Jean-Yves Rauch travaille avec une drôle de machine : la plateforme µROBOTEX, qu’il convient de prononcer Micro Robotex. Elle « ressemble un peu à une cocotte-minute », avec sa chambre sous-vide de 60 centimètres de diamètre et ses parois en inox. Mais il s’agit en réalité d’ « une plateforme technologique consacrée à la caractérisation, la manipulation et à l’assemblage de micro et nanosystèmes dont les dimensions sont inférieures à 10 micromètres ».
À l’intérieur se trouvent un microscope électronique capable de grossir un million de fois une image, un faisceau d’ions focalisés, et deux robots.
Le microscope électronique, à lui seul, vaut 600 000 euros. « Contrairement à un microscope optique, qui peut grossir une image de 200 à 400 fois seulement, il n’utilise pas la longueur d’onde mais les électrons », explique Jean-Yves Rauch. « Il est très puissant mais ne permet ni la perspective, ni la notion de proximité. »
D’où l’intérêt premier du faisceau d’ions focalisés. Placé à 54° par rapport au microscope électronique, il permet en effet de situer les objets placés dans la chambre sous-vide les uns par rapport aux autres, et de les voir en trois dimensions. Mais le faisceau d’ions focalisés peut en outre « faire office de chalumeau », et donc découper les objets, les plier « comme des origamis » et les souder.
Quant aux robots, le premier permet de tenir ces objets tandis que le second permet de les assembler. Ils sont manipulés via un ordinateur. Leur précision est équivalente à deux nanomètres, soit deux millionièmes de millimètre.
Nanorobots
Jean-Yves Rauch est ingénieur-chercheur au sein du département de nanorobotique de l’Institut Franche-Comté Électronique Mécanique Thermique et Optique – Sciences et Technologies (FEMTO-ST). Un institut situé à Besançon, capitale de l’horlogerie française où subsiste « un écosystème et un savoir-faire industriel orientés vers les microtechniques et la haute-précision qui ne se retrouve pas ailleurs » dans le pays, selon son directeur adjoint, Michael Gauthier. « Le département de nanorobotique, dont l’équipe est la plus importante d’Europe avec une cinquantaine de membres, a hérité de cette culture de la mesure précise du temps et de la précision des pièces. »
Et planche aujourd’hui, grâce à la plateforme µROBOTEX, opérationnelle depuis 2014 seulement, sur des projets tous plus fous les uns que les autres.
« Nous travaillons par exemple à la fabrication de capteurs d’images assez petits pour pénétrer le cerveau via le conduit nasal et aller photographier la zone encéphale, qui est la zone endommagée par la maladie d’Alzheimer », raconte Jean-Yves Rauch.
« Nous travaillons également sur la possibilité de déposer sur des membranes des molécules capables de fixer une bactérie ou un virus et de les plonger dans différents liquides, tels que le sérum, le lait ou encore le sang, afin de rapidement détecter, et de manière très peu invasive, la présence ou non de ce virus et de cette bactérie. »
« Des fibres optiques aussi fines que les cheveux humains peuvent être insérées dans des endroits inaccessibles comme les moteurs à réaction et les vaisseaux sanguins pour détecter les molécules virales ou les niveaux de radiation. »
« Nous travaillons par ailleurs sur des capteurs de champs magnétiques pour la Direction générale de l’armement (DGA) et l’armée. »
Tous ces objets ne pouvaient même pas être imaginés il y a encore peu de temps. Mais l’Institut FEMTO-ST ne peut pas communiquer sur eux dans la mesure où ils sont soit brevetés, soit classés « Secret Défense ». « Alors nous avons décidé de fabriquer une maison microscopique pour pouvoir partager une prouesse de µROBOTEX avec le public. »
Construite sur le profil d’une fibre optique coupée, cette maison mesure 10 microns de large, 20 microns de long et 15 microns de haut. « C’est-à-dire qu’elle peut tenir sur un poil de bras », précise Jean-Yves Rauch. Du côté de la surface habitable au rez-de-chaussée, il faut compter 0,000000000002 mètre carré. « Notre directeur voulait y placer un acarien, mais même un acarien est trop gros pour cette maison, il ne rentrait pas. »
Seule une poignée de bactéries pourraient résider dans cette maison. Elle comporte pourtant quatre murs, un toit, des fenêtres, une porte, et même une cheminée. Et cette prouesse, saluée en mai dernier par la revue scientifique américaine Journal of Vacuum Science and Technology A, a été réalisée en seulement deux jours, pour 2 000 euros.
