Derrière les hauts murs jaunes de la vieille prison marocaine de Kenitra, au nord de Rabat, Lee Murray est comme un lion en cage. La compétition l’appelle. À près de 40 ans, dont dix sous écrou, l’ancien combattant des MMA (arts martiaux mixtes) a conservé agressivité et exposition médiatique.
Dans les pages des tabloïds britanniques, on trouve le nom du Britannico-Marocain associé à un trafic de drogues entre détenus et accolé au prénom de son fils, conçu en captivité. Une tentative d’évasion figure aussi sur les archives de juin 2009. Et au printemps 2016, il a carrément annoncé son retour dans l’arène.
Convaincu d’être bientôt relâché au mépris de la peine de 25 ans de prison qu’il purge, Murray aurait recruté deux boxeurs thaïlandais pour s’entraîner, révélait le Daily Star Sunday le 22 mai. Dehors l’attendrait un combat contre un autre vétéran, Alex Reid. Célèbre pour avoir partagé la vie de l’ex-mannequin Katie Price et le quotidien d’autres starlettes dans l’émission de télé-réalité Big Brother, ce dernier a récemment renfilé les gants. Tout semble réuni pour attirer l’attention. Sauf que la police britannique garde un œil sur Lee Murray : elle l’accuse d’avoir orchestré le plus gros braquage de banque de l’Histoire.
Net et sans bavure
Un soleil timide rend ses couleurs au Kent ce matin du 21 février 2006. Encore transie par une nuit de pluie, la petite ville côtière de Herne Bay, au sud-est de l’Angleterre, est silencieuse. Peu avant 7 heures, un géant en pantalon noir et anorak bleu sort de chez lui, entre dans une Nissan Almera et fait vrombir le moteur. Colin Dixon, 52 ans, déborde du siège conducteur. Après une heure de route en direction de l’arrière-pays, ce large et grand Britannique de 52 ans arrive à Tonbridge, un bourg de 30 000 âmes situé à une cinquantaine de kilomètres de Londres. L’entrepôt Securitas de la Bank of England où il travaille est un bâtiment marron caché derrière un garage. L’hiver, il y acquitte ses tâches de manager aussi vite que possible pour sortir avant le crépuscule.
Ce jour-là, il fait déjà sombre lorsque la porte du dépôt se ferme derrière lui, à 17 h 33. Rien à signaler. Colin Dixon s’empresse de lancer son Nissan sur l’A26. Après avoir envoyé un texto à sa femme, Lynn, pour annoncer son arrivée, le père de famille emprunte l’A249 en direction du nord. Il se trouve à hauteur d’un pub miteux, Three Squirells, lorsqu’une lumière bleue clignote intensément dans son rétroviseur. Colin Dixon se range sur le bas-côté. Sur ordre d’un policier en uniforme, le cinquantenaire pénètre dans le véhicule coiffé d’un gyrophare qui le suivait. Avant qu’il comprenne ce qu’il lui arrive, on lui passe les menottes et le conduit en sens inverse.
« Tu dois te douter que nous ne sommes pas policiers », lance cet agent aux taches de rousseur et à la fine barbe clairsemée. « Ne tente rien d’extravagant et tu ne seras pas blessé. » Dixon ajuste ses menottes. « On déconne pas, c’est un neuf millimètres », hurle l’homme en pointant un calibre sur lui. Pieds attachés, bandeau sur les yeux, l’otage est transféré dans un van pour être conduit à une ferme reculée dans l’ouest du Kent. Il pleut à nouveau.
Autour de 19 heures, la même comédie se répète à son domicile. Deux faux policiers rallient Herne Bay, où ils expliquent à sa femme que Dixon a été victime d’un accident de la route. Croyant les accompagner à l’hôpital avec leur enfant, Lynn est elle aussi conduite à la ferme. De là, trois véhicules prennent la direction de Tonbridge au milieu de la nuit. Colin Dixon se trouve dans une Volvo avec quatre personnes, sa famille occupe le coffre d’un camion Renault blanc escorté par deux hommes, et un dernier complice conduit une Opel Vectra. Sur les vidéos de surveillance du dépôt, on peut voir Dixon s’avancer vers l’entrée suivi d’un officier de police.
