Un livre énigmatique s’est glissé dans le catalogue de la maison d’édition Tripode. Sur sa couverture, deux hommes jouent de l’accordéon en pleine rue avec des masques de chevaux. Au pied du concert improbable, folie douce en pays inconnu, le titre s’étale en capitales : Le Tout va bien 2019. Or précisément, rien ne va dans cet ouvrage : « Leur fille adoptive de 6 ans était en réalité une naine sociopathe de 22 ans », peut-on y lire. La phrase n’est pas de l’auteur. Elle a été trouvée sur le site du Midi Libre en septembre dernier.
Plus loin, d’autres titres plus baroques qu’à leur tour défilent : « Karl Lagerfeld : “Il est mort dans ma main”, confie son bras droit » ; « “Taisez-vous ou je vous bute tous” : le coup de sang d’un prof en plein partiel à Marseille » ; « Un braconnier américain condamné à regarder le dessin animé Bambi une fois par mois en prison » ; « Grève des bus à Mont-de-Marsan : Trois manifestants, le réseau n’est pas perturbé ». Rien ne va donc, ou, pour le dire avec le sarcasme qui convient à la folie galopante de l’actualité, tout va bien…
Cela fait huit ans qu’Adrien Gingold collectionne les nouvelles insensées. Sur la page de ce journaliste français expatrié au Brésil, À Juste Titre, elles forment un journal de l’étrange, plein de jeux de mots et d’incidents invraisemblables. Depuis 2014, à la fin de chaque année, un recueil vient couronner ce patient travail de mineur, qui braque une lumière réjouissante dans les entrailles souvent noires de l’actualité. Ses dernières pépites sont disponibles depuis le 14 novembre pour 9 euros. À leur vue, difficile de dire si tout va bien. Alors nous sommes allés directement poser la question à Adrien Gingold (ce qui n’était pas difficile, puisqu’il écrit pour ULYCES depuis cet été).
C’est quoi Le tout va bien ?
Le tout va bien est un zapping de l’actualité reflétant ce que notre société a de plus absurde. Il compile les titres de presse les plus délirants de l’année que j’ai repérés et partagés sur les pages Facebook et Instagram d’À Juste titre. Cette recension débutée en 2011 a donné lieu à un livre par an depuis 2014. Ils se vendent en général à 5 000 exemplaires.
Au fil de mes recherches, je suis tombé sur plein d’articles intrigants : « Un perroquet revient après quatre ans de fugue et parle espagnol » ; « Il tue son beau-père en lui tirant le slip » ; « En cavale depuis trois mois, un braqueur arrêté en faisant les soldes » ; « Il commande un kit pour agrandir son pénis sur Internet et reçoit… une loupe » ; ou encore « Traité pour des troubles mentaux, il devient accro à Johnny Cash ».
Ça donne quelque chose de très farfelu mais assez poétique : alors que tout part en vrille, que nous vivons dans une société très étrange, ce genre d’histoires nous rappelle que quelque part, rien n’est trop grave. Ce n’est pas une manière de se moquer des pauvres gens à qui il arrive des problèmes. L’objectif est de se marrer avec tout le monde en étant bienveillant. J’ai déjà vu trois générations de gens rigoler avec mon livre.
Comment sélectionnes-tu les titres ?
Sur mon ordi, j’ai les pages des médias en onglets. Je vais un peu partout mais je trouve plus facilement dans le Courrier Picard ou le Télégramme de Brest. C’est le titre qui m’intéresse, pas le média ou le journaliste. D’ailleurs, je ne vais pas forcément lire l’article. Il y a souvent des drames familiaux, des éléments qui ne sont pas très réjouissants. On découvre que le père est absent ou a des problèmes de drogue… Il y a 10 000 façons de titrer alors je suis là pour souligner quand c’est bien fait.
Ça arrive que l’histoire suscite aussi un commentaire du community manager sur les réseaux sociaux. Par exemple, quand Bob Sinclar a été cambriolé, l’un d’eux avait ajouté : « Il aurait dû mettre un DJcode. » Il y a quelques mois, mon attention a aussi été retenue par un article du Progrès. Il parlait d’un restaurant qui s’appelle Little Italy et il était titré : « L’épate à l’italienne. » Sur À juste titre, il y a donc des jeux de mots et des histoires absurdes, rigolotes, un peu bizarres, avec souvent de l’alcool, qui égayent un peu l’actualité plombante. C’est la série Z de l’actualité.