Cela représente, au vu de la surface de la maison, 10 euros le micromètre carré, soit 10 000 milliards d’euros le mètre carré. Besançon fait donc aujourd’hui bien plus fort que Monaco et Hong Kong, où les prix culminent à 100 000 euros le mètre carré.
Le micro-monde
« Pour construire un parc d’attractions pour acariens, il faudrait des dimensions plus importantes », estime Jean-Yves Rauch, « un bâtiment de 100 microns de long et de 200 microns de large, pour une échelle totale d’un millimètre, et donc travailler sur un fil électrique plutôt que sur une fibre optique, qui fait 120 microns de diamètre. »
« Contrairement à notre maison, ce parc d’attractions serait visible à l’œil nu. Sa construction nécessiterait plus de temps, certainement une vingtaine de jours. »
« Et il nous coûterait plus cher. Dans les 20 000 euros, si l’on se rapporte au coût de notre maison. Ce qui fait tout de même beaucoup d’argent pour un parc d’attractions pour acariens… »
L’ingénieur-chercheur préférerait utiliser la plateforme µROBOTEX pour réaliser des opérations chirurgicales sur les acariens. Car ils ont selon lui beaucoup de choses à nous apprendre. « L’ensemble du micro-monde a beaucoup de choses à nous apprendre. La manière dont certains animaux régulent leur température, par exemple, est particulièrement intéressante de nos jours. Mais aussi la manière dont ils appréhendent la menace dans leur environnement, et la manière dont ils se protègent. »
« C’est pour cette raison que nous avons réalisé un encéphalogramme sur une fourmi. Certains microscopes électroniques sont d’ailleurs beaucoup utilisés en ethnologie. Ils permettent par exemple de découper les insectes en tranches afin d’étudier leurs mécanismes musculaires et articulaires, et donc de les analyser et de mieux les comprendre. C’est d’autant plus important que ces mécanismes sont potentiellement à la source d’innovations techniques. »
Les acariens et les insectes sont en effet, comme les autres éléments de la nature, des sources d’inspiration intarissables selon le principe du biomimétisme, ingénierie bâtie sur les formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant. Et ils le sont dans des domaines aussi variés que la médecine et l’architecture.
Le premier grand bâtiment biomimétique de France, Ecotone, sortira ainsi de terre à Arcueil dans le Val-de-Marne, sur une friche à l’intersection des autoroutes A6a et A6b.
Inspirés des termitières, ses patios intérieurs seront recouverts d’une membrane en éthylène tétrafluoroéthylène qui se soulèvera quand il fera trop chaud, et se refermera quand la température baissera.
Les parois en façade s’ouvriront et se fermeront, elles aussi, en fonction de la météo, permettant ainsi à la lumière et à la chaleur, ou bien au contraire à la fraîcheur, de circuler. Un système de ventilation emprunté aux pommes de pin qui permet, notamment, de se passer de climatisation.
Le bâtiment, d’une superficie de 82 000 mètres carré, accueillera des bureaux, un hôtel, une résidence étudiante, un bar, un spa et un restaurant à partir de 2023.
Mais le parc d’attractions pour acariens attendra encore un peu.
Couverture : La plus petite maison du monde, au cœur du parc d’attractions pour acariens d’Ulyces. (FEMTO-ST/Ulyces)