À 1 h 22, le premier sonne et avance la tête vers la vitre comme on montre patte blanche. Mais les hommes qui s’engouffrent dans le local ont pour leur part les visages dissimulés derrière des masques de ski. Munis d’AK47, ils franchissent les portes une à une. « Ils détiennent ma famille », annonce Dixon aux 14 employés présents pour leur passer l’envie de déclencher l’alarme. Une fois le système de sécurité désactivé, le petit gang s’empare des clés et enferme la famille Dixon de même que les employés dans des cages en métal d’ordinaire utilisées pour le cash. Lequel cash suit le chemin inverse. En 40 minutes, 53 millions de livres (soit 77 millions d’euros) sont chargés dans le camion. Le plus gros braquage de l’histoire prend fin sans effusion de sang.
Les faux pas
Le matin du 22 février, une petite partie du ciel du Kent s’illumine d’une lueur vive. Dans la ferme où a été retenue la famille Dixon, un énorme brasier étire ses flammes vers les nuages. Le discret scénario de la veille se consume. Alors qu’il brillait par sa discrétion, le groupe de braqueurs accumule soudain les faux pas. Brûlant d’annoncer leur richesse nouvelle, certains se confient à des proches. Autant l’opération avait été savamment organisée, autant les heures qui suivent laissent place à une maladroite improvisation.
« En général, toute l’organisation concerne le vol et rien n’est prévu pour l’après », témoigne Bruce Reynolds, le cerveau du « casse du siècle » dans le train postal Glasgow-Londres en 1963. C’est d’autant plus problématique lorsque l’affaire prend une ampleur internationale. Dès 10 h 30, la Banque d’Angleterre s’inquiète du manque de liquidité entraîné par le forfait. Des centaines de policiers sont déployés dans tout le pays pour mettre la main sur le butin. « Le gang n’avait aucune chance », résume l’écrivain Howard Sounes, auteur d’un livre sur l’affaire, Heist: The True Story of the World’s Biggest Cash Robbery.
Au fil des interrogatoires, les enquêteurs remontent opportunément la piste du groupe. Avant de passer à l’action, ce dernier avait employé les services d’une maquilleuse, Michelle Hogg, qui soutient qu’elle ignorait leurs motivations. À la police, Hogg admet à demi-mot connaître les responsables. « Que je sache, je n’ai commis aucun crime », déclare-t-elle. « J’ai travaillé innocemment sans savoir à quoi servirait ce travail. J’aimerais aider la police. » Cette bonne volonté envoie les enquêteurs dans la maison d’un combattant de MMA, Lea Rusha, et dans celle d’un de ses amis, Jetmir Bucpapa, où les plans du dépôt sont retrouvés. Afin de les obtenir, ce jeune vendeur de drogue a été aidé par un homme travaillant pour Securitas et qui, comme lui, vient d’Albanie – Emir Hysenaj.
En dix jours, les autorités britanniques débusquent plusieurs millions de dollars et mettent en examen cinq personnes dont Rusha, Bucpapa et Hysenaj. Mais une partie de l’argent et de l’équipée est encore dans la nature. Alors que la police procède aux premières arrestations, les combattants de MMA Lee « Lightening » Murray et Paul « The Enforcer » Allen traversent la Manche en direction d’Amsterdam. Le second connaît la capitale néerlandaise pour y avoir déjà accompagné le boxeur hollandais Remco Pardoel.
Sur place, il prend contact avec le promoteur Marc de Werd, qui installe le duo chez son ami Aït Assou. Sans hésiter, les complices entrent chez un bijoutier d’une grande rue commerciale de la ville avec la ferme intention de dépenser. Il leur faut autant d’aplomb pour déminer ensuite les suspicions du gérant devant la police. Faute de preuves, Murray et Allen sont relâchés. Ils se réfugient alors au Maroc, pays d’origine du premier.
