Texas cowboy
On raconte une histoire à propos de Chris Kyle : par une froide matinée de janvier 2010, il s’arrêta dans une station-service quelque part sur l’autoroute 67, au sud de Dallas. Il était au volant de son énorme Ford F-350 noir, équipé de jantes noires et de pneus tout-terrain massifs. Kyle avait remplacé le logo Ford sur la grille de protection par un crâne chromé inspiré de l’emblème du Punisher, l’antihéros de Marvel, et il y avait ajouté un pare-buffle arborant les mots « ROAD ARMOR ». Il venait de quitter la marine et de rentrer au Texas.
Deux hommes armés de pistolets s’approchèrent et lui demandèrent son argent et les clés du véhicule. Les mains en l’air, il évaluait lequel des deux semblait le plus à l’aise avec son arme. Kyle savait reconnaître l’aisance chez un homme armé. Et pour cause, il était le tireur d’élite le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis. Le Pentagone lui attribuait au moins 160 victimes, mais selon ses propres calculs – et ceux de ses coéquipiers des SEAL –, le compte n’était pas loin du double. Au cours de ses quatre périodes d’affectation en Irak, Kyle avait été décoré de deux Silver Stars et de cinq Bronze Stars pour sa bravoure. Il avait survécu à six attaques aux EEI, trois blessures par balle, deux crashs d’hélicoptère et plus d’opérations chirurgicales qu’il ne pouvait s’en souvenir. Ses camarades des SEAL l’avaient surnommé La Légende, quand ses ennemis le connaissaient sous le nom d’ « el-Shaitan », le diable. Il répondit aux braqueurs qu’il lui fallait retourner au 4×4 pour récupérer les clés. Il leur tourna le dos et passa la main sous son manteau d’hiver, jusqu’à sa ceinture. Il se saisit de son Colt 45 de la main droite et tira deux balles par-dessous son aisselle gauche, touchant le premier homme deux fois à la poitrine. Puis il pivota légèrement et tira deux fois de plus, touchant le second à la poitrine lui aussi. Les deux hommes s’écroulèrent, raides morts. Kyle s’adossa contre son 4×4 et attendit sagement la police. Lorsqu’ils arrivèrent, les policiers le mirent en détention pendant qu’ils vérifiaient son permis de conduire. Mais au lieu de ses nom, adresse et date de naissance, ils trouvèrent un numéro de téléphone du Département de la Défense des États-Unis. À l’autre bout de la ligne, une personne expliqua aux agents de police qu’ils étaient en présence de l’un des plus grands combattants de l’histoire militaire des États-Unis. Après avoir visionné les enregistrements des caméras de surveillance, les agents découvrirent que l’incident s’était déroulé exactement ainsi que Kyle l’avait décrit. Ils se montrèrent très compréhensifs, ne voulant pas entraîner un vétéran hautement décoré tout juste rentré chez lui dans une procédure judiciaire compliquée. Kyle n’était ni nerveux ni contrarié. Bien au contraire. Il se sentait abattu depuis qu’il n’était plus en service, et peinait à se réaccoutumer à la vie civile. Cet incident lui rappelait précisément le genre d’action qui lui manquait.
Ce soir-là au téléphone, il fut un mari modèle avec sa femme. Taya préparait leur départ de Californie avec les enfants. Il lui demanda comment s’était passée sa journée. D’après des témoins, il parlèrent un long moment tous les deux, et il ne se souvint de la raison de son appel qu’au moment de raccrocher : « Ah oui, au fait, j’ai descendu deux types qui essayaient de voler mon 4×4, aujourd’hui. » Une brève description de l’incident apparaît dans le livre de son camarade des SEAL Marcus Luttrell, Service : a Navy SEAL at War, mais pas dans le best-seller de Kyle, American Sniper. Il est aussi mentionné sur divers forums aux quatre coins du web. Avant que Kyle ne soit assassiné par un autre vétéran en février 2013, j’ai pu l’interroger sur cette histoire lors d’un entretien que nous avons eu dans son bureau, en 2012. Je le rencontrais dans le cadre d’un long article commandé par un magazine, qui devait traiter de son service sous les drapeaux et des difficultés qu’il avait à se réadapter à la vie civile, pour devenir le mari modèle et le bon chrétien qu’il avait toujours voulu être. S’il n’a pas tenu à rentrer dans les détails de la fusillade de la station-service, je l’ai néanmoins quitté avec la conviction qu’elle avait eu lieu. Les bureaux de Craft International, l’entreprise de sécurité dont Chris Kyle était le président jusqu’à sa mort, étaient impeccables. Pour se rendre à cet étage de l’immeuble, il était impératif d’être escorté par l’un des agents de sécurité – de véritables armoires à glace. Dans le vestibule trônait sous un verre épais une traduction anglaise d’une extrême rareté du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, de Galilée (datée d’environ 1661). Une salle de conférence abritait un coffre rempli d’armes de gros calibre, dont la possession est illégale sans un accord du Département de la Défense. Kyle était un homme imposant de 38 ans, mesurant près d’1 m 90 et pesant 104 kg. Les muscles de son cou, de ses épaules et de ses avant-bras le faisaient paraître encore plus grand, un véritable géant à la barbe touffue. Il m’accueillit en me regardant droit dans les yeux, avec une poignée de main ferme, son énorme patte d’ours enveloppant ma main. Ce jour-là, il portait des bottes, des jeans, un t-shirt noir et une casquette de baseball. En réalité, il portait cette tenue la plupart du temps, qu’il fût au bureau, qu’il assistât aux spectacles de danse de sa fille, ou lors de ses passages télévisés chez Conan O’Brien et Bill O’Reilly. C’était une des rares occasions qu’il avait de pouvoir discuter quelques heures. Les trois jours suivant, il devait donner un cours de tir de précision aux équipes du SWAT de Dallas et participer à trois séances de dédicace : une dans un hôpital de Tyler (un docteur l’avait contacté de la part d’un patient atteint d’un cancer en phase terminale), une à l’armurerie Ray’s Sporting Goods de Dallas, et une à la clinique pour vétérans de Fort Worth. Il devait également prendre l’avion pour Austin, afin d’assister à une épreuve de tir que Craft avait organisée pour le président de la Chambre des représentants des États-Unis et plusieurs autres membres du Congrès.
Kyle devait prendre en compte la vitesse du vent, la rotation de la balle, ainsi que la courbure et la révolution de la Terre.
« Nous ne faisons pas cela gratuitement », dit-il, anticipant la question. « Nous acceptons aussi bien les Républicains que les Démocrates, du moment qu’on nous propose un bon prix. » Quelques semaines plus tard, il dut annuler un week-end de conférence car il était invité à passer du temps en compagnie de George W. Bush. « Désolé », répondit-il quand on lui demanda si quelqu’un d’autre pourrait l’accompagner. « Même ma femme n’est pas autorisée à venir. » Il adorait l’équipe de football américain des Dallas Cowboys, et les Longhorns de l’université du Texas. Il aimait aussi se rendre à Fort Alamo, pour contempler des artefacts historiques. La plaque d’immatriculation de son 4×4 était ornée d’une image du drapeau utilisé pendant la révolution texane, comportant un canon, une étoile et les mots « COME AND TAKE IT » (Venez le chercher). Sa carrière militaire l’avait souvent contraint à déménager, et aucun de ses enfants n’était né au Texas. Mais à chaque naissance, il se faisait envoyer une boîte de terre de chez lui par sa famille, afin que le premier sol foulé par les pieds de ses enfants fût celui du Texas. Il avait un avis tranché sur de nombreux sujets. Sa foi dans le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis (qui garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes, ndt) était inébranlable – il soulignait poliment « l’incroyable stupidité » des lois sur le contrôle des armes à feu chaque fois qu’on lui posait la question. Il disait hésiter à voir le film Zero Dark Thirty, car il avait entendu dire qu’il penchait significativement en faveur de l’administration Obama.
