L’antihéros
Le bleu est une couleur chaude. Couvert par une veste outremer aux airs de blouse de travail, un supporter du FC Chambly brave le froid qui vient de s’abattre sur sa tribune du stade de la Beaujoire, à Nantes. Ce mardi 17 avril 2018, vers 22 h 20, le club de National est sur le point de perdre la demi-finale de Coupe de France contre Les Herbiers. À 2-0, le match est plié mais un homme a encore les bras grands ouverts. Droit comme un Y avec son écharpe tendue au-dessus de lui, Francis Lalanne entretient la flamme tant bien que mal. Ses grands yeux noisettes brillent d’une fierté triste. Il semble sincère. Mais enfin, que fait ce natif de Bayonne, ancien lycéen marseillais et Parisien d’adoption, derrière une petite équipe de l’Oise ?
Le chanteur a d’abord été fan des Bleus, ceux de l’équipe de France. « Désolé Chambly, mais vous auriez dû vous méfier : la dernière fois que Francis Lalanne s’était décrété chef des supporters, c’était pendant la Coupe du monde 2002 », tweete le magazine So Foot à l’issue de la rencontre. Craignant d’être l’un des seuls à pouvoir faire le déplacement jusqu’en Corée du Sud, il paye à l’époque le billet à des dizaines de personnes. En retour, David Michel, passionné comme lui de l’Olympique de Marseille, l’invite à Fresnoy-le-Grand, une commune picarde de 3 000 âmes dont il préside le club de foot. L’artiste s’y investit sans compter pendant dix ans. Et, ayant croisé Chambly en championnat, il décroche son téléphone en apprenant sa qualification pour les demi-finales de Coupe de France, fin février 2018.
À l’autre bout du fil, le président Fulvio Luzzi l’invite à écrire une chanson, pour répondre à celle de Philippe Katrine à la gloire des Herbiers. Lalanne accepte tout de suite. Après avoir supporté Marseille, Fresnoy-le-Grand, Bleid ou encore Toulouse, il devient donc la mascotte de Chambly. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le musicien prend son rôle bien à cœur. « C’est un club que j’aime depuis longtemps », prétend-il dans une interview à L’Équipe, au cours de laquelle il ose aussi dire « chez moi, en Picardie ». Car, il faut le savoir, ce « citoyen du monde », franco-uruguayen, est partout à la maison. Évidemment, ça agace un peu.
« Lalanne incarne le fan type des Bleus », écrit le journaliste Franck Berteau dans son Dictionnaire des supporters, « chauvin, bon enfant, sans grande culture du stade à la frontière du Footix et du mastre [le spectateur à côté de la plaque]. » D’ailleurs, en cherchant à savoir ce qu’était devenue la mascotte de la Coupe du monde 1998, Le Monde s’est rendu compte en 2015 que son image se confondait avec celle du chanteur. « Francis Lalanne avait voulu défendre ma cause en lançant le slogan “Je suis Footix” », affirme le coq au cours d’un entretien imaginé par le quotidien du soir. « Du coup, mon nom est devenu synonyme de ce qu’il représentait : le supporteur inculte et vaguement tête à claques qui s’est mis à aimer le foot après 1998. »
Vingt ans après leur irruption concomitante dans l’univers du football français, Francis Lalanne et Footix sont toujours là. Ils incarnent ce « fan de foot que d’autres voudraient faire passer pour plus ignorant qu’eux ou moins “à fond” », définit la rédactrice en chef de Football Stories Lucie Bacon. Le premier « connaît paraît-il bien le ballon », nuance-t-elle. Son ralliement à Chambly peut du reste difficilement être vu comme une preuve d’opportunisme, quand on sait qu’il a « récupéré » Fresnoy-le-Grand en onzième division nationale. Or, le Footix est celui qui « change d’équipe au gré des performances », ajoute la journaliste. La créature a échappé à son maître.
