S’il existait un classement mondial des tueurs en série, Pedro Rodrigues Filho y figurerait certainement en bonne place. Plus connu sous le nom de « Pedrinho Matador », soit Pierrot le Tueur, ce Brésilien aujourd’hui âgé de 63 ans est en effet responsable du meurtre d’au moins 71 personnes. Lui-même revendique une centaine de victimes. Comme il s’agit en majorité de criminels, les médias le comparent souvent au héros de la série télévisée Dexter.
Victime d’un terrible traumatisme dans son enfance, Dexter Morgan a été adopté par un officier de la police de Miami qui lui apprend à canaliser ses pulsions meurtrières en ne ciblant que des criminels ayant échappé au système judiciaire. Une fois adulte, il parvient à mener en apparence une existence « normale » et à dissimuler ces pulsions à la police de Miami, au sein de laquelle il travaille à son tour, en tant que médecin légiste spécialisé dans l’analyse des traces de sang.
Mais faire de Pedro Rodrigues Filho un « Dexter dans la vraie vie » est-il réellement pertinent ? Pour le savoir, nous avons remonté le fil macabre de « la vraie vie » de Pedro Rodrigues Filho avec le profiler Mark Safarik, qui a œuvré au sein du FBI pendant 23 ans avant de fonder sa propre agence, Forensic Behavioral Services International.
Un monde de violence
Cette vie commence mal, très mal, dans une ferme de la commune de Santa Rita do Sapucai, dans le sud-est du Brésil. Pedro Rodrigues Filho y voit le jour le 17 juin 1954, avec le crâne fêlé en raison de la violence des coups que son père a assénés à sa mère durant la grossesse. Comme le souligne Mark Safarik, « il arrive et grandit dans un monde de violence, dans lequel la violence apparaît comme le seul moyen d’y échapper ».
Et il n’a que 13 ans quand il ressent pour la première fois le « besoin urgent de tuer », lors d’une bagarre avec un de ses cousins, qu’il pousse dans une presse de canne à sucre. Le garçon survit à ses blessures, mais Pedro Rodrigues Filho n’aura pas à attendre longtemps avant de pouvoir assouvir son « besoin ». L’année suivante, il abat d’un coup de fusil de chasse le maire-adjoint d’une commune voisine.
Ce dernier venait de licencier le père de Pedro Rodrigues Filho de son poste de gardien dans une école, où il était accusé de voler de la nourriture dans les cuisines. « Dès ce moment-là, les meurtres de Pedro Rodrigues Filho semblent être motivés par une soif de vengeance », signale Mark Safarik. Et de fait, peu de temps après, il tue le collègue de son père, qui serait selon lui le véritable voleur de nourriture. Forcé de prendre la fuite, il trouve refuge près de São Paulo, à Mogi das Cruzes. Là, il se lance dans le trafic de drogue et tue trois dealers.
Il fait aussi la rencontre d’une femme, Maria Aparecida Olympia, et partage sa vie jusqu’à ce qu’elle soit assassinée par un gang rival. Fou de rage, il torture et exécute plusieurs de ses membres dans le but de retrouver le responsable. Celui-ci finit par recevoir la visite de Pedro Rodrigues Filho et de quatre de ses amis le jour de son mariage. Sept personnes y trouvent la mort, 16 sont blessées.
Le tueur rend ensuite visite à son père en prison. Mais le temps où il prenait sa défense est révolu. Car si le père de Pedro Rodrigues Filho est en prison, c’est qu’il a fini par tuer sa mère avec une machette. Le jeune homme entend bien la venger, elle aussi. Il le fait dans le parloir de la prison, avec un couteau. Il va même, selon ses propres dires, jusqu’à arracher le cœur de son géniteur, à le mâcher et à le recracher.
Un geste effroyable qui suffit à expliquer pourquoi il est qualifié de « psychopathe » presque aussi souvent qu’il est comparé à Dexter Morgan, qui a vu sa mère assassinée sous ses yeux. « Mais en psychiatrie », précise Mark Safarik, « un psychopathe désigne un individu incapable de ressentir de l’empathie, du remords, ou même de l’affection. » Or, il est possible que Pedro Rodrigues Filho ait éprouvé de l’affection, notamment pour sa mère et pour Maria Aparecida Olympia, ce qui le rapproche davantage du sociopathe que du psychopathe. Les psychiatres qui l’ont analysé ont en tout cas diagnostiqué une personnalité « paranoïaque et anti-sociale ».