Un jour, il avait posté sur sa page Facebook un message adressé à ses dizaines de milliers de fans : « Si vous n’aimez pas ce que j’ai à dire ou à poster, n’oubliez pas que je me fous pas mal de ce que vous pensez. LOL. » Il se fichait qu’on le dise politiquement incorrect. À l’image du slogan de l’entreprise Craft International, armorié sur son logo autour du crâne du Punisher : « Malgré ce que ta maman t’a dit, la violence peut résoudre les problèmes. » Ses opinions étaient pourtant nuancées. « Je comprends qu’on puisse avoir la guerre en horreur », m’assura-t-il. « Mais vous devriez malgré tout soutenir les soldats. Ils n’ont pas le choix du lieu de leur déploiement. Ils ont seulement donné au peuple américain un chèque en blanc dont le montant est le prix de leur vie, et le moins que quiconque puisse faire est d’en être reconnaissant. Invitez-les au restaurant. Tondez leur pelouse. Faites-leur des cookies. » « Chris était un être extrêmement complexe », affirme sa femme Taya.
Chris était un impitoyable guerrier mais un père et un mari attentionné, un instructeur patient, ainsi qu’un fervent adepte de gamineries en tous genres. S’il avait eu accès à votre compte Facebook, il se serait empressé d’annoncer à tous vos amis et à votre famille que vous faisiez votre coming out. S’il avait voulu vous embêter, il vous aurait piqué votre portable en menaçant de révéler des clichés compromettants de votre petite amie. Kyle n’avait rien contre le fait que les gens le prennent pour un péquenaud arriéré, cela ne l’empêchait pas d’être doté d’une capacité étonnante à retenir des informations, qu’il s’agisse de briefings de mission ou des détails d’une réunion d’affaires. Sans compter la foule de connaissances qu’il avait accumulées sur le compte de son héros, le tireur d’élite Carlos Hathcock, Marine pendant la guerre du Vietnam. Lorsqu’il avait l’œil dans la lunette de son fusil de précision, Kyle devait procéder à des calculs complexes, en prenant en compte la vitesse du vent, la rotation de la balle, ainsi que la courbure et la révolution de la Terre. Et il devait le faire vite, sous la pression la plus intense qu’il est possible d’imaginer. C’est dans ces moments-là qu’il se sentait vraiment vivant.
Un type normal
La réponse à la question qu’on lui posait le plus souvent était simple. Il disait ne regretter d’avoir tué aucune de ses victimes, qui n’étaient pas toutes des hommes. « Je regrette en revanche de n’avoir pas abattu à temps ceux qui se sont attaqués à mes gars », ajoutait-il. C’est comme cela qu’il désignait indifféremment les hommes et femmes aux côtés desquels il effectuait son service, qu’importe leur secteur d’activité : ses « gars ».
Il disait ne prendre aucun plaisir à tuer, mais ajoutait qu’il aimait protéger les Américains, leurs alliés et les civils. Étalé de tout son long au sommet d’un toit, sa casquette de baseball des Longhorns de l’université du Texas vissée à l’envers sur son crâne, il faisait feu sur les cibles ennemies, une par une, avant qu’elles ne puissent s’en prendre à ses gars. Il était leur gardien, affecté à la surveillance de marchés de rues ou d’élections en plein-air, qui représentaient des occasions idéales d’agir pour les terroristes insurgés. « Vous ne pensez pas à ceux que vous tuez comme à des personnes », m’expliqua-t-il. « Ce ne sont que des cibles. On ne peut pas se les imaginer comme des personnes ayant une famille et un boulot. Ils règnent en instillant la terreur dans le cœur des innocents. Ces choses qu’ils font – les décapitations, les étrangers qu’ils traînent vivants à travers les rues, ce qu’ils font subir à des petits garçons et à des femmes simplement pour les maintenir dans la peur et le silence… » Il s’arrêta un instant et ralentit la cadence. « Tout ça pour dire que je n’ai vraiment aucun regret à ce sujet. » Il disait aussi qu’il ne se voyait pas comme un héros. « Je suis juste un type normal. C’était mon boulot. Je me suis retrouvé dans des situations coriaces, mais je n’étais pas tout seul. Ce sont mes coéquipiers qui ont rendu cela possible. » Il ne pensait pas non plus être le meilleur tireur d’élite de toutes les équipes de SEAL. « Je suis probablement dans la moyenne. J’étais juste aux bons endroits aux bons moments. » Selon lui, la chose la plus difficile qu’il ait eu à faire de toute sa vie fut de quitter la Navy. « Je suis parti après avoir rencontré le gars qui m’a remplacé », dit-il. « S’il meurt, ou s’il commet des erreurs et que d’autres personnes perdent la vie, ce sera ma faute. C’est vraiment comme si tu laissais tomber les gars avec qui tu as traversé l’enfer. » Le plus dur ? « Mes gars me manquent terriblement. Être avec eux au cœur de l’action me manque. C’était toute ma vie, chaque jour, pendant des années. Je déteste dire ça, mais une fois que tu es rentré et que tu te balades dans un centre commercial ou un truc du genre, tu as l’impression d’être une lavette. » Et cela lui portait sur les nerfs. « Tu entends quelqu’un pleurnicher sur une broutille au feu rouge, et tu as envie de dire : “ Mec, il y a trois semaines je me faisais tirer dessus, et là tu te plains de… je veux même pas le savoir.” » Se réadapter à la vie de famille était une lutte permanente pour Kyle. « Quand j’ai quitté la Navy, j’ai réalisé que je connaissais à peine mes enfants », me dit-il. « Je connaissais à peine ma femme. Sur les trois années précédant mon départ de la Navy, j’ai passé un total de six mois à la maison. Il est difficile de revoir l’ordre de ses priorités de Dieu-Pays-Famille à Dieu-Famille-Pays. »
Chris Kyle pouvait accomplir n’importe quoi s’il avait un but.
