Une ombre glisse sur les carrosseries des voitures arrêtées au milieu d’une avenue de Los Angeles. Par-dessus le dense trafic automobile de la ville californienne plane un appareil blanc, sorte de trimaran doté d’hélices. Cet avion porte ses rotors sur deux longues coques, pareilles à des bras montrant la voie. À l’approche d’un trident de tours en verre situées en surplomb de la route, il ralentit puis se pose sur l’un des héliports qui fendent la structure en son cœur. La scène est trop belle pour être vraie et trop laide pour avoir déjà eu lieu : elle a été conçue en images de synthèse. Mais son horizon approche.
Uber assure que ses taxis volants seront en service dès 2020 à Los Angeles, Dallas et Dubaï. Début mai 2018, lors de la conférence Elevate organisée dans la cité des anges, l’entreprise fondée il y a moins de dix ans a présenté les formes de son prototype. « Il utilise ses rotors pour s’élever verticalement de manière à décoller un peu comme un hélicoptère », décrit l’ancien chef de produit du groupe, Jeff Holden. « Une fois à la bonne altitude, cette hélice sur l’aileron se met en marche ce qui fait avancer l’appareil. Il se sert de ses ailes pour planer », tout le reste devant fonctionner grâce à de l’énergie électrique provenant de sources propres.
Pour l’heure, les batteries adéquates « n’existent pas », a admis l’ingénieure de la société Celina Mikolajczak, lors d’une conférence en mars 2018. Tout n’est pas encore au point. Bien qu’Uber promette l’autonomie, ses taxis volants seront équipés de chauffeurs au moins jusqu’en 2030. Ensuite, l’intelligence artificielle devrait prendre le relais. « Dans le futur, le trafic aérien sera automatisé de manière à ce qu’on puisse se passer de pilote », promet Mathias Thomsen, responsable de l’unité « mobilité urbaine dans les airs » d’Airbus lors du salon VivaTech qui se tient à Paris du 24 au 26 mai 2018. Au sol, un grand acteur du rail comme la SNCF travaille à la locomotive du futur en ayant par exemple pris une participation dans le groupe de trains supersoniques Hyperloop One.
Le pari
« L’ambition est ce qui a créé cette entreprise depuis le départ », assure le PDG d’Uber, Dara Khosrowshahi. « Nous faisons de gros paris. » L’homme de 48 ans a succédé à Travis Kalanick en août 2017, lorsque ce dernier a été poussé vers la sortie par les actionnaires. Sept mois après sa nomination, Khosrowshahi a dû faire face à un scandale d’un autre genre. En mars 2018, une voiture autonome d’Uber a mortellement renversé une passante. « Nous ne fermons pas notre unité de véhicules autonomes », assure-t-il en serrant les dents.
L’Irano-Américain persiste d’autant plus qu’il est loin d’être le seul à penser que les déplacements du futur se feront sans conducteurs. Après tout, si certaines lignes de métro fonctionnent déjà comme ça, pourquoi d’autres modes de transports ne pourraient-ils pas en faire de même ? « Notre premier chantier, c’est le train autonome », assure ainsi le PDG de la SNCF, Guillaume Pépy. Son groupe prépare également un assistant personnel de mobilité qui prendra en compte nos déplacements, et les combinera avec toutes les offres disponibles sur le marché, quel que soit le mode de transport.
L’idée est « d’agréger toutes les mobilités sur un portail de distribution unique où il sera possible de réserver en un clic tous les billets d’un même trajet », détaille le groupe. Déjà propriétaire du service de covoiturage iDVRoom, du service de location de voiture entre particuliers OUIcar, et du réseaux de cars OUIbus, le mastodonte français ne cache donc pas son intérêt pour d’autres secteurs comme ceux des vélos en libre service ou des véhicules aériens sans conducteurs. Il possède une vingtaine de drones pour surveiller ses lignes et a mis en place un comité de coordination « Rail et Espace » avec le Centre national d’études spatiales (Cnes). Cette alliance a donné le jour au projet TC-Rail en octobre 2017 dans le but de « démontrer la possibilité de conduire un train à distance et en toute sécurité en mettant notamment à profit les télécommunications par satellites et terrestres » selon Jean-Yves Le Gall, président du Cnes
Si les airs ne sont pas encore embouteillés comme les rues de Los Angeles, de nombreux acteurs sont prêts à se lancer. À Mexico et São Paulo, elles-aussi d’habitude très congestionnées, Airbus propose depuis 2016 un service d’hélicoptères à la demande baptisé Voom. « Vous pouvez aller du centre à l’aéroport pour le prix d’une voiture privée », assure le géant de l’aéronautique français, bien qu’un taxi reste environ deux fois moins cher. Mais le service devrait bientôt être augmenté à la faveur d’un partenariat avec Audi, qui se chargera de la partie au sol d’un trajet.