Pedro Rodrigues Filho, lui, préfère sans doute se voir comme un justicier. Il considère que toutes ses victimes étaient nuisibles à la société, et il n’hésite pas à se présenter comme un défenseur des femmes. Il a ainsi promis la mort à Francisco de Assis Pereira, qui déambulait dans un parc de São Paulo et se faisait passer pour un photographe de mode afin de convaincre des jeunes femmes de le suivre dans un endroit isolé, avant de les violer, de les étrangler avec des lacets et dissimuler leurs corps avec des branchages.
Pedro Rodrigues Filho a inscrit « Je tue pour le plaisir » sur son bras.
Mais Pedro Rodrigues Filho n’est pas le seul criminel à haïr « l’obsédé du parc ». Le 18 décembre 2000, ils étaient plusieurs détenus de la maison d’arrêt et de traitement psychiatrique de Taubaté à essayer de le tuer en provoquant une émeute. Francisco de Assis Pereira est, depuis, placé en isolement. Et qu’on ne s’y trompe pas : Pedro Rodrigues Filho a inscrit « Je tue pour le plaisir » sur son bras avant de le recouvrir par un autre tatouage.
400 années de prison
Son arrestation, le 27 mai 1973, n’a pas mis un terme à sa carrière de tueur en série. Bien au contraire. La légende raconte que, lors de son transfert en prison, il a été placé à l’arrière d’un fourgon de police en compagnie d’un autre criminel menotté, et qu’à l’arrivée, cet autre criminel était mort. Il a en tout cas assassiné un de ses codétenus qui « ronflait trop fort » ; un autre parce qu’il n’ « aimait pas sa tête » ; un autre parce qu’il le « devait ». À son tour attaqué par cinq prisonniers, il en tue trois sur le champ, et les deux survivants dans les semaines qui suivent.
Au total, Pedro Rodrigues Filho a assassiné pas moins de 47 personnes durant son incarcération. Pour Mark Safarik, « cela montre bien qu’il ne peut pas vraiment être comparé à Dexter Morgan » : « Dexter est quelqu’un de très méticuleux, de très prudent, qui veut à tout prix sauver les apparences. Tandis que Pedro Rodrigues Filho n’hésite pas à tuer en plein cœur du système judiciaire, c’est-à-dire en prison, et ce à plusieurs reprises, devant témoins. Il ne se soucie visiblement pas des conséquences de ses actes. »
Les conséquences semblent pourtant lourdes. De 128 années d’incarcération, la peine de Pedro Rodrigues Filho passe à 272, puis à 400 années d’emprisonnement, en raison des crimes qu’il a commis après son arrestation. Reste que la loi brésilienne interdit de détenir un criminel « sain d’esprit » au moment de son acte plus d’une trentaine d’années. Pedro Rodrigues Filho est donc libéré le 24 avril 2007. Il s’installe alors dans le nord-est du Brésil. D’abord à Fortaleza, puis dans la ville touristique de Balneário Camboriú, où il travaille comme domestique.
C’est là qu’il est de nouveau arrêté, un peu plus de quatre ans après sa libération, le 14 septembre 2011, pour avoir participé à des émeutes et séquestré un gardien du temps de son incarcération. De nouveau condamné à la prison, cette fois pour huit ans, il accorde néanmoins une interview au journaliste Marcelo Rezende sur la chaîne de télévision brésilienne Rede Record en mai 2012. Alors âgé de 57 ans, le crâne rasé et le regard éteint, il présente au monde un visage émacié au-dessus d’un simple T-shirt blanc.
Et c’est d’une voix traînante qu’il confie préférer utiliser un couteau à toute autre arme lorsqu’il tue quelqu’un, ce qui lui fait un point commun avec Dexter. « Dans le générique, l’arme blanche (y compris le rasoir) est montrée à huit reprises, celle d’étranglement (fil dentaire, puis lacets de chaussures) à deux reprises avant la suggestion de la suffocation », signale en effet le journaliste Pierre Sérisier.
« Comme le notent John Douglas, Ann Burgess et Robert Kessler, les auteurs du livre Sexual Homicide: Patterns and Motives, le recours au couteau, à l’étranglement ou la suffocation est souvent lié à des crimes à caractère sexuel », poursuit-il. « De plus, l’enfoncement du couteau dans le corps d’une victime peut être interprété comme une pénétration dans laquelle le pénis est remplacé par l’arme blanche. » « C’est comme si je me déchargeais, je ressens un soulagement, aucune émotion », explique pour sa part Pedro Rodrigues Filho.