Mais trois ans après avoir quitté les SEAL, il avait un travail qui lui plaisait. Il pouvait participer à des activités (modérément) dangereuses : tirer avec des armes de gros calibre, déclencher occasionnellement une série d’explosifs et passer du temps en compagnie d’un grand nombre de personnes issues du milieu des opérations spéciales. Sa vie de couple était finalement rentrée dans l’ordre, il avait écrit un best-seller et avait l’opportunité d’aider d’autres anciens combattants à travers ses activités au sein de plusieurs organisations caritatives. « Pour beaucoup d’entre eux, c’est simplement que leurs coéquipiers leur manquent », disait-il. « Ils ont besoin de gars qui parlent la même langue, pas d’être traités comme s’ils étaient spéciaux. » Il lui arrivait souvent d’emmener des vétérans au stand de tir. Être en compagnie de gens qui savaient ce qu’il avait traversé, pouvoir se relaxer et tirer quelques heures, c’était comme une petite thérapie de groupe. Grâce à l’aide qu’il apportait aux gens, à l’entraînement et à sa vie de famille, il avait un nouveau but. Chris Kyle pouvait accomplir n’importe quoi s’il avait un but. C’était vrai depuis son enfance. Il était le fils d’un diacre et d’une enseignante de l’école du dimanche. Le travail de son père à la compagnie téléphonique Southwestern Bell obligeait toute la famille à déménager souvent. Aussi, bien que né à Odessa, au Texas, il racontait aux gens qu’il avait grandi « aux quatre coins du Texas ». Il apprit à lire et à aimer les armes à feu à peu près au même âge. Il aimait aller à la chasse avec son père et son frère. Lors de ses fêtes d’anniversaire, il voulait jouer à la guerre avec des fusils à air comprimé. Il se perchait sur le toit de la maison de ses parents en attendant que ses amis s’élancent à travers le jardin. Il n’était pas très bon tireur à cette époque, mais un de ses amis se balade encore aujourd’hui avec une balle de Kyle encastrée dans la main.
Au lycée de Midlothian, il pratiquait le football américain et le baseball. Il participait à des concours de bétail grâce à la FFA, une organisation visant à éduquer la jeunesse à travers l’agriculture. Lui et ses potes draguaient les filles des alentours de Waxahachie. Il aimait aussi se battre. Son père lui avait dit un jour qu’il ne fallait jamais engager une bagarre. Kyle disait se conformer à ce code « la plupart du temps ». Il songeait que s’il défendait ses amis, ou des jeunes qui ne pouvaient pas le faire eux-mêmes, il pouvait se battre et avoir le beau rôle en même temps. Quand il pensait défendre une cause juste, il ne reculait jamais. Bryan Rury était un ami proche de Kyle au lycée. Rury était bien plus petit que son ami, mais ils étaient toujours debout l’un à coté de l’autre. « Je crois que Chris aimait bien passer pour un géant », dit Rury. Un jour, un nouveau est arrivé au lycée, qui essayait de se forger une réputation en s’attaquant à Rury. Kyle arriva en classe et trouva un Rury silencieux et contrarié. « Il m’a demandé ce qui n’allait pas, je ne voulais pas lui dire », dit Rury. « Mais il a deviné tout seul. » Kyle alla trouver le type et, à sa manière pas très subtile, à la Chris Kyle, lui dit qu’il ferait mieux de laisser ses amis tranquilles, ou bien… Le gars se leva de table et ils commencèrent à se battre. Ses amis disent que Kyle ne provoquait presque jamais la bagarre, mais qu’il la terminait toujours. « Alors qu’il était emmené au bureau du principal, je me souviens qu’il m’a balancé son grand sourire habituel », raconte Rury. Après le lycée, il étudia à l’université d’État de Tarleton pendant deux ans, avant tout pour retarder son entrée dans la vie adulte. Il passait plus de temps à boire qu’à étudier, et très vite il conclut qu’il aimerait mieux travailler à temps plein dans un ranch. Mais il savait que son avenir se trouvait dans l’armée – dans les Marines, croyait-il, jusqu’à ce qu’un recruteur de la Navy lui dressât la liste de toutes les missions qu’il pourrait accomplir en tant que SEAL. Il se dit alors qu’il n’y avait plus de temps à perdre.
Kyle passa sans problème l’entraînement de base de la Navy. Mais il ne réussit l’entraînement BUD/S (Démolition Sous-marine Basique/SEAL) qu’au prix d’une motivation sans faille. Il se souvenait de ces moments où il était allongé sur la plage, ses bras entrelacés avec ceux de ses camarades, leurs têtes flottant au-dessus de la marée montante glaciale. Il savait que s’il se levait et qu’il « sonnait la cloche », s’il abandonnait, il pourrait avoir du café chaud et un beignet. Ce tremblement incontrôlable, qu’ils surnommaient le « marteau-piqueur », dura des heures et des heures, mais il ne voulut arrêter à aucun moment. Il plaisantait en disant qu’il était seulement flemmard, que si la cloche avait été ne fut-ce qu’un poil plus proche, alors peut-être que sa vie entière aurait été différente. Mais en vérité, rien n’aurait pu l’empêcher d’atteindre son but. « Il avait plus de volonté qu’aucun homme que je connais », raconte Taya. « Quand une chose lui tenait à cœur, il n’abandonnait jamais. On ne peut pas échouer si on n’abandonne jamais. » Taya avait rencontré Kyle dans un bar de San Diego, juste après qu’il ait terminé l’entraînement BUD/S. Quand elle lui demanda ce qu’il faisait dans la vie (elle suspectait qu’il était dans l’armée à cause de ses muscles et de son assurance), il lui répondit qu’il était marchand de glaces. Elle s’attendait à ce qu’il fût arrogant mais à sa grande surprise, c’était plutôt un idéaliste. Pourtant, elle restait sceptique. La sœur de Taya avait divorcé d’un type qui essayait de devenir SEAL, et Taya lui avait dit et répété qu’elle n’épouserait jamais un homme de ce genre. Mais Kyle se révéla sensible. Il était capable de la comprendre mieux que quiconque. Même lorsqu’elle ruminait, qu’elle cachait quelque chose tout en sauvant la face, il arrivait toujours à la percer à jour. Cela leur évitait d’avoir besoin d’étaler leurs émotions, ou de constamment réévaluer leur couple. Ils se marièrent peu de temps avant son premier déploiement en Irak.
Le guerrier
Devenir tireur d’élite des SEAL demande des années d’entraînement afin d’acquérir l’assurance suffisante. Même après être passé par l’école des tireurs d’élite, Kyle avait dû faire ses preuves, encore et encore, sur le terrain, sous la pression du combat. Il avait exécuté d’autres missions avant l’Afghanistan et l’Irak, dans des endroits dont il ne pouvait pas parler car il s’agissait d’opérations classées confidentielles. Comme il l’écrira finalement dans American Sniper, son autobiographie, sa première exécution avec un fusil de précision eut lieu fin mars 2003, à Nassiriya, en Irak. C’était peu de temps après la première invasion, et son peloton – « Charlie », de l’Équipe SEAL 3 – avait investi un bâtiment plus tôt dans la journée afin de fournir une couverture à une unité de Marines qui descendait la rue avec fracas. Il portait un fusil Winchester Magnum à verrou de calibre .300, qui appartenait à son chef de peloton. Il aperçut une femme à environ 45 mètres de sa position. Alors que les Marines se rapprochaient, elle sortit une grenade. Hollywood nous fait peut-être croire que les tireurs d’élite visent la tête – « une balle, un mort » –, mais les tireurs d’élite expérimentés visent le milieu de la poitrine, le centre de gravité. Kyle pressa deux fois la gâchette.
