséquences sur le tourisme ; les restaurants assurent que leurs revenus ont diminué de moitié. Peu après la mort de Hwang Jang-yop, l’inspirateur de la doctrine du « Juche » et le cadre le plus haut placé du régime nord-coréen à avoir fait défection, Park est définitivement devenu l’ennemi public le plus activement recherché. L’an dernier, l’ONG américaine Human Rights Foundation a décerné à Park le prix Václav Havel de la Dissidence Créative.
Des tracts sont bien parvenus à Pyongyang.
Et pourtant, il est toujours impossible aujourd’hui de savoir si les ballons atteignent ou non leurs cibles. Pour prédire le chemin qu’ils empruntent, Park utilise des modèles météorologiques, mais ils ne sont pas très fiables. Certains s’amusent à souligner qu’au moins un lâcher de ballon n’a pas atteint sa cible, puisqu’il a délivré ses messages au Sud, au-dessus de Séoul ; ce à quoi Park réplique que des transfuges venus du Nord lui ont parlé de ses messages et sont les témoins de la réussite de son action. Des tracts sont bien parvenus à Pyongyang. La Solidarité des Intellectuels de Corée du Nord reconnaît que les ballons sont de bons outils de propagande, mais ils estiment également qu’ils ne volent pas suffisamment loin dans l’intérieur du pays pour toucher le peuple. « C’est une méthode efficace pour faire peur au gouvernement nord-coréen, mais pendant 80 % de l’année, le vent souffle d’ouest en est. Par conséquent, les ballons tombent souvent près de la zone démilitarisée. Les citoyens ne peuvent alors pas les voir, ce sont plutôt les soldats qui le peuvent. » Mais Park ne se décourage pas. « Il y a 27 000 transfuges en Corée du Sud, et des centaines d’entre eux m’ont affirmé avoir lu mes pamphlets. »
Traduit de l’anglais par Guillaume Dejonghe d’après l’article « The No-Tech Tactics of North Korea’s Most Wanted Defector », paru dans Bloomberg Businessweek. Couverture : Aéroport de Pyongyang. Création graphique par Ulyces.