Avec ses airs naïfs, le coq conçu pour représenter le Mondial 1998 renvoyait la même image que ces néophytes bien-heureux, plus intéressés par la victoire que par le jeu et prompts à adopter les éléments d’un folklore sans en connaître le sens profond. Des touristes du football, en somme. On pouvait d’ailleurs les voir affublés de produits dérivés estampillés Footix. Leur méconnaissance était doublée d’un certain arrivisme. Le terme est ainsi entré dans le langage commun comme un anathème. Et il sert beaucoup aujourd’hui. Il y a un an, en février 2017, les ultras de l’Olympique de Marseille lançaient une « chasse au Footix », réclamant aux supporters de ne pas venir au stade avec les couleurs d’une autre équipe.
Coutumier des changement de maillots, le youtubeur marseillais Mohamed Henni répliquait sur Twitter, le 11 avril 2018 : « Je préfère être un footix qu’un foutu. » Avant lui, les Cahiers du football dénonçaient un « concept fumeux » : « On est tous le Footix de quelqu’un, comme on est tous le con d’un autre. Il est devenu l’insulte ultime, celle qui met fin au débat footballistique : il est d’ailleurs à ce dernier son point Godwin. Le Footix du football est un peu le bobo de la politique. » Désormais, la notion fait partie du folklore accessible aux footix eux-mêmes. Mais quel est donc son sens profond ?
Gauuuule
Pour Francis Lalanne, 1998 est l’année de deux coupes du monde. Un mois jour pour jour avant la finale entre la France et le Brésil, à Saint-Denis, le chanteur participe au mondial de la figurine. Élevé avec ses deux frères à Mont-de-Marsan, il a passé une grande partie de son temps à jouer avec des soldats de plombs et d’autres miniatures. « Quand j’étais petit, j’étais quasiment autiste. Je parlais aux objets », a-t-il confié à Sud Ouest. « C’est finalement grâce aux figurines Starlux que je me suis mis à parler aux gens. » En réalité, le Bayonnais fait mieux que parler, il chante. Devenu célèbre grâce à sa musique, il utilise une partie de l’argent récolté pour racheter la société Starlux, en dépôt de bilan en 1997.
Alors que le grand public ne l’a jusqu’ici jamais entendu parler de football, le poète envisage, à l’aube de la Coupe du monde en France, d’éditer des figurines à l’effigie des joueurs des différentes sélections engagées ainsi que de Jules, la mascotte de l’équipe tricolore.
Rétrospectivement, on peut dire que Francis Lalanne s’est trompé. Sur les deux coqs créés à l’occasion, c’est celui de la compétition, Footix, qui est resté dans la légende. Son dessin était bien plus moderne que celui de Jules, une pâle copie de Footy, le porte-bonheur inefficace des Bleus pour la Coupe du monde argentine de 1978.
D’ailleurs, le designer de Footix, Fabrice Pialot, voulait initialement le baptiser Footy. Sauf que l’agence avec laquelle il travaillait en a changé la terminaison en référence à Astérix et Obélix. La bande-dessinée de René Goscinny et Albert Uderzo donne en effet à voir « une certaine idée de la France », selon le critique littéraire Jérôme Garçin. Elle est « indomptable, combative, hédoniste, écologiste, sarcastique, faraude et cocardière. On y résiste à l’ennemi avec une opiniâtreté exemplaire. On observe, dans le quotidien, les régies d’une morale élémentaire ou les vices sont châtiés et les bons sentiments élevés à la hauteur d’un art. » Dernier défenseur d’une Gaule occupée par Rome, Astérix représente une espèce de Vercingétorix qui n’aurait pas eu à déposer les armes. Leurs figures de perdants magnifiques entrent en écho avec celles des joueurs de l’équipe de France, dont le plus beau résultats en Coupe du monde n’était alors qu’un revers tragique en finale contre la RFA, en 1982.