« Les gens sont faibles », avait-il l’habitude de dire. « Ils n’ont pas idée. » À cause de cette « faiblesse », il avait dû requérir le feu vert du Département de la Défense avant de pouvoir inclure cette histoire et bien d’autres dans son livre. Il voulait que ceux qui ne connaissent pas ce monde sachent exactement à quel degré de malveillance ils avaient affaire au quotidien. Mais il comprenait aussi que le Pentagone ne voulait pas faire de publicité gratuite aux ennemis des États-Unis. Il savait que le grand public ne voulait pas entendre parler des réalités terribles de la guerre. Kyle servit quatre fois en Irak, participant à chaque campagne majeure de la guerre. Il était sur le terrain lors de la première invasion en 2003.
Il était à Falloujah en 2004. Et il y retourna, à Ramadi en 2006, puis à Bagdad en 2008, où il fut appelé pour sécuriser le périmètre de la zone verte en entrant dans Sadr City. La plupart des membres de son peloton étaient sur la scène du Pacifique avant le déploiement de 2004. Kyle fut envoyé en avance pour assister les Marines chargés de délivrer Falloujah de ses insurgés. Les récits de ses exploits au combat firent le tour de son équipe. Au départ, il était censé couvrir les forces américaines en étant perché, observant une distance de sécurité. Mais il songea qu’il serait plus à même de protéger ses gars s’il était dans les rues à faire du porte-à-porte avec eux. Au cours d’une bataille rangée, on raconte que Kyle courut au travers d’une rafale de balles afin de mettre en sécurité un Marine blessé. En entendant ces histoires, ses coéquipiers commencèrent à l’appeler ironiquement « La Légende ». Les récits de sa bravoure au combat se multiplièrent lors de son troisième déploiement. Un SEAL plus jeune que Kyle était avec lui sur le toit d’un bâtiment à Ramadi quand ils se retrouvèrent sous un feu nourri. Le jeune SEAL (toujours actif dans les équipes, il ne peut donc être nommé) se laissa tomber au sol et se cacha derrière un mur intérieur. Quand il se décida enfin à jeter un œil à ce qui se passait, il vit Kyle debout, collé à son arme et couvrant son champ de tir, indiquant à voix haute les positions ennemies qu’il attaquait. Kyle racontait que l’horreur de la guerre avait été poussée à son paroxysme durant son dernier déploiement, à Sadr City en 2008. L’ennemi était mieux armé qu’avant. Lors de cette mission, l’équipe avait l’impression qu’à chaque attaque, l’ennemi utilisait des grenades autopropulsées dans des batailles qui s’éternisaient pendant des jours. Ce fut aussi la mission durant laquelle Kyle effectua son tir mortel le plus éloigné. Il se trouvait au deuxième étage d’une maison à l’orée d’un village. À l’aide de la lunette de son fusil de précision Lapua calibre .338, il balayait la zone dans le lointain, jusqu’aux portes du prochain village, situé environ deux kilomètres plus loin. Il aperçut une silhouette sur le toit d’un petit bâtiment. La silhouette ne semblait pas occupée à grand chose, et ne portait pas d’arme apparente. Mais plus tard dans la journée, alors qu’un convoi de l’armée approchait, Kyle vérifia à nouveau et vit l’individu tenant ce qui ressemblait à une grenade autopropulsée. À cette distance, Kyle ne pouvait qu’estimer ses calculs. Il pressa la gâchette et regarda dans sa lunette l’Irakien tomber du toit, 1 920 mètres plus loin. Ce tir décrocha la 8e place mondiale des tirs longue distance effectués par un sniper. Kyle dira plus tard que c’était « un coup de chance ». Chris Kyle ne correspondait pas au stéréotype du tireur d’élite morne et solitaire. Pour différentes raisons, il ne pouvait être qualifié de soldat modèle. Bien qu’il gardât toujours ses armes en parfait état, il en allait autrement de ses quartiers. À entendre certains SEAL, après un déploiement, sa chambre était si sale qu’il fallait deux jours pour la nettoyer. Autour du lit, il y avait l’équivalent de six mois de coquilles de graines de tournesol consommées et recrachées. Il était rarement vu habillé d’un uniforme militaire, ou de vêtements y ressemblant de près ou de loin. Ses coéquipiers se souviennent de lui peignant le crâne du Punisher sur son gilet pare-balles, son casque, et même sur ses armes. Il découpait également les manches de ses hauts et portait des chaussures de chasseur à la place des bottes de combat réglementaires. Il ne se souciait guère de la protection de son casque en Kevlar et préférait porter sa vieille casquette de baseball des Longhorns. Il disait aux gens qu’il portait cette casquette pour que l’ennemi sache bien que le Texas était représenté sur le champ de bataille, et que « les Texans visent juste ».
On demandait souvent à Taya comment elle conciliait les deux Chris Kyle : le tueur expérimenté et le mari aimant.
Kyle entendait des gens qualifier les tireurs d’élite de lâches. Il expliquait alors que les tireurs d’élite, surtout dans les guerres urbaines, diminuent le nombre de civils touchés. Il ajoutait : « Je t’atteindrai et je t’arrêterai par n’importe quel moyen si tu menaces des vies américaines. » Il terrorisait ses ennemis. En 2006, des officiers des services de renseignement rapportèrent qu’il existait une prime de 20 000 dollars sur sa tête. Elle augmenta plus tard jusqu’à 80 000 dollars. Il plaisantait en disant qu’il était terrifié à l’idée de rentrer chez lui. « J’ai peur que ma femme ne me dénonce », disait-il. Au cours des dernières années, on demandait souvent à Taya comment elle conciliait les deux Chris Kyle : le tueur expérimenté et le mari aimant, l’homme qui se roulait par terre avec ses enfants, planifiait des excursions sur des sites historiques et l’appelait qu’importe l’endroit où il se trouvait (un jour, il croyait avoir éteint son téléphone et elle entendit malgré elle une fusillade). Elle était constamment inquiète pour lui, mais comprendre la raison pour laquelle il avait choisi ce métier n’avait rien de mystérieux pour elle. « Chris était se battait pour ses frères parce qu’il les aimait », dit-elle. « Il voulait les protéger et s’assurer qu’ils pourraient tous rentrer chez eux, auprès de leurs familles. » S’étaler sur le nombre de ses victimes confirmées ne l’intéressait pas. Ce nombre est vraisemblablement bien plus élevé que ce que le Pentagone a rendu public, mais certaines archives pourraient rester classifiées pendant des décennies encore. Outre ce fait, et bien que les chiffres attirent l’attention, ils ne racontent pas l’histoire de Kyle. Il disait aux gens que ce qu’il aimerait pouvoir compter, d’une façon ou d’une autre, c’était le nombre de personnes qu’il avait sauvées. « Ce nombre-là compterait à mes yeux », disait-il. « Je l’inscrirais partout. » Si voir mourir ses ennemis ne l’avait jamais particulièrement ému, perdre ses amis le dévastait. Quand Marc Lee, son acolyte de l’Équipe 3 du peloton Charlie, mourut en août 2006 (il fut le premier SEAL à mourir dans le conflit irakien), Kyle était inconsolable. Tous les coéquipiers de Lee préparèrent quelques mots à l’occasion d’un service commémoratif organisé à Ramadi. Kyle écrivit un discours, mais quand le moment vint de le délivrer, il ne trouva pas la force de parler. Chaque fois qu’il essayait, il fondait en sanglots. « Il est venu vers moi et m’a pris dans ses bras après la cérémonie », raconte un SEAL encore en service. « Il s’est excusé et m’a dit : “Je suis désolé, je voulais le faire, mais je n’ai juste pas pu.” »
Un événement semblable se produisit plus tard dans l’année, lors d’une veillée mortuaire pour le SEAL Michael Monsoor mort au combat. Il fut récompensé à titre posthume d’une Medal of Honor (Médaille d’honneur) pour s’être jeté sur une grenade afin de sauver les vies de ses camarades SEAL. C’est là que Kyle eut une altercation avec l’ancien gouverneur du Minnesota, Jesse Ventura. Ils se trouvaient dans un bar entre SEAL, à Coronado, en Californie. Kyle raconte que Ventura, un ancien SEAL, était en ville pour un événement sans rapport et a fait un détour par la veillée. Selon Kyle, Ventura manqua de respect aux troupes, prononçant une phrase du style : « Vous méritez bien de perdre quelques gars. » C’était trop à encaisser. Kyle lui mit son poing dans la figure et quitta le bar. Ventura nia en bloc et déposa plainte contre Kyle. Mais deux anciens SEAL, des amis de Kyle présents ce soir-là, m’ont affirmé que la scène s’était déroulée exactement de la manière dont Kyle l’avait décrite.
