Soleil rouge
Assis au dernier rang, dans le Jet Propulsion Laboratory de Pasadena, en Californie, Tom Hoffman sautille sur sa chaise. « Insight voyage maintenant à une vitesse de 2 000 mètres par seconde », entend le directeur de cette mission spéciale de la NASA dans son casque, comme les dizaines d’ingénieurs réunis ce lundi 26 novembre 2018. À 227 937 millions de kilomètres de là, une boule de feu suivie d’une traîne orangée franchit l’atmosphère de Mars. Périlleuse traversée. Lorsque, ayant perdu des couleurs, la sonde déploie son parachute, une salve d’applaudissements claque à Pasadena. La voix entame alors un compte à rebours précis. « 600 mètres, 400, 200, 80, 60, 30, 20, 17… » Un silence anxieux flotte dans la salle. Sitôt l’ « atterrissage confirmé », si tant est qu’on puisse parler d’atterrissage ailleurs que sur Terre, elle est le théâtre d’une scène de liesse digne d’un film hollywoodien. Sous les clameurs, Tom Hoffman tombe dans les bras de ses collègues.
« Aujourd’hui, nous nous sommes posés sur Mars pour la huitième fois dans l’histoire humaine », se réjouit l’administrateur de la NASA Jim Bridenstine. « Insight va étudier le sol de Mars et elle nous apprendra des choses utiles pour préparer les astronautes à se rendre sur la Lune et plus tard sur Mars. » Plus tard, ce sera trop tard pour Elon Musk. Alors que la NASA compte envoyer ses astronautes sur la planète rouge en 2030, le patron de SpaceX assure qu’il pourra y construire une base dès 2028. Dans cette optique, six cargaisons suivront les pas d’Insight à partir de 2022. Leur matériel permettra à l’équipage envoyé deux ans plus tard d’entamer le chantier. Au cours d’une interview tournée le 25 novembre 2018 pour le dernier épisode de la série documentaire de HBO Axios, le milliardaire a confié avoir « 70 % de chance » de faire partie de l’aventure.
À condition de trouver « quelques centaines de milliers de dollars », n’importe quel particulier devrait selon lui pouvoir en faire de même. D’ailleurs, ce n’est pas exactement une vie de nanti qui les attend. « Ça va être dur. Il y a de grandes chances de mourir », avertit l’entrepreneur. « Imaginez-vous voyager dans une petite cabine à travers l’espace ; vous pouvez éventuellement atterrir avec succès, mais il faudra ensuite travailler non-stop sur la base, sans beaucoup de temps libre pour les loisirs. » Étant donné « l’environnement très difficile » de la planète, l’entreprise « pense que ces voyageurs pourraient revenir sur Terre, mais n’en est pas sûre ». Il faut donc un certain courage. « Est-ce que cela ressemble à une sortie de secours réservée aux gens riches ? » interroge ironiquement Elon Musk.
La société martienne sera-t-elle démocratique pour autant ? Le discret « atelier sur Mars » organisé par SpaceX en août 2018, garni d’invités triés sur le volet, suggère le contraire. « Vous pouvez voir l’espace comme la Californie du XVIIe siècle », remarque François Chopard. Son exploration sera comparable à la « ruée vers l’or », pour ce PDG de l’incubateur de start-up aéronautiques et spatiales Starburst. Autrement dit, les premiers arrivés seront les premiers servis. Et il se pourrait bien que les compagnies privées, comme jadis les vendeurs de pelles, raflent la mise. « À un moment, l’espace sera privé », jure-t-il. « Vous posséderez un astéroïde, un morceau de galaxie et vous en ferez commerce. Si une entreprise se rend sur Mars, elle voudra une propriété. Ça ne va pas rester libre et pur. »
Pour Stephen Petranek, journaliste scientifique américain et auteur du livre How We’ll Live on Mars, la découverte de la planète rouge ne se passera pas exactement comme la colonisation de l’Amérique : « Les gens ne vont pas mourir comme c’est arrivé à Jamestown quand les Européens sont arrivés. Il y aura probablement une colonie composée de dizaines de milliers de personnes dans les 35 années à venir. » Cet écrivain fasciné par l’espace a rencontré Elon Musk pour son livre. Le milliardaire lui a confié qu’il entendait envoyer quelque 80 000 personnes sur la planète rouge d’ici 2050. Ensuite, la population pourrait bien y atteindre le million. Tout ce monde va donc devoir s’organiser pour cohabiter.