« Mais aucun de ses crimes ne semblent être sexualisés, ce qui en fait un tueur en série atypique », souligne Mark Safarik. « Et à la différence de Dexter Morgan, il n’a pas la méthodologie et l’organisation qui sont généralement prêtés aux tueurs en série. Toujours à la différence du personnage de Jeff Lindsay, Pedro Rodrigues Filho ne tue pas des criminels parce qu’ils sont des criminels mais parce qu’ils lui ont causé du tord – ou du moins l’estime-t-il. » D’ailleurs, comment un tueur en série spécialisé dans les criminels pourrait-il identifier ses victimes ? « Pour cela, il faudrait qu’il ait accès aux mêmes ressources que la justice et la police, et donc qu’il travaille dans le domaine judiciaire, ou du moins qu’il y ait travaillé. »
Comme le personnage de Dexter Morgan. Ainsi que l’homme qui l’aurait inspiré.
Le nettoyeur des rues
C’est le spécialiste des tueurs en série Stéphane Bourgoin qui a mis au jour de troublantes similitudes entre le personnage de Dexter Morgan et un certain Manuel Pardo. Les scénaristes de la série qui a rendu le premier célèbre ont toujours nié s’être inspirés du second, mais leur travail repose sur celui de l’écrivain Jeff Lindsay. Or, « ce cas de flic tueur en série a fait la Une de tous les médias en Floride de 1986 à 1988 et l’auteur des romans sur Dexter ne pouvait pas l’ignorer puisqu’il a toujours vécu à Miami », estime Stéphane Bourgouin.
L’un des personnages de la série, le procureur Miguel Prado, qui au prétexte de faire justice lui-même et d’aider Dexter Morgan à nettoyer Miami finit par éliminer une avocate spécialisée dans la défense des criminels, porte en outre un nom incroyablement proche de Manuel Pardo.
Ce dernier a intégré la patrouille autoroutière de Floride en 1978, à l’âge de 21 ans. Il en est renvoyé un an plus tard pour falsification de contraventions et autres documents officiels, mais engagé peu de temps après par la police de la ville de Streetwater, toujours en Floride. En 1981, il est accusé de brutalités policières, mais l’affaire est classée sans suite, faute de preuves. En 1985, il est licencié pour faux témoignages. L’année suivante, il s’associe avec Rolando Garcia, un ouvrier rencontré par l’intermédiaire de son beau-frère, et tue neuf personnes.
D’abord Mario Amador, un ingénieur civil qui arrondit ses fins de mois en vendant de la drogue, puis son complice Roberto Alfonso. Et après eux Michael Millot, que Manuel Pardo soupçonne d’être un agent sous couverture chargé de le démasquer. Ulpiano Ledo et Luis Robledo, qu’il croit être des trafiquants de drogue. Sara Musa et Fara Quintero, avec qui il se dispute au sujet d’une histoire de bague prêtée sur gage. Et enfin, Daisy Ricard et son petit ami Ramon Alvero Cruz.
Lors de son jugement, en 1988, Manuel Pardo se présente comme un « nettoyeur » des rues. « Quelqu’un devait tuer ces gens », déclare-t-il à la cour. « Je suis un soldat, j’accomplis ma mission et vous demande humblement de m’accorder la gloire d’en finir avec la vie et de ne pas me contraindre à passer le reste de ma vie dans une prison fédérale. »
« Des trafiquants, j’aurais aimé en tuer 99 », écrira-t-il plus tard. En revanche, il ne se vantera jamais de les avoir dépouillés de leurs cargaisons de drogues afin de les revendre. Il récupérait également les douilles de ses crimes, photographiait les corps de ses victimes avec un appareil Polaroid, et brûlait le tout dans une urne en pierre d’albâtre.
Un procédé censé conduire les âmes de ses victimes en enfer, qui fait écho aux rituels de Dexter Morgan. Lui aussi photographie ses victimes avec un appareil Polaroid, mais conserve un échantillon de leur sang entre deux lamelles de verre, découpe les corps, enferme leurs morceaux dans des sacs en plastique et s’en débarrasse dans la mer.
L’un comme l’autre sont connus pour être des séducteurs et des manipulateurs. En effet, en mars 1996, le Miami Herald révèle que Manuel Pardo a réussi à extorquer des milliers de dollars à des femmes seules et vulnérables durant son incarcération, par le biais de petites annonces. Cela lui vaut le surnom de « Don Juan », ou encore celui de « Roméo du couloir de la mort ». Il est finalement exécuté le 12 décembre 2012, dans la prison fédérale de Floride. Dexter Morgan, lui, à l’issue de la série qui s’est achevé le 22 septembre 2013, se résigne à vivre seul dans la forêt. Quant à Pedro Rodrigues Filho, il ne fait plus parler de lui. Selon le tabloïd brésilien Super interesante, il devrait pouvoir sortir de prison en 2019.
Couverture : Pierrot le Tueur. (DR/Ulyces)