On a tous une fascination pour le faits divers car c’est le genre de chose qui arrive à nos voisins. Il y a forcément un moment dans votre vie qui aurait pu se transformer en fait divers. C’est sans doute pour ça que beaucoup de gens ont le réflexe de m’envoyer des articles.
À quand remonte ta passion pour les titres de news ?
Comme tout le monde, il m’est arrivé plus jeune de me poser au bar du coin, de prendre le journal et de regarder les actualités locales. On trouvait des informations comme « Les poules de Madame Michel ont été égorgées par son voisin ». C’était amusant mais ça n’attirait pas mon attention plus que ça. C’est en devenant journaliste que j’ai eu le réflexe de repérer ce genre de choses. Je me demandais toujours comment les autres allaient formuler une information ou quels clins d’œil ils allaient utiliser.
Pendant une dizaine d’années, j’ai travaillé pour Radio Nova. Je faisais de la veille pour constituer une sorte de revue de presse. C’était le moment de l’arrivée des gratuits, dans lesquels on trouvait des tas d’histoires marrantes. Au début, je consultais notamment 20 Minutes et Metro, puis j’ai plongé dans les journaux régionaux. C’est là qu’il y avait les histoires les plus marrantes. Maintenant, les médias nationaux comme Le Monde, Le Parisien ou Le Figaro s’y sont mis car ils ont besoin d’avoir des clics.
Ça me faisait beaucoup rire. Alors à chaque fois que je voyais un titre décalé, je le balançais pour les autres membres de la rédaction. Comme tout le monde se marrait, je me suis mis en tête de les collectionner. Donc j’ai créé un Tumblr – qui était alors la plateforme idéale pour ça. Sans que je sache trop comment, un petit buzz a démarré. En moins de deux mois, près de 200 000 personnes m’ont suivi. Depuis, je n’ai jamais arrêté, même en cas de vacances, de mariage ou d’enterrement.
Toi qui a le nez plongé dans la presse locale française, pourquoi t’es-tu installé au Brésil ?
Vers mes 30 ans, je me suis retrouvé à un tournant. Soit je continuais à Radio Nova et je risquais de passer toute ma vie à Paris, soit je tentais autre chose. J’ai choisi de prendre un congé sabbatique. Comme l’Amérique du Sud était le seul continent qui m’était complètement inconnu, j’ai pris un billet pour le Brésil, un pays réputé pour le foot, la plage, les jolies filles…
J’y ai habité trois mois et j’ai pris mon sac à dos pour me balader. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de travailler pour une société de production audiovisuelle. Je suis resté là-bas pendant un an et demi avant de créer ma propre boîte avec un ami réalisateur chez Groland. Puis j’ai demandé ma femme en mariage. Aujourd’hui, je suis toujours journaliste pigiste. De temps en temps, je couvre de grandes compétitions pour la Fifa, comme la Coupe du monde 2014.
Là, je viens d’interviewer le réalisateur du film Bacurau, Kleber Mendonça Filho. C’est une espèce de Black Mirror brésilien qui donne aussi une idée de ce que Bolsonaro peut donner au pouvoir. Elle servira à un documentaire produit par le Forum des images. En parallèle, je travaille sur des projets de podcasts et j’ai une marque de fringues, Calma São Paulo.
Tu trouves que la façon de titrer diffère selon les pays ?
Je ne compare pas vraiment. Parfois je repère des titres dans une autre langue, mais il faut bien la maîtriser pour saisir les subtilités. Ça peut se jouer sur un nom, un adverbe ou une virgule. S’il se passe des histoires un peu folles partout, les pays latins et anglo-saxons sont plus portés sur les titres décalés. En Amérique du Sud, l’humour est différent.
Avec Internet, je peux de toute façon me concentrer sur la presse française où il y a déjà de nombreuses perles. J’y passe pas mal de temps mais tant que ça me fait marrer, je n’ai aucune raison d’arrêter. C’est une blague qui a réussi, alors pourvu que ça dure.
Couverture : Johann Walter Bantz.