La ruée
En comparant Mars et Jamestown, Stephen Petranek oublierait presque un détail. Au moins l’air était-il respirable aux États-Unis. À leur arrivée sur la quatrième planète du système solaire, les astronautes « vont devoir rester à l’intérieur pour ne pas s’exposer aux radiations », reconnaît-il. « Donc les gens vivront surtout sous le sol ou dans des habitats très protégés. » Aussi, les travaux d’Insight pourraient bien leur être utiles. La sonde « va nous donner une vision 3D de l’intérieur de Mars », décrit Tom Hoffman. « Elle va vivre plusieurs secousses sismiques. Nous savons que Mars n’a pas de plaque tectonique mais nous avons des preuves de séismes. » Plutôt que de mettre ses hommes sous la surface, la NASA compte enfermer son équipe dans un grand tube pendant trois ans, sans possibilité de sortie.
La terraformation – dont la démonstration reste à faire – risquant de prendre du temps, Stephen Petranek envisage « des hommes génétiquement modifiés, capables de survivre à un environnement où les radiations sont fortes ». En revanche, à l’instar des colons américains, ceux qui se rendront sur Mars « amèneront leurs propres cultures et une nouvelle société va évoluer », songe-t-il. D’ailleurs, les dizaines de milliers de personnes qui se sont inscrites au programme Mars One essayent déjà de la faire vivre. Lancé par l’ingénieur néerlandais Bas Lansdorp, ce projet a pour ambition de former une colonie martienne dès 2032. Il questionne la capacité de notre société à « développer des normes éthiques et morales pour régir notre comportement dans l’espace extra-atmosphérique » et examine « les dilemmes pour ceux qui seront envoyés dans l’espace par une entité privée », note Dorte Jessen dans un article universitaire sur le sujet.
Mars a beau demeurer une terra incognita, la culture qu’y apporteront les êtres humains, comme le dit justement Stephen Petranek, aura son importance. Or, un corps de normes existe déjà. Le traité de l’espace signé en 1967 reconnaît le droit à tous les pays de l’explorer librement sans se l’approprier. « La Lune et ses ressources naturelles sont l’héritage commun de l’espèce humaine et un régime international devrait être établi pour gouverner l’exploitation de ses ressources quand leur exploitation sera devenue possible », ajoute l’agence des Nations unies pour l’espace (UNOOSA). Cela dit, les acteurs privés intéressés rétorquent que cela n’engage que les États, se réservant ainsi le droit d’extraire les minéraux voulus.
« La forme de gouvernement la plus adaptée sur Mars serait probablement la démocratie directe. »
Après le départ du premier touriste de l’espace, Dennis Titot, pour la Station spatiale internationale en 2001, l’Agence spatiale européenne (ESA) a publié un article plaidant pour une réflexion à la croisée des différentes sciences sociales sur la place de l’être humain dans l’univers. Les explorateurs ne sont pas hermétiques à ces réflexions. « La forme de gouvernement la plus adaptée sur Mars serait probablement la démocratie directe, et non représentative », a déclaré Elon Musk à la Code Conference 2016. « Ainsi, le peuple voterait directement pour résoudre les problèmes. Je pense que c’est mieux, car cela réduit considérablement la possibilité de la corruption, contrairement à la démocratie représentative. » Pas sûr, donc, qu’il fasse campagne pour être élu par le peuple de Mars.
De son côté, la direction de l’International Institute of Space Law a tenu à préciser que, dans l’espace, « les activités privées relèvent de leurs pays ». Ce qui signifie que les États sont responsables des agissements de leurs ressortissants, qu’ils appartiennent au gouvernement ou non. « Si vous êtes capitaliste, vous direz que les denrées spatiales ne peuvent pas appartenir à la communauté », rétorque Jim Cantrell, patron de Vector Launch, Inc., une société qui envoie des satellites pour des acteurs privés. « Celui qui prend le risque est récompensé. »
Bien sûr, les ressources dont disposent les entreprises spatiales reposent sur les décennies d’expertises accumulées par les agences nationales telles que la NASA. Aujourd’hui, les missions sont souvent conçues en associant acteurs publics et privés. De leur collaboration dépendra donc le partage des richesses spatiales. Et il reviendra donc ensuite aux nouveaux Martiens d’écrire leur contrat social. Si les voyages se multiplient, il pourrait bien ressembler à celui de la Terre. Entre-temps, les vendeurs de pelle auront fait fortune.
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Couverture : Elon 2050. (DR/Ulyces)