Mémoires d’un sniper
En 2009, Taya en eut assez de cette vie. Elle fit remarquer à Kyle qu’étant donné ses fréquentes absences, il ne verrait pas la différence si elle vivait ici ou ailleurs. Il le prit comme un ultimatum. Ainsi que Kyle le soulignait dans son livre et à longueur d’interviews, le taux de divorce au sein des Navy SEAL s’élève à plus de 90 %. Il savait qu’il lui fallait choisir entre les deux. Il abandonna donc sa prometteuse carrière, le métier de ses rêves pour lequel il se sentait parfaitement taillé, le but qui avait entretenu sa motivation pendant dix ans. « Les premiers temps, quand j’ai décroché, j’étais plein de rancune », dit-il. « Je pensais qu’elle savait qui j’étais quand elle m’avait rencontré. Elle savait que j’étais un soldat. C’était tout ce que j’avais toujours voulu faire. » Il se mit à boire. Beaucoup. Il arrêta de faire de l’exercice. Il ne voulait pas quitter la maison ou blaguer comme à son habitude. L’adrénaline du combat lui manquait, tout comme les priorités claires qu’établit la guerre, comme être convaincu que ce qu’il faisait comptait réellement. Plus que tout cependant, ses camarades des SEAL lui manquaient. Il leur écrivait et les appelait sans arrêt. Il leur disait se sentir perdu.
Mais quand il écrivait à ses amis les plus proches, il leur parlait du véritable bénéfice qu’il retirait en ayant quitté la Navy : Durant toutes ces années passées à faire la guerre, il n’avait presque pas passé de temps avec ses enfants. Pendant ce temps libre, il découvrit qu’il existait une chose qu’il aimait plus encore que d’être cow-boy ou tireur d’élite. « Il adorait être père », dit Taya. Elle remarqua qu’il pouvait aussi bien chahuter avec leur fils qu’être tendre avec leur fille. « Beaucoup de pères jouent avec leurs enfants, mais lui était toujours par terre avec eux, à faire des roulades, à amuser la galerie. » Kyle commença à se sentir mieux. Il en eut assez de s’apitoyer sur son sort. Il ne tenait pas à divorcer. Il se remit à faire de l’exercice, « pour me remettre les idées en place », comme il disait. Quand il rencontrait d’autres anciens combattants qui se sentaient déprimés, il leur disait qu’ils devaient essayer eux aussi de faire plus d’exercice. Mais la plupart d’entre eux, en particulier les hommes blessés avec des membres amputés ou des brûlures visibles, expliquaient que les gens leur portaient un regard trop soutenu, que les centres sportifs les mettaient mal à l’aise. C’est comme ça qu’il eut l’idée d’installer des équipements sportifs directement chez eux. Quand il approcha FITCO, une entreprise qui fournit des machines d’exercice à travers tout le pays, et leur demanda s’ils avaient des équipements usés, ils répondirent que non. Au lieu de cela, ils firent don de nouveaux équipements et aidèrent à financer une association à but non lucratif dédiée à la mission de Kyle. « En aidant les autres », explique Taya, « Chris s’était trouvé un nouveau but. » Elle le vit faire preuve de la même volonté qui l’avait porté durant l’entraînement des SEAL et lors de toutes ces missions impossibles. Mais cette fois, c’était pour devenir un homme meilleur. Il se mit à entraîner l’équipe de tee-ball (du baseball adapté aux plus jeunes) de son fils et à emmener sa fille à ses cours de danse. Il avait toujours aimé chasser, mais il détestait la pêche. Pourtant, quand il apprit que son fils aimait pêcher, il s’employa à devenir un pêcheur expérimenté, afin qu’ils puissent créer des liens comme il l’avait fait avec son propre père. Kyle emmenait sa famille à des matches de football américain au Cowboys Stadium, ainsi qu’à l’église. Il détestait l’altitude, à moins qu’il ne fût suspendu à un hélicoptère en couvrant une zone avec son arme. Mais quand ses enfants voulurent aller au parc d’attractions Six Flags pour grimper dans les montagnes russes ou à la foire de Dallas pour monter sur la grande roue, il se dévoua malgré tout. Voir son 4×4 noir aux environs de Midlothian devint une habitude. Il débuta une collection de répliques d’armes de la conquête de l’Ouest, comme celles que les cow-boys utilisaient dans les films qu’il regardait quand il était jeune. Taya le surprenait parfois tandis qu’il s’entraînait à dégainer rapidement et à faire tourner son revolver autour de son doigt. Parfois, quand ils étaient assis sur le canapé à regarder la télévision, il faisait tourner un six-coups vide autour de son doigt. Si elle voyait à l’écran quelqu’un qu’elle n’aimait pas, elle lui demandait en plaisantant : « Tu peux descendre ce type ? » Alors il pointait le revolver vers la télévision et faisait semblant de tirer. « Je l’ai eu, bébé. » J. Kyle Bass est gestionnaire de fonds spéculatifs à Dallas, et fondateur de Hayman Capital Management. Il apparaît souvent dans le livre de Michael Lewis, Boomerang: Travels in the New Thrid World, qui décrit à la fois son esprit financier aigu et son style de vie gargantuesque. Il y a quelques années de cela, Bass ne se sentait pas en forme, il était même en surpoids. En tant qu’ancien athlète universitaire, il cherchait quelque chose d’intense pour se remettre en forme. Il trouva un commandant de réserve des Navy SEAL en Californie, qui préparait les aspirants SEAL pour l’entraînement BUD/S, et lui demanda s’il pouvait lui établir un programme à court terme. Bass découvrit qu’il aimait passer du temps avec les SEAL et futurs SEAL.