Airbus n’est d’ailleurs pas le seul acteur du domaine à parier grandir en coopérant : Uber a signé un accord avec la NASA en novembre 2017 afin d’étudier l’espace aérien dont pourraient bénéficier ses taxis volants. En mai 2018, la société californienne a aussi annoncé que l’armée américaine serait du voyage. Ensemble, ils vont investir un million de dollars pour développer un prototype de système à rotor produisant un bruit réduit. Boeing et Google possèdent eux aussi des programmes pour mettre au point des taxis volants.
Sur les rails
Henri Poupart-Lafarge se promène au milieu des voitures volantes. Ce 27 avril 2017, le patron d’Alstom est venu présenter ses idées pour la mobilité de demain à la Cité du Cinéma, où sont exposées les taxis qui planent d’un immeuble à l’autre dans Le Cinquième élément, le film de Luc Besson sorti en 1997. Le constructeur français expérimente des navettes sans chauffeur sur le pont Charles-de-Gaulle entre les gares de Lyon et d’Austerlitz et à La Défense. Avec la RATP, il fait aussi fonctionner un garage autonome de tramways.
Son PDG, Henri Poupart-Lafarge ne cache pas sa volonté de « devenir le leader de l’autonomie dans les années 2020 ». Il ne craint pas la concurrence de l’hyperloop, le train supersonique imaginé par Elon Musk, dans lequel la SNCF possède des parts à travers Hyperloop One. La compagnie de chemin de fer a aussi mis en place un « plateau » pour partager de l’information avec Alstom. « C’est un autre type de mobilité. Nous pourrons l’intégrer dans nos solutions si c’est un succès. » Alstom profiterait ainsi de ce tube que le milliardaire veut lancer à 600 km/h. Musk est ambitieux.
Le 17 mai 2018, au Leo Black Temple de Los Angeles, il confiait son désir de « compléter le système » métropolitain actuel, en s’associant notamment à la régie des transports en commun de Los Angeles. Pour cela, sa Boring Company envisage de creuser des tunnels traversés par des pods à la vitesse de 200 km/h. Chacun de ses 16 passagers n’aurait qu’un euro à débourser par trajet. Encore une fois, Musk va à contre-courant : beaucoup d’acteurs des transports essayent au contraire de prendre de la hauteur en ville.
Depuis le passage souterrain qui court sous les voies de la gare de Nantes, entre le Jardin des Plantes et le quartier du Pré-Gauchet, le futur est une idée un peu abstraite. Sa première pierre a pourtant déjà été posée en décembre 2017 sous la forme d’une branche de cinq mètres soutenue par un pilier qui en fait dix. En 2030, 25 millions de passagers devraient délaisser les boyaux de la structure pour enjamber les quais par une passerelle. Cette « mezzanine ouverte » sera nichée au faîte de 18 troncs et couverte par un toit en forme de branchages. Elle ressemblera probablement au « terminal de départ » censé passer par-dessus les rails de la gare du Nord, à Paris.
L’ouverture n’est pas qu’un concept physique pour la SNCF. « La gare doit être un lieu de brassage social, utilisé par les usagers du train comme par les habitants de la ville », fait valoir Patrick Ropert, directeur général de sa division Gares & Connexions. Depuis le début des travaux dans le nord de la capitale « une table étoilée, mais aussi une crèche, un laboratoire d’analyses, des boutiques de déco à petits prix et un Starbucks » ont été ouverts. À Nantes, où huit commerces ont déjà été créés, le robot Baryl a été testé comme ramasseur de détritus en février 2017. Et il a maintenant des héritiers.
En partenariat avec l’incubateur thecamp, la gare d’Aix-en-Provence expérimente pour sa part une kyrielle d’innovations. On peut y rencontrer un robot chargé d’analyser et de purifier l’air et un assistant censé donner des informations sur le train de n’importe quel voyager. Moins visibles, 400 capteurs sondent l’état des équipements afin de prévenir toute panne. Les défaillances peuvent même être anticipées à l’aide de bracelets mesurant le stress des usagers. De petites entreprises comme Hease Robotics sont mises à contribution. « Au lieu de se demander comment les start-ups peuvent travailler pour nous, on s’est demandé comment les faire travailler », explique Rachel Picard. La directrice générale de Voyages SNCF était au salon VivaTech ce jeudi 24 mai pour vanter ce fonctionnement. On y trouvait aussi un prototype de voiture volante développé par Airbus.
