Prenant ses racines dans l’hindouisme qui définit le système des castes, l’Intouchabilité est le motif d’une ségrégation particulièrement violente de plus de 16 % de la population indienne. Certains Intouchables ont tout de même progressivement réussi à se faire une place en politique, soit en y participant activement soit en remportant des élections. Et alors que les élections législatives de 2014 approchent à grands pas, le principal parti représentant les Intouchables, le BSP (Bahujan Samaj Party), plusieurs fois élu à la tête de l’État de l’Uttar Pradesh, a récemment décidé de s’y présenter seul, sans alliance avec le Parti du Congrès actuellement au pouvoir. Cette affirmation politique de plus en plus claire à l’échelle nationale constitue le résultat de plusieurs décennies d’activisme politique dalit mêlé à une politique de réservations issue de la Constitution de 1950. Si certains Intouchables réussissent à échapper à leur destinée sociale et même à faire pleinement partie de la communauté politique, il ne faut pas oublier que la majorité reste sur le carreau et ne profite pas d’une telle évolution.
Des Intouchables ségrégués au militantisme dalit
Leur ombre ne doit pas croiser les « purs », leur « impureté » leur interdit d’utiliser l’eau commune et d’entrer dans les temples, leur vie et celle de leurs enfants sont condamnées à la soumission et à l’exercice de tâches dégradantes comme le nettoyage des excréments humains ou le ramassage des cadavres d’animaux. Les femmes sont violées en toute impunité. Non, il ne s’agit pas du début d’un affreux conte dystopique, mais de la réalité vécue par des générations et des générations de personnes qu’on a décrétées particulièrement indignes d’être fréquentées, en somme « intouchables » car considérées hors-castes par la religion hindoue. Selon cette dernière, toute personne naît dans une position sociale qui reflète le degré de pureté de sa vie antérieure. Si une personne naît donc intouchable, on ne peut rien y faire puisqu’il s’agit d’une punition divine consécutive à une vie particulièrement « impure ». Si cet état d’esprit et cette ségrégation sont aujourd’hui minimes à l’échelle des grandes villes de l’Inde, il demeure en campagne et a dominé cette région depuis au moins un millénaire.
Depuis plusieurs décennies, une partie des Intouchables se bat dans l’arène politique pour mettre fin à cette condition. Le premier véritable succès de prise de conscience politique date d’une trentaine d’années avant l’indépendance de l’Inde (1947). Bhimrao Rajmi Ambedkar est alors la principale figure politique des Intouchables. Né dans une famille mahar, une profession appartenant au groupe des Intouchables, mais dont le père travaillait dans l’Armée des Indes britanniques, Ambedkar parvient à faire remarquer ses qualités scolaires et à faire de brillantes études, parcours déjà tout à fait atypique au vu de ses origines. Sa première intervention politique est d’emblée marquée par un militantisme en faveur des Intouchables : devant une commission britannique préparant le Government Act of India de 1919 il réclame un électorat séparé et des quotas pour ce groupe. Avec d’autres Intouchables sensibilisés à la politique, Ambedkar crée le 20 juin 1924 le Bahishkrit Hitakarini Sabha pour inclure le plus grand nombre d’Intouchables possible au mouvement de revendication de nouveaux droit en leur faveur. Son slogan, « Agiter, Éduquer, Organiser », est encore aujourd’hui un modèle pour les organisations intouchables. Parallèlement, Ambedkar popularise l’expression « Dalits », qui signifie littéralement « brisés », pour remplacer par l’idée d’une oppression celle d’une impureté intrinsèque que présuppose l’expression « Intouchables ». Ce mot a d’ailleurs été inventé dans la seconde partie du XIXe siècle par Jyotirao Phule, un pionnier dans la lutte contre l’Intouchabilité, lutte dont Ambedkar réclame l’héritage. C’est alors qu’émerge le militantisme dalit niant tout destin à la ségrégation et promouvant l’abolition du système des castes. Dans les années 1920, plusieurs actions non-violentes sont lancées pour autoriser les Dalits à boire l’eau commune et à entrer dans les temples hindous. La popularité grandissante d’Ambedkar lui permet de gagner en crédibilité auprès du gouvernement britannique qui l’invite à Londres pour une table ronde afin de réformer la constitution des Indes britanniques, en 1930. Ambedkar y réaffirme son attachement à un électorat séparé et des quotas pour les Dalits. Gandhi s’y oppose et fait une grève de la faim en 1932 pour empêcher la validation de la loi. Officiellement, Gandhi jugeait qu’un électorat séparé ne ferait que renforcer la discrimination envers les Dalits. Des critiques de Gandhi pointent plutôt son hindouisme politique prônant un système des castes rigide. Gandhi jugeait qu’un électorat séparé pour les Intouchables détruirait la société hindoue. L’opposition de Gandhi oblige alors Ambedkar à accepter un compromis fixé par le Pacte de Pune le 24 septembre 1932. Celui-ci réserve quelques sièges aux Dalits dans les assemblées électives.Parallèlement, le mouvement de Libération nationale a placé Gandhi, et non Ambedkar, en père de la nation. Les élections constituantes de 1946 placent le Parti du Congrès en tête.