C’est ainsi que Bass fit la connaissance de Chris Kyle. Bass était en train de faire construire sa nouvelle maison à cette époque, et il proposa à Kyle de l’y conduire en avion et de le payer pour des conseils en matière de sécurité. « J’essayais de trouver n’importe quoi pour l’aider », dit Bass. « Je voulais trouver un moyen de l’amener à passer le cap vers le monde réel. » Bass invita Kyle à vivre chez lui pendant que Taya finissait de vendre leur propriété à San Diego. Il présenta Kyle à autant de gens fortunés qu’il pouvait. Les hommes riches étaient captivés par Chris Kyle. Ils adoraient être accompagnés de La Légende. Ils ne se lassaient pas d’entendre ses histoires et l’invitaient à venir chasser sur leurs terres. Bass organisait chaque année un sommet économique dans son ranch de l’Est du Texas. Il démarra les festivités par la présentation de ses amis tireurs d’élite. « J’ai engagé Chris et d’autres SEAL pour qu’ils viennent faire des tirs de démonstration », dit Bass. « Ils tiraient sur des explosifs à plus de 500 mètres de distance, pour qu’au moment de l’impact il y ait une énorme explosion à faire trembler le sol. » Il sourit en racontant cette histoire. « Pour tous ces gens qui gèrent de l’argent tout autour du globe et à Wall Street, venir au Texas et voir un tireur d’élite des Navy SEAL tirer sur une bombe, il n’y a rien de plus cool. » Bass et certains de ses partenaires d’affaires aidèrent également à lancer Craft International. Ils installèrent les bureaux de Craft au même étage que ceux de Hayman, aussi les gens du service financier et les agents de sécurité se croisaient-ils souvent. Même s’il travaillait dans un luxueux immeuble de bureaux dans le centre de Dallas, Kyle ne changea pas d’un iota. Même lorsqu’il s’agissait d’une réunion importante, il ne se privait pas d’envoyer balader toute une assemblée, un rictus mauvais aux lèvres. L’idée était de vendre les compétences de Kyle sur le marché. Il pouvait aider à entraîner les troupes (une grande part de l’entraînement militaire était assurée par des tiers en sous-traitance), les policiers, ainsi que de riches hommes d’affaires qui seraient prêts à payer cher pour recevoir des instructions venant directement d’un guerrier d’élite comme lui. Il pouvait emmener des gens en retraite à Rough Creek Lodge, un complexe hôtelier de luxe de Glen Rose équipé d’un stand de tir étendu. C’est là qu’il emmenait ses amis et les vétérans blessés quand ils se sentaient déprimés et qu’ils avaient besoin de se défouler.
« Il aurait pu être tué dans toutes les situations dans lesquelles il s’était trouvé. » — Jim DeFelice
Kyle insistait sur le fait qu’il n’avait jamais eu la moindre intention d’écrire son autobiographie. Mais on lui avait confié que d’autres écrivains y travaillaient déjà, aussi se dit-il qu’il ferait bien d’y participer. Il voulait s’investir là où il le pensait nécessaire. Lui et sa femme se virent offrir un vol pour New York au milieu de l’hiver, afin d’y rencontrer l’écrivain Jim DeFelice qui commencerait à raconter leur histoire. Les entretiens étaient éprouvants. « Il n’était pas naturellement loquace », dit DeFelice. « Il n’aimait pas particulièrement parler de lui non plus. Quand nous avons commencé à travailler ensemble, le fait de me raconter ce qui s’était passé pendant la guerre lui demandait énormément d’efforts. Il revivait les batailles en détails pour la première fois depuis qu’il avait quitté l’armée. Il aurait pu être tué dans toutes les situations dans lesquelles il s’était trouvé. C’est une réalité difficile à saisir sur le coup, et encore plus dure à comprendre plus tard. » Kyle trouva tout de même le temps de faire une bataille de boules de neige avec le fils de 13 ans de DeFelice. Il dit au garçon que malgré sa longue expérience du combat dans la neige, il l’avait surclassé ce jour-là. Kyle retourna à l’intérieur et se servit une bière. « Okay, fiston », lui dit Kyle. « Maintenant, tu pourras dire que tu as battu un Navy SEAL dans une bataille de boules de neige. » Kyle prit la décision de ne pas toucher le moindre centime sur American Sniper. Quand le livre devint un best-seller, sa part s’élevait à plus d’1,5 millions de dollars. Il en reversa les deux-tiers aux familles de ses camarades tombés au combat et le reste à une association caritative qui aidait les vétérans blessés. C’était une chose dont lui et Taya avaient longuement discuté. « Je lui demandais : “Jusqu’où vas-tu aller ? Que fais-tu de ta famille, dans tout ça ?” Mais je comprenais, bien sûr. » À la parution du livre, tout le monde voulut l’interviewer. Il passait dans les émissions de variété de deuxième partie de soirée, aux journaux télévisés du câble et à la radio. Il participa à de nombreuses émissions de télé-réalité associées au tir. Il empochait rarement beaucoup d’argent pour ses apparitions et s’y rendait toujours avec une casquette de baseball sur la tête et du tabac à chiquer dans la bouche.
1 200 personnes assistèrent à sa première séance de dédicace publique. C’était la même chose dans chaque ville. Il préférait rester debout pendant toute la séance. « Si vous êtes tous debout, je peux bien l’être aussi », disait-il. Il signait alors tous les livres qu’on lui présentait, même si cela lui prenait des heures. Et c’était souvent le cas, car il voulait prendre le temps de parler à chacun. Il essayait de personnaliser chaque livre. Il prenait la pose, photos après photos. Plus sa célébrité grandissait, plus les gens voulaient passer du temps avec lui. De plus en plus de politiciens désiraient faire du tir à ses côtés. Un jour, il se rendit à un stand de tir avec le gouverneur Rick Perry. Avant de tirer avec son fusil de sniper, Perry demanda à Kyle s’il avait un autre coussin à mettre sur le sol en ciment avant de s’allonger. Kyle répliqua sur un ton goguenard : « Vous savez, gouverneur », dit-il, « Ann Richards est venue ici il n’y a pas si longtemps, et elle n’a pas eu besoin d’un coussin. » Un jour, un de ses amis lui présenta l’actrice Natalie Portman. Il lui demanda ce qu’elle faisait dans la vie et, à en croire les récits, elle l’apprécia d’autant plus après cette question. On raconte aussi cette histoire : Kyle était invité dans une loge lors d’un match de football américain de l’université du Texas. Il décida d’y emmener un ami au cœur brisé, un policier de Dallas qui avait récemment surpris sa petite amie en train d’embrasser un autre homme. Ils passèrent plusieurs heures dans la loge à parler et à boire, lorsqu’un ancien joueur vedette de l’université du Texas fit son entrée par hasard. Au bout d’un moment, Kyle réalisa que l’ancien joueur était précisément le type qui avait embrassé la petite copine de son ami. L’ami de Kyle savait ce qui allait arriver. Il le supplia de ne rien faire, mais en vain. « C’est un règle d’hommes », dit Kyle. Il connaissait un tour qu’il aimait réaliser en soirée, une clé qui faisait perdre connaissance à un homme en quelques secondes. Kyle appelait ça un « câlin ». Les gens le mettaient au défi de le leur faire, en disant qu’ils ne s’évanouiraient pas. Évidemment, Kyle s’approcha de l’ancienne star et lui fit un « câlin », là, dans la loge. Alors que des femmes poussaient des cris aigus en se demandant si l’ancien joueur était mort, Kyle, lui, maintint son étreinte plus longtemps qu’à l’accoutumée. Quand il perdit connaissance, l’homme perdit aussi le contrôle de ses intestins… Mais il ne prenait pas soin uniquement de ses amis. Des gens lui écrivaient du monde entier, lui demandant un service ou juste de son temps, surtout après ses premiers passages télé. Il faisait de son mieux pour répondre à chaque requête, alors même que Taya s’inquiétait de le voir se disperser et s’épuiser de la sorte. « Il accordait sa confiance sans réfléchir », dit-elle. « Il ne s’inquiétait pas de grand chose. »
La procession
Jodi Routh, assistante d’éducation dans une école primaire située à proximité de la maison de Kyle, avait un fils, un ancien Marine, qui avait besoin d’aide. Elle se tourna vers Kyle car elle connaissait son aptitude à prendre soin des vétérans. Kyle lui répondit que lui et son ami Chad Littlefield allaient emmener le jeune homme au grand air pour qu’il se défoule.
