La Ciudad Blanca

Au fin fond de la jungle hondurienne se serait caché une opulente mégalopole aux remparts blancs comme neige, la Ciudad Blanca. Cette mégalopole aurait été un refuge idyllique pour les Amérindiens fuyant les Espagnols aux XVe et XVIe siècles. « D’après ce qu’on en dit, et quand on en retrancherait la moitié, ce royaume dépasserait celui du Mexique en richesse et l’égalerait pour la grandeur de ses villes, la multitude de ses habitants et l’ordre qui la gouverne », écrivit le conquistador Hernán Cortés au roi Charles Quint en 1526.

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L’emplacement de la cité

La Ciudad Blanca est également vue comme une cité maudite. Selon la légende, nul ne peut la dépouiller de ses trésors, ni même la pénétrer, sans en subir les conséquences. Mais cela n’a pas empêché nombre d’aventuriers de se lancer à sa recherche. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Theodore Morde.

En 1940, ce journaliste américain déclare avoir trouvé des vestiges de la fabuleuse mégalopole. Il décrit une cité fortifiée, assez étendue pour avoir un jour abrité 30 000 personnes, et décorée par des sculptures de singes. Il refuse néanmoins de révéler l’emplacement du site. Soixante-douze ans plus tard, le documentariste américain Steve Elkins tente de le découvrir à l’aide de la technologie. La vallée en forme de cratère qu’il a identifié comme une possible localisation, au cœur de la Mosquitia, région montagneuse de forêt humide au nord-est du Honduras, est d’abord survolée par un avion transportant un lidar – cet appareil, d’une valeur de plus d’un million d’euros, est capable de scanner le sol à travers la végétation la plus dense. Les images sont ensuite analysées par Chris Fisher, professeur d’anthropologie à l’université du Colorado. Elles révèlent plusieurs constructions humaines, disséminées sur environ 1,6 km. Leur architecture évoque bel et bien une cité précolombienne. Il n’y a qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net : il faut aller vérifier sur place. Or la Mosquitia est un des endroits les plus dangereux au monde. Ses montagnes sont escarpées ; son terrain, glissant ; ses ravins, profonds. Le feuillage des arbres, aussi hauts que des cathédrales, forment une canopée quasiment impénétrable par la lumière. En-dessous règnent les serpents, les insectes, les jaguars… et des parasites potentiellement mortels. L’équipe d’archéologues américains et honduriens menés par Chris Fisher et filmés par Steve Elkins est donc escortée par d’anciens membres des forces spéciales de l’armée britannique lorsqu’elle rejoint la Mosquitia à bord d’un hélicoptère, le 7 février 2015. Elle est également accompagnée par l’écrivain Douglas Preston, qui raconte son périple dans un livre intitulé The Lost City of The Monkey God – « la cité perdue du dieu singe ».

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L’arrivée en hélicoptère
Crédits : Douglas Preston/Facebook

La jungle est si dense que les explorateurs doivent se frayer un chemin à coups de machette et dormir dans des campements de fortune. Dès le premier jour, ils font la rencontre particulièrement désagréable d’un Fer de lance, serpent très venimeux. L’un des Britanniques chargés de la protection du groupe, Andrew Wood, le tient en respect avec une branche fourchue. « Tandis que la tête de la bête fouette l’air d’avant en arrière en tentant de planter ses crocs dans le poing de Woody, elle crache du venin sur le dos de sa main, dont la peau se couvre de cloques », raconte Douglas Preston. Finalement, l’ancien commando parvient à décapiter le serpent d’un violent coup de branche. Les Britanniques doivent ensuite extirper l’anthropologue Alicia Gonzalez de la boue dans laquelle elle s’est enfoncée jusqu’à la taille. Mais l’équipe retrouve rapidement les ruines observées sur les images du lidar. Le troisième jour de l’expédition, elle découvre des sculptures de pierre enterrées à la base d’une pyramide : des navires, des trônes, des vasques et des effigies qui dépassent légèrement du sol. Au centre de la cache se trouve la sculpture d’un homme à tête de vautour – et non de singe. Probablement la représentation d’un chaman, selon Douglas Preston, qui précise que les vautours symbolisent la mort et la transition spirituelle dans le Honduras précolombien. La plupart des sculptures ont été volontairement brisées, pratique alors courante parmi les peuples amérindiens, et censée libérer les esprits des objets placés dans les tombes. Le grand nombre de ces objets indiquerait néanmoins que la base de la pyramide n’était pas un tombeau individuel, mais un monument aux morts. D’après Chris Fisher, une catastrophe s’est produite dans la vallée il y a environ cinq siècles, entraînant le départ précipité des habitants de la cité, lesquels ont laissé derrière eux une dernière offrande à leurs dieux et à leurs disparus.