La reconversion
Le jour de sa naissance, le 12 novembre 1997, Lee Lamrani Ibrahim Murray avait les poings serrés. Jeune, c’est devenu une mauvaise habitude. Avec son père marocain, que sa mère britannique a rencontré lors d’un voyage aux Îles Canaries, la situation devient rapidement conflictuelle. Lee conteste une autorité parentale fragilisée par trop d’absences. Un jour, il répond aux coups du père. « Quand il a réalisé qu’il pouvait mettre à terre un grand bonhomme comme ça, je pense que ça l’a transformé en la personne qu’il est aujourd’hui », explique un voisin, Mark Hollands.
Pour l’adolescent encore fluet, les quartiers populaires du nord-est de Londres se transforment en arène remplie de vendeurs de drogue et d’adversaires. Mais les combats de rue ne lui rapportent que des cicatrices. Alors, déterminé à en tirer de l’argent, il prend des cours de boxe et rencontre Paul Allen à l’entraînement. Aussi, s’essaye-t-il aux MMA, ce mélange de boxe anglaise, thaïlandaise et de ju-jitsu dans lequel presque tous les coups sont permis. Efficace debout mais moins doué au sol, l’aspirant champion traverse l’Atlantique à l’hiver 2000 avec l’intention de tirer le meilleur des conseils du lutteur américain Pat Miletich, sacré cinq fois champion UFC, la fédération internationale de MMA.
L’accueil est plutôt bon. « C’était un puncheur de classe mondiale », se souvient Robbie Lawler, un combattant reconnu de la discipline. « Quand il mettait les gants, vous stoppiez votre entraînement pour le regarder parce que ça résonnait comme des coups de feu. » Miletich décèle en lui un potentiel énorme. « Je lui ai dit : “Vu ton gabarit et ta manière de te battre, tu peux être un champion.” Il ne lui restait plus qu’à apprendre quoi faire une fois au sol. »
Fort de nombreuses victoires par KO, Murray affronte des combattants reconnus comme le Brésilien José Pelé Landi-Jons, à Londres, en 2003. « Il est probablement encore sur le ring, à dormir et attraper les mouches », fanfaronne-t-il après avoir levé le poing. Un an plus tard, il se montre plus orgueilleux encore en promettant au champion Anderson Silva le même destin que celui de son compatriote. Cette fois, le Britannique doit s’incliner.
En septembre 2005, le coup est plus rude encore. Venu en aide à un ami impliqué dans une bagarre lors d’une fête d’anniversaire, il est poignardé deux fois. Hors de danger, Murray sait sa reconversion bien préparée. Quelques jours plus tôt, deux policiers du Kent avaient remarqué une Range Rover grise garée à Strawberry Vale, une allée menant à un cul-de-sac près du dépôt Securitas de Tonbridge. Intrigués, ils avaient contrôlé son conducteur. L’homme qui se trouvait au volant a affirmé être le propriétaire de la voiture et répondait au nom de Lee Murray. Ceux qui l’accompagnaient sont restés anonymes.
Six mois plus tard, trois autres véhicules vidaient le dépôt en pleine nuit. Contre toute évidence, Murray « affirme qu’il est innocent », indique son avocat. « Il n’a pas participé au braquage, il a gagné de l’argent grâce à ses combats. » De l’argent, Murray en avait lorsqu’il est arrivé au Maroc accompagné de Paul Allen. Après avoir laissé derrière lui sa femme et son fils, le combattant a vécu dans une villa de Souissi, un quartier riche de Rabat à partir duquel il rayonnait dans les centres commerciaux de la capitale. De prodigieux montants sont ainsi passés dans des bijoux, du matériel informatique, des sorties et, à en croire les autorités marocaines, de la drogue.
Arrêté le 25 juin 2006, Lee Murray a été condamné à dix ans de prison pour trafic de stupéfiants quatre ans plus tard. Parce qu’il a la nationalité marocaine et qu’il n’existe pas d’accord d’extradition avec la Grande-Bretagne, le boxeur purge sa peine dans le pays de son père. Mais si celle-ci a été prolongée de 15 ans le 30 novembre 2010, ce n’est sans doute pas sans rapport avec le cas britannique. Londres accepterait mal la remise en liberté de l’ancien ennemi public numéro un. Murray risque d’attendre encore longtemps dans sa cellule, poings serrés.
Couverture : Lee Murray sur le ring. (DR/Ulyces.co)