Littlefield était un gars discret sur lequel Kyle avait appris à compter au fil des années. Ils faisaient de l’exercice et allaient chasser ensemble. Quelques jours plus tôt, il s’était rendu un soir chez Kyle pour que ce dernier réglât la lunette de son fusil. Kyle invita Littlefield à l’accompagner à Rough Creek. Ils allaient emmener le fils de Jodi Routh faire du tir. Littlefield avait déjà accompagné Kyle dans ce genre d’excursions des dizaines de fois. Ils se trouvaient dans le gros 4×4 noir de Kyle quand ils arrivèrent à Lancaster, dans la banlieue de Dallas, devant la maison qu’Eddie Ray Routh partageait avec ses parents. Âgé de 25 ans, c’était un jeune homme à l’allure filiforme, famélique. Il avait passé quatre ans chez les Marines, et au cours des mois précédents, il avait été hospitalisé à deux reprises pour des troubles mentaux. Sa famille craignait qu’il ne fût suicidaire. Ils espéraient que passer du temps avec un héros de guerre, une légende comme Chris Kyle, pourrait l’aider. Samedi 2 février 2013, peu après le déjeuner, ils passèrent prendre Routh et se dirigèrent vers l’ouest sur l’autoroute 67. Ils atteignirent Rough Creek Lodge aux alentours de 15 h 15. Après cinq kilomètres de route sinueuse, ils arrivèrent à l’hôtel de Rough Creek, et dirent à l’un des employés qu’ils se rendaient au stand de tir, situé deux kilomètres plus loin sur une route en terre cahoteuse.
Kyle adorait cet endroit. Il y avait donné de nombreux cours ces trois dernières années. Il passait des heures à travailler avec quiconque démontrait un intérêt pour le tir. C’était là qu’il emmenait ses gars quand ils avaient besoin de se changer les idées. Avec cette luminosité, les montagnes et les falaises sèches et blanches ressemblaient un peu aux endroits où ils avaient été en Irak. Quand ils s’y rendaient en groupe, coupés du reste du monde, ils pouvaient se relaxer et retrouver l’esprit de corps qu’ils aimaient et qui leur manquait tant. On ne saura peut-être jamais vraiment ce qui se passa ensuite. Selon les indices dont dispose la police, ils venaient d’arriver sur place quand Routh a retourné son pistolet semi-automatique contre Kyle et Littlefield. Il prit le 4×4 de Kyle, quitta Rough Creek et emprunta l’autoroute 67 vers l’est. Plus tard, il confia à sa sœur qu’il « avait échangé son âme contre un nouveau 4×4 ». C’est un guide de l’hôtel qui découvrit les deux corps, couverts de sang et criblés de balles. Routh conduisit jusqu’à la maison d’un de ses amis, à Alvarado, et appela sa sœur. Il se rendit chez elle. Selon les déclarations de sa sœur à la police, il avait « perdu la tête ». Il lui raconta qu’il avait assassiné deux personnes, qu’il leur avait tiré dessus « avant qu’ils ne puissent le tuer ». Il disait que « les gens aspiraient son âme » et qu’il pouvait « flairer les porcs ». Elle lui ordonna de se rendre immédiatement à la police. À partir de là, Routh reprit la route pour rentrer chez lui à Lancaster, où la police l’attendait. Lorsqu’ils essayèrent de le persuader de sortir du 4×4, il décampa en vitesse. Avec le pare-buffle massif, il défonça l’avant d’une voiture de patrouille. Les policiers pourchassèrent Routh à travers Lancaster et Dallas. Il se dirigeait au nord sur l’autoroute inter-États 35 quand le moteur du 4×4 rendit subitement l’âme, près de Wheatland Road. Routh fut arrêté et reconnu coupable des deux meurtres.
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La cérémonie commémorative en l’honneur de Chris Kyle eut lieu au Cowboys Stadium, afin de pouvoir accueillir les 7 000 personnes qui tenaient à lui rendre hommage. Avant même l’ouverture des portes ce matin-là, une file d’attente s’enroulait sur la moitié du stade, et les gens attendaient patiemment dans l’air froid et humide. Si nombre d’entre eux connaissaient Kyle, ce n’était pas le cas pour la plupart. Certains avaient lu son livre ou l’avaient vu à la télévision. Certains n’avaient entendu parler de lui qu’après son décès. Des gens n’allèrent pas travailler et retirèrent leurs enfants de l’école car ils pensaient que l’événement était important. Des familles ont traversé trois États pour se rendre à la cérémonie.
La plupart des gens étaient vêtus de noir. Nombre d’entre eux portaient l’uniforme. Son équipe de SEAL était présente, ainsi que d’autres SEAL et des combattants des opérations spéciales de toutes les générations. Il y avait des policiers, des shérifs adjoints, des patrouilleurs du Texas. Les vétérans de la Seconde Guerre mondiale, certains en fauteuils roulants, s’adressaient des signes de tête silencieux en progressant dans le stade. Certains hommes avaient servi en Corée, certains au Vietnam, d’autres pendant la première guerre du Golfe. Il y avait beaucoup de militaires n’avaient jamais servi en temps de guerre et beaucoup de gens qui n’avaient jamais servi du tout, mais tous se sentait le devoir d’être présent. Des gens célèbres assistèrent à la cérémonie, parmi lesquelles Jerry Jones (le propriétaire de l’équipe des Dallas Cowboys), Troy Aikman et Sarah Palin. Des centaines de motards délimitaient l’extérieur du terrain. Des joueurs de cornemuse et de percussions vinrent de tout l’État. Un chœur militaire se tint prêt durant tout le service. Sur une scène montée au milieu du terrain, se trouvaient un podium, des haut-parleurs et une poignée micros montés sur des pieds. Sur le devant de la scène, au milieu d’un monticule de fleurs, se trouvaient l’arme de Kyle, ses bottes, son gilet pare-balles et son casque. Des photos de la vie de Kyle défilaient sur l’immense écran suspendu : un garçon recevant un fusil de chasse pour Noël. Un jeune cow-boy, à dos de cheval. Un jeune SEAL, rasé de près, le regard brillant. Au combat, effectuant un balayage à la recherche de cibles. Dans le désert, brandissant un drapeau du Texas. Au sein de son peloton, image d’une puissance redoutable. Chez lui enfin, enlaçant Taya, embrassant le pied de sa fille encore bébé, tenant la main de son petit garçon. Son cercueil était enveloppé d’un drapeau américain et placé sur l’étoile géante qui orne la ligne des 50 yards, au milieu du terrain.