Le Government Act of India de 1935 entérine le pacte en confirmant le système de réservation leur octroyant 7 sièges (sur 156) au Council of state (la chambre haute) et 19 sièges (sur 150) dans la Central Assembly (la chambre basse). Au niveau des assemblées législatives de province, 151 sièges sur 1585 sont également réservés aux Dalits. Il s’agit certes d’une avancée, mais elle reste minime, puisque le nombre de sièges réservés ne permet aucune représentation proportionnelle au poids démographique des Dalits. Face à ce défaut majeur, Ambedkar se radicalise, à la fois idéologiquement et politiquement : il critique directement l’hindouisme dans ses écrits et prône la conversion au bouddhisme, religion qu’il considère comme plus légitime en Inde. Il crée également plusieurs partis politiques, tout d’abord l’Independent Labour Party en 1936 puis la Scheduled Castes Federation visant à l’unification des Dalits en 1942, à la suite de l’échec du premier. Cette fédération échoue également en 1947 car les Intouchables ne sont pas un groupe monolithique : des milliers de jâti (professions faisant office de sous-castes) hiérarchisées composent ce groupe et finalement, les Intouchables appartenant aux jâti les plus hautes reproduisent le mépris qu’ils subissent sur les Intouchables des jâti les plus basses. Parallèlement, le mouvement de Libération nationale a placé Gandhi, et non Ambedkar, en père de la nation. Les élections constituantes de 1946 placent le Parti du Congrès en tête, lui permettant ainsi de diriger la toute nouvelle Inde indépendante. La carrière politique d’Ambedkar prend toutefois un nouvel élan quand Jawaharlal Nehru le nomme Ministre de la Justice et le charge de rédiger la constitution du pays. Il réussit à interdire les discriminations du fait de la religion, la race, la caste, le sexe, la descendance, l’origine et la résidence dans l’article 16 de la Constitution adoptée en 1950. L’article suivant abolit l’Intouchabilité. Un nom officiel est donné aux Dalits : Scheduled Castes, afin de mieux les viser en termes de politiques publiques. Des quotas proportionnels au poids démographique (globalement 15 % mais les chiffres peuvent varier selon l’État) des Dalits sont également mis en place aux niveaux de l’administration publique et des postes électoraux. Pour pouvoir réclamer leurs droits auprès de l’État, les Dalits doivent avoir un certificat reconnaissant leur caste.
La Constitution, au lieu de supprimer l’identité de castes, renforce comme jamais cette dernière, dans une optique de transition vers l’indifférenciation des conditions matérielles, culturelles et sociales entre les castes. Pour preuve, ces quotas sont destinés à ne durer que dix ans. Ambedkar veut alors une phase temporaire de discrimination positive pour que les Dalits montrent à la société indienne qu’ils sont tout autant capables que les autres d’occuper de hautes fonctions, changeant par la même occasion les mentalités tout en fragilisant la légitimité des castes. Mais l’adoption d’un Code Civil Hindou en 1951, menaçant à la fois l’égalité entre les castes et l’égalité entre les femmes et les hommes, est un coup dur pour Ambedkar qui finit par démissionner. Il meurt en 1959, après s’être finalement converti au bouddhisme en 1956, incitant alors des centaines de milliers de Dalits à en faire de même, et après avoir crée le Republican Party of India l’année suivante. En 1960, le système de quotas est renouvelé, cette fois pour une période indéfinie, soulignant l’échec à court terme de la stratégie d’assimilation des Dalits par la seule discrimination positive.La création d’une élite dalit
S’il est nécessaire de renouveler le système de quotas en 1960, c’est parce que l’écrasante majorité des Dalits reste hors du jeu administratif et politique. Les quotas, n’agissant qu’au niveau de l’embauche, ne peuvent suffire. Bien que les universités publiques soient également marquées par le système des quotas, trop peu de Dalits ont accès à une éducation de qualité dès l’enfance, à cause des énormes difficultés économiques qu’ils subissent encore.