Festival de robots à Aix TGV pour le lancement de @thecampProvence avec #BARYL et @Diya_One pic.twitter.com/c6K7K9zlUy
— Mathieu Belouar (@mthblr) September 28, 2017
Écosystème
En 2010, Larry Page fonde une start-up de voitures volantes discrètement installée près des bureaux de Google, Zee.Aero. Il place un ancien chercheur de Stanford à sa tête, Ilan Koo, en lui adjoignant un ex-collègue, Eric Allison. 100 millions de dollars sont injectés. Uber n’existe alors que depuis un an et se contente de proposer une plate-forme pour mettre en relation des chauffeurs privés avec des clients. Deux Allemands qui expliquent avoir l’idée d’agrandir les drones pour transporter des personnes fondent Volocopter un an plus tard. Et en juillet 2013, Zee.Aero dépose un brevet présentant Ilan Koo comme le géniteur d’un « appareil rend sûr, calme, facile à manœuvrer, efficace et compact par la combinaison de rotors multiples, d’une paire d’ailes et d’hélices ». Les projets naissent dans tous les sens.
En 2015, Ilan Koo quitte la direction de Zee.Aero pour en rester le conseiller technique. Le poste de dirigeant est donc confié à son ancien collègue, Eric Allison. Dans le même temps, le cofondateur de Google Larry Page investit dans une start-up du secteur de taille plus modeste, Kitty Hawk. Cette dernière présente un prototype qui « ressemble à une version géante d’un drone quadcopter », selon Bloomberg. Début 2016, elle présente Cora, un modèle de voiture volante destinée au marché néo-zélandais. Et à l’automne, Uber affiche son intention de suivre sa trace.
« L’aviation à la demande a le potentiel de radicalement améliorer les déplacements urbains en rendant aux gens le temps perdu dans leurs trajets quotidiens », écrit l’ex-chef de produit, Jeff Holden en introduction d’un document de 100 pages présentant ses ambitions. « Nous considérons que la résolution de ce problème fait partie de notre mission et de notre engagement auprès de nos utilisateurs. De la même manière que les gratte-ciels ont permis aux villes de rationaliser l’occupation de l’espace, le déplacement urbain dans les airs va utiliser un espace en trois dimensions pour alléger le trafic au sol. »
Une semaine plus tôt, Airbus levait le voile sur Vahana, un prototype de voiture volante issue d’A3, une filiale du groupe basée dans la Silicon Valley. Ce modèle réussit finalement son premier vol le 31 janvier 2018, se maintenant en l’air 53 secondes en pilotage automatique au moyen d’un moteur électrique. « Notre but est de démocratiser le vol personnel en employant les dernières technologies comme la propulsion électrique, le stockage d’énergie et la vision de la machine », explique le chargé de projet Zach Lovering. Moins de deux mois plus tard, Eric Allison est débauché de Zee.Aero par Uber.
Comme les dirigeants de la SNCF, l’ancien chercheur de Stanford sait que des partenariats vont se nouer entre les fournisseurs d’infrastructures et les opérateurs. Il juge cependant qu’il « sera très très dur pour un acteur de dominer le secteur car c’est tout un écosystème. Or, s’accorder sur la forme qu’il doit prendre est très compliqué. » Dans cette lutte pour le marché du transport urbain, le service personnalisé au client aura son importance, veut croire la SNCF. C’est pourquoi la société de chemins de fer française étend l’accès au wifi à bord de ses trains et souhaite proposer des contenus vidéos et photos à ses passagers.
Non seulement le transport urbain va prendre de la hauteur, mais il devrait donc être mieux articulé et offrir des trajets plus personnalisés. Du moins si les mariages en train d’être célébrés sont heureux. Uber doit encore prouver à la NASA qu’il pourra garantir la sécurité des passagers afin d’accéder à certains couloirs aériens et convaincre d’autres villes. Il n’a par ailleurs toujours pas démontré sa capacité à utiliser des moteurs électriques pour faire voler ses taxis, Airbus étant visiblement mieux engagé sur cette voie grâce à un partenariat avec Siemens et Rolls-Royce. Mais cela ne dit pas qui sera la Rolls des voitures volantes ou des trains sans chauffeurs.
Couverture : Le futur Coradia Liner. (Alstom/SNCF)