À la fin de la cérémonie, des porteurs en uniforme emportèrent le cercueil au son des cornemuses endeuillées.
Randy Travis chanta « Whisper My Name » et « Amazing Grace » ; Joe Nichols, « The Impossible » ; Scott Brown, un ami de Kyle, interpréta un morceau intitulé « Valor ». Le public écouta le récit de la jeunesse de Kyle, comment il était à l’entraînement, au combat, en tant qu’ami et partenaire d’affaires. Certaines personnes évoquèrent les fois où ils l’avaient vu pleurer. Ses camarades SEAL racontèrent des anecdotes sur sa volonté, son humour et sa bravoure. D’autres témoignage évoquait sa compassion, son intelligence ou son dévouement chrétien. « Bien que nous ressentions de la tristesse et que nous soyons en deuil », déclara un de ses anciens commandants, « sachez une chose : les légendes ne meurent jamais. Chris Kyle ne nous a pas quittés. C’est une icône de la liberté qui a béni notre grande nation. Il sera à jamais l’incarnation de la force et de la ténacité des équipes SEAL, parmi lesquelles son exemple sera suivi et sa mémoire honorée, alors que les SEAL continueront de traquer et de détruire les ennemis de l’Amérique. » Taya resta forte, entourée par les camarades SEAL de son mari, et parla au monde de leur amour. « Dieu sait qu’il fallait un homme extraordinairement solide et généreux pour amener une femme aussi têtue, cynique, et prudente en amour que moi à ouvrir les yeux sur ce qu’Il avait à me montrer, et Il t’avait choisi pour cette mission », dit-elle, sa voix meurtrie emplissant le stade. « Il a bien choisi. » À la fin de la cérémonie, des porteurs en uniforme emportèrent le cercueil au son des cornemuses endeuillées. Taya marchait derrière avec ses enfants, les tenant par la main. Le lendemain, le cercueil fut conduit à Austin. Il y eut une procession longue de plus de 300 kilomètres, certainement la plus longue de l’histoire des États-Unis. Les gens peuplaient les trottoirs dans chaque ville, agitant des drapeaux et adressant des saluts. Des drapeaux américains enveloppaient chaque pont de l’Interstate 35, entre la maison des Kyle à Midlothian et la capitale de l’État.
Écrire la légende
On racontera des histoires sur Chris Kyle pendant des générations. Des épopées narrant ses faits d’armes, ses pitreries ou ses actes de noblesse qui prendront de plus en plus d’ampleur. Dans cent ans, les gens ne sauront plus quelles histoires sont vraies et quelles autres auront été embellies au fil du temps. Et peut-être que cela n’a pas grande importance, car les gens croient aux légendes pour des raisons qui leur appartiennent. Depuis la mort de son mari, Taya a été dépassée par le nombre de vétérans qui tiennent à lui dire que Chris Kyle a sauvé leur vie. Un homme avec une petite fille de deux ans s’est récemment mis à pleurer en expliquant que cette dernière ne serait pas née si Chris Kyle ne l’avait pas sauvé en Irak. Dans bien des années, ils raconteront encore les moments où ils se trouvaient à quelques secondes ou quelques centimètres de la mort, où ils pensaient que c’était la fin… et où une balle venue des cieux a neutralisé leur adversaire, tirée par Chris Kyle. Ils diront à leurs petits-enfants de remercier Chris Kyle dans leurs prières. Parce que les légendes dépassent les hommes et qu’il a personnellement sauvé un grand nombre de personnes, certains penseront sûrement avoir été sauvés par lui, bien qu’ils doivent leur salut à un autre tireur d’élite ou à un autre militaire. Bien sûr, il n’y aura aucun moyen d’en être certain. Kyle transférait les honneurs à ses équipiers SEAL autant qu’il le pouvait, mais il savait qu’il était considéré comme un héros, avec toutes les complications dont ce statut s’assortit.
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Lors de notre interview, il ne révéla pas où s’était produit l’incident de la station-essence. La plupart des versions de cette histoire la situent à Cleburne, non loin de Fort Worth. Le chef de la police de Cleburne déclare que si un tel incident s’est réellement produit, ce n’était pas dans sa ville. Tous les autres chefs de la police le long de l’autoroute 67 répètent la même chose. Malgré les demandes adressées aux relations publiques, aucun rapport de police, aucun certificat de décès n’a été obtenu, rien de la part des patrouilleurs du Texas ou du Département de la Sécurité publique.
Je me suis arrêté dans chaque station-service de l’autoroute 67, sur la Business Route 67 à Cleburne, et sur quinze kilomètres dans les deux directions. Personne n’a entendu parler de quoi que ce soit de semblable. Beaucoup de gens croiront que, parce qu’il n’y a pas de documents officiels ou de témoins pour corroborer son histoire, Kyle doit avoir menti. Mais pourquoi mentir ? Il était déjà l’un des vétérans les plus décorés de la guerre d’Irak. Les histoires de son héroïsme au combat étaient déjà légendaires dans tous les corps de l’armée. Les gens qui n’ont jamais rencontré Kyle croiront qu’il avait subi trop de pression, qu’il n’était qu’un héros inutile s’il n’était pas occupé à débarrasser le monde des malveillants. Les obsédés de la théorie du complot se demanderont même si chaque partie de l’histoire de sa vie (ses incroyables compétences, les récits de sa bravoure face à la mort) n’ont pas été concoctées dans l’aile de la propagande du Pentagone. Et les autres, bien sûr, probablement la plupart des gens, croiront cette histoire, car elle parle de Chris Kyle. Il était aussi l’une des seules personnes à disposer des connexions nécessaires pour faire disparaître ce genre d’événement : il travaillait en effet régulièrement pour la CIA. Les gens croiront à cette histoire car Chris Kyle était le combattant américain le plus célébré de notre époque. Ils croiront cette histoire car il en existe déjà un nombre considérable et confirmées narrant ses talents, ses assauts implacables et meurtriers, et son courage. Des histoires dans lesquelles il passe du temps en compagnie de présidents, dans lesquelles il se moque de gouverneurs, se bat avec d’anciennes vedettes de football américain, des milliardaires ou des types prétentieux… Ils y croiront car Chris Kyle est d’ores et déjà une légende, et que nous avons parfois besoin de croire aux légendes.
Traduit de l’anglais par Rémy Kuentzler d’après l’article « The Legend of Chris Kyle », paru dans D Magazine. Couverture : Chris Kyle entouré de ses enfants, par Taya Kyle. Création graphique par Ulyces.