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L’une des sculptures retrouvées sous la pyramide
Crédits : Dave Yoder

La malédiction

De retour aux États-Unis après leurs découvertes, les explorateurs ont réalisé qu’ils n’avaient peut-être pas pour autant échappé à la « malédiction » attachée au mythe de la cité perdue au Honduras. La moitié du groupe, dont Douglas Preston, a en effet développé des symptômes de la leishmaniose – fièvre, fatigue, et vilaines lésions cutanées. Cette maladie provoquée par un parasite est transmise à l’homme par la piqûre d’insectes omniprésents dans les zones tropicales, les phlébotomes, et elle peut parfois être mortelle. « Elle présente trois formes cliniques : viscérale, cutanée, et muco-cutanée », explique Éric Prina, chercheur en parasitologie à l’Institut Pasteur. « La forme viscérale est la plus grave car des organes comme la rate et le foie sont atteints, et les conséquences peuvent être létales. La forme cutanée est la plus répandue. Les premières lésions sont relativement superficielles, mais la maladie peut s’étendre aux muqueuses et devenir sérieusement invalidante, voire défigurante. » L’infection peut en effet disloquer le nez et la bouche du malade.

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Un spécimen de Leishmania en action

Il n’existe à ce jour aucun vaccin contre la leishmaniose, et les traitements disponibles sont à la fois douloureux et toxiques. « Ils sont particulièrement toxiques pour les reins », souligne Éric Prina. « Et ils ne viennent pas toujours à bout du parasite. Le patient est débarrassé des symptômes mais ceux-ci peuvent revenir. La leishmaniose fait partie de ces maladies dites opportunistes, qui peuvent s’enclencher lorsque le système immunitaire du porteur du virus baisse. » Les explorateurs infectés, qui ont été pris en charge par la clinique des Instituts américains de la santé, un des rares établissements à soigner la leishmaniose aux États-Unis, ne sont donc pas forcément tirés d’affaire. Douglas Preston a d’ailleurs affirmé avoir eu de nouveaux accès de fièvre durant l’écriture de son livre The Lost City of The Monkey God. Peut-être cet état de santé précaire a-t-il inspiré l’explication que l’auteur donne à la mystérieuse et brutale disparition des habitants de la cité retrouvée. Douglas Preston avance qu’ils fuyaient de terribles épidémies. Il pense que, si cette partie de la Mosquitia est restée inviolée par les conquistadors, elle n’a en revanche pas été imperméable aux agents pathogènes importés dans le Nouveau Monde par les Européens, dès leur arrivée en 1492.

Ces agents pathogènes ont fait des ravages parmi les populations indigènes, qui n’étaient pas immunisées contre eux. Au Honduras, ils auraient causé la mort de 90 % des Amérindiens entre 1518 et 1550. Selon Douglas Preston, les agents pathogènes européens ont voyagé jusqu’aux tréfonds de la Mosquitia à la même époque. D’une part, avec les navires commerciaux qui ont remonté les fleuves Plátano et Patuca, et d’autre part, avec les Amérindiens fuyant l’esclavagisme. Cette microscopique invasion aurait alors décimé la population de la cité retrouvée, poussant les survivants horrifiés à abandonner leur vallée. L’hypothèse de Douglas Preston a été vivement critiquée par l’écrivain Jason Calavito, qui se passionne lui aussi pour l’archéologie. « Il n’y a pas assez de preuves pour savoir quand le site a été abandonné pour commencer à en chercher la cause », écrit-il sur son blog. Calavito reproche également à Preston de manquer d’intérêt pour la population hondurienne, et il n’est pas le seul. « Preston parle beaucoup du président du pays, qui se félicite d’une future hausse du tourisme, mais beaucoup moins des gens d’un rang moins élevé, qui pourraient avoir une idée plus nuancée de ce qui attend la Mosquitia et ses habitants », écrit le journaliste Brendan Koerner, qui fait néanmoins l’éloge du livre dans le New York Times. Par ailleurs, les ruines identifiées par l’équipe de Chris Fisher pourraient ne pas être celles de la cité à l’origine de la légende de la Ciudad Blanca, ni même celles de la « cité du dieu singe » prétendument découverte par Theodore Morde en 1940. C’est ce que soulignent plusieurs archéologues, comme John Hoopes, professeur à l’université du Kansas et signataire d’une lettre ouverte critique à l’égard du caractère sensationnaliste de l’expédition. Il n’est cependant pas interdit de penser qu’une polémique et une leishmaniose ressemblent fort aux châtiments que pourrait infliger une cité maudite à ses profanateurs…

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Le président hondurien sur le site de la cité retrouvée
Crédits : Presidencia Honduras


Couverture : L’une des sculptures retrouvées au pied de la pyramide. (Dave Yoder)