Seuls les quotas de la catégorie 4 de la fonction publique, c’est-à-dire les emplois chargés du nettoyage des lieux publics, sont remplis dès 1953.
D’une part, la majorité des enfants dalits vont travailler pour augmenter les revenus de leurs parents et, d’autre part, l’école publique est globalement de mauvaise qualité à cause de la corruption et du peu d’argent consacré à ce secteur. Comment alors remplir les quotas quand le nombre de candidats à l’embauche leur est inférieur ? Seuls les quotas de la catégorie 4 de la fonction publique, c’est-à-dire les emplois chargés du nettoyage des lieux publics, sont remplis dès 1953. Il faut attendre une trentaine d’années pour que la part de Scheduled Castes dans les catégories 1 et 2, plus élevées sur l’échelle sociale, augmente de façon significative. Une élite dalit, sur la base des hauts fonctionnaires, finit donc par apparaître. Toutefois, la libéralisation économique initiée en 1991 donne un coup de frein au développement de cette élite puisque la réduction du secteur publique implique de facto une réduction du nombre de postes. Le secteur privé gagne alors en importance dans l’économie indienne et c’est précisément ce secteur qui est exempté de quota. La création d’une élite administrative a tout de même été le moteur de la création d’une élite politique. Christophe Jaffrelot, spécialiste de l’Inde, note que « le fondateur du BSP, le principal parti dalit, Kanshi Ram, par exemple, avait bénéficié du système de quotas de postes réservés avant de se tourner vers la politique – et K.R. Narayanan 2avait été un haut fonctionnaire du cadre des Affaires étrangères avant de rejoindre les rangs du parti du Congrès. » La création d’une élite politique dalit permet la présence structurelle de partis se disant pro-Dalits. Ces derniers, bien qu’ils brandissent la plupart du temps l’héritage d’Ambedkar, ne sont pas directement liés à ce dernier. Le Republican Party of India créé par Ambedkar peu avant sa mort existe toujours, mais pas dans sa forme initiale : à la mort du leader, une cinquantaine de factions du parti ont créé leur propre parti indépendant. Certaines d’entre elles ont rejoint le Parti du Congrès et même le Bharatiya Janata Party (le parti de droite nationaliste hindou). Dans le Maharashtra, dont la capitale est Mumbai, plusieurs factions se sont réunies autour du Republican Party of India (United), sans grands succès électoraux. La mobilisation politique des Dalits depuis Ambedkar est alors à chercher ailleurs. Durant l’ère Nehru, et même jusque dans les années 1990, le Parti du Congrès récolte le gros de l’électorat dalit grâce aux réformes économiques réformistes initiées par Jawarhalal Nehru. Mais avec la libéralisation économique initiée en 1991 et la montée en puissance des partis dalits et régionalistes, le vote des Dalits tend à se disperser aussi bien à droite qu’à gauche. En 1996, 37.3 % des Dalits de l’État de l’Andhra Pradesh ont voté pour la Telegu-Desam alliance tandis que 36 % d’entre eux ont voté pour le BJP à Delhi. Aujourd’hui, les partis régionaux récoltent 50 % du vote dalit, le Parti du Congrès 30 % et le BJP 12 %.