De manière sans doute inconsciente, Footix porte donc en lui un peu de défaite. Pour ne rien arranger, Pialot voulait « créer un personnage résolument tourné vers les enfants, simple au niveau du traité, et donc facile à redessiner ». Gage de son succès, cette épure donne aussi au personnage un air furieusement ingénu. En fait, Footix est plus calibré pour les caméras de télévisions que pour les terrains de football. « Il a marché parce qu’il a été traité comme un produit marketing », analysait Fabrice Pialot en 2014. « J’ai fait ça comme pour un yaourt ou un jus de fruits. Il fallait trouver un animal qui soit aimé par le monde entier. Tout le monde mange du poulet ! Mais tout le monde ne mange pas de porc ou n’aime pas les chats. C’est du ludique et de l’enfant, c’est ma spécialité. »
Footix se retrouve ainsi en décalage avec l’univers du foot. Celui qui porte son costume ne peut ni vraiment taper dans un ballon ni courir sans mal. Avant un match amical contre l’Écosse, en 1997, les joueurs de l’équipe de France improvisent un tir au poulet et le public conspue la mascotte. En Europe, ce « douzième homme » n’est pas très familier. Il a fallu attendre 1987 pour que la sélection tricolore devienne « la première équipe nationale de football non-américain à disposer de sa mascotte », annonce à l’époque un reportage d’Antenne 2 consacré à « Mexicoq ».
En 1998, Footix n’apparaît pas sur les pelouses pendant la compétition mais est décliné en t-shirt, casquettes, yaourts, biscuits, fromages, papiers toilette et même préservatifs. Il reste à la lisière du terrain, sur le torse ou la tête de ceux qui doivent trouver un moyen rapide et bon marché de supporter l’équipe de France, maintenant qu’elle s’est mise à gagner ses matchs un par un jusqu’à la finale, un certain 12 juillet. Ce jour-là, le président Jacques Chirac est en tribune. À l’annonce du nom des joueurs par le speaker, avant l’engagement, il se lance dans un a cappella désastreux, prouvant face caméra qu’il n’en connaît presque aucun. Qu’importe, les Bleus balayent le Brésil 3-0. Deux jours plus tard, pour les recevoir à l’Élysée, Chirac porte Footix à la boutonnière.
Le barde
Sans le sacre de Zinédine Zidane et ses coéquipiers, la légende ne serait probablement pas ce qu’elle est. « Au départ, les Footix étaient ceux qui ne s’intéressaient au foot qu’après la victoire de la France à la Coupe du monde », rappelle Lucie Bacon. Les contours de la notion ont toutefois commencé à se dessiner avant. Présent lors de la première apparition télé de Footix, le 18 mai 1996, dans l’émission de TF1 Les Années tubes, Michel Platini s’y retrouve associé deux ans plus tard dans Les Guignols, sur Canal+. « D’abord on ne peut pas falsifier le billet [de match] », explique la marionnette de l’ancien footballeur. « Il y a Footix en filigrane dessus, ça ne donne pas envie d’en faire des faux. » L’émission satirique moque aussi la dimension hautement commerciale du personnage : « On a plein de choses festives », reprend le Platoche en latex, « des chaussettes avec Jules dessus, des casquettes avec Footix où il y a marqué Coupe du monde, comme ça on se trompe pas de festivité. »
La caricature ne s’arrête pas là. Sur la même chaîne cryptée, Les Deschiens créent « 3615 code mon Footix », un concours de Footix de l’année. Dans un autre sketch, François Morel et Yolande Moreau campent un couple de beaufs prêt à vendre les livres de son fils pour lui offrir en échange un costume de la mascotte. Toute une série sur l’histoire de France a même été cédée, mugit l’actrice. Au lieu d’évoquer un passé glorieux ou la figure de ce sublime vaincu qu’était Vercingétorix, Footix renvoie maintenant à un pays cocardier, rural et complètement bas de plafond. Ce n’est plus Astérix mais Assurancetourix, le barde insupportable de la bande-dessinée. Autant dire que Francis Lalanne n’est plus très loin.
Au cours d’une interview donnée au défunt magazine Snatch en 2014, le chanteur affirme avoir été « le seul membre coopté faisant partie de France 98, qui n’était pas footballeur. » Il avait même un rôle assez précis : « J’étais le barde, l’Assurancetourix du banquet sauf que l’on ne me bâillonnait pas, on avait besoin de moi pour encourager », ajoute-t-il dans une formule inspirée. Devenu selon ses dires l’ami d’Henri Émile, de Laurent Blanc, de Franck Lebœuf, Emmanuel Petit, Didier Deschamp, Zinédine Zidane, Youri Djorkaeff et Bixente Lizarazu, il participe à un album en prévision de la Coupe du monde de 2002. Son morceau prend la défense de Christian Karembeu. Dans une France en plein désenchantement par rapport au slogan black-blanc-beur de 1998, le milieu de terrain né en Nouvelle-Calédonie n’est pas tout à fait considéré comme les autres. Entré en jeu face à l’Écosse en amical le 27 mars, il a été sifflé par une partie du public.
Invité à en parler par Thierry Ardisson sur le plateau de Tout s’explique le 13 avril 2002, Francis Lalanne interprète les huées comme du racisme. « Christian a une passion pour la France même si le chemin pour être français a été un peu plus long pour lui que pour quelqu’un qui est né en Auvergne et ressemble à Vercingétorix », observe le chanteur. Persuadé que sa présence porte bonheur aux Bleus, puisqu’ils ont gagné en 1998 et 2000, le chanteur dirige leurs supporters en Corée du Sud. Hélas, cette fois, la sélection française s’incline dès la phase de poule.
« Logiquement, le Footix n’aurait jamais dû survivre à la déroute de 2002 », juge le journaliste des Cahiers du football Jérôme Latta. Manque de chance, chaque nouvelle grande compétition attire son lot de profanes, entrés au stade parce qu’ils y ont vu de la lumière. On peut en effet ne rien y connaître et prendre un certain plaisir à « siffler Franck Ribéry ou Djibril Cissé – puis les acclamer quelques mois plus tard, ou inversement –, battre le record de vitesse de démarrage pour une ola, passer à la télévision avec une banderole saluant les commentateurs ou un déguisement pittoresque », liste Latta.
La génération 1998 achève alors de raccrocher les crampons mais le terme continue d’être employé. Après le rachat du Paris Saint-Germain par l’émir du Qatar, en 2011, il sert notamment à qualifier cette partie du public intéressée par les stars recrutées à prix d’or. Le Footix n’est plus exclusivement un beauf, il peut tout à fait évoluer dans les tribunes VIP du Parc des Princes. Les Stars en sont d’ailleurs les exemples les plus visibles : « Pour moi, Anthony Le Tallec est un des plus grands joueurs du monde », déclare en 2012 Francis Lalanne contre toute évidence sur I-Télé. Une chose est sûre, le Footix n’entrave pas grand chose.
Or, tout le monde se taxant de Footix à la première occasion, « le concept n’a cessé de dégénérer jusqu’à ne plus vouloir dire grand-chose, à part de ceux qui l’emploient sans cesse », estiment les Cahiers du football en 2014. L’étiquette « est complètement floue », abonde Lucie Bacon, « on met un peu ce que l’on veut dedans, même si en général ça désigne quelqu’un d’opportuniste. Certains pensent que les fans d’un club qui n’habitent pas la ville du club sont des Footix. » Mais alors, si le cercle des Footix est élargi à tous ceux qui supportent le club d’une ville différente, celui des « plus grands joueurs du monde » peut bien inclure Anthony Le Tallec.
Quand il jouait encore à Liverpool, l’attaquant de l’US Orléans était en tout cas considéré comme un des meilleurs espoirs français. Il a depuis déçu tout le monde, sauf Francis Lalanne. Le chanteur est fidèle : tout le contraire d’un Footix.
Couverture : Footix rencontre l’art contemporain.