Des divisions apparaissent également selon le critère économique : 10 % des Dalits les plus pauvres votent pour le BJP alors que ce parti récolte près de 23 % des votes des Dalits de la classe moyenne et riche. Il ne s’agit là que d’un apparent paradoxe : une partie de l’élite dalit née des quotas vote au BJP, parti traditionaliste hindou majoritairement composé des hautes castes, par nationalisme et intérêt économique, le BJP ayant eu dès sa création une tendance prononcée vers le libéralisme économique. Un dalit, Bangaru Laxman, a même été président du BJP de 2000 à 2001 ainsi que Ministre du Réseau Ferroviaire de 1999 à 2000, sous le gouvernement BJP. À l’aune des prochaines élections législatives en mai 2014, le Parti du Congrès et le BJP développent de multiples stratégies afin de conquérir le vote des Dalits, les deux partis promettant une meilleure inclusion du groupe dans la vie politique, sociale et économique. L’émergence la plus spectaculaire d’un parti politique affirmant servir les intérêts des Dalits demeure celle du Bahujan Samaj Party dans l’État de l’Uttar Pradesh. Fondé en 1983 par le sus-cité Kanshi Ram, ce parti dalit se réclame de la philosophie d’Ambedkar. En essayant d’emblée de réunir à la fois Dalits, les Other Backward Classes (majoritairement composées de la caste des Shudras3) et les minorités religieuses comme les musulmans, les catholiques ou encore les sikhs, le BSP cherche dès sa création à conquérir une large assise électorale pour conquérir le pouvoir. Dès 1993, le parti remporte assez de voix aux élections de l’État de l’Uttar Pradesh pour former une coalition avec un autre parti régional. Pour la première fois dans l’histoire indienne, une jeune femme dalit accède au poste de Chief Minister. En 1995, la leader du BSP, Take Mayawati, retire son soutien au gouvernement pour déclencher de nouvelles élections, que le parti remporte en s’alliant avec le BJP, alliance réitérée en 2002. Il s’agit là d’une stratégie d’évitement des « brahmanes socialistes » (le Parti du Congrès), plus dangereux car plus pernicieux que les « brahmanes sacrés » (le BJP) pour reprendre les termes d’un journaliste proche du BSP. Pour justifier cette alliance avec ce qui semble l’ennemi naturel, le BSP met en avant qu’une stratégie de court-terme permettant d’exercer le pouvoir, avec qui que ce soit, est préférable à la mise à l’écart politique, dans une optique de politique dalit de long-terme.Le BSP insiste aussi sur les résultats concrets de ce gouvernement pour les Dalits d’Uttar Pradesh : une nette baisse de la violence et des élections pacifiques.
Le BSP insiste aussi sur les résultats concrets de ce gouvernement pour les Dalits d’Uttar Pradesh : une nette baisse de la violence et des élections pacifiques. Les critiques du BSP dénoncent quant à eux l’opportunisme politique d’une poignée de Dalits privilégiés, « assoiffés de pouvoir ». Le BSP gagne toutefois en succès avec les années puisqu’il obtient de plus en plus de sièges au niveau de l’assemblée nationale (14 en 1999 et 17 en 2004) et devient le seul parti majoritaire au niveau de l’Uttar Pradesh lors des élections de cet État en 2007. Take Mayawati peut alors former son gouvernement sans l’aide d’un autre parti. Ce gouvernement tombe toutefois en 2012 sous la pression du second parti de l’Uttar Pradesh. Au niveau de la politique menée par celle que l’on nomme Behenji (qui signifie sœur en hindi) , on peut ajouter aux points positifs l’amélioration de l’éducation publique et des conditions de vie des Dalits grâce à des travaux d’assainissement ainsi que le positionnement de Dalits à des postes clés de l’administration. Il est toutefois difficile de juger la politique de parti car, étant élu qu’au niveau d’un état, il est presque impossible de vraiment faire bouger les lignes pour la majorité des Dalits, qui restent très pauvres. Des zones d’ombre sont également à relever dans le règne du BSP : des accusations de corruption de Take Mayawati, notamment dues à la découverte d’une anormale quantité d’argent personnel font plus ou moins décliner la légitimité du parti, notamment dans son combat contre la corruption. Des divisions entre les dirigeants du parti ainsi qu’entre ce dernier et la base électorale, dont les revendications sont de plus en plus différentes, notamment en termes d’allocation de l’argent public, tendent à affaiblir le parti. Le BSP reste toutefois le troisième parti au niveau national avec près de 7% des voix et 20 sièges dans l’actuelle Assemblée nationale.
La controverse autour des quotas
De la création du BJP en 1980 à la fin de son premier mandat (1998-2004), les membres du parti, appartenant majoritairement aux castes supérieures, fustigent sans mesure le système de réservation. Ils accusent le système d’être responsable de la dégradation des services publics car il permettrait l’entrée de personnes « non-méritantes » dans l’administration publique. Le BJP dénonce donc le prétendu sacrifice des méritants par idéologie égalitariste. La haine des membres des castes supérieures est telle que certaines personnes pouvant potentiellement bénéficier des quotas sont obligées de cacher leur identité lorsqu’elles cherchent un emploi. C’est dans cette optique que le BJP soutient les manifestations anti-réservation, majoritairement composées d’étudiants des castes supérieures, au lendemain de la mise en application de certaines recommandations en matières de quotas de la Commission Mandal, chargée par le gouvernement en 1979 de mieux identifier les catégories défavorisées. Mais le constat qu’un électorat uniquement composé des Hindous des castes supérieures ne peut être suffisant face aux plus de 50 % de la population qui est visée par les quotas, et qui défendent d’ailleurs ces derniers avec ferveur, le BJP adopte depuis quelques années une position ambiguë. Dans ses promesses électorales de 2014, le parti promet par exemple d’accorder des quotas à des groupes sociaux qui n’en bénéficient pas encore. Le parti, en quête du vote des Dalits n’ose plus critiquer ouvertement le système.
Une autre critique du système des quotas vient quant à elle des communistes. Ces derniers privilégient une approche en termes de classes plutôt qu’en termes de castes. Ils ne s’opposent toutefois pas au système de réservation. Ils jugent ce dernier comme un pis-aller nécessaire dans un système capitaliste. Pis-aller, car les quotas ne s’attaquent pas aux racines du problème : les Dalits n’ont presque pas accès à la terre et sont majoritairement très pauvres. Supprimer les quotas ne ferait que renforcer la domination des castes supérieures car les Dalits subissent une exclusion sociale et économique. Mais à leurs yeux, les quotas ne pourront jamais conduire à une société sans caste. Seule une révolution menant à la socialisation des moyens de production est capable de le faire. Plus généralement, le débat classes contre castes permet de faire un constat conduisant à la nécessité d’une réforme du système des quotas. Comme Christophe Jaffrelot le remarque, la classe coïncide avec la caste la plupart du temps. Mais il peut y avoir des exceptions : un prêtre brahmane peut être plus pauvre qu’un agriculteur appartenant aux Other Backward Classes. Le premier vit dans une tradition hindouiste de rejet de biens matériels tandis que le second peut parfois s’enrichir quand le prix de ses terres augmente considérablement, comme aujourd’hui dans certaines zones de l’Inde. S’agissant des Dalits, le système des quotas tend à favoriser la cooptation d’une petite élite qui en profite depuis plusieurs générations. L’ajout d’un critère économique aux critères d’attribution des quotas permettrait d’encore mieux cibler la masse de Dalits vivant dans l’extrême pauvreté. L’enjeu étant toutefois de continuer à prendre en compte les autres facteurs de discriminations, au-delà des conditions matérielles. Un enfant d’une famille dalit au capital culturel et économique élevé risque toujours d’être discriminé, à l’emploi notamment, à cause de son statut hors-caste. Le témoignage d’un Dalit consultant dans un cabinet international à Mumbai reste éloquent : « Quand je reviens [dans son village du Gujarat]… La situation des personnes là-bas… Leur situation est vraiment très mauvaise et moi je suis toujours… Quand je reviens, je continue à être… C’est une sorte de contradiction en moi. Quand je reviens, je suis toujours… En ce qui concerne les personnes de haute caste, je suis toujours considéré comme une personne de basse caste. Même si je suis quelqu’un d’important [a big guy], à Mumbai, où ma caste ne compte pas, dès que je reviens je deviens “l’Intouchable”. Et ça je ne le supporte pas. »Couverture : Intouchables, par Lady